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20/02/2024 | FRANCE | N°22BX00033

France | France, Cour administrative d'appel, 6ème chambre, 20 février 2024, 22BX00033


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Indre a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 mai 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle de l'Indre a refusé d'autoriser le licenciement de M. C... A... ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique devant la ministre chargée du travail.



Par un jugement n° 1900075 du 10 novembre 2021, le tribunal administr

atif de Limoges a rejeté sa demande.





Procédure devant la Cour :



Par une re...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Indre a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 30 mai 2018 par laquelle l'inspectrice du travail de l'unité de contrôle de l'Indre a refusé d'autoriser le licenciement de M. C... A... ainsi que la décision implicite de rejet de son recours hiérarchique devant la ministre chargée du travail.

Par un jugement n° 1900075 du 10 novembre 2021, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 5 janvier 2022, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie de l'Indre, représentée par la SELAS Factorhy Avocats, agissant par Me Chastagnol, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Limoges du 10 novembre 2021 ;

2°) de faire droit à sa demande de première instance ;

3°) d'enjoindre à l'inspection du travail d'autoriser le licenciement de M. A... dans le délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt, ou à défaut de réexaminer sa demande ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros en application de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision de l'inspectrice du travail est insuffisamment motivée dès lors qu'elle ne précise pas si les faits sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. A... ;

- l'inspection du travail a manqué à son obligation de neutralité et d'objectivité en adoptant une vision critique de l'enquête interne, qu'elle a considéré comme ayant été menée à charge, et en écartant sans motif valable les éléments de preuve qu'elle a amenés ;

- l'enquête a eu un caractère contradictoire puisque M. A... a pu s'expliquer à trois reprises, que des salariés qui n'étaient pas victimes des agissements de l'intéressé ont été entendus, et que toutes les étapes de la procédure ont été mises en œuvre dans le respect des délais règlementaires ; en lui reprochant de ne pas avoir communiqué à M. A... son dossier avant la date de l'entretien préalable, l'inspectrice du travail a ajouté une formalité non prévue par les textes ;

- les faits de harcèlement moral à l'égard de Mmes I..., P... et K... reprochés à M. A... sont matériellement établis, notamment par les témoignages des autres salariés, qui ne peuvent être écartés du seul fait que ceux-ci se trouvent dans un état de subordination vis-à-vis de la caisse ; lorsque les faits sont rapportés de manière précise, concordante et circonstanciée par les témoignages rassemblés, la seule dénégation du salarié ne saurait suffire à créer un doute conduisant à regarder les faits litigieux comme non établis ; les témoignages ont été signés par les salariés concernés ; le secrétaire départemental du syndicat FO a d'ailleurs fait pression sur certains des agents afin qu'ils retirent leur témoignage ;

- en revanche, les attestations produites par M. A... sont dépourvues de force probatoire dès lors qu'elles émanent de salariés n'appartenant plus à la caisse, ou bien n'ont aucun lien avec les faits reprochés, ou encore émanent de sympathisants du syndicat de M. A... ;

- M. A... a exercé des pressions sur Mme I..., l'appelant fréquemment sur son poste de travail afin qu'elle se rende immédiatement disponible, mais également sur son téléphone personnel en dehors des heures de travail ; il lui adressait également des messages électroniques le week-end sur son adresse personnelle ;

- M. A... a utilisé un surnom dégradant à l'égard de Mme I... ; il a fait régner au sein de la délégation unique du personnel une ambiance délétère, entravant son bon fonctionnement ; il a persisté dans son comportement fautif malgré plusieurs mises en garde ; il a tenu des propos désobligeants et menaçants à l'encontre de Mme I... au sujet de son mandat de trésorière, a fait pression sur elle et l'a manipulée ; il s'est opposé à ce que Mme I... et Mme N... suivent la formation de trésorière à laquelle elles avaient droit, en modifiant le mot de passe de l'ordinateur, en les privant de la clé du coffre et en s'opposant à la communication de documents comptables ; l'assignation de Mme I... à ce sujet était justifiée ; le caractère répété des agissements est établi ; ils se sont également produits avec l'ancienne trésorière, Mme P... ; quant à Mme K..., elle a dénoncé des entraves à l'exercice de son mandat, des pressions et une attitude insistante et agressive de la part de M. A... ; les demandes abusives de suspension des séances du comité d'entreprise avaient pour but d'intimider les membres qui émettraient un avis différent du sien ; la majorité des élus a voté le 9 février 2018 la destitution de M. A... de son poste de secrétaire ; M. A... a lui-même reconnu avoir eu un comportement inadéquat et un langage inapproprié, familier ou insultant ; son comportement autoritaire, agressif et harcelant entrave l'exercice des mandats en cours, et persiste depuis 2013 ;

- ce comportement inadapté s'est déjà manifesté vis-à-vis de sa hiérarchie dès 2009, alors qu'il ne détenait pas de mandats, puis entre 2010 et 2013 à l'égard de Mme M..., responsable de l'administration générale de la caisse ; il a proféré des accusations mensongères à l'égard de M. F..., responsable des relations sociales ; M. A... a créé des tensions aussi bien avec les collègues de son service qu'avec des prestataires extérieurs ;

- M. A... a adressé de nombreux courriels à la direction de la caisse à des horaires inappropriés, sans tenir compte du courrier de mise en garde de septembre 2015, y compris pendant le déroulement de la procédure disciplinaire ;

- l'inspectrice du travail n'a pas tenu compte des témoignages de Mmes G..., H..., I..., P... et K..., et du harcèlement subi par cette dernière ;

- les faits ne sont pas prescrits, puisqu'en 2016 elle n'a été informée que du fait que M. A... imposait sa présence aux réunions préparatoires du comité d'entreprise, mais non des pressions et violences exercées ;

- ces faits sont suffisamment graves pour justifier son licenciement, M. A... constituant un danger pour les personnes victimes de ses agissements, dont il ne mesure pas la gravité ;

- il n'existe aucune hostilité de la direction à l'égard de M. A..., qui cherche à se dédouaner de ses fautes en accusant son employeur ;

- le compte-rendu du 29 août 2009 et les courriers des 22 février et 3 septembre 2013 ne sont pas des sanctions disciplinaires, si bien que le principe non bis in idem n'a pas été méconnu ; en tout état de cause, la sanction est fondée sur les faits ayant eu lieu à partir de 2015 ;

- le comportement fautif de M. A..., ainsi que les abus commis dans le cadre de ses fonctions représentatives présentent une gravité croissante et particulière par leur caractère répété et leurs répercussions au sein de la caisse ; ils se sont aggravés au cours de la procédure disciplinaire.

Par un mémoire en défense, enregistré le 25 avril 2022, M. C... A..., représenté par le cabinet Goldmann et Associés, agissant par Me Heulin, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'Indre une somme de 5 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par la CPAM de l'Indre ne sont pas fondés ;

- la demande de licenciement n'est pas sans lien avec ses fonctions représentatives et syndicales et s'inscrit dans le climat social dégradé entretenu par la direction.

Par un mémoire en défense, enregistré le 9 juin 2023, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion conclut au rejet de la requête.

Il soutient que les moyens soulevés par la CPAM de l'Indre ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Au cours de l'audience publique, ont été entendus :

- le rapport de M. Julien Dufour,

- les conclusions de M. Duplan, rapporteur public ;

- et les observations de Me Dulau, représentant la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre.

Considérant ce qui suit :

1. Le 30 mars 2018, la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de l'Indre a sollicité l'autorisation de licencier pour faute M. A..., gestionnaire de patrimoine mobilier et immobilier qui exerce les mandats de délégué syndical, membre de la délégation unique du personnel et conseiller prud'hommes. L'inspectrice du travail de la 4ème section d'inspection de l'Indre lui a opposé un refus par décision du 30 mai 2018, puis le ministre chargé du travail a rejeté implicitement le recours hiérarchique formé par la CPAM le 13 juillet 2018. La CPAM de l'Indre a demandé au tribunal administratif de Limoges d'annuler ces deux décisions. Elle relève appel du jugement du 10 novembre 2021 par lequel le tribunal a rejeté sa demande.

Sur la légalité de la décision de l'inspectrice du travail du 30 mai 2018 :

En ce qui concerne la légalité externe :

S'agissant de la motivation :

2. Aux termes de l'article R. 2421-5 du code du travail : " La décision de l'inspecteur du travail est motivée. (...) ". Cette motivation doit comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. A ce titre, il incombe à l'inspecteur du travail, lorsqu'il est saisi d'une demande de licenciement motivée par un comportement fautif, d'exposer les faits reprochés au salarié de manière suffisamment précise et de rechercher si les faits en cause sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

3. La CPAM de l'Indre reproche à l'inspectrice du travail de ne pas avoir exposé les motifs pour lesquels elle estimait que les faits reprochés à M. A... n'étaient pas suffisamment graves pour justifier son licenciement. Toutefois, celle-ci a exposé, dans sa décision, les raisons pour lesquelles elle a estimé que les faits n'étaient pas matériellement établis ou ne revêtaient pas un caractère fautif, de sorte qu'elle n'avait pas à motiver sa décision sur la question de la gravité des fautes alléguées. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisante motivation doit être écarté.

S'agissant de l'enquête menée par l'inspectrice du travail :

4. En premier lieu, la CPAM de l'Indre soutient que l'inspectrice du travail a omis de se prononcer sur les témoignages de Mmes G... et H..., sur ceux de Mmes J... et H... relatant les pressions subies au cours de la procédure disciplinaire de la part du responsable de l'unité départementale Force Ouvrière, sur les accusations de Mme K..., enfin sur la dégradation de l'état de santé de Mme J.... Toutefois, il ressort des pièces du dossier, et notamment des conditions dans lesquelles elle a mené son enquête, que l'inspectrice du travail a examiné l'ensemble des éléments apportés par la CPAM au soutien de sa demande de licenciement pour faute, qu'elle n'était pas tenue de mentionner dans leur intégralité dans sa décision.

5. En deuxième lieu, la CPAM de l'Indre reproche à l'inspectrice du travail d'avoir écarté les témoignages de Mmes I... et P... au motif que ceux-ci n'auraient pas été rédigés par les salariées elles-mêmes, et les témoignages d'autres agents au motif qu'ils étaient dans une situation de subordination à son égard. Toutefois, il ressort des termes de la décision attaquée que l'inspectrice du travail n'a écarté aucun témoignage mais a apprécié leur valeur probante, ainsi que celle des éléments apportés par M. A..., au regard notamment de la qualité de leur auteur et des conditions dans lesquelles ils avaient été établis. Si, plus généralement, la CPAM de l'Indre soutient qu'en retenant les simples allégations de M. A... tout en écartant ses éléments de preuve, l'autorité administrative a manqué à son obligation de neutralité au cours de son enquête, un tel manquement, qui ne saurait résulter de ce que l'inspectrice du travail a estimé que les faits reprochés à M. A... n'étaient pas démontrés ou n'étaient pas fautifs, n'est pas établi par les pièces du dossier.

6. En troisième lieu, si la CPAM soutient que l'enquête interne à laquelle elle a procédé à compter du 12 décembre 2017, après que Mme I... s'est plainte du comportement de M. A... auprès de sa supérieure hiérarchique, a été menée de manière régulière, contradictoire et impartiale, et que la procédure disciplinaire a respecté les dispositions du code du travail ainsi que les exigences conventionnelles, ces moyens doivent être écartées comme inopérants dès lors que l'autorisation de licenciement n'a pas été refusée pour un motif procédural qui aurait été fondé sur l'irrégularité de l'enquête interne menée par la CPAM de l'Indre.

En ce qui concerne la légalité interne :

7. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Un agissement du salarié intervenu en dehors de l'exécution de son contrat de travail, notamment dans le cadre de l'exercice de ses fonctions représentatives, ne peut motiver un licenciement pour faute, sauf s'il traduit la méconnaissance par l'intéressé d'une obligation découlant de ce contrat.

8. La CPAM de l'Indre reproche à M. A... des agissements de harcèlement moral, notamment en exerçant des pressions ou des violences sur les personnes de Mme Q... P... en 2015 et 2016, et de Mme E... I... entre septembre et décembre 2017, dans le cadre de l'exercice de leur mandat de membres du comité d'entreprise puis de la délégation unique du personnel, et particulièrement lorsqu'elles ont exercé les fonctions de trésorière de ces instances. Elle reproche également à M. A... d'adresser de nombreux courriers électroniques à la direction à des horaires inappropriés.

9. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ". Et aux termes de l'article L. 1152-5 du même code : " Tout salarié ayant procédé à des agissements de harcèlement moral est passible d'une sanction disciplinaire ". Un salarié protégé qui se rend coupable de harcèlement moral sur son lieu de travail méconnaît, y compris lorsque ces actes sont commis dans l'exercice des fonctions représentatives, son obligation de ne pas porter atteinte, dans l'enceinte de l'entreprise, à la santé et à la sécurité des autres membres du personnel, laquelle découle de son contrat de travail. De tels faits sont ainsi, en principe, de nature à constituer le fondement d'une demande de licenciement pour motif disciplinaire.

10. Le régime particulier de preuve prévu par l'article L. 1154-1 du code du travail au bénéfice du salarié s'estimant victime de harcèlement moral n'est pas applicable lorsque survient un litige, auquel ce dernier n'est pas partie, opposant un employeur à l'un de ses salariés auquel il est reproché d'être l'auteur de tels faits. Il se déduit des dispositions précitées de l'article L. 1152-1 du code du travail que, pour apprécier si des agissements sont constitutifs d'un harcèlement moral, l'inspecteur du travail doit, sous le contrôle du juge administratif, tenir compte des comportements respectifs du salarié auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et du salarié susceptible d'en être victime, indépendamment du comportement de l'employeur. Il appartient, en revanche, à l'inspecteur du travail, lorsqu'il estime, par l'appréciation ainsi portée, qu'un comportement de harcèlement moral est caractérisé, de prendre en compte le comportement de l'employeur pour apprécier si la faute résultant d'un tel comportement est d'une gravité suffisante pour justifier un licenciement.

11. Enfin, aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié ".

12. La CPAM de l'Indre soutient d'abord que M. A... a exercé sur Mme I..., membre comme lui de la délégation unique du personnel, à compter de sa désignation comme trésorière, une pression permanente consistant notamment en des sollicitations le soir ou le week-end, jusqu'à se présenter à son domicile, en de multiples reproches pour son manque d'investissement dans ses fonctions tout en la privant des moyens de s'y consacrer, et en des menaces afin d'imposer ses vues et ses décisions à la délégation unique du personnel. Ce comportement aurait entraîné une dégradation de l'état de santé de Mme I.... La CPAM de l'Indre produit notamment, au soutien de ses allégations, le compte rendu de l'entretien qu'a eu Mme I... le 12 décembre 2017 avec la directrice de la caisse, en présence du responsable des ressources humaines et de sa supérieure hiérarchique, ainsi que le compte rendu d'entretiens similaires tenus avec Mme G..., le 21 décembre 2017, et Mme P..., le 20 décembre 2017, signés par les intéressées, et des attestations de Mmes H..., K..., L... et de M. D....

13. Toutefois, d'une part, les témoignages de Mmes K..., L... et D... ne se rapportent pas au comportement de M. A... vis-à-vis de Mme I..., mais font état d'une attitude regardée comme autoritaire et agressive de celui-ci, en sa qualité de délégué syndical, avec elles et les élus d'un autre syndicat au comité d'entreprise sur la période 2015-2016. Mme P..., dans son témoignage, ne se présente pas comme témoin direct des faits, mais rapporte les déclarations de Mme I.... Il en va de même des courriers électroniques de Mmes B... et Moreau. Quant aux déclarations de Mme G... et de Mme I..., elles ne permettent pas de déterminer la fréquence des sollicitations et des remarques, parfois anodines, rapportées, et manquent ainsi de précision. D'autre part, M. A... ne se borne pas à nier les faits mais apporte des éléments contredisant certains des reproches qui lui sont adressés : ainsi il établit, par un courrier électronique du 5 avril 2017 et une attestation de présence du 1er décembre 2017, ne pas avoir fait obstacle à la formation syndicale de Mme I.... D'autres faits, tel un coup de coude que lui aurait donné M. A... lors d'une réunion de la délégation unique du personnel du 14 septembre 2017, ou encore le sobriquet de " Zézette " dont il l'aurait affublée, censément publics, ne figurent que dans un seul témoignage, celui de Mme G..., accusant un autre agent. Les auditions d'une quinzaine de personnes, et notamment des autres membres de la délégation unique du personnel, auxquelles a procédé l'inspectrice du travail, ne mettent pas en lumière un comportement pouvant être qualifié de harcèlement moral au sens des dispositions du code du travail citées au point 9.

14. Il ressort néanmoins des pièces du dossier, notamment du témoignage de Mme H..., qu'à compter du mois de novembre 2017, des tensions sont apparues au sein de la délégation unique du personnel entre M. A... et Mme O..., respectivement secrétaire et secrétaire adjoint, Mmes I..., H..., Tavet et Sommier, qui se sont traduites par la destitution des deux premiers de leurs fonctions lors d'une séance du 9 février 2018. Ces tensions, dont le catalyseur a été un désaccord quant à la transmission à la direction de la caisse de documents comptables de la délégation, ont généré un stress important chez Mme I..., laquelle a été assignée en justice par son employeur pour ce motif. Il ressort des pièces du dossier que ces tensions ne sont certes pas étrangères à l'attitude de M. A..., très investi dans ses fonctions de délégué syndical, sans toutefois que son comportement puisse être qualifié d'harcèlement moral sur la personne de Mme I....

15. La CPAM de l'Indre soutient également que M. A... a exercé les mêmes contraintes sur Mme P... lorsque celle-ci occupait les fonctions de secrétaire du comité d'entreprise au cours des années 2015 et 2016, la sollicitant au cours de ses périodes de congés, et jusqu'à son domicile et lui imposant ses décisions. Toutefois, le témoignage de l'intéressée, ainsi que ceux de Mmes L... et K... et de M. D... sont insuffisamment précis ou émanent de personnes en conflit avec M. A..., ou bien encore sont contredits par les éléments apportés par ce dernier, notamment quant à la visite qu'il aurait effectuée au domicile de Mme P..., laquelle a eu lieu, en réalité, à l'invitation de cette dernière. En outre, alors qu'aucune récrimination à l'égard de M. A... n'a été portée à la connaissance de l'employeur ou du syndicat à raison de ces faits, les pièces du dossier ne permettent pas d'établir un lien entre, d'un côté, les difficultés de santé de Mme P... et sa démission de ses fonctions de trésorière du comité d'entreprise en avril 2016, et, de l'autre, le comportement imputé à M. A....

16. Enfin, le conflit entre Mmes L... et K... et M. A..., au cours de cette période, relativement au fonctionnement du comité d'entreprise et à la place des délégués syndicaux et des élus du syndicat CFDT au sein de celui-ci, ne révèle pas, par lui-même, l'existence d'un harcèlement moral commis par M. A.... Si les agents concernés se plaignent de certains comportements de la part de M. A..., regardés comme contraignants, ces allégations ne sont pas corroborées par les autres témoignages recueillis par l'inspectrice du travail.

17. Il résulte de ce qui précède qu'un doute subsiste quant aux faits de harcèlement moral reprochés à M. A.... Il s'ensuit qu'en application de l'article L. 1235-1 du code du travail, l'inspectrice du travail n'a pas commis d'erreur de fait en estimant que les faits n'étaient pas suffisamment établis.

18. La CPAM de l'Indre reproche enfin à M. A... l'envoi répété et à des horaires tardifs ou le week-end de courriers électroniques à la direction de la caisse. Il ressort des pièces du dossier qu'entre le 1er mars 2017 et le 14 février 2018, M. A... a adressé 58 messages à la direction en dehors de ses heures de délégation, à des horaires tardifs. Toutefois, ces envois s'inscrivent dans l'exercice, par l'intéressé, de ses fonctions représentatives, et ne constituent pas un harcèlement moral. En outre, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'un reproche aurait antérieurement été adressé à M. A... à ce propos par son employeur, le courrier de mise en garde du 1er septembre 2015 concernant l'utilisation par l'intéressé de sa messagerie personnelle pour diffuser des messages aux salariés en qualité de secrétaire du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail. Si M. A... persiste à utiliser sa messagerie personnelle pour diffuser des messages se rapportant à des questions syndicales, il ne peut être regardé comme ayant, de ce seul fait, manqué à l'une des obligations nées de son contrat de travail.

19. Il résulte de tout ce qui précède que la CPAM de l'Indre n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Il y a lieu, par voie de conséquence, de rejeter les conclusions à fin d'injonction présentées par la caisse.

Sur les frais de l'instance :

20. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que la CPAM de l'Indre demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Enfin, il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la CPAM de l'Indre la somme demandée par M. A... au même titre.

DECIDE :

Article 1er : La requête de la CPAM de l'Indre est rejetée.

Article 2 : Les conclusions présentées par M. A... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la caisse primaire d'assurance maladie de l'Indre, à M. C... A... et au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion.

Délibéré après l'audience du 22 janvier 2024 à laquelle siégeaient :

M. Frédéric Faïck, président,

Mme Caroline Gaillard, première conseillère ;

M. Julien Dufour, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 20 février 2024.

Le rapporteur,

Julien Dufour

Le président,

Frédéric Faïck

La greffière,

Q... Larrue

La République mande et ordonne au ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

N° 22BX00033 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00033
Date de la décision : 20/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. FAÏCK
Rapporteur ?: M. Julien DUFOUR
Rapporteur public ?: M. DUPLAN
Avocat(s) : CABINET GOLDMANN ET ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 25/02/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-20;22bx00033 ?
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