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24/05/2022 | FRANCE | N°21BX01333

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 24 mai 2022, 21BX01333


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a rejeté ses demandes du 12 décembre 2019 tendant, d'une part, à l'abrogation de l'arrêté du 13 mai 2018 par lequel le préfet l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, à ce qu'une mesure d'assignation à résidence soit prononcée.

Par une ordonnance n

° 2000829 du 2 décembre 2020, le président du tribunal administratif de la Guyane a rej...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... D... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a rejeté ses demandes du 12 décembre 2019 tendant, d'une part, à l'abrogation de l'arrêté du 13 mai 2018 par lequel le préfet l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, d'autre part, à ce qu'une mesure d'assignation à résidence soit prononcée.

Par une ordonnance n° 2000829 du 2 décembre 2020, le président du tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande pour tardiveté.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 26 mars et 19 juillet 2021, M. B..., représenté par Me Pépin, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2000829 du président du tribunal administratif de la Guyane du 2 décembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision par laquelle le préfet de la Guyane a implicitement rejeté ses demandes du 12 décembre 2019 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Guyane, à titre principal, de lui délivrer une carte de séjour temporaire en qualité d'étranger malade, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation administrative dans le délai d'un mois, sous astreinte de 50 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le premier juge a dénaturé les termes de sa requête de première instance en l'estimant dirigée contre l'arrêté du 13 mai 2018 et en la rejetant, en conséquence, pour tardiveté ;

- la décision implicite attaquée n'est pas motivée, malgré la demande de communication des motifs qui a été adressée au préfet le 28 février 2020 ; elle méconnaît ainsi les dispositions combinées des articles L. 211-2 et L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration ;

- il est présent en France depuis cinq ans et est atteint d'une cataracte traumatique avec perforation oculaire, de douleurs thoraciques pouvant à tout moment relever d'une urgence vitale et du virus de l'immunodéficience humaine ; le défaut de prise en charge de ces pathologies pourrait entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité, alors qu'il ne peut bénéficier de traitements appropriés dans son pays d'origine ; la décision contestée est, dès lors, entachée d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions du 10° de l'article L. 511-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur ; elle est, de plus, entachée d'erreur manifeste d'appréciation de ses conséquences sur sa situation personnelle.

La requête a été communiquée au préfet de la Guyane, qui n'a pas produit de mémoire en défense.

Les parties ont été informées le 11 mars 2022, en application des dispositions de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, de ce que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par M. B... tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé d'abroger la décision du 13 mai 2018 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans, dès lors qu'un étranger n'est pas recevable à demander l'annulation de la décision refusant d'abroger une interdiction de retour sur le territoire français s'il ne justifie pas résider hors de France à la date où il saisit le juge administratif.

La demande d'aide juridictionnelle présentée par M. B... a été rejetée par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux du 8 avril 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Par un arrêté du 13 mai 2018, le préfet de la Guyane a obligé M. B..., ressortissant sierra-léonais, à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pendant une durée de deux ans. M. B... relève appel de l'ordonnance du 2 décembre 2020 par laquelle le président du tribunal administratif de la Guyane a rejeté, sur le fondement des dispositions de l'article R. 222-1 du code de justice administrative, comme manifestement irrecevable sa demande tendant à l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a, d'une part, refusé d'abroger la mesure d'éloignement et l'interdiction de retour sur le territoire français dont il a fait l'objet, d'autre part, a refusé de l'assigner à résidence.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. La demande de M. B... adressée au tribunal administratif de la Guyane tendait non pas à l'annulation de l'arrêté du 13 mai 2018 par lequel le préfet de la Guyane l'a obligé à quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de de deux ans mais à l'annulation du refus implicite opposé par le préfet à son recours en date du 12 décembre 2019 tendant à l'abrogation de ces décisions et à ce qu'une mesure d'assignation à résidence soit prononcée. Ainsi, en regardant la demande comme tendant à l'annulation de l'arrêté du 13 mai 2018, le président du tribunal administratif de la Guyane s'est mépris sur les conclusions qui lui étaient soumises. Son ordonnance en date du 2 décembre 2020 doit donc être annulée et, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de se prononcer immédiatement, par la voie de l'évocation, sur la demande de M. B... devant le tribunal.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne le refus implicite d'abrogation de l'interdiction de retour sur le territoire français :

3. Il ressort des dispositions du dixième alinéa du III de l'article L. 511-1 dans sa rédaction alors en vigueur, devenu deuxième alinéa de l'article L. 613-7, du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qu'un étranger n'est pas recevable à demander l'annulation de la décision refusant d'abroger une interdiction de retour sur le territoire français s'il ne justifie pas résider hors de France à la date où il saisit le juge administratif. Il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B..., qui a indiqué tant dans sa requête de première instance que dans ses écritures d'appel avoir sa résidence à Cayenne, remplirait cette condition. Par suite, l'intéressé n'est pas recevable à demander l'annulation de la décision implicite par laquelle le préfet de la Guyane a refusé d'abroger la décision du 13 mai 2018 portant interdiction de retour sur le territoire français pour une durée de deux ans.

En ce qui concerne le refus implicite d'abrogation de la mesure d'éloignement :

4. D'une part, aux termes de l'article L. 243-2 du code des relations entre le public et l'administration : " (...) L'administration est tenue d'abroger expressément un acte non réglementaire non créateur de droits devenu illégal ou sans objet en raison de circonstances de droit ou de fait postérieures à son édiction, sauf à ce que l'illégalité ait cessé. ". Il appartient à tout intéressé de demander à l'autorité compétente de procéder à l'abrogation d'une décision illégale non réglementaire qui n'a pas créé de droits, si cette décision est devenue illégale à la suite de changements dans les circonstances de droit ou de fait postérieurs à son édiction. A cet égard, un étranger est recevable à demander l'annulation d'une décision refusant d'abroger une décision obligeant à quitter le territoire français sans qu'y fasse obstacle la circonstance que l'obligation de quitter le territoire français est assortie d'une interdiction de retour sur ce territoire.

5. Pour contester la décision portant refus d'abrogation de la décision du 13 mai 2018 du préfet de la Guyane portant obligation quitter le territoire français sans délai, M. B... se prévaut de l'évolution de sa situation médicale et produit, notamment, un certificat médical du 21 août 2019. Il justifie, dès lors, d'un changement dans les circonstances de fait postérieur à l'édiction desdites décisions.

6. D'autre part, aux termes de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / 1° Restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police (...) ". Aux termes de l'article L. 232-4 du même code : " Une décision implicite intervenue dans les cas où la décision explicite aurait dû être motivée n'est pas illégale du seul fait qu'elle n'est pas assortie de cette motivation / Toutefois, à la demande de l'intéressé, formulée dans les délais du recours contentieux, les motifs de toute décision implicite de rejet devront lui être communiqués dans le mois suivant cette demande. Dans ce cas, le délai du recours contentieux contre ladite décision est prorogé jusqu'à l'expiration de deux mois suivant le jour où les motifs lui auront été communiqués. ".

7. Le refus implicite qui a été opposé par le préfet de la Guyane à la demande de M. B... d'abrogation de la décision du 13 mai 2018 portant obligation de quitter le territoire français constitue une mesure de police qui doit être motivée en application des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Il ressort des pièces du dossier que, par un courrier électronique du 28 février 2020, M. B..., par l'intermédiaire de son conseil, a présenté dans le délai de recours contentieux une demande de communication des motifs de la décision implicite de rejet de sa demande et que l'administration n'a pas communiqué les motifs dans le délai d'un mois prévu par les dispositions précitées de l'article L. 232-4 du code des relations entre le public et l'administration. Par suite, le requérant est fondé à demander, pour ce motif, l'annulation de la décision implicite de rejet de sa demande d'abrogation de l'arrêté du 13 mai 2018 en tant qu'elle porte sur l'obligation de quitter le territoire français sans délai dont il a fait l'objet.

En ce qui concerne le rejet implicite de la demande d'assignation à résidence :

8. Aux termes de l'article L. 561-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans sa rédaction alors en vigueur : " Lorsque l'étranger justifie être dans l'impossibilité de quitter le territoire français ou ne peut ni regagner son pays d'origine ni se rendre dans aucun autre pays, l'autorité administrative peut, jusqu'à ce qu'existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation, l'autoriser à se maintenir provisoirement sur le territoire français en l'assignant à résidence, dans les cas suivants : / 1° Si l'étranger fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai (...) ".

9. Le refus implicite qui a été opposé par le préfet de la Guyane à la demande de M. B... du 12 décembre 2019 de l'assigner à résidence, qui a pour effet de lui interdire de se maintenir provisoirement sur le territoire français en raison de la mesure d'éloignement sans délai dont il fait l'objet, constitue une mesure de police qui doit être motivée, en application des dispositions précitées de l'article L. 211-2 du code des relations entre le public et l'administration. Dès lors, pour les motifs exposés au point 7, le requérant, à qui les motifs de la décision susvisée n'ont pas été communiqués par le préfet de la Guyane, malgré sa demande du 28 février 2020, est fondé à en demander l'annulation.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... est seulement fondé à demander l'annulation des décisions implicites du préfet de la Guyane rejetant ses demandes du 12 décembre 2019 tendant, d'une part, à l'abrogation de la décision du 13 mai 2018 portant obligation de quitter le territoire français sans délai, d'autre part, à ce qu'il soit assigné à résidence.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

11. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique seulement le réexamen de la demande d'abrogation présentée par M. B... le 12 décembre 2019, en tant qu'elle concerne la mesure d'éloignement du 13 mai 2018, ainsi que celui de la demande d'assignation à résidence présentée par l'intéressé. Par suite, il y a lieu d'enjoindre au préfet de la Guyane de procéder à ce réexamen dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 200 euros au titre des frais exposés par M. B... et non compris dans les dépens

DECIDE :

Article 1er : L'ordonnance n° 2000829 du 2 décembre 2020 du président du tribunal administratif de la Guyane est annulée.

Article 2 : La décision implicite du préfet de la Guyane rejetant la demande de M. B... du 12 décembre 2019 tendant à l'abrogation de l'arrêté du 13 mai 2018 est annulée en tant qu'elle porte sur l'obligation de quitter le territoire français sans délai.

Article 3 : La décision implicite du préfet de la Guyane rejetant la demande de M. B... du 12 décembre 2019 tendant à ce qu'il soit assigné à résidence est annulée.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Guyane de procéder au réexamen de la demande d'abrogation présentée par M. B... le 12 décembre 2019, en tant qu'elle concerne la mesure d'éloignement du 13 mai 2018 et au réexamen de sa demande d'assignation à résidence, dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera à M. B... une somme de 1 200 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le surplus de la demande de M. B... devant le tribunal administratif de la Guyane et de ses conclusions d'appel est rejeté.

Article 7: Le présent arrêt sera notifié à M. A... D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 19 avril 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 24 mai 2022.

Le rapporteur,

Michaël C... La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX013332


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX01333
Date de la décision : 24/05/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-03 Étrangers. - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : PEPIN

Origine de la décision
Date de l'import : 31/05/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-05-24;21bx01333 ?
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