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22/09/2022 | FRANCE | N°20BX01911

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 22 septembre 2022, 20BX01911


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2018 par laquelle le préfet de la Guyane lui a retiré son agrément d'armurier et lui a enjoint de liquider son matériel dans un délai de deux mois.

Par un jugement n° 1800309 du 12 mars 2020, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juin 2020 et un mémoire enregistré

le 9 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Lobeau, de

mande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guyane du 16 janv...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... B... a demandé au tribunal administratif de la Guyane d'annuler l'arrêté du 16 janvier 2018 par laquelle le préfet de la Guyane lui a retiré son agrément d'armurier et lui a enjoint de liquider son matériel dans un délai de deux mois.

Par un jugement n° 1800309 du 12 mars 2020, le tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 15 juin 2020 et un mémoire enregistré

le 9 décembre 2021, M. B..., représenté par Me Lobeau, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Guyane du 16 janvier 2018 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre

de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- sa requête a été présentée dans le délai d'appel ;

En ce qui concerne la régularité du jugement :

- les conditions dans lesquelles le jugement est intervenu, notamment le revirement spectaculaire du rapporteur public, " suscitent l'incrédulité " ;

- le jugement ne précise pas en quoi la situation judiciaire d'un ressortissant français au Brésil constituerait une atteinte à l'ordre public ;

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de l'absence de communication de pièces et qu'il n'a pas fait droit au moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ;

En ce qui concerne la légalité de l'arrêté :

- le préfet l'a invité à présenter ses observations en lui indiquant qu'il envisageait de retirer son agrément en raison de troubles à l'ordre public, alors que l'arrêté est également fondé sur des doutes concernant ses qualités morales, son honorabilité et sa probité, et il n'a pas été mis à même de présenter ses observations sur ce second motif ; le préfet n'a pas répondu à la demande de communication de pièces présentée par son avocat ; ainsi, les droits de la défense ont été méconnus ;

- l'arrêté se borne à affirmer qu'il aurait fait l'objet d'une peine de prison " définitive " et ferait l'objet d'un " mandat de prison brésilien ", lequel n'a pas été joint, ni communiqué ; la motivation de l'arrêté ne démontre pas que des troubles à l'ordre public seraient caractérisés ; ainsi, la motivation est incomplète et erronée ;

- l'existence de doutes sur sa moralité ne saurait fonder légalement l'arrêté dès lors qu'il n'a fait l'objet d'aucune mise en cause en France, qu'aucun élément émanant d'une autorité étrangère n'est produit, et qu'eu égard à la situation des prisons brésiliennes, il ne peut lui être reproché de s'être soustrait à une incarcération ;

- le retrait de son agrément porte une atteinte manifestement illégale à la liberté d'entreprendre ainsi qu'à la présomption d'innocence ;

- le fait qu'il a été relaxé en appel par une décision du 23 juin 2020 démontre qu'il n'a jamais été condamné définitivement et qu'il est innocent, de sorte que l'arrêté est entaché d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense enregistrés le 15 octobre 2021 et le 14 février 2022,

le préfet de la Guyane conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la requête enregistrée le 15 juin 2020, après l'expiration du délai de trois mois applicable en Guyane, est irrecevable ;

- les moyens invoqués par M. B... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de la sécurité intérieure ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... était titulaire d'un agrément en qualité d'armurier de 5ème à 7ème catégorie d'une durée de dix ans délivré par arrêté du préfet de la Guyane du 31 mai 2012.

Par lettre du 19 décembre 2017, le préfet l'a informé de ce qu'il envisageait de retirer cet agrément aux motifs qu'il faisait l'objet d'un " mandat de prison " brésilien du 25 janvier 2017 avec une peine de 10 ans, 6 mois et 26 jours pour " crime contre le système national des armes " prononcé par le tribunal de justice fédéral de l'Etat de l'Amapa au Brésil, qu'il avait bénéficié d'une autorisation de sortie à l'issue de laquelle il n'avait pas réintégré la prison au Brésil, et que l'inexécution de sa peine faisait craindre " des troubles à l'ordre public et de sécurité des personnes " sur le département de la Guyane. M. B... a présenté ses observations par lettre de son conseil du 27 décembre 2017, et son agrément d'armurier lui a été retiré par un arrêté préfectoral du 16 janvier 2018 dont il a demandé l'annulation devant le tribunal administratif de la Guyane. M. B... relève appel du jugement du 12 mars 2020 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. La circonstance que le sens des conclusions du rapporteur public a été modifié après un renvoi de l'affaire ne caractérise aucune irrégularité. En relevant que M. B... avait fait l'objet le 4 décembre 2015 d'une condamnation pour trafic d'armes au Brésil et qu'il ne l'avait pas exécutée, les premiers juges ont suffisamment motivé leur réponse au moyen tiré de ce que le retrait de l'agrément serait entaché d'erreur manifeste d'appréciation. Enfin, si M. B... reproche au tribunal d'avoir à tort écarté les moyens tirés de l'absence de communication de pièces par le préfet et de l'erreur manifeste d'appréciation, ces critiques relèvent du bien-fondé, et non de la régularité du jugement.

Sur la légalité de l'arrêté du 16 janvier 2018 :

En ce qui concerne la légalité externe :

3. En premier lieu, aux termes de l'article L. 121-1 du code des relations entre le public et l'administration : " Exception faite des cas où il est statué sur une demande, les décisions individuelles qui doivent être motivées en application de l'article L. 211-2, ainsi que les décisions qui, bien que non mentionnées à cet article, sont prises en considération de la personne, sont soumises au respect d'une procédure contradictoire préalable. " Aux termes de l'article L. 122-2 du même code : " Les mesures mentionnées à l'article L. 121-1 à caractère de sanction ne peuvent intervenir qu'après que la personne en cause a été informée des griefs formulés à son encontre et a été mise à même de demander la communication du dossier la concernant. "

4. Ainsi qu'il a été exposé au point 1, M. B... a été informé des griefs formulés

à son encontre et a présenté ses observations préalablement au retrait de son agrément.

La circonstance qu'il n'a pas été mis à même de s'exprimer sur le motif surabondant selon lequel les faits retenus pouvaient également faire douter de ses qualités morales, d'honorabilité

et de probité, n'est pas de nature à entacher la procédure d'irrégularité.

5. Le retrait de l'agrément constituant une mesure de police administrative et non une sanction, la méconnaissance des dispositions de l'article L. 122-2 du code des relations entre le public et l'administration ne peut être utilement invoquée. Au demeurant, M. B... ne pouvait ignorer avoir été condamné à une peine d'emprisonnement au Brésil et s'y être soustrait en revenant en Guyane pendant une autorisation de sortie, et dans ces circonstances, l'absence de communication des éléments " recueillis auprès d'un Etat étranger " sur lesquels le préfet entendait fonder le retrait de l'agrément ne l'a pas empêché de présenter utilement sa défense.

6. En second lieu, l'article L. 212-2 du code des relations entre le public et l'administration prévoit la motivation des décisions qui constituent une mesure de police, et aux termes de l'article L. 211-5 : " La motivation exigée par le présent chapitre doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " Comme l'ont relevé les premiers juges, l'arrêté du 16 janvier 2018 énonce les considérations de droit et de fait qui fondent le retrait de l'agrément. Si M. B... fait valoir que le préfet ne démontrerait pas que des troubles à l'ordre public seraient caractérisés et que les motifs retenus seraient erronés, il conteste ainsi le bien-fondé de l'arrêté, et non la régularité de sa motivation.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. L'article R. 313-5 du code de la sécurité intérieure dispose que l'agrément des armuriers " peut être refusé : / 1° Lorsque le demandeur a été condamné à une peine d'emprisonnement avec ou sans sursis supérieure à trois mois, inscrite à son casier judiciaire ou, pour les ressortissants étrangers, dans un document équivalent au bulletin n° 2 du casier judiciaire ; / 2° Lorsque sa délivrance apparaît de nature à troubler l'ordre ou la sécurité publics ". Aux termes de l'article R. 313-7 du même code : " L'autorité qui a délivré l'agrément peut (...) le retirer, lorsque les conditions d'attribution de l'agrément ne sont plus remplies ou pour des raisons d'ordre public et de sécurité des personnes. / (...). "

8. Le préfet de la Guyane a produit en première instance une traduction certifiée conforme à l'original du jugement du 4 décembre 2015 du tribunal de justice fédéral de l'Etat de l'Amapa ayant condamné M. B... à une peine d'emprisonnement de 10 ans, 6 mois

et 26 jours pour " association et trafic d'armes ", ainsi qu'une note du Centre de coopération policière détaillant les vérifications effectuées auprès des autorités brésiliennes, à laquelle était jointe le " mandat de prison " émis à l'encontre de l'intéressé, considéré comme fugitif

le 27 décembre 2018 pour n'avoir pas réintégré le centre pénitencier de Macapa à l'issue d'une permission de sortie. Les faits sur lesquels le préfet s'est fondé sont ainsi établis. Le motif de la peine d'emprisonnement prononcée au Brésil pour violation de la législation locale sur les armes suffisait à caractériser un trouble à l'ordre public justifiant le retrait de l'agrément, et le préfet de la Guyane a pu légalement relever, de manière surabondante, qu'elle était de nature à faire douter de la moralité de M. B.... Par suite, c'est à bon droit que les premiers juges ont écarté le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation. La légalité d'une décision s'appréciant à la date à laquelle elle a été prise, l'acquittement de M. B..., prononcé en appel le 23 juin 2020 par le tribunal régional fédéral de la première région du Brésil pour vice de procédure, est sans incidence sur la légalité de l'arrêté du 16 janvier 2018.

9. Dès lors que l'arrêté du 16 janvier 2018 n'a pas été pris en méconnaissance des dispositions permettant le retrait de l'agrément citées au point 7, le moyen tiré de l'atteinte à la liberté d'entreprendre ne peut qu'être écarté.

10. La circonstance que M. B... avait relevé appel du jugement du tribunal

de justice fédéral de l'Etat de l'Amapa du 4 décembre 2015 n'est pas de nature à faire regarder l'arrêté du 16 janvier 2018, fondé sur la condamnation alors exécutoire prononcée

par ce tribunal, comme méconnaissant le principe de la présomption d'innocence.

11. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur la fin de non-recevoir opposée par le préfet de la Guyane, M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de la Guyane a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés à l'occasion du litige :

12. M. B..., qui est la partie perdante, n'est pas fondé à demander l'allocation d'une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au ministre

de l'intérieur. Une copie en sera adressée au préfet de la Guyane.

Délibéré après l'audience du 30 août 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 22 septembre 2022.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLa greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX01911


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX01911
Date de la décision : 22/09/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CABINET JOSE LOBEAU

Origine de la décision
Date de l'import : 02/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-09-22;20bx01911 ?
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