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04/10/2022 | FRANCE | N°20BX00357

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 04 octobre 2022, 20BX00357


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler, d'une part, l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le maire de La Rochelle a prononcé la suspension de ses fonctions à compter de la notification de la mesure prise à son encontre et l'arrêté du 8 février 2018 par lequel la même autorité l'a suspendu de ses fonctions à compter du 25 janvier 2018, date d'expiration de son congé de maladie ordinaire et, d'autre part, l'arrêté du 3 septembre 2018 par l

equel le maire de La Rochelle a prolongé la suspension de ses fonctions à comp...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, M. D... C... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler, d'une part, l'arrêté du 19 janvier 2018 par lequel le maire de La Rochelle a prononcé la suspension de ses fonctions à compter de la notification de la mesure prise à son encontre et l'arrêté du 8 février 2018 par lequel la même autorité l'a suspendu de ses fonctions à compter du 25 janvier 2018, date d'expiration de son congé de maladie ordinaire et, d'autre part, l'arrêté du 3 septembre 2018 par lequel le maire de La Rochelle a prolongé la suspension de ses fonctions à compter de la notification de la mesure dont il a fait l'objet.

Par un jugement n° 1800621, 1802622, procédant à la jonction des requêtes, du 27 novembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du maire de La Rochelle du 3 septembre 2018 et a rejeté le surplus de la demande de M. C....

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire enregistrés le 27 janvier 2020 et le 20 octobre 2021, la commune de La Rochelle, représentée par Me Aveline, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement du 27 novembre 2019 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il a annulé l'arrêté du maire de La Rochelle du 3 septembre 2018 prolongeant la suspension de M. C... de ses fonctions ;

2°) de rejeter la demande de M. C... ;

3°) à titre subsidiaire, d'annuler l'arrêté du maire de La Rochelle du 3 septembre 2018 prolongeant la suspension de M. C... de ses fonctions en tant seulement qu'il a pris effet avant l'ouverture de l'information judiciaire ;

4°) de mettre à la charge de M. C... une somme de 3 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les conclusions de M. C... tendant à l'annulation des arrêtés des 19 janvier et 8 février 2018, formulées après l'expiration du délai d'appel, sont irrecevables en ce qu'elles soulèvent un litige distinct ; elles sont en tout état de cause infondées ;

- le jugement est irrégulier en ce que l'annulation prononcée de l'arrêté du 3 septembre 2018 est fondée sur un moyen non soulevé par M. C... tiré de l'absence de poursuites pénales ;

- c'est à tort que le tribunal a considéré que M. C... ne faisait pas l'objet de poursuites pénales, celles-ci étant incontestables et de nature à justifier une décision de suspension conformément à l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 ; l'existence de telles poursuites est avérée dès le 3 septembre 2018 et à tout le moins dès le mois de décembre 2018, date à laquelle une information judiciaire a été ouverte ;

- les écritures de première instance sont intégralement reprises.

Par des mémoires, enregistrés le 5 octobre 2021 et le 24 mars 2022, M. C..., représenté par Me Garrigues, conclut au rejet de la requête, à l'annulation des arrêtés du maire de La Rochelle des 19 janvier 2018 et 8 février 2018 portant suspension de fonctions et à ce qu'une somme de 5 000 euros soit mise à la charge de la commune de La Rochelle sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- aucun des moyens de la requête n'est fondé ;

- les arrêtés des 19 janvier 2018 et 8 février 2018 sont entachés d'une incompétence de leur auteur ;

- ils ne sont pas fondés sur les mêmes motifs lesquels ne sont pas de nature à les justifier ;

- il a été relaxé par le juge pénal.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B... A...,

- les conclusions de Mme Florence Madelaigue, rapporteure publique,

- et les observations de Me Idriss représentant la commune de la Rochelle et de Me Lagrave représentant M. C....

Considérant ce qui suit :

1. M. C..., ingénieur en chef, exerçait les fonctions de directeur de la régie de l'eau potable de la commune de La Rochelle (Charente-Maritime). En 2018, à la suite d'un audit externe ayant révélé des dysfonctionnements internes, l'autorité territoriale a décidé de lancer une enquête administrative destinée à faire la lumière sur les pratiques notamment managériales de M. C... observées au sein du service. Par un arrêté du 19 janvier 2018, le maire de La Rochelle a alors suspendu l'intéressé de ses fonctions et, par un arrêté du 8 février 2018, il l'a suspendu de ses fonctions à compter du 25 janvier 2018, date d'expiration de son congé de maladie ordinaire " en prenant en considération d'éventuelles prolongations de ce même congé ". Par un arrêté du 3 septembre 2018, le maire de La Rochelle a prolongé la suspension de M. C... de ses fonctions à compter de la notification de cette mesure. Par un jugement du 27 novembre 2019, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du maire de La Rochelle du 3 septembre 2018 et a rejeté le surplus de la demande de M. C... qui tendait également à l'annulation des arrêtés des 19 janvier et 8 février 2018. La commune de La Rochelle relève appel du jugement du 27 novembre 2019 du tribunal administratif de Poitiers dont elle demande l'annulation en tant qu'il a annulé l'arrêté du maire du 3 septembre 2018 ou à tout le moins en tant qu'il a pris effet avant l'ouverture d'une information judiciaire en décembre 2018. Par la voie de l'appel incident, M. C... demande l'annulation des arrêtés du maire de La Rochelle des 19 janvier et 8 février 2018.

Sur l'appel principal :

En ce qui concerne la régularité du jugement attaqué :

2. Il ressort du jugement attaqué, et notamment de son point 13, que pour annuler l'arrêté du 3 septembre 2018, le tribunal s'est fondé sur le fait que le maire de La Rochelle avait prolongé pour une durée illimitée la suspension de M. C... prononcée par arrêté du 8 février 2018 alors qu'une prolongation au-delà du délai de quatre mois fixé par les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires n'est possible que dans l'hypothèse où le fonctionnaire fait l'objet de poursuites pénales, ce qui n'était pas le cas de l'intéressé.

3. Il ressort de la requête introductive d'instance de M. C... devant le tribunal administratif et du mémoire complémentaire ultérieurement produit qu'il y a invoqué le moyen tiré de ce que l'arrêté du 3 septembre 2018 prolongeant sa suspension de fonctions était entaché d'erreur de droit au regard de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983. D'ailleurs, il ressort du premier mémoire en défense de la commune de La Rochelle qu'elle a répondu à ce moyen en faisant longuement état du comportement de l'intéressé, en rappelant notamment l'existence d'une enquête judiciaire ouverte à son encontre et en faisant valoir que " la circonstance que l'arrêté du 3 septembre 2018 ne prévoit pas de terme à la prolongation de suspension de M. C... est totalement indifférente à sa légalité ". Ainsi, les premiers juges ont fondé leur décision sur un moyen qui était invoqué par M. C.... Dès lors, le moyen tiré de ce qu'ils auraient entaché leur jugement d'irrégularité pour avoir relevé d'office un moyen qui n'était pas d'ordre public doit être écarté.

En ce qui concerne le bien-fondé du motif d'annulation retenu par le tribunal :

4. Pour annuler l'arrêté du maire de La Rochelle du 3 septembre 2018 portant prolongation de la suspension de M. C... prononcée par arrêté du 8 février 2018, le tribunal, qui a relevé qu'à la date de l'arrêté en litige ce fonctionnaire n'avait pas fait l'objet de poursuites pénales, a estimé que " alors qu'aucune plainte n'avait été déposée et qu'aucune décision n'avait été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire et sans que la commune puisse utilement se prévaloir de ce que l'intérêt du service s'opposait à ce que l'intéressé fût rétabli dans ses fonctions ou affecté sur un autre emploi de la collectivité, le maire de La Rochelle ne pouvait légalement prolonger la suspension de fonctions de l'intéressé au-delà du délai de quatre mois fixé par les dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 " .

5. Aux termes de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " En cas de faute grave commise par un fonctionnaire, qu'il s'agisse d'un manquement à ses obligations professionnelles ou d'une infraction de droit commun, l'auteur de cette faute peut être suspendu par l'autorité ayant pouvoir disciplinaire qui saisit, sans délai, le conseil de discipline. / Le fonctionnaire suspendu conserve son traitement, l'indemnité de résidence, le supplément familial de traitement et les prestations familiales obligatoires. Sa situation doit être définitivement réglée dans le délai de quatre mois. / Si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire, le fonctionnaire qui ne fait pas l'objet de poursuites pénales est rétabli dans ses fonctions. S'il fait l'objet de poursuites pénales et que les mesures décidées par l'autorité judicaire ou l'intérêt du service n'y font pas obstacle, il est également rétabli dans ses fonctions à l'expiration du même délai. Lorsque, sur décision motivée, il n'est pas rétabli dans ses fonctions, il peut être affecté provisoirement par l'autorité investie du pouvoir de nomination, sous réserve de l'intérêt du service, dans un emploi compatible avec les obligations du contrôle judiciaire auquel il est, le cas échéant, soumis. A défaut, il peut être détaché d'office, à titre provisoire, dans un autre corps ou cadre d'emplois pour occuper un emploi compatible avec de telles obligations. L'affectation provisoire ou le détachement provisoire prend fin lorsque la situation du fonctionnaire est définitivement réglée par l'administration ou lorsque l'évolution des poursuites pénales rend impossible sa prolongation. / (...) Le fonctionnaire qui, en raison de poursuites pénales, n'est pas rétabli dans ses fonctions, affecté provisoirement ou détaché provisoirement dans un autre emploi peut subir une retenue, qui ne peut être supérieure à la moitié de la rémunération mentionnée au deuxième alinéa. Il continue, néanmoins, à percevoir la totalité des suppléments pour charges de famille ".

6. Il résulte des dispositions citées au point précédent que si, à l'expiration d'un délai de quatre mois, aucune décision n'a été prise par l'autorité ayant le pouvoir disciplinaire à l'encontre d'un fonctionnaire suspendu, celui-ci est rétabli dans ses fonctions, sauf s'il fait l'objet de poursuites pénales. Un fonctionnaire doit pour l'application de ces dispositions être regardé comme faisant l'objet de poursuites pénales lorsque l'action publique a été mise en mouvement à son encontre et ne s'est pas éteinte. Lorsque c'est le cas, l'autorité administrative peut, au vu de la situation en cause et des conditions prévues par ces dispositions, le rétablir dans ses fonctions, lui attribuer provisoirement une autre affectation, procéder à son détachement ou encore prolonger la mesure de suspension en l'assortissant, le cas échéant, d'une retenue sur traitement.

7. Par l'arrêté du 3 septembre 2018, le maire de La Rochelle a prolongé pour une durée non limitée la suspension de M. C... de ses fonctions, qu'il avait prononcée par un arrêté du 8 février 2018 prenant effet à l'expiration du congé de maladie ordinaire de l'intéressé, soit au 7 mai 2018. Il ressort des pièces du dossier, d'une part, qu'à la suite du signalement effectué le 26 janvier 2018 sur le fondement des dispositions de l'article 40 du code de procédure pénale auprès du Procureur de la République, une enquête judiciaire a été ouverte le 1er février 2018 sur le fonctionnement du service de l'eau tant au niveau de la gestion des agents que de ses activités, et, d'autre part, que, par un avis à victime du 20 décembre 2018, la commune a été informée de ce qu'elle pouvait se constituer partie civile dans l'information judiciaire ouverte contre X le 6 décembre 2018 des chefs de trafic d'influence passif et de soustraction, détournement ou destruction de biens d'un dépôt public par le dépositaire ou un de ses subordonnés. Ainsi, à la date de l'arrêté attaqué, en l'absence de mise en mouvement de l'action publique, M. C... ne pouvait être regardé comme faisant l'objet de poursuites pénales au sens des dispositions de l'article 30 de la loi du 13 juillet 1983. Dès lors, ainsi que l'a pertinemment jugé le tribunal, le maire de La Rochelle ne pouvait légalement prolonger la suspension de fonctions de M. C... au-delà du délai de quatre mois fixé par ces mêmes dispositions.

8. Il résulte de ce qui précède que la commune de La Rochelle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 3 septembre 2018 du maire de La Rochelle en se fondant sur le moyen exposé au point 4.

9. La commune de La Rochelle qui concluait à titre principal à l'annulation de l'arrêté du 3 septembre 2018 sollicite, à titre subsidiaire, l'annulation de cet arrêté en tant qu'il a pris effet avant l'ouverture d'une information judiciaire soit avant le 6 décembre 2018. Toutefois, en l'absence de poursuites pénales, M. C... devait être rétabli dans ses fonctions à l'issue du délai de quatre mois fixé par les dispositions citées au point 5. Dès lors, les conclusions présentées à titre subsidiaire par la commune de La Rochelle ne peuvent qu'être rejetées.

Sur l'appel incident :

10. Par la voie de l'appel incident, M. C... doit être regardé comme sollicitant l'annulation du jugement du 27 novembre 2019 du tribunal administratif de Poitiers en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande de première instance tendant à l'annulation des arrêtés du maire de la Rochelle des 19 janvier 2018 et 8 février 2018 portant suspension de ses fonctions. Ces conclusions, présentées après l'expiration du délai d'appel, soulèvent un litige distinct du litige qui fait l'objet de l'appel principal de la commune de La Rochelle. Par suite, ces conclusions sont irrecevables et ne peuvent qu'être rejetées.

11. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Rochelle n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a annulé l'arrêté du maire du 3 septembre 2018 prolongeant la suspension de M. C... de ses fonctions. Les conclusions incidentes de M. C... doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

12. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de M. C..., qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par la commune de La Rochelle, au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens. Il y a lieu, en revanche, de faire application de ces dispositions et, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la commune de La Rochelle la somme de 1 500 euros à verser M. C... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la commune de La Rochelle est rejetée.

Article 2 : La commune de La Rochelle versera à M. C... la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions incidentes de M. C... sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Rochelle et à M. C....

Délibéré après l'audience du 12 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

Mme Karine Butéri, présidente-assesseure,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 octobre 2022.

La rapporteure,

Karine A...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au préfet de la Charente-Maritime ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 20BX00357


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX00357
Date de la décision : 04/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: Mme Karine BUTERI
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : GARRIGUES

Origine de la décision
Date de l'import : 09/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-04;20bx00357 ?
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