La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

04/04/2024 | FRANCE | N°22BX00386

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 04 avril 2024, 22BX00386


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le département de la Gironde à lui verser la somme de 47 400 euros en réparation du préjudice subi à la suite de l'accident de la circulation dont il a été victime le 14 juillet 2018.



Par un jugement n° 2002090 du 8 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande et mis à sa charge les dépens d'un montant de 844,80 euros.



Procédure

devant la cour :



Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 février et 22 décembre 2022, M. B.....

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... B... a demandé au tribunal administratif de Bordeaux de condamner le département de la Gironde à lui verser la somme de 47 400 euros en réparation du préjudice subi à la suite de l'accident de la circulation dont il a été victime le 14 juillet 2018.

Par un jugement n° 2002090 du 8 décembre 2021, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande et mis à sa charge les dépens d'un montant de 844,80 euros.

Procédure devant la cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 3 février et 22 décembre 2022, M. B..., représenté par la SELARL Valay, Belacel, Delbrel et Cerdan, demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Bordeaux du

8 décembre 2021 ;

2°) de condamner le département de la Gironde à lui verser la somme de 47 399,99 euros, assortie des intérêts au taux légal à compter de la notification de la requête ;

3°) de mettre à la charge du département de la Gironde la somme de 6 500 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens pour un montant de 844,80 euros.

Il soutient que :

- la commune n'est pas fondée à opposer une irrecevabilité de l'action introduite devant le tribunal pour défaut de demande préalable ; ce n'est pas lui qui a mis en cause la commune dans la procédure, et le département n'invoque pas cette irrecevabilité puisqu'il a bien reçu la demande ; l'action a été engagée dans le délai de cinq ans suivant le dommage ;

- l'accident a été causé par une chaussée non conforme à son état prévisible et par une signalisation défectueuse ; ce défaut d'entretien normal de la voie publique est de nature à engager la responsabilité du département ; la voie départementale sur laquelle il circulait avait fait l'objet de travaux non achevés, entraînant un important décapage du revêtement de la chaussée sur plus d'une dizaine de mètres et créant une différence de niveau et de structure, et postérieurement à son accident, des travaux de reprise ont été effectués; aucune signalisation n'avait été installée ; s'il s'agissait d'une route assez dégagée, rien ne permettait de pouvoir appréhender et anticiper le fait qu'il s'agissait d'une structure mouvante et non stable ; l'installation d'un balisage le jour même de l'accident démontre l'état du danger ;

- les frais de santé restés à sa charge se sont élevés à 107,59 euros ;

- les frais divers, comprenant les frais de réparation du vélo et de remplacement des accessoires et des vêtements, ainsi que les frais de déplacement pour se rendre à des rendez-vous médicaux, représentent 1 029,90 euros ;

- outre une activité de dirigeant d'un cabinet de courtage, il assurait des fonctions d'enseignement et de formation qui n'ont pas été compensées ; les indemnités journalières qui lui ont été versées à hauteur de 8 690,64 euros sont relatives à son activité principale de salarié de la société EURL ARES Group et non à son activité de vacataire d'enseignement, du fait du dépassement du plafond de la sécurité sociale par les sommes déjà versées ; la perte de revenus professionnels non compensée s'élève à 8 400 euros ;

- le besoin d'assistance par une tierce personne a été évalué à 1 heure par jour du 17 juillet au 27 août 2018 ; à raison d'un coût horaire de 15 euros, le préjudice peut être évalué à 630 euros ;

- au vu des périodes de déficit fonctionnel temporaire déterminées par l'expert, et sur la base d'une indemnisation de 25 euros par jour pour une incapacité totale, le préjudice peut être fixé à 2 392,50 euros ;

- la somme de 8 000 euros peut être allouée pour réparer les souffrances endurées, cotées à 3,5 sur 7 ;

- le préjudice esthétique temporaire peut donner lieu au versement d'une somme de 1 500 euros ;

- le déficit fonctionnel permanent évalué à 12 % peut être indemnisé, selon le référentiel indicatif de l'indemnisation du préjudice corporel, à hauteur de 18 840 euros ;

- la somme de 2 000 euros peut être allouée pour la réparation du préjudice esthétique permanent ;

- alors qu'il a pratiqué le cyclisme à un haut niveau, participant à des étapes du Tour de France, ses résultats sont désormais moins bons et il a dû renoncer à sa participation au marathon de New-York à l'automne 2019 ; son préjudice d'agrément justifie le versement d'une somme de 4 500 euros.

-

Par un mémoire en défense enregistré le 5 avril 2022, le département de la Gironde et la société Allianz Iard, représentés par la SCP Bayle-Joly, concluent au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de M. B... la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ou, à titre subsidiaire, demandent à la cour de procéder à un partage de responsabilité et de limiter le montant de l'indemnisation accordée à M. B... à 38 290,12 euros, de rejeter la demande de première instance de la CPAM des Pyrénées Atlantiques et de ramener à de plus justes proportions la somme sollicitée par le requérant sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils font valoir que :

- les pièces produites par M. B... ne permettent pas de retenir un défaut d'entretien imputable au département ; les photographies ne sont pas datées, et les attestations ne sont pas davantage probantes, l'un des témoins ayant dû changer sa version pour mieux étayer la thèse du requérant ; les travaux sur cette route avaient été achevés deux semaines auparavant ; le passage des camions a endommagé la chaussée, créant un léger retrait des matériaux ; dès qu'elle a eu connaissance de l'accident, la collectivité a procédé aux reprises nécessaires qui ont été achevées le 20 juillet 2018, soit moins d'une semaine après ; le jugement ne pourra qu'être confirmé lorsqu'il relève que la plaque d'enrobé ne s'était affaissée que de quelques centimètres et que, compte tenu de la bonne visibilité, elle ne présentait pas un danger manifeste pour les usagers de la voie ;

- le danger était parfaitement visible pour un cycliste circulant dans des conditions normales ; les travaux étaient achevés et le département ne pouvait s'attendre à ce qu'un enfoncement du revêtement se produise immédiatement ;

- à titre subsidiaire, la demande indemnitaire doit être ramenée à de plus justes proportions ;

- le département ne s'oppose pas aux demandes relatives aux dépenses de santé actuelles, aux pertes de gains professionnels actuels et au déficit fonctionnel permanent ;

- au titre des frais divers, ne peuvent être admis que les frais de réparation du vélo et de remplacement des accessoires et des vêtements, à hauteur de 818,08 euros, ainsi que les frais de déplacement à l'expertise pour un montant de 77,35 euros ; en revanche, l'intéressé ne justifie pas de la réalité des deux autres déplacements ;

- le coût horaire de 15 euros pour indemniser le besoin d'aide d'une tierce personne est excessif et doit être fixé à 13 euros ; l'indemnité à ce titre ne saurait dépasser 546 euros ;

- le déficit fonctionnel temporaire doit être calculé sur la base de 23 euros par jour d'incapacité totale et non 25 euros ; l'indemnisation du préjudice serait alors de 2 201,10 euros ;

- l'indemnisation des souffrances endurées ne saurait dépasser 5 000 euros ;

- l'expert n'ayant pas retenu de préjudice esthétique temporaire, une demande à ce titre ne peut qu'être rejetée ;

- l'indemnisation du préjudice esthétique permanent ne saurait dépasser 1 500 euros ;

- M. B... ayant repris le cyclisme, il peut seulement être indemnisé, au titre du préjudice d'agrément, de l'arrêt de l'activité de jogging, à hauteur de 800 euros ;

- la créance de la CPAM n'est établie ni dans sa réalité ni dans son quantum par les pièces produites par le requérant, dès lors qu'il s'agit d'une notification provisoire de débours, sans détail des différents frais engagés.

Par un mémoire, enregistré le 29 juillet 2022, la commune de Gans, représentée par la SELARL Lexavoue KPDB Bordeaux, conclut au rejet de la requête, à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas retenu l'irrecevabilité de la demande de M. B... et à ce que soit mise à la charge de toute partie succombante la somme de 3 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, ainsi que les dépens.

Elle fait valoir que :

- la demande présentée par M. B... devant le tribunal était irrecevable faute de demande préalable adressée au département ou à la commune ;

- le jugement peut être confirmé en toutes ses dispositions ;

- en appel, aucune demande de condamnation n'est formulée à l'encontre de la commune ; le défaut de signalisation de la déformation de la chaussée ne lui est pas imputable, dès lors qu'il appartenait au département de sécuriser son propre chantier, situé hors agglomération, conformément au règlement de voirie départementale de la Gironde.

Par une ordonnance du 10 octobre 2023, la clôture d'instruction a été fixée au 10 novembre 2023.

Par lettre du 4 mars 2024, les parties ont été informées, sur le fondement de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt était susceptible d'être fondé sur un moyen relevé d'office, tiré de l'irrecevabilité des conclusions présentées par la commune de Gans tendant à la réformation du jugement, dès lors que cette collectivité n'a pas d'intérêt à agir contre un jugement qui ne lui fait pas grief.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Cotte,

- les conclusions de Mme Charlotte Isoard, rapporteure publique,

- et les observations de Me Valay, représentant M. B..., et de Me Roger, représentant la commune de Gans.

Considérant ce qui suit :

1. Alors qu'il faisait une sortie en vélo avec d'autres cyclistes, M. B... a été victime d'une chute, le 14 juillet 2018 vers 9h du matin, sur la chaussée de la route départementale 10 à hauteur du lieu-dit Larrouey sur la commune de Gans (Gironde). Il a été transporté par les pompiers au centre hospitalier intercommunal Sud Gironde à Langon où il est resté hospitalisé jusqu'au 18 juillet, et a bénéficié d'un arrêt de travail jusqu'au 30 septembre suivant. Le 5 septembre 2018, il a adressé une demande indemnitaire au département de la Gironde et à la commune de Gans, et cette dernière lui a répondu que l'accident avait eu lieu sur une voie départementale et que sa responsabilité ne pouvait à cet égard être engagée. M. B... a alors saisi le juge des référés du tribunal administratif de Bordeaux afin que soit ordonnée une expertise. Au vu du rapport déposé le

29 novembre 2019, il a demandé au tribunal la condamnation du département à réparer les préjudices qu'il avait subis. Par un jugement du 8 décembre 2021 dont M. B... relève appel, le tribunal a rejeté sa demande et mis à sa charge les dépens d'un montant de

844,80 euros.

Sur la recevabilité des conclusions de la commune :

2. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les conclusions dirigées contre la commune de Gans par le département de la Gironde et la caisse primaire d'assurance maladie ont été rejetées par le tribunal. Par suite, la commune de Gans n'a pas d'intérêt à faire appel du jugement, d'autant que ses conclusions tendant à la réformation du jugement en tant qu'il n'a pas retenu l'irrecevabilité de la demande de première instance sont dirigées contre les motifs du jugement, et non contre son dispositif. Pour ces raisons et ainsi que les parties en ont été informées, les conclusions de la commune de Gans sont irrecevables.

Sur la responsabilité du département :

3. Il appartient à la victime d'un dommage survenu à l'occasion de l'utilisation d'un ouvrage public d'apporter la preuve du lien de causalité entre l'ouvrage public dont elle était usager et le dommage dont elle se prévaut. La collectivité en charge de l'ouvrage public peut s'exonérer de sa responsabilité en rapportant la preuve soit de l'entretien normal de l'ouvrage, soit de ce que le dommage est imputable à la faute de la victime ou à un cas de force majeure.

4. Il résulte de l'instruction que la chute de vélo de M. B... est survenue alors qu'il circulait avec cinq autres cyclistes sur la route départementale D010, au moment où il s'est engagé sur une partie de la chaussée dont le revêtement, réalisé deux semaines auparavant dans le cadre de travaux de réfection de la voie, s'était enfoncé de quelques centimètres. Si cette déformation de la chaussée ne faisait pas l'objet d'une signalisation particulière, elle se situait sur une ligne droite offrant une bonne visibilité, et la plaque d'enrobé rapportée, d'une longueur de plus de dix mètres sur plus d'un mètre de large, de couleur plus foncée, était nettement visible pour tout usager circulant à vitesse normale. Si M. B... soutient que rien ne permettait de laisser présager la différence de densité et de résistance de cette plaque par rapport au bitume l'environnant, il n'est pas établi qu'une telle différence, à la supposer établie, aurait nécessairement déstabilisé tout usager à deux roues circulant sur la voie, alors au demeurant qu'aucun de ses cinq compagnons n'est tombé en même temps que lui. Par suite, la présence de cette plaque d'enrobé légèrement enfoncée ne représentait pas un obstacle excédant ceux que les usagers de la voie publique normalement attentifs pouvaient facilement éviter en prenant les précautions nécessaires, soit en rectifiant leur trajectoire, soit en adaptant leur vitesse. Dans ces conditions, M. B... n'est pas fondé à rechercher la responsabilité du département de la Gironde pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public.

5. Il résulte de ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Bordeaux a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

6. D'une part, aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : " Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. / Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties. (...) ".

7. Il ressort des énonciations du jugement attaqué que les frais et honoraires d'expertise, liquidés et taxés à la somme de 844,80 euros par ordonnance du président du tribunal administratif de Bordeaux en date du 2 novembre 2019, ont été mis à la charge de M. B.... Compte tenu de ce qui précède, et en l'absence de circonstances particulières justifiant qu'il en soit autrement, il n'y a pas lieu de réformer le jugement sur ce point. Les conclusions de M. B... doivent dès lors être rejetées.

8. D'autre part, les dispositions de l'article L.761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge du département de la Gironde, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. B... demande au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens. Dans les circonstances de l'espèce, il n'y a pas lieu de faire droit aux conclusions présentées au même titre par le département de la Gironde, la société Allianz Iard et la commune de Gans.

DECIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la commune de Gans, ainsi que les conclusions présentées par le département de la Gironde sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... B..., au département de la Gironde, à la société Allianz Iard, à la commune de Gans et à la caisse primaire d'assurance maladie des Pyrénées Atlantiques.

Délibéré après l'audience du 12 mars 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 avril 2024.

Le rapporteur,

Olivier Cotte

La présidente,

Catherine Girault

La greffière,

Virginie Guillout

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de la santé et des solidarités en ce qui la concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 22BX00386


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX00386
Date de la décision : 04/04/2024
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: M. Olivier COTTE
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : SCP BAYLE - JOLY

Origine de la décision
Date de l'import : 07/04/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-04;22bx00386 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award