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20/10/2022 | FRANCE | N°20BX03211

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 20 octobre 2022, 20BX03211


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... et Me Jean-Denis Silvestri ont demandé au tribunal administratif de Poitiers, sous le n° 1902872 d'annuler la décision du 19 septembre 2019 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a déclaré le contrat d'assistanat conclu avec M. A... non conforme aux dispositions de l'article R. 4321-54 du code de la santé publique et, sous le n° 1902873, d'annuler la décision du même jour par laquelle ce conseil a déclaré le contrat d'assistanat conclu avec M. C... non c

onforme aux mêmes dispositions.

Par un jugement nos 1902872, 1902873 du 2...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... D... et Me Jean-Denis Silvestri ont demandé au tribunal administratif de Poitiers, sous le n° 1902872 d'annuler la décision du 19 septembre 2019 par laquelle le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a déclaré le contrat d'assistanat conclu avec M. A... non conforme aux dispositions de l'article R. 4321-54 du code de la santé publique et, sous le n° 1902873, d'annuler la décision du même jour par laquelle ce conseil a déclaré le contrat d'assistanat conclu avec M. C... non conforme aux mêmes dispositions.

Par un jugement nos 1902872, 1902873 du 23 juillet 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 septembre 2020, M. D..., représenté par Me Choley et Me Vidal, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers ;

2°) d'annuler les décisions du 19 septembre 2019 ;

3°) de mettre à la charge du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- le jugement attaqué est irrégulier dès lors que la minute ne comporte pas les signatures exigées par les dispositions de l'article R. 741-7 du code de justice administrative ;

- les décisions en litige sont insuffisamment motivées dès lors qu'elles n'indiquent pas pour quels motifs les contrats d'assistanat libéral ne sont pas conformes aux dispositions du code de la santé publique ;

- les décisions sont entachées d'erreur de droit et d'erreur d'appréciation quant à la notion de fidélisation de la patientèle dès lors que la sanction d'interdiction temporaire d'exercice n'implique pas l'impossibilité pour le praticien de préserver sa patientèle ; l'interprétation retenue par le Conseil de l'ordre, selon laquelle cette sanction priverait le professionnel de sa patientèle, n'est prévue par aucun texte et méconnaît le principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ainsi que les stipulations de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen ; la qualification de fidélisation de clientèle retenue par le Conseil de l'ordre est inadaptée dès lors que les soins sont délivrés par l'assistant et que la suspension temporaire d'exercice était d'une durée de trois mois ;

- l'article R. 4381-17 du code de la santé publique n'interdit pas à un praticien qui fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercice d'engager un collaborateur, sans en retirer de rémunération, afin qu'il dispense des soins à titre gratuit pendant la période d'interdiction, dans le respect de l'obligation de continuité des soins ;

- il a cherché à assurer la continuité des soins dans une zone très sous dotée, et il a eu de nombreux échanges avec le conseil départemental de l'ordre afin de s'assurer de la conformité de sa démarche ; ainsi, il a respecté les principes déontologiques de moralité et de probité, conformément aux dispositions de l'article R. 4321-54 du code de la santé publique.

Par un mémoire en défense enregistré le 18 janvier 2021, le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, représenté par Me Cayol, conclut au rejet de la requête et demande à la cour de mettre à la charge de M. D... une somme de 3 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que les moyens invoqués par M. D... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Constitution, notamment son préambule;

- le protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits

de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de la santé publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme B...,

- les conclusions de Mme Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Me Lor représentant le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Considérant ce qui suit :

1. M. D... exerçait la profession de masseur-kinésithérapeute depuis

mars 2015 à Villebois-Lavalette (Charente) et avait ouvert un cabinet secondaire en 2018 à Lyon (Rhône). Par une décision rendue publique le 19 avril 2019, la chambre disciplinaire du

Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes a prononcé à son encontre une interdiction temporaire d'exercice de six mois, dont trois avec sursis, avec effet du 1er juillet au 30 septembre 2019 pour la partie non assortie du sursis, pour avoir employé un kinésithérapeute non inscrit à l'ordre. M. D... a alors conclu deux contrats d'assistanat libéral avec

M. C... et M. A..., respectivement inscrits au tableau du conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de Charente et du Rhône, pour une durée de trois mois correspondant à son interdiction d'exercer. Par décisions des 26 et 29 juillet 2019, le conseil départemental de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes de la Charente a émis des avis défavorables sur ces contrats. Par deux décisions du 19 septembre 2019, le Conseil national

de l'ordre, saisi de recours par M. D..., a annulé les décisions du conseil départemental pour insuffisance de motivation et déclaré les contrats d'assistanat non conformes aux dispositions du code de la santé publique, notamment de l'article R. 4321-54. Le cabinet

de M. D... ayant été placé en liquidation judiciaire par un jugement

du 17 septembre 2019, M. D... et Me Silvestri, liquidateur judiciaire, ont demandé l'annulation des décisions du 19 septembre 2019. M. D... relève appel du jugement

du 23 juillet 2020 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ces demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Aux termes de l'article R. 741-7 du code de justice administrative : " Dans les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, la minute de la décision est signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience. " Il ressort des pièces du dossier que la minute du jugement a été signée par le président de la formation de jugement, le rapporteur et le greffier d'audience, conformément à ces dispositions. La circonstance que l'ampliation qui en a été notifiée aux parties ne comporte pas ces signatures est sans incidence sur la régularité du jugement.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne la légalité externe :

3. Aux termes de l'article R. 4321-145 du code de la santé publique : " Les décisions prises par l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes en application des présentes dispositions doivent être motivées (...) ". Les décisions du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes du 19 septembre 2019 citent l'article R. 4321-54 du code de la santé publique qui impose le respect par le masseur kinésithérapeute des principes de moralité et de probité indispensables à l'exercice de la profession et indiquent que, par les contrats d'assistanat, M. D... s'affranchit de la sanction prononcée par la chambre disciplinaire nationale à son égard en ce que ces contrats visent à maintenir ou développer sa patientèle, et ainsi à supprimer ou atténuer les effets de la sanction. Par suite, le moyen tiré de leur insuffisante motivation doit être écarté.

En ce qui concerne la légalité interne :

4. Aux termes de l'article L. 4124-6 du code de la santé publique, rendu applicable aux masseurs-kinésithérapeutes par les dispositions de l'article L. 4321-19 du même code : " Les peines disciplinaires que la chambre disciplinaire de première instance peut appliquer sont les suivantes : (...) 4° L'interdiction temporaire d'exercer avec ou sans sursis ; (...). " Une sanction d'interdiction temporaire d'exercice fait obligation au praticien concerné de s'abstenir de donner des soins aux assurés sociaux, même à titre gratuit, et fait également obstacle à ce que le praticien se fasse remplacer dans son exercice pour donner de tels soins, même s'il ne tire aucune contrepartie financière de ce remplacement. Cette interdiction implique donc nécessairement pour le praticien sanctionné une perte potentielle de patientèle, laquelle ne méconnaît pas le principe de légalité des délits et des peines garanti par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

5. Aux termes de l'article premier du premier protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international. / Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ". Eu égard à la gravité des fautes disciplinaires susceptibles de donner lieu à une sanction d'interdiction d'exercice, la perte potentielle de patientèle, qui découle nécessairement de la sanction, ne peut être regardée ni comme une atteinte au droit de propriété prohibée par l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, ni comme portant au droit de l'intéressé au respect de ses biens une atteinte contraire aux stipulations de l'article 1er du protocole additionnel n° 1 à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

6. Les contrats d'assistanat, rédigés de manière identique, prévoient que les assistants dispensent des soins au cabinet de M. D..., respectivement à Villebois-Lavalette et à Lyon, avec les moyens et installations de ce dernier, que l'assistant libéral renonce à la constitution d'une clientèle personnelle, et que le contrat entre en vigueur " pour une durée de trois mois correspondant à la durée d'interdiction d'exercice de M. D... ". Ainsi, alors même qu'ils stipulent que l'assistant libéral ne verse aucune redevance sur les honoraires qu'il encaisse personnellement, ces contrats organisent un remplacement du praticien sanctionné, et permettent à ce dernier d'éviter une perte de patientèle dont l'éventualité fait partie de la sanction d'interdiction d'exercice, quelle que soit la durée de celle-ci. Par suite, le Conseil national de l'ordre ne s'est pas mépris sur la notion de fidélisation de la patientèle et n'a pas commis d'erreur de droit en estimant que les contrats d'assistanat visaient à supprimer ou atténuer les effets de la sanction prononcée par la chambre disciplinaire nationale en permettant à M. D... de maintenir ou développer sa patientèle, et qu'il en résultait une méconnaissance des principes de moralité et de probité de l'article R. 4321-54 du code de la santé publique. La préoccupation d'assurer la continuité des soins dans une zone sous dotée en kinésithérapeutes, dont M. D... s'est prévalu auprès du conseil départemental sans tenir compte de la réponse dépourvue d'ambigüité de celui-ci quant à l'obligation d'exécuter la sanction, ne peut être utilement invoquée pour contester la méconnaissance de ces principes déontologiques.

7. Aux termes de l'article R. 4381-17 du code de la santé publique : " En cas d'interdiction temporaire d'exercer ou de dispenser des soins aux assurés sociaux, sauf à être exclu par les autres associés dans les conditions prévues à l'article R. 4381-16, l'intéressé conserve ses droits et obligations d'associé, à l'exclusion de la rémunération liée à l'exercice de son activité professionnelle. " Ces dispositions, qui se rapportent aux rapports entre associés, alors que M. D... n'exerce pas dans le cadre d'une société d'exercice libéral, n'ont ni pour objet, ni pour effet d'autoriser un praticien qui fait l'objet d'une interdiction temporaire d'exercice à engager un confrère pour le remplacer auprès de sa patientèle pour la durée de la sanction.

8. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... n'est pas fondé à se plaindre de ce que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande.

Sur les frais exposés par les parties à l'occasion du litige :

9. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes, qui n'est pas dans la présente instance la partie perdante, la somme demandée par M. D... au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Il y n'a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre une somme à la charge de M. D... au titre des frais exposés par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeute à l'occasion du présent litige.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. D... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par le Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... D... et au Conseil national de l'ordre des masseurs-kinésithérapeutes.

Délibéré après l'audience du 27 septembre 2022 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 20 octobre 2022.

La rapporteure,

Anne B...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

2

N° 20BX03211


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 20BX03211
Date de la décision : 20/10/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : CAYOL CAHEN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 30/10/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2022-10-20;20bx03211 ?
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