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07/03/2023 | FRANCE | N°22BX01643

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 07 mars 2023, 22BX01643


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2106466 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 juin 2022, M. C... A..., représenté par

Me Ay

mard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 mars 20...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 4 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi.

Par un jugement n° 2106466 du 15 mars 2022, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 16 juin 2022, M. C... A..., représenté par

Me Aymard, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Bordeaux du 15 mars 2022 ;

2°) d'annuler cet arrêté de la préfète de la Gironde du 4 août 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète de la Gironde de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " sur le fondement des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, ou, à défaut, de procéder au réexamen de sa situation dans le même délai et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat, au profit de son conseil, la somme de 1 200 euros sur le fondement des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, sous réserve de renonciation au bénéfice de l'aide juridictionnelle.

M. A... soutient que :

- la décision de refus de séjour méconnaît les dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la décision portant obligation de quitter le territoire français est illégale en raison de l'illégalité entachant la décision portant refus de titre de séjour ;

- elle méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

Par un mémoire en défense, enregistré le 10 octobre 2022, la préfète de la Gironde conclut au rejet de la requête.

Elle s'en rapporte à ses écritures présentées en première instance.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

n° 2022/006547 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Bordeaux du 12 mai 2022.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de M. B...,

- et les observations de Me Aymard, représentant M. A....

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant nigérian né le 1er janvier 1975, déclare être entré en France, le 18 mars en 2016. Il a sollicité le bénéfice de l'asile qui lui a été refusé par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides du 31 mars 2017, confirmée le 4 septembre 2017 par la Cour nationale du droit d'asile. Le 12 juillet 2017, M. A... a sollicité un titre de séjour sur le fondement des dispositions, alors en vigueur, du 11° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, en raison de son état de santé. Sa demande a été rejetée par un arrêté du 21 septembre 2018 du préfet de la Gironde, dont la légalité a été définitivement confirmée par un arrêt de la cour administrative d'appel de Bordeaux du 12 mars 2020. Le 21 janvier 2021, M. A... a présenté une nouvelle demande de titre de séjour sur le fondement des dispositions désormais en vigueur de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par un arrêté du 4 août 2021, la préfète de la Gironde a rejeté sa demande, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. M. A... relève appel du jugement du 15 mars 2022 par lequel le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur la fin de non-recevoir opposée par la préfète de la Gironde en première instance :

2. D'une part, aux termes de l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsque la décision portant obligation de quitter le territoire français prise en application des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 est assortie d'un délai de départ volontaire, le tribunal administratif est saisi dans le délai de trente jours suivant la notification de la décision. / L'étranger peut demander le bénéfice de l'aide juridictionnelle au plus tard lors de l'introduction de sa requête en annulation. (...) ". Aux termes de l'article

R. 776-2 du code de justice administrative : " I.-Conformément aux dispositions de l'article L. 614-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la notification d'une obligation de quitter le territoire français avec délai de départ volontaire, prise en application de l'article L. 251-1 ou des 3°, 5° ou 6° de l'article L. 611-1 du même code, fait courir un délai de trente jours pour contester cette obligation ainsi que les décisions relatives au séjour, au délai de départ volontaire, au pays de renvoi et à l'interdiction de retour ou à l'interdiction de circulation notifiées simultanément. (...) ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 43 du décret susvisé du 28 décembre 2020 portant application de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et relatif à l'aide juridictionnelle : " Sans préjudice de l'application de l'article 9-4 de la loi du 10 juillet 1991 susvisée et du II de l'article 44 du présent décret, lorsqu'une action en justice ou un recours doit être intenté avant l'expiration d'un délai devant les juridictions de première instance ou d'appel, l'action ou le recours est réputé avoir été intenté dans le délai si la demande d'aide juridictionnelle s'y rapportant est adressée ou déposée au bureau d'aide juridictionnelle avant l'expiration dudit délai et si la demande en justice ou le recours est introduit dans un nouveau délai de même durée à compter : / 1° De la notification de la décision d'admission provisoire ; / 2° De la notification de la décision constatant la caducité de la demande ; / 3° De la date à laquelle le demandeur de l'aide juridictionnelle ne peut plus contester la décision d'admission ou de rejet de sa demande en application du premier alinéa de l'article 69 et de l'article 70 ou, en cas de recours de ce demandeur, de la date à laquelle la décision relative à ce recours lui a été notifiée ; / 4° Ou, en cas d'admission, de la date, si elle est plus tardive, à laquelle un auxiliaire de justice a été désigné. (...) ". Il résulte de la combinaison de ces dispositions et de celles du deuxième alinéa de l'article 23 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 qu'une demande d'aide juridictionnelle interrompt le délai de recours contentieux et qu'un nouveau délai de même durée recommence à courir à compter de l'expiration d'un délai de quinze jours après la notification à l'intéressé de la décision se prononçant sur sa demande d'aide juridictionnelle ou, si elle est plus tardive, à compter de la date de désignation de l'auxiliaire de justice au titre de l'aide juridictionnelle.

4. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui a reçu notification de l'arrêté attaqué le 12 août 2021, a présenté une demande d'aide juridictionnelle dans le délai de recours, le 8 septembre suivant, ce qui a eu pour effet d'interrompre le délai de recours contentieux contre cet arrêté. La préfète de la Gironde n'établissant pas la date à laquelle la décision du 4 octobre 2021 accordant l'aide juridictionnelle à l'intéressé a été notifiée à ce dernier, elle n'est pas fondée à soutenir que la requête introduite par M. A..., enregistrée au greffe du tribunal administratif de Bordeaux le 3 décembre 2021, serait tardive. La fin de non-recevoir opposée à la demande de première instance doit donc être écartée.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

5. Aux termes de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger, résidant habituellement en France, dont l'état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, ne pourrait pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an. (...) / La décision de délivrer cette carte de séjour est prise par l'autorité administrative après avis d'un collège de médecins du service médical de l'Office français de l'immigration et de l'intégration, dans des conditions définies par décret en Conseil d'Etat. (...) ".

6. La partie qui justifie d'un avis du collège de médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration qui lui est favorable doit être regardée comme apportant des éléments de fait susceptibles de faire présumer l'existence ou l'absence d'un état de santé de nature à justifier la délivrance ou le refus d'un titre de séjour. Dans ce cas, il appartient à l'autre partie, dans le respect des règles relatives au secret médical, de produire tous éléments permettant d'apprécier l'état de santé de l'étranger et, le cas échéant, si, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans le pays dont il est originaire, il pourrait ou non y bénéficier effectivement d'un traitement approprié. La conviction du juge, à qui il revient d'apprécier si l'état de santé d'un étranger justifie la délivrance d'un titre de séjour dans les conditions ci-dessus rappelées, se détermine au vu de ces échanges contradictoires.

7. En l'espèce, le collège des médecins de l'Office français de l'immigration et de l'intégration a estimé, dans son avis du 8 juin 2021, que l'état de santé de M. A... nécessite une prise en charge dont le défaut peut entraîner des conséquences d'une exceptionnelle gravité mais qu'eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé dans son pays d'origine, il peut y bénéficier effectivement d'un traitement approprié et que son état de santé lui permettait de voyager sans risque. Il ressort des pièces du dossier que M. A..., qui a entendu lever le secret médical, souffre de schizophrénie, d'hypertension artérielle et d'un syndrome d'apnée du sommeil nécessitant la mise en place d'une ventilation à pression positive, ainsi qu'en atteste le certificat médical établi le 8 septembre 2021 par une praticienne du pôle de santé mentale du centre hospitalier Charles Perrens de Bordeaux. Ce certificat précise que l'ensemble de son traitement, en particulier la ventilation à pression positive, n'est pas disponible au Nigéria. Si M. A... soutient que cet appareil pour traiter son apnée du sommeil est trop coûteux et serait donc inaccessible pour lui dans son pays d'origine, il se borne à faire état du salaire mensuel moyen perçu au Nigéria, sans apporter de précision ni élément de preuve quant aux ressources effectives dont il pourrait disposer dans son pays. En revanche, l'appelant produit une liste des médicaments disponibles au Nigéria dressée en 2020 par le ministère de la santé de cet État dans laquelle ne figure pas la quétiapine qui lui est prescrite en monothérapie pour traiter sa schizophrénie. Si la préfète fait valoir qu'il n'est pas établi que ce médicament ne serait pas substituable par d'autres molécules disponibles dans ce pays, M. A... produit pour la première fois en appel un certificat médical, établi par la même praticienne le 8 avril 2022, certes postérieurement à l'arrêté attaqué mais qui relate une situation antérieure relative à la pathologie de l'intéressé, qui confirme que la quétiapine n'est pas disponible au Nigéria et que ce médicament n'est pas substituable " car la rémission de la schizophrénie peut être obtenue avec un traitement psychotique mais pas avec un équivalent ", la modification du traitement risquant de provoquer " une décompensation psychiatrique alors [que l'intéressé] est pour l'heure stabilisé ". Dans ces conditions et en l'absence de tout autre élément de preuve contraire, s'agissant notamment des possibilités de substitution par d'autres substances, il n'est pas établi que la stabilité de l'état de santé de l'intéressé pourrait être assurée dans son pays d'origine. Il s'ensuit que M. A... est fondé à soutenir que la préfète de la Gironde, en refusant de lui délivrer un titre de séjour, a fait une inexacte application des dispositions de l'article L. 425-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. L'illégalité de la décision de refus de titre de séjour emporte celle des décisions prises le même jour par lesquelles la préfète lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de destination.

8. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de la requête d'appel, que M. A... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a refusé de faire droit à sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté préfectoral du 4 août 2021. Ce jugement et cet arrêté doivent donc être annulés.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

9. Eu égard au motif d'annulation retenu, l'exécution du présent arrêt implique nécessairement qu'il soit enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A..., un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", sous réserve d'un changement dans la situation de droit ou de fait de l'intéressé. Par suite, il y a lieu, en application de l'article L. 911-1 du code de justice administrative, d'enjoindre au préfet d'y procéder dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt et, dans l'attente, de munir le requérant d'une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Sur les frais liés au litige :

10. M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. En application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat, qui est la partie perdante dans la présente instance, la somme de 1 200 euros que demande le requérant au bénéfice de son conseil, Me Aymard, sous réserve que ce dernier renonce à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 2106466 du tribunal administratif de Bordeaux du 15 mars 2022 et l'arrêté du 4 août 2021 par lequel la préfète de la Gironde a refusé de délivrer un titre de séjour à M. A..., lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi sont annulés.

Article 2 : Il est enjoint au préfet de la Gironde de délivrer à M. A... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans le délai de deux mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera, en application des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, à Me Aymard, avocat de

M. A..., une somme de 1 200 euros, sous réserve de sa renonciation à percevoir la part contributive de l'Etat au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., à Me Aymard et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Gironde.

Délibéré après l'audience du 6 février 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Florence Demurger, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

M. Anthony Duplan premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 7 mars 2023.

Le rapporteur,

Anthony B...

La présidente,

Florence Demurger

La greffière,

Catherine JussyLa République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX01643


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01643
Date de la décision : 07/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme DEMURGER
Rapporteur ?: M. Anthony DUPLAN
Rapporteur public ?: Mme MADELAIGUE
Avocat(s) : AYMARD

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-03-07;22bx01643 ?
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