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30/04/2024 | FRANCE | N°22BX01563

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 3ème chambre, 30 avril 2024, 22BX01563


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



Par deux requêtes distinctes, M. C... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique, d'une part, d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné son déplacement d'office à titre de sanction disciplinaire, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 24 mars 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a affecté au service de probation et d'insertion pénitentiaire de Fort-de-France.



Par un jugement n°s 2100309, 2100310 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de la Martiniq...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Par deux requêtes distinctes, M. C... B... a demandé au tribunal administratif de la Martinique, d'une part, d'annuler l'arrêté du 18 mars 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, a ordonné son déplacement d'office à titre de sanction disciplinaire, d'autre part, d'annuler l'arrêté du 24 mars 2021 par lequel le garde des sceaux, ministre de la justice, l'a affecté au service de probation et d'insertion pénitentiaire de Fort-de-France.

Par un jugement n°s 2100309, 2100310 du 7 avril 2022, le tribunal administratif de la Martinique a fait droit à ces demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 8 juin 2022, le garde des sceaux, ministre de la justice demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de la Martinique du 7 avril 2022 ;

2°) de rejeter les demandes de M. B... tendant à l'annulation des arrêtés de déplacement d'office et d'affectation au service de probation et d'insertion pénitentiaire de Fort-de-France.

Il soutient que la sanction en cause n'est pas disproportionnée au regard des fautes commises par l'intéressé et s'en remet à son mémoire de première instance pour le surplus.

Par un mémoire enregistré le 9 mars 2023, M. B..., représenté par Me Bertrand, conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 4 000 euros soit mise à la charge de l'Etat au titre des frais exposés pour l'instance.

Il soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés et reprend ses moyens de première instance.

Vu :

- la loi n° 83-634 du 13 janvier 1983 ;

- la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

- le décret n° 84-961 du 25 octobre 1984 ;

- le décret n° 2005-850 du 27 juillet 2005 ;

- le décret n° 2010-1711 du 30 décembre 2010 ;

- le code de justice administrative.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D...,

- les conclusions de Mme Le Bris, rapporteure publique,

- et les observations de Me Bertrand, représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., fonctionnaire de l'administration pénitentiaire depuis 2003, a été affecté en 2017 au centre pénitentiaire de Ducos. En 2019, il été promu au grade de major pénitentiaire et a été élu secrétaire de la section locale du syndicat UFAP UNSA Justice. Par deux arrêtés des 18 et 24 mars 2021, le garde des sceaux, ministre de la justice, lui a, d'une part, infligé la sanction du déplacement d'office et l'a, d'autre part, affecté au service pénitentiaire d'insertion et de probation de Fort-de-France. Par un jugement du 7 avril 2022, le tribunal administratif de la Martinique a annulé ces arrêtés. Le ministre de la justice relève appel de ce jugement.

2. D'une part, aux termes de l'article 25 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, alors en vigueur : " Le fonctionnaire exerce ses fonctions avec dignité, impartialité, intégrité et probité ". Aux termes de l'article 28 de la même loi : " Tout fonctionnaire, quel que soit son rang dans la hiérarchie, est responsable de l'exécution des tâches qui lui sont confiées. Il doit se conformer aux instructions de son supérieur hiérarchique, sauf dans le cas où l'ordre donné est manifestement illégal et de nature à compromettre gravement un intérêt public. (...) ". Aux termes de l'article 11 du décret du 30 décembre 2010 portant code de déontologie du service public pénitentiaire : " Les personnels de l'administration pénitentiaire se doivent mutuellement respect, aide et assistance dans l'exercice de leurs missions ".

3. D'autre part, aux termes de l'article 66 de la loi susvisée du 11 janvier 1984 : " Les sanctions disciplinaires sont réparties en quatre groupes. / Premier groupe : - l'avertissement ; - le blâme. / Deuxième groupe : - la radiation du tableau d'avancement ; - l'abaissement d'échelon ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée maximale de quinze jours ; - le déplacement d'office. / Troisième groupe : - la rétrogradation ; - l'exclusion temporaire de fonctions pour une durée de trois mois à deux ans. / Quatrième groupe : - la mise à la retraite d'office ; - la révocation (...) ". Il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes.

4. La sanction de déplacement d'office prononcée à l'encontre de M. B... par le ministre de la justice est motivée, d'une part, par le fait que M. B... a refusé d'exécuter un ordre donné par un supérieur hiérarchique et, d'autre part, par la circonstance qu'il a eu quelques temps plus tard avec celui-ci une altercation au cours de laquelle il l'aurait insulté et menacé.

5. En premier lieu, il ressort des pièces du dossier que M. B..., adjoint du lieutenant responsable du secteur CD1 du centre pénitentiaire de Ducos, était en charge, sous la responsabilité de celui-ci, de la préparation des plannings de présence pour la surveillance de ce secteur. Par un courriel du 27 novembre 2019, M. B... a présenté à sa hiérarchie un planning de présence qui ne prévoyait pas la présence de gradés lors des week-ends des 30 novembre-1er décembre 2019 et des 7-8 décembre 2019, en méconnaissance d'une note de service du 5 septembre 2019 imposant qu'au moins un gradé soit présent dans chaque secteur du lundi au dimanche et, en particulier, que " les adjoints sont intégrés dans les permanences du week-end lors des congés sur leur pôle ". Il est constant que le directeur adjoint de l'établissement, M. A..., lui a demandé, par courriel du 4 décembre suivant, de corriger ce planning afin d'inclure un gradé dans la permanence du second de ces week-ends, ce qu'il n'a pas fait. Pour justifier son abstention, M. B... soutient qu'il n'a pas reçu ce courriel, mais il ne produit aucun élément susceptible d'étayer cette affirmation. Il fait également valoir qu'aucun des gradés de son secteur, y compris lui-même, n'était disponible pour assurer cette permanence compte tenu de l'application des règles sur la durée maximum de travail hebdomadaire. Néanmoins, dès lors que l'ordre qui lui a été donné de corriger le planning des permanences n'était pas manifestement illégal ni de nature à compromettre gravement un intérêt public, il ne pouvait s'abstenir de l'exécuter sans méconnaitre le devoir d'obéissance qui est le sien en application des dispositions précitées de l'article 28 de la loi du 13 juillet 1983, quand-bien même l'exécution de cet ordre impliquait de désigner son supérieur hiérarchique direct ou un agent en repos hebdomadaire.

6. En second lieu, il ressort des pièces du dossier que, le 3 mars 2020, M. B... a participé, en sa qualité de trésorier de l'association en charge de la gestion du mess pénitentiaire, à une réunion relative au fonctionnement de celui-ci, en présence du directeur du centre pénitentiaire, de M. A..., son adjoint, ainsi que du président de cette association et de trois autres membres de celle-ci. A l'issue de cette réunion M. B... a évoqué les difficultés posées par les modalités de distribution de médicaments aux détenus. M. A... a immédiatement contesté la véracité des propos de l'intéressé, et une vive altercation verbale les a alors opposés. Compte tenu des versions très discordantes des témoignages émanant d'une part du directeur d'établissement et de son adjoint ainsi que d'un brigadier qui aurait été témoin de la scène depuis l'extérieur du mess, et de ceux établis d'autre part par les membres du bureau de l'association, et en l'absence par ailleurs d'indication quant aux suites données à la plainte déposée par M. A... à l'encontre de M. B..., il est seulement établi qu'au cours de cette altercation, qui s'est majoritairement déroulée en créole, M. B... a accusé M. A... d'être un menteur puis, lorsque ce dernier a fait mine de quitter le mess, d'avoir un comportement lâche. Ces seuls propos, et l'attitude agressive du requérant suffisent à caractériser un manquement à ses obligations de dignité et de respect envers un supérieur hiérarchique, ce qui constitue également une faute de nature à justifier une sanction disciplinaire.

7. M. B... indique toutefois, sans que ce soit contesté par l'administration, qu'il était déjà arrivé que, certains week-ends, aucun gradé ne soit présent sur un secteur de l'établissement sans que cela suscite une réaction particulière de sa hiérarchie. Par ailleurs, l'altercation du 3 mars 2020, dans laquelle les torts paraissent partagés, concernait un sujet d'intérêt syndical et n'a pas eu lieu dans le strict cadre des relations hiérarchiques de travail. En outre, les évaluations de M. B... jusqu'en 2020 ne faisaient état d'aucune difficulté avec sa hiérarchie et étaient même très élogieuses. Si ces éléments de contexte ne sont pas de nature à ôter aux faits reprochés leur caractère fautif, la sanction de déplacement d'office, qui est la plus sévère des sanctions du second groupe, revêt en l'espèce un caractère disproportionné à la gravité de ces faits.

8. Il résulte de ce qui précède que le garde des sceaux, ministre de la justice, n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont annulé la sanction prononcée à l'encontre de M. B... ainsi que la décision d'affectation au service d'insertion et de probation de Fort de France prise en exécution de cette sanction. Par suite, la requête doit être rejetée.

9. En application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mette à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés pour l'instance.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du ministre de la justice est rejetée.

Article 2 : L'Etat versera une somme de 1 500 euros à M. B... sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... B... et au garde des sceaux, ministre de la justice.

Délibéré après l'audience du 2 avril 2024 à laquelle siégeaient :

M. Laurent Pouget, président,

Mme Marie-Pierre Beuve Dupuy, présidente-assesseure,

M. Manuel Bourgeois, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 30 avril 2024.

.

Le rapporteur,

Manuel D...

Le président,

Laurent PougetLe greffier,

Anthony Fernandez

La République mande et ordonne au garde des sceaux, ministre de la justice en ce qui le concerne et à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

N°22BX01563 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 22BX01563
Date de la décision : 30/04/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. POUGET
Rapporteur ?: M. Manuel BOURGEOIS
Rapporteur public ?: Mme LE BRIS
Avocat(s) : BERTRAND

Origine de la décision
Date de l'import : 05/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-04-30;22bx01563 ?
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