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16/02/2023 | FRANCE | N°21BX00185

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 2ème chambre, 16 février 2023, 21BX00185


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision du 30 avril 2018 par laquelle le directeur adjoint du centre hospitalier de Saintonge a mis fin à ses fonctions d'encadrement et à son affectation au sein du service des archives, la décision du 12 juillet 2018 rejetant son recours gracieux et la décision du 16 août 2018 par laquelle elle a été affectée en qualité de chargée de mission, et, d'autre part, de condamner le centre hospitalier de Saintonge à lui

verser la somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans les condit...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Poitiers, d'une part, d'annuler la décision du 30 avril 2018 par laquelle le directeur adjoint du centre hospitalier de Saintonge a mis fin à ses fonctions d'encadrement et à son affectation au sein du service des archives, la décision du 12 juillet 2018 rejetant son recours gracieux et la décision du 16 août 2018 par laquelle elle a été affectée en qualité de chargée de mission, et, d'autre part, de condamner le centre hospitalier de Saintonge à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation des troubles dans les conditions d'existence et du préjudice moral résultant pour elle de ces mesures.

Par un jugement n° 1802385 du 17 novembre 2020, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 15 janvier 2021 et 12 octobre 2022, Mme B..., représentée par la SELARL P. Bendjebbar et O. Lopes, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 novembre 2020 ;

2°) d'annuler la décision du 30 avril 2018 par laquelle le directeur adjoint du centre hospitalier de Saintonge a mis fin à ses fonctions d'encadrement et à son affectation au sein du service des archives, la décision du 12 juillet 2018 rejetant son recours gracieux et la décision du 16 août 2018 par laquelle elle a été affectée en qualité de chargée de mission ;

3°) de condamner le centre hospitalier de Saintonge à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation de ses préjudices ;

4°) de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintonge la somme de 2 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés en première instance, et la même somme au titre de l'instance d'appel.

Elle soutient que :

- sa demande de première instance était recevable, contrairement à ce qu'a jugé le tribunal, en raison de la perte de responsabilités, et notamment de ses fonctions d'encadrement, qu'engendre son changement d'affectation ; le seul fait qu'elle soit proche de la retraite et que la mesure n'ait ainsi que des conséquences limitées sur ses perspectives de carrière n'enlève rien aux répercussions de ce changement sur sa situation personnelle ;

- les décisions sont illégales en ce qu'elles révèlent une décision de la sanctionner, ainsi que le démontrent les termes de la décision du 30 août 2018 ;

- elles sont entachées d'un vice de procédure en ce qu'elles n'ont pas été précédées de la faculté de demander la communication de son dossier, ni d'un entretien préalable ;

- le centre hospitalier n'établit pas l'intérêt du service justifiant son changement d'affectation ;

- les décisions contestées ont engendré un syndrome dépressif réactionnel qui justifie la réparation des troubles dans ses conditions d'existence, de son préjudice moral et de son préjudice financier lié au retrait de ses responsabilités.

Par un mémoire en défense enregistré le 5 septembre 2022, le centre hospitalier de Saintonge, représenté par le cabinet SHBK avocats, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de Mme B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il fait valoir que :

- le changement d'affectation de Mme B... n'est que l'exercice du pouvoir d'organisation du service et n'est justifié, compte tenu de la réorganisation mise en place depuis septembre 2017 et de l'expérience acquise par l'intéressée, que par l'intérêt du service ; la perspective de son départ à la retraite au 31 décembre 2018 et le fait de devoir liquider au préalable ses congés restants ne lui permettaient pas de reprendre de façon sereine des fonctions d'encadrement, pour une période aussi brève ;

- Mme B... ne démontre pas avoir subi une perte d'avantages ou de rémunération ou que ses perspectives de carrière auraient été obérées ; le changement ne peut s'analyser comme une sanction déguisée ; les décisions contestées ne font donc pas grief ;

- les moyens tirés de l'irrégularité de la procédure sont inopérants ; au demeurant, l'intéressée a été reçue à trois reprises pour évoquer sa situation et les modalités de sa reprise ;

- le centre hospitalier n'a commis aucune faute de nature à engager sa responsabilité et Mme B... ne démontre pas, en tout état de cause, l'altération alléguée de son état de santé psychologique, ni son préjudice financier.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi du 22 avril 1905 ;

- la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

- la loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 ;

- le décret n° 2011-660 du 14 juin 2011 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. C... A...,

- les conclusions de Mme Kolia Gallier, rapporteure publique,

- et les observations de Mme B....

Considérant ce qui suit :

1. Mme B..., assistante médico-administrative de classe exceptionnelle, affectée au service des archives médicales du centre hospitalier de Saintonge depuis le 1er février 2003, a été victime d'un accident de service le 13 juin 2016, causé par la chute d'un rayonnage. Elle a été placée en congé de maladie imputable au service du 13 juin 2016 au 4 février 2018, puis en congé de maladie ordinaire. Par courrier du 30 avril 2018, Mme B... a demandé sa reprise de travail à compter du 2 mai 2018. Par courrier du même jour, le centre hospitalier de Saintonge l'a informée de son changement d'affectation et du retrait de ses fonctions d'encadrement, en raison d'un incident survenu lors de sa venue dans le service le 27 avril précédent et de difficultés apparues dans son mode de management. Par courrier du 25 mai 2018, Mme B... a d'abord demandé à être placée en congé de longue maladie à compter du 2 mai, avant de solliciter, le 28 mai suivant, son départ à la retraite pour le 16 décembre 2018. Par décision du 12 juillet 2018, le centre hospitalier de Saintonge a rejeté le recours gracieux formé par la requérante contre la décision du 30 avril 2018. Par une décision du 16 août 2018, Mme B... a été nommée, à compter du 1er septembre 2018 et sous réserve de l'avis du médecin du travail sur son aptitude à la reprise, en qualité de chargée de mission pour la période restant à courir avant sa retraite. En raison de ses congés annuels et de congés de récupération, Mme B... n'a pas rejoint ce poste avant d'être admise à faire valoir ses droits à la retraite le 31 décembre 2018.

2. Mme B... a saisi le tribunal administratif de Poitiers afin d'obtenir, d'une part, l'annulation de la décision du 30 avril 2018 la changeant d'affectation, de la décision du 12 juillet 2018 rejetant son recours gracieux et de la décision du 16 août 2018 l'affectant sur un poste de chargée de mission, et, d'autre part, la condamnation du centre hospitalier de Saintonge à réparer les préjudices qu'elle estime avoir subis du fait de ces décisions. Par jugement du 17 novembre 2020 dont Mme B... relève appel, le tribunal a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement attaqué :

3. Les mesures prises à l'égard d'agents publics qui, compte tenu de leurs effets, ne peuvent être regardées comme leur faisant grief, constituent de simples mesures d'ordre intérieur insusceptibles de recours. Il en va ainsi des mesures qui, tout en modifiant leur affectation ou les tâches qu'ils ont à accomplir, ne portent pas atteinte aux droits et prérogatives qu'ils tiennent de leur statut ou à l'exercice de leurs droits et libertés fondamentaux, ni n'emportent perte de responsabilités ou de rémunération. Le recours contre une telle mesure, à moins qu'elle ne traduise une discrimination, est irrecevable, alors même que la mesure de changement d'affectation aurait été prise pour des motifs tenant au comportement de l'agent public concerné.

4. Pour rejeter les conclusions présentées par Mme B... à l'encontre de la décision du 30 avril 2018, les premiers juges ont considéré que le changement d'affectation dont elle faisait l'objet était une mesure d'ordre intérieur, insusceptible de recours. Il ressort toutefois des pièces du dossier que cette décision emporte pour l'intéressée une perte de responsabilités, et notamment, ainsi que la décision le relève elle-même, une perte de ses fonctions d'encadrement. Le fait que son statut n'implique pas nécessairement l'exercice de telles responsabilités est sans incidence sur le caractère faisant grief de cette mesure, dès lors qu'elle les exerçait depuis de nombreuses années. Par suite, c'est à tort que le tribunal a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi. Son jugement du 17 novembre 2020 doit, dès lors, être annulé.

5. Il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par Mme B... devant le tribunal administratif de Poitiers.

Sur la légalité des décisions en litige :

En ce qui concerne la décision du 30 avril 2018 :

6. Aux termes de l'article 65 de la loi du 22 avril 1905 : " Tous les fonctionnaires civils et militaires, tous les employés et ouvriers de toutes administrations publiques ont droit à la communication personnelle et confidentielle de toutes les notes, feuilles signalétiques et tous autres documents composant leur dossier, soit avant d'être l'objet d'une mesure disciplinaire ou d'un déplacement d'office, soit avant d'être retardé dans leur avancement à l'ancienneté ".

7. En vertu de ces dispositions, un agent public faisant l'objet d'une mesure prise en considération de sa personne, qu'elle soit ou non justifiée par l'intérêt du service, doit être mis à même de demander la communication de son dossier, en étant averti en temps utile de l'intention de l'autorité administrative de prendre la mesure en cause. Dans le cas où l'agent public fait l'objet d'un déplacement d'office, il doit être regardé comme ayant été mis à même de solliciter la communication de son dossier s'il a été préalablement informé de l'intention de l'administration de le muter dans l'intérêt du service, quand bien même le lieu de sa nouvelle affectation ne lui aurait pas alors été indiqué.

8. Il ne ressort d'aucune des pièces du dossier que Mme B... aurait été mise en mesure de demander la communication de son dossier avant l'édiction de la décision de changement d'affectation du 30 avril 2018. Par suite, Mme B..., qui a été privée d'une garantie, est fondée à soutenir que la décision est entachée d'un vice de procédure.

9. Il résulte de ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens de la requête, que la décision du centre hospitalier de Saintonge du 30 avril 2018 doit être annulée, ainsi que par voie de conséquence, la décision du 12 juillet 2018 rejetant son recours gracieux.

En ce qui concerne la décision de nouvelle affectation du 16 août 2018 :

10. En premier lieu, ainsi qu'il a été dit au point 7, l'administration a informé, le 30 avril 2018, Mme B... de son changement d'affectation impliquant retrait de ses responsabilités d'encadrement. Mme B... doit dès lors être regardée comme ayant été mise à même de solliciter la communication de son dossier avant toute nouvelle affectation. En outre, il ne ressort d'aucune disposition législative ou réglementaire, ni d'aucun principe que la décision l'affectant sur un nouveau poste devait être précédée d'un entretien préalable. Au demeurant, Mme B... ne s'est pas présentée aux entretiens qui lui avaient été proposés. Par suite, le moyen tiré d'un vice de procédure dont serait entachée la décision du 16 août 2018 doit être écarté.

11. En second lieu, il ressort des pièces du dossier qu'alors qu'elle était placée en congé de maladie, Mme B... a continué à coordonner le travail de son service et à encadrer à distance l'équipe, en recourant notamment à la messagerie Internet et au logiciel de gestion du temps de travail et en maintenant des contacts réguliers avec un agent du service. Outre cette attitude qui a entraîné des tensions croissantes au sein de l'équipe, Mme B... s'est présentée dans le service des archives médicales le 27 avril 2018, sans en informer sa hiérarchie et sans que celle-ci soit informée de sa volonté de reprendre le travail à compter du 2 mai suivant, et a remis en cause l'organisation mise en place pendant son absence. Dans ces conditions, et alors qu'il ne restait à Mme B... que quelques mois avant son départ à la retraite, le centre hospitalier de Saintonge justifie d'un intérêt du service à lui trouver une nouvelle affectation. Par suite, Mme B... n'est pas fondée à soutenir que la décision de l'affecter sur un poste de chargée de mission, avec la tâche de réaliser une étude pour dresser un état des lieux sur les pratiques en vigueur à propos du circuit du dossier patient dans les autres structures hospitalières de la région, et établir des propositions pour optimiser et moderniser ce circuit sur la direction commune aux deux établissements hospitaliers de Saintonge et de Saint-Jean d'Angély, constituerait une sanction déguisée ou serait entachée de discrimination.

Sur les conclusions indemnitaires :

12. Lorsqu'une personne sollicite le versement d'une indemnité en réparation du préjudice subi du fait de l'illégalité d'une décision administrative entachée d'un vice de procédure, il appartient au juge de rechercher, en forgeant sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties, si la même décision aurait pu légalement intervenir et aurait été prise, dans les circonstances de l'espèce, par l'autorité compétente. Dans le cas où il juge qu'une même décision aurait été prise par l'autorité compétente, le préjudice allégué ne peut alors être regardé comme la conséquence directe du vice de procédure qui entachait la décision administrative illégale.

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 11 que le centre hospitalier de Saintonge était fondé à se prévaloir de l'intérêt du service pour procéder au changement d'affectation de Mme B... et aurait pu prendre la même décision sans entacher sa décision du vice de procédure consistant à n'avoir pas mis l'agent à même de demander la communication de son dossier. Toutefois, ce vice de procédure a causé à Mme B... un préjudice moral dont il sera fait une juste appréciation à la somme de 1 000 euros.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est seulement fondée à demander l'annulation des décisions du centre hospitalier de Saintonge des 30 avril 2018 et 12 juillet 2018 et le versement d'une indemnité de 1 000 euros en réparation du préjudice moral subi.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme B..., qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que le centre hospitalier de Saintonge demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge du centre hospitalier de Saintonge une somme globale de 2 000 euros à verser à Mme B... au même titre pour la première instance et l'instance d'appel.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 17 novembre 2020 est annulé.

Article 2 : La décision du centre hospitalier de Saintonge du 30 avril 2018 et la décision de rejet du recours gracieux du 12 juillet 2018 sont annulées.

Article 3 : Le centre hospitalier de Saintonge est condamné à verser à Mme B... une indemnité de 1 000 euros.

Article 4 : Le centre hospitalier de Saintonge versera à Mme B... la somme de 2 000 euros sur le fondement de de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au centre hospitalier de Saintonge.

Délibéré après l'audience du 24 janvier 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 16 février 2023.

Le rapporteur,

Olivier A...

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne au ministre de la santé et de la prévention en ce qui le concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 21BX00185


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX00185
Date de la décision : 16/02/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme GALLIER
Avocat(s) : SELARL P. BENDJEBBAR - O. LOPES

Origine de la décision
Date de l'import : 28/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-02-16;21bx00185 ?
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