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05/07/2022 | FRANCE | N°22BX00795

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 4ème chambre, 05 juillet 2022, 22BX00795


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2020 par lequel la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.

Par un jugement n° 2005505 du 17 mars 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'ap

pel :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2022, Mme D..., représentée par Me Foucard, dem...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... D... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2020 par lequel la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée.

Par un jugement n° 2005505 du 17 mars 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour administrative d'appel :

Par une requête, enregistrée le 10 mars 2022, Mme D..., représentée par Me Foucard, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 2005505 du tribunal administratif de Bordeaux du 17 mars 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 septembre 2020 de la préfète de Lot-et-Garonne ;

3°) d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 150 euros par jour de retard à compter d'un délai de quinze jour suivant la notification de l'arrêt ou, à titre subsidiaire, de procéder au réexamen de sa situation dans un délai de deux mois et sous la même astreinte ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 1 500 euros au titre des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

En ce qui concerne le refus de délivrance d'un titre de séjour :

- aucun indice précis et concordant n'est apporté par la préfète permettant de tenir pour établi le caractère frauduleux de la reconnaissance de paternité du père français de sa fille, qui dispose d'une carte nationale d'identité ; aucune enquête pénale n'a abouti ;

- alors même qu'elle ne vit pas avec le père de son enfant français et que ce dernier ne contribue pas à l'entretien et à l'éducation de sa fille, il existe une décision de justice du juge aux affaires familiales quant à cette contribution qui, s'il est postérieur à la date de l'arrêté attaqué, révèle une situation qui lui est antérieure ; dès lors, eu égard, en outre, à sa situation privée et familiale ainsi qu'à l'intérêt supérieur de sa fille, la décision lui refusant le séjour est entachée d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation au regard des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

En ce qui concerne la décision portant obligation de quitter le territoire français :

- elle est illégale par voie de conséquence de l'illégalité de la décision lui refusant le séjour.

Par un mémoire en défense, enregistré le 8 avril 2022, la préfète de Lot-et-Garonne conclut au rejet de la requête en faisant valoir que les moyens soulevés par la requérante ne sont pas fondés.

Mme D... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 23 septembre 2021.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme D..., ressortissante marocaine née le 30 mai 1992, est entrée en France le 7 juillet 2017 munie d'un visa de court séjour valable jusqu'au 17 août 2017. Le 19 août 2019, elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour en qualité de parent d'enfant français, sur le fondement des dispositions du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, alors en vigueur. Par un arrêté du 24 septembre 2020, la préfète de Lot-et-Garonne a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligée à quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle est susceptible d'être éloignée. L'intéressée relève appel du jugement du 17 mars 2021 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces décisions.

Sur la légalité de l'arrêté du 24 septembre 2020 :

2. Aux termes de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dont les dispositions sont désormais reprises aux articles L. 423-7 et L. 423-8 de ce code : " Sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " est délivrée de plein droit : / (...) / 6° A l'étranger ne vivant pas en état de polygamie, qui est père ou mère d'un enfant français mineur résidant en France, à la condition qu'il établisse contribuer effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant dans les conditions prévues par l'article 371-2 du code civil depuis la naissance de celui-ci ou depuis au moins deux ans, sans que la condition prévue à l'article L. 313-2 soit exigée ; / Lorsque la filiation est établie à l'égard d'un parent, en application de l'article 316 du code civil, le demandeur, s'il n'est pas l'auteur de la reconnaissance de paternité ou de maternité, justifie que ce dernier contribue effectivement à l'entretien et à l'éducation de l'enfant, dans les conditions prévues à l'article 371-2 du même code, ou produit une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de l'enfant. Lorsque le lien de filiation est établi mais que la preuve de la contribution n'est pas rapportée ou qu'aucune décision de justice n'est intervenue, le droit au séjour du demandeur s'apprécie au regard du respect de sa vie privée et familiale et au regard de l'intérêt supérieur de l'enfant ; (...) ". Aux termes de l'article 371-2 du code civil : " Chacun des parents contribue à l'entretien et à l'éducation des enfants à proportion de ses ressources, de celles de l'autre parent, ainsi que des besoins de l'enfant. (...) ".

3. Pour refuser de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " en qualité de parent d'enfant français, la préfète de Lot-et-Garonne s'est fondée, d'une part, sur la conviction d'une reconnaissance frauduleuse de paternité de la fille de la requérante, née le 16 janvier 2019, par M. A..., de nationalité française, en s'appuyant sur le rapport du référent fraude départemental en date du 1er octobre 2019, concluant à une reconnaissance frauduleuse de paternité. Toutefois, alors que la fille de l'intéressée s'est vu délivrer une carte nationale d'identité le 7 juin 2019, l'administration n'a produit, en première instance comme en appel, qu'un compte-rendu d'entretien réalisé le 24 septembre 2019 entre Mme D... et le référent fraude départemental. Il ressort de ce document que si M. A... ne participe plus à l'entretien et à l'éducation de l'enfant depuis ses trois mois, ce que ne conteste d'ailleurs par la requérante, et se borne à prendre épisodiquement des nouvelles et à appeler Mme D... tous les deux à trois mois, ces circonstances ne suffisent pas à établir que sa fille aurait bénéficié d'une reconnaissance de paternité de complaisance. Par ailleurs, dans un échange de courriers électroniques du 13 octobre 2020, le parquet du tribunal judiciaire d'Agen a indiqué au conseil de la requérante qu'aucune procédure concernant sa cliente n'était en cours. Par suite, il n'est pas établi que la reconnaissance de paternité effectuée par M. A... serait frauduleuse.

4. D'autre part, la préfète s'est fondée sur l'absence de justification que le père de l'enfant, auteur d'une reconnaissance de paternité le 12 novembre 2018 en application de l'article 316 du code civil, contribuait à son entretien et à son éducation depuis sa naissance ainsi que de toute décision de justice. Toutefois, Mme D... verse au dossier un jugement du juge aux affaires familiales près le tribunal judiciaire d'Agen du 14 décembre 2020 disant que les parents exerceront conjointement l'autorité parentale sur l'enfant mineur, fixant sa résidence habituelle au domicile de sa mère et arrêtant à la somme de 200 euros par mois le montant de la pension alimentaire mise à la charge de M. A... au titre de la contribution à l'entretien et à l'éducation de son enfant. Si ce jugement est postérieur à la date de l'arrêté en litige du 24 septembre 2020, il révèle, dans les circonstances de l'espèce et au regard, notamment, de la date de la requête présentée devant le juge aux affaires familiales, le 28 avril 2020, une situation qui lui est antérieure. Dès lors que la filiation est établie à l'égard de M. A... et que Mme D... peut se prévaloir d'une décision de justice relative à la contribution à l'éducation et à l'entretien de sa fille, l'appelante est fondée à soutenir qu'en refusant de lui délivrer un titre de séjour, la préfète de Lot-et-Garonne a méconnu les dispositions précitées du 6° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, dans sa rédaction alors en vigueur. L'illégalité de cette décision entraîne, par voie de conséquence, celle des décisions subséquentes portant obligation de quitter le territoire français et fixant le pays de destination.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande. Elle est dès lors fondée à demander l'annulation de ce jugement ainsi que celle de l'arrêté de la préfète de Lot-et-Garonne du 24 septembre 2020.

Sur les conclusions aux fins d'injonction et d'astreinte :

6. Eu égard au motif d'annulation retenu et en l'absence de changement dans les circonstances de droit et de fait intervenu depuis l'édiction de l'arrêté du 24 septembre 2020, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement la délivrance, au profit de Mme D..., d'une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale ". Dès lors, il y a lieu d'enjoindre au préfet de Lot-et-Garonne de délivrer un tel titre de séjour à l'intéressée dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour, sans qu'il soit nécessaire d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

7. Mme D... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me Foucard, avocat de Mme D..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat, de mettre à la charge de l'Etat le versement à Me Foucard de la somme de 1 200 euros.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2005505 du 17 mars 2021 du tribunal administratif de Bordeaux est annulé.

Article 2 : L'arrêté de la préfète de Lot-et-Garonne du 24 septembre 2020 est annulé.

Article 3 : Il est enjoint au préfet de Lot-et-Garonne de délivrer à Mme D... une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de la munir d'une autorisation provisoire de séjour.

Article 4 : L'Etat versera à Me Foucard une somme de 1 200 euros en application des dispositions du deuxième alinéa de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, sous réserve que Me Foucard renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'Etat.

Article 5 : Le surplus des conclusions de la requête de Mme D... est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... D... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de Lot-et-Garonne.

Délibéré après l'audience du 7 juin 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Evelyne Balzamo, présidente,

M. Dominique Ferrari, président-assesseur,

M. Michaël Kauffmann, premier conseiller,

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 juillet 2022.

Le rapporteur,

Michaël C... La présidente,

Evelyne BalzamoLe greffier,

Christophe Pelletier

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne, et à tous huissiers de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 22BX007952


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00795
Date de la décision : 05/07/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme BALZAMO
Rapporteur ?: M. Michaël KAUFFMANN
Rapporteur public ?: Mme CABANNE
Avocat(s) : FOUCARD

Origine de la décision
Date de l'import : 12/07/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-07-05;22bx00795 ?
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