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07/11/2023 | FRANCE | N°21BX03082

France | France, Cour administrative d'appel de Bordeaux, 6ème chambre, 07 novembre 2023, 21BX03082


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... Terjan a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 août 2019 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a prolongé son stage au sein de l'école nationale de l'administration pénitentiaire.

Par une ordonnance n° 2005255 du 12 juillet 2021, le président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande comme irrecevable pour tardiveté.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistr

és le 8 décembre 2021, le 26 janvier 2022 et le 15 septembre 2023, M. C... Terjan, représenté p...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... Terjan a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 août 2019 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice a prolongé son stage au sein de l'école nationale de l'administration pénitentiaire.

Par une ordonnance n° 2005255 du 12 juillet 2021, le président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande comme irrecevable pour tardiveté.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 8 décembre 2021, le 26 janvier 2022 et le 15 septembre 2023, M. C... Terjan, représenté par Me Lagarde, demande à la Cour :

1°) d'annuler l'ordonnance n° 2005255 du président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux du 12 juillet 2021 ;

2°) d'annuler l'arrêté en litige du 9 août 2019 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat, au bénéfice de son conseil, une somme de 2 000 euros au titre des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

En ce qui concerne la régularité de l'ordonnance attaquée :

- c'est à tort que le tribunal a rejeté comme tardive sa demande au motif qu'elle a été présentée au-delà du délai raisonnable d'un an qui n'était pas indiqué dans la décision en litige alors que le délai a été interrompu par la demande d'aide juridictionnelle qu'il a présentée avant l'expiration de ce délai.

En ce qui concerne le fond :

- la décision en litige est signée par une autorité incompétente ;

- elle est insuffisamment motivée ;

- elle est dépourvue de base légale dès lors qu'elle se fonde sur une décision le plaçant en congé exceptionnel, qui n'est prévu par aucune disposition législative ou réglementaire régissant son statut ;

- elle est entachée d'une erreur manifeste d'appréciation dès lors que l'administration ne lui a pas permis de faire ses preuves au cours de sa formation ; en outre, ses résultats aux épreuves ont été satisfaisants ; enfin, l'administration ne saurait lui reprocher ses absences dès lors que plusieurs médecins consultés au cours de l'année 2019 ont estimé qu'il était apte à l'exercice de ses fonctions.

Par un mémoire en défense, enregistré le 21 juillet 2023, le garde des sceaux, ministre de la justice, conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que :

- la demande de première instance est irrecevable dès lors qu'elle a été présentée au-delà du délai raisonnable d'un an ;

- au fond, les moyens doivent être écartés comme infondés.

Par une décision du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Bordeaux du 2 décembre 2021, M. Terjan a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le décret n° 94-874 du 7 octobre 1994 ;

- l'arrêté du 26 octobre 2018 portant organisation de la formation initiale des élèves surveillants et des surveillants stagiaires relevant du corps d'encadrement et d'application du personnel de surveillance de l'administration pénitentiaire ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Frédéric Faïck,

- les conclusions de M. Anthony Duplan, rapporteur public,

- les observations de Me Lagarde, représentant M. Terjan et de celles de M. Terjan.

Considérant ce qui suit :

1. Après sa réussite au concours de surveillant pénitentiaire, M. C... Terjan a intégré l'école nationale d'administration pénitentiaire (ENAP) le 15 octobre 2018 pour y suivre une formation de dix-huit mois. Alors qu'il suivait un stage au centre pénitentiaire de Fresnes, M. Terjan a fait l'objet, le 7 décembre 2018, d'un signalement de la part du responsable de formation de l'école à la suite duquel sa scolarité a été interrompue. M. Terjan a alors été placé, par une décision du 16 janvier 2019, en " congé exceptionnel " pendant lequel l'administration a saisi le médecin de prévention et le comité médical afin de déterminer son aptitude à exercer les fonctions de surveillant pénitentiaire. Dans un avis du 14 mars 2019, le comité médical a estimé que M. Terjan était apte à l'exercice de ses fonctions moyennant une adaptation de son poste de travail, laquelle a été définie par le médecin de prévention dans deux certificats médicaux rédigés les 20 mars et 29 juillet 2019. Par un arrêté du 9 août 2019, la garde des sceaux, ministre de la justice, a prolongé la formation de M. Terjan pour une durée de six mois à compter du 5 août 2019. Par une requête enregistrée le 19 novembre 2020, M. Terjan a demandé au tribunal administratif de Bordeaux d'annuler l'arrêté du 9 août 2019. Par une ordonnance en date du 12 juillet 2021, le président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux a rejeté la demande de M. Terjan comme étant tardive au motif qu'elle avait été présentée après l'expiration du délai raisonnable d'un an.

Sur la régularité de l'ordonnance attaquée :

2. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières, dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

3. Il ressort des pièces du dossier que l'arrêté en litige du 9 août 2019 comporte la mention des voies et délais de recours de droit commun, de sorte que M. Terjan aurait été en mesure de le contester dans le délai de deux mois en application de l'article R. 421-1 du code de justice administrative. Par suite, c'est à tort que, par l'ordonnance attaquée, le président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux a jugé que la demande de M. Terjan excédait le délai raisonnable d'un an durant lequel un recours pouvait être exercé, lequel ne s'applique que dans l'hypothèse où le destinataire de la décision n'a pas été informé des voies et délais de recours.

4. Par ailleurs, aucune pièce du dossier ne permet de déterminer à quelle date M. Terjan a pris connaissance de l'arrêté du 9 avril 2019. Le recours gracieux que M. Terjan a exercé le 7 juillet 2020 était dirigé contre l'arrêté du 26 février 2020 prononçant son licenciement pour insuffisance professionnelle et non contre l'arrêté contesté du 9 août 2019. De plus, M. Terjan s'est borné, dans son recours gracieux, à mentionner cet arrêté du 9 août 2019 sans le produire. Dans ces conditions, M. Terjan ne peut être regardé comme ayant eu connaissance dans toute son étendue de l'arrêté en litige à la date de son recours gracieux du 7 juillet 2020. Enfin, et dès lors que l'administration ne justifie pas de la notification de l'arrêté en litige à M. Terjan et qu'il n'est pas établi que ce dernier en aurait eu connaissance avant le 19 novembre 2020, date à laquelle il l'a produit à l'appui de sa requête introductive d'instance devant le tribunal, sa requête ne pouvait être regardée comme tardive.

5. Il résulte de ce qui précède qu'en rejetant comme tardive la demande de M. Terjan, le président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux a entaché son ordonnance d'irrégularité. Il y a lieu d'annuler cette ordonnance et, dans les circonstances de l'espèce, d'évoquer et de statuer sur la demande de première instance de M. Terjan.

Sur la demande de première instance :

6. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que, par un arrêté du 2 août 2019, publié au Journal officiel de la République française le 8 août, le ministre de la justice a délégué à M. B... A..., directeur des services pénitentiaires hors classe, affecté à la sous-direction des ressources humaines et des relations sociales du ministère de la justice, sa compétence à l'effet de signer tous actes, arrêtés et décisions relatives à la gestion du personnel du ministère. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision attaquée manque en fait.

7. En deuxième lieu, la décision par laquelle l'autorité compétente prolonge la formation d'un agent, qui est dans une situation provisoire et probatoire, ne retire ni n'abroge une décision créatrice de droit, et n'entre dans aucun des cas pour lesquels l'administration est soumise à l'obligation de motiver ses décisions. Le moyen ainsi soulevé est, par suite, inopérant.

8. En troisième lieu, l'arrêté en litige du 9 août 2019, qui prolonge de six mois la formation de M. Terjan compte tenu de sa manière de servir, a un objet différent de celui de la décision du 16 janvier 2019, le plaçant en position de " congé exceptionnel ". Par suite, M. Terjan n'est pas fondé à soutenir que l'arrêté contesté devrait être annulé par voie de conséquence de l'annulation, pour vice d'incompétence, de la décision du 16 janvier 2019 prononcée par le tribunal dans son jugement n°s 2001157, 2002060, 2002875, 2006113 du 12 juillet 2021.

9. En dernier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. Terjan, alors qu'il était en stage au centre pénitentiaire de Fresnes, a fait l'objet, de la part du responsable de formation de l'ENAP, d'un signalement faisant état de ses grandes difficultés à s'intégrer dans les équipes de surveillant, à manipuler les armes, à respecter les consignes de sécurité et à déceler les situations à risques. Ces faits sont relatés à l'aide d'exemples précis et concrets dans le signalement du 7 décembre 2018 et ne sont pas entachés d'inexactitude matérielle. Compte tenu des difficultés rencontrées par M. Terjan au cours de sa formation, l'administration n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation en décidant de prolonger sa formation pour une période de six mois.

10. Il résulte de tout ce qui précède que la demande présentée en première instance par M. Terjan doit être rejetée.

Sur les frais d'instance :

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante à l'instance.

DECIDE

Article 1er : L'ordonnance n° 2005255 du 12 juillet 2021 du président de la première chambre du tribunal administratif de Bordeaux est annulée.

Article 2 : La demande de première instance de M. Terjan et le surplus de ses conclusions d'appel sont rejetés.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... Terjan et au garde des sceaux, ministre de la justice. Copie pour information en sera délivrée au directeur de l'école nationale d'administration pénitentiaire.

Délibéré après l'audience du 9 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Markarian, présidente,

M. Frédéric Faïck, président-assesseur,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 7 novembre 2023. Le rapporteur,

Frédéric Faïck

La présidente,

Ghislaine MarkarianLa greffière,

Catherine Jussy

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice, en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 21BX03082 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Bordeaux
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21BX03082
Date de la décision : 07/11/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme MARKARIAN
Rapporteur ?: M. Frédéric FAÏCK
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : LAGARDE

Origine de la décision
Date de l'import : 12/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.bordeaux;arret;2023-11-07;21bx03082 ?
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