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12/03/2024 | FRANCE | N°23BX02095

France | France, Cour administrative d'appel, 3ème chambre, 12 mars 2024, 23BX02095


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. E... B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les arrêtés du 8 décembre 2022 et du 6 février 2023 par lesquels le préfet de la Vienne, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de cent-quatre-vingts jours.



Par un jug

ement n°2300375 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.



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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E... B... A... a demandé au tribunal administratif de Poitiers d'annuler les arrêtés du 8 décembre 2022 et du 6 février 2023 par lesquels le préfet de la Vienne, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de cent-quatre-vingts jours.

Par un jugement n°2300375 du 6 juillet 2023, le tribunal administratif de Poitiers a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 25 juillet 2023, M. D..., représenté par la SCP Breillat - Dieumegard - Masson, demande à la cour :

1°) de l'admettre au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire ;

2°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 juillet 2023 ;

3°) d'annuler les arrêtés du 8 décembre 2022 et du 6 février 2023 par lesquels le préfet de la Vienne, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de cent-quatre-vingts jours ;

4°) d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui délivrer un certificat de résidence algérien dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

5°) subsidiairement, d'enjoindre au préfet de la Vienne de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour dans le délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard, et de lui délivrer, dans l'attente, une autorisation de travail dans un délai de quinze jours à compter de la notification de cet arrêt et sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

6°) de mettre à la charge de l'État une somme de 1 500 euros à verser à son conseil au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- la décision lui faisant obligation de quitter le territoire n'est pas suffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen de sa situation administrative ;

- il ne représente pas une menace pour l'ordre public ;

- cette décision a méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ainsi que celles de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- la décision lui refusant un délai de départ volontaire a méconnu les dispositions des articles L. 612-2 et L. 612-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

- la décision lui faisant interdiction de revenir sur le territoire français est insuffisamment motivée, a méconnu les dispositions de l'article L. 612-6 du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ainsi que les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'illégalité de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire prive de base légale les décisions fixant le pays de renvoi et l'assignant à résidence ;

- la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée ;

- la décision l'assignant à résidence n'est pas suffisamment motivée et n'a pas été précédée d'un examen de sa situation administrative.

La clôture de l'instruction a été fixée au 19 janvier 2024 par une ordonnance du 15 décembre 2023.

Un mémoire du préfet de la Vienne a été enregistré le 8 février 2024.

M. B... A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- du code des relations entre le public et l'administration ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. C... a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., ressortissant algérien né le 21 décembre 1997, est entré irrégulièrement en France en 2018 selon ses déclarations. Il a fait l'objet, le 25 janvier 2019, d'une mesure d'éloignement assortie d'une interdiction de retour sur le territoire français à laquelle il s'est soustrait. Par des arrêtés des 8 décembre 2022 et 6 février 2023, le préfet de la Vienne, d'une part, lui a fait obligation de quitter le territoire sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a fait interdiction de revenir sur le territoire français pendant une durée de deux ans, et, d'autre part, l'a assigné à résidence pour une durée de cent-quatre-vingts jours. M. B... A... relève appel du jugement du 6 juillet 2023 par lequel le tribunal administratif de Poitiers a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces arrêtés.

Sur l'aide juridictionnelle provisoire :

2. M. B... A... ayant été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 21 septembre 2023, il n'y a plus lieu de statuer sur ses conclusions tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Sur les conclusions à fin d'annulation :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire :

3. En premier lieu, la décision faisant obligation à M. B... A... de quitter le territoire français comporte les considérations de fait et de droit qui en constituent le fondement. Par suite elle est suffisamment motivée au regard des dispositions de l'article L.211-5 du code des relations entre le public et l'administration. En outre, il ressort de cette motivation que le préfet de la Vienne a procédé à un examen sérieux de sa situation personnelle.

4. En deuxième lieu, aux termes de l'article L. 611-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut obliger un étranger à quitter le territoire français lorsqu'il se trouve dans les cas suivants : 1° L'étranger, ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français, s'y est maintenu sans être titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) 5° Le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public ".

5. L'arrêté litigieux du préfet de la Vienne en date du 8 décembre 2022 est motivé par les circonstances que, d'une part, M. B... A... n'est en possession d'aucun titre d'identité ou de voyage ni d'aucun titre l'autorisant à séjourner en France, où il se trouve en situation irrégulière dans les conditions visées au 1° de l'article L. 611-1, et que, d'autre part, il résulte des mentions du fichier de traitement d'antécédents judiciaires qu'il est impliqué dans divers faits délictuel commis entre 2019 et 2021, ce qui permet également son éloignement sur le fondement du 5° du même article.

6. Si le préfet de la Vienne relève que M. B... A..., ainsi qu'il ressort des mentions du fichier de traitement des antécédents judiciaires, est défavorablement connu des services de police pour plusieurs faits, en particulier de vol, commis entre 2019 et 2021, et ajoute qu'il a fait l'objet d'une garde à vue pour des faits d'extorsion postérieurement à l'arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire, l'intéressé fait valoir que ces mises en cause n'ont donné lieu à aucune poursuite ni à aucune condamnation, ce qui n'est pas contesté en défense. L'appelant est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que, au vu de ces seuls éléments, le préfet a considéré qu'il représentait une menace pour l'ordre public. Cependant, il n'est pas contesté par M. B... A... qu'il est entré irrégulièrement en France et s'y est maintenu par la suite sans chercher à régulariser sa situation, en dépit d'une précédente mesure d'éloignement qu'il n'a pas exécutée. Il entre ainsi dans les prévisions du 1° de l'article L. 611-1 du code et il ressort des pièces du dossier que le préfet de la Vienne aurait pris la même décision s'il s'était fondé sur ce seul motif.

7. En troisième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1°) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2°) Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui ".

8. M. B... A... fait valoir qu'il réside en France depuis 2018, qu'il vit en concubinage avec une ressortissante française et qu'à la date de l'arrêté lui faisant obligation de quitter le territoire, celle-ci était enceinte d'un enfant qu'il avait reconnu par anticipation le 19 octobre 2022. Toutefois, il ne justifie de l'existence d'une vie commune que depuis le 2 janvier 2022, soit quelques mois avant l'arrêté en litige, ne fait état d'aucun autre lien personnel en France et n'établit ni même ne soutient qu'il serait dépourvu d'attaches dans son pays d'origine. En outre, il ne justifie aucunement de son intégration dans la société française. Dans ces conditions, il n'est pas fondé à soutenir que la décision lui faisant obligation de quitter le territoire aurait porté une atteinte excessive à son droit au respect de sa vie privée et familiale et qu'elle aurait, par suite, méconnu les stipulations précitées de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

9. En quatrième et dernier lieu, l'appelant ne peut utilement soutenir que l'intérêt supérieur de son enfant, tel qu'il est protégé par les stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant, est de nature à entacher d'illégalité la décision en litige dès lors qu'à la date de son édiction, le 8 décembre 2022, cet enfant n'était pas né.

10. Il résulte de ce qui précède que si M. B... A... est dorénavant le père d'un enfant français et que cette circonstance est de nature à faire obstacle à l'exécution de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire, il n'est néanmoins pas fondé à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision.

En ce qui concerne le refus de délai de départ volontaire :

11. Aux termes de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger faisant l'objet d'une décision portant obligation de quitter le territoire français dispose d'un délai de départ volontaire de trente jours à compter de la notification de cette décision (...) ". Aux termes de l'article L. 612-2 du même code : " Par dérogation à l'article L. 612-1, l'autorité administrative peut refuser d'accorder un délai de départ volontaire dans les cas suivants : 1° Le comportement de l'étranger constitue une menace pour l'ordre public ; (...) 3° Il existe un risque que l'étranger se soustraie à la décision portant obligation de quitter le territoire français dont il fait l'objet ". Aux termes de l'article L. 612-3 de ce code : " Le risque mentionné au 3° de l'article L. 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants : / (...) 5° L'étranger s'est soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ".

12. Ainsi qu'il a été dit, à la date de la décision lui faisant obligation de quitter le territoire, M. B... A... vivait en concubinage avec une ressortissante française, enceinte d'un enfant qu'il avait reconnu par anticipation et qui est né le 25 février 2023. Dans ces circonstances particulières, la seule circonstance qu'il se soit soustrait à l'exécution d'une précédente mesure d'éloignement ne permet pas de considérer qu'il présentait un risque de fuite au sens des dispositions précitées de l'article L. 612-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. En outre, ainsi qu'il a été dit au point 6, il ne ressort pas des pièces du dossier que M. B... A... présenterait une menace pour l'ordre public. L'appelant est, dès lors, fondé à soutenir que le préfet de la Vienne a fait une inexacte application des dispositions précitées en refusant de lui accorder un délai de départ volontaire.

En ce qui concerne l'interdiction de retour sur le territoire français et l'assignation à résidence :

13. En premier lieu, aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. "

14. Il résulte de ce qui a été dit au point 12 que le préfet de la Vienne ne pouvait pas légalement refuser d'accorder un délai de départ volontaire à l'appelant. Par suite, il ne pouvait pas davantage lui faire interdiction de retourner sur le territoire français sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

15. En second lieu, il résulte de ce qui a été dit au point 12 que l'appelant est fondé, par voie de conséquence, à demander l'annulation de l'arrêté l'assignant à résidence.

16. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... A... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont rejeté ses demandes tendant à l'annulation des décisions lui refusant un délai de départ volontaire, lui interdisant de revenir sur le territoire français pendant deux ans et l'assignant à résidence. Par suite, il est également fondé à demander l'annulation, dans cette seule mesure, du jugement attaqué ainsi que des décisions en litige.

Sur les conclusions à fin d'injonction :

17. L'exécution du présent arrêt n'impliquant aucune mesure d'exécution, les conclusions à fin d'injonction de M. B... A... doivent être rejetées.

Sur les frais exposés pour l'instance :

18. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. B... A... tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de M. B... A... tendant au bénéfice de l'aide juridictionnelle provisoire.

Article 2 : Les décisions du 8 décembre 2022 refusant à M. B... A... un délai de départ volontaire et lui faisant interdiction de retour sur le territoire français pendant deux ans, ainsi que l'arrêté du 6 février 2023 l'assignant à résidence, sont annulées.

Article 3 : Le jugement du tribunal administratif de Poitiers du 6 juillet 2023 est annulé en tant qu'il est contraire au présent arrêt.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. E... B... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et au préfet de la Vienne.

Délibéré après l'audience du 13 février 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 12 mars 2024.

Le rapporteur,

Manuel C...

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N° 23BX02095 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02095
Date de la décision : 12/03/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : SCP BREILLAT DIEUMEGARD MASSON

Origine de la décision
Date de l'import : 16/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-03-12;23bx02095 ?
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