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02/05/2024 | FRANCE | N°23BX02944

France | France, Cour administrative d'appel de BORDEAUX, 2ème chambre, 02 mai 2024, 23BX02944


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure :



M. D... alias C... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges, sous les nos 2301824 et 2301836, d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2023 par lequel le préfet de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.



Par un jugement nos 2301824, 2301836 du 27 octobre 2023, le magistrat désigné par le président du tr

ibunal a rejeté sa demande.



Procédure devant la cour :



Par une requête enregist...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... alias C... B... a demandé au tribunal administratif de Limoges, sous les nos 2301824 et 2301836, d'annuler l'arrêté du 16 octobre 2023 par lequel le préfet de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour sur le territoire français pour une durée de trois ans.

Par un jugement nos 2301824, 2301836 du 27 octobre 2023, le magistrat désigné par le président du tribunal a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 28 novembre 2023, M. B..., représenté par Me Moulai, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du préfet de la Corrèze du 16 octobre 2023 ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Corrèze de lui délivrer un certificat de résidence d'un an ou à défaut de réexaminer sa situation dans un délai d'un mois à compter de la notification de l'arrêt à intervenir, et de lui délivrer, dans l'attente, un récépissé l'autorisant à travailler ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

- la décision est insuffisamment motivée au regard de sa situation personnelle et familiale et ne mentionne pas le jugement correctionnel qui a fait droit à sa demande de relèvement de l'interdiction définitive du territoire français ;

- eu égard à ses liens familiaux, à son enfance très difficile en Algérie après le divorce de ses parents, à son comportement en détention, à son inscription à des cours de français et à son implication dans l'éducation de ses enfants, et à la présence de sa mère française handicapée qui l'héberge, la mesure d'éloignement est entachée d'erreur manifeste d'appréciation et méconnaît les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et du 5) de l'article 6 de l'accord franco-algérien ;

- la décision méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

En ce qui concerne la décision fixant le pays de renvoi :

- elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation dès lors qu'il est dépourvu d'attaches dans son pays d'origine et que le centre de ses intérêts se situe en France où résident sa mère, son frère et ses trois enfants ;

En ce qui concerne l'interdiction de retour :

- elle n'est pas motivée ;

- eu égard aux circonstances humanitaires dont il justifie, elle est entachée d'erreur manifeste d'appréciation

- sa situation ne correspond à aucun des critères fixés par les dispositions de

l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

M. B... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision

du 1er février 2024.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- l'accord franco-algérien du 27 décembre 1968 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé la rapporteure publique, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme A...,

- et les observations de Me Moulai , représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B..., de nationalité algérienne, a déclaré être entré en France en 2010. Il a fait l'objet d'obligations de quitter le territoire français qu'il n'a pas exécutées par arrêtés du préfet de police de Paris du 24 août 2011 et du préfet de la Seine-Saint-Denis du 23 décembre 2015. Une troisième obligation de quitter le territoire français, assortie d'une interdiction de retour d'une durée de deux ans, prise à son encontre par un arrêté du préfet de police de Paris

du 12 août 2018, a été exécutée le 16 octobre 2019, et après son retour à une date indéterminée, la même autorité, par un arrêté du 10 octobre 2021, lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai et lui a interdit le retour pour une durée de deux ans. Par un jugement

du 11 octobre 2021, le tribunal correctionnel de Paris l'a condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans pour des faits, commis le 8 octobre 2021, de récidive de tentative de vol avec violence ayant entraîné une incapacité totale de travail n'excédant pas 8 jours, facilitée par l'état d'une personne vulnérable et aggravée par d'autres circonstances, et de fourniture d'identité imaginaire pouvant provoquer des mentions erronées au casier judiciaire. M. B..., écroué le 12 octobre 2021, a été transféré au centre pénitentiaire d'Uzerche

le 16 mai 2022. Par un arrêté du 16 octobre 2023, le préfet de la Corrèze lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai à compter de la date de sa libération fixée

au 28 octobre suivant, a fixé le pays de renvoi et lui a interdit le retour pour une durée de trois ans. M. B... relève appel du jugement du 27 octobre 2023 par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande d'annulation de cet arrêté.

Sur l'obligation de quitter le territoire français :

2. En premier lieu, l'obligation de quitter le territoire français cite les dispositions

du 1° et du 5° de l'article L. 611-1 permettant de prendre une telle décision, respectivement, lorsque l'étranger ne pouvant justifier être entré régulièrement sur le territoire français s'y est maintenu irrégulièrement sans être titulaire d'un tire de séjour, et lorsque le comportement de l'étranger qui ne réside pas régulièrement en France depuis plus de trois mois constitue une menace pour l'ordre public. Elle précise que M. B..., éloigné le 16 octobre 2019, est revenu en France de manière irrégulière et n'a pas demandé de titre de séjour, et fait notamment référence à sa condamnation, le 8 octobre 2021, à trois ans d'emprisonnement pour vol facilité par l'état d'une personne vulnérable, aggravé par une autre circonstance. Enfin, l'arrêté indique que

la mère des trois enfants de l'intéressé, ressortissante algérienne, est en situation irrégulière, que M. B... ne justifie pas contribuer à l'entretien et à l'éducation de ses enfants, que dans tous les cas la cellule familiale peut se reconstituer en Algérie, et que si sa mère et son frère résident en France, M. B... n'établit pas être dépourvu d'attaches familiales dans son pays d'origine. Ainsi, contrairement à ce que soutient le requérant, la mesure d'éloignement, qui a visé le jugement du 5 septembre 2023 l'ayant relevé d'une peine d'interdiction définitive du territoire français prononcée le 11 octobre 2021, est suffisamment motivée, notamment au regard de sa situation personnelle et familiale.

3. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 6 de l'accord franco-algérien : " (...) / Le certificat de résidence d'un an portant la mention " vie privée et familiale " est délivré de plein droit : / (...) / 5. au ressortissant algérien, qui n'entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, dont les liens personnels et familiaux en France sont tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus ; / (...). "

4. Il n'est pas contesté que la mère des trois enfants de M. B..., séparée de ce dernier depuis plusieurs années, réside irrégulièrement en France, en région parisienne, avec leurs trois enfants nés en 2014 en Espagne, en 2015 en France et en 2017 en Allemagne. Si la mère de nationalité française du requérant, qui réside à Paris avec son fils aîné titulaire d'un certificat de résidence, déclare l'héberger depuis mars 2021, cette circonstance ne suffit pas, eu égard à la menace à l'ordre public caractérisée par les faits récents de récidive de tentative de vol avec violence pour lesquels il a été condamné à une peine de trois ans d'emprisonnement, à faire regarder l'obligation de quitter le territoire français comme portant à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte contraire aux stipulations précitées. Le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation ne peut davantage être accueilli au regard des circonstances invoquées, une enfance difficile en Algérie alors que l'intéressé est âgé de 41 ans à la date de la décision, une fragilité psychologique manifestée par des idées suicidaires en détention, un bon comportement en détention, et enfin un apprentissage récent de la langue française.

5. En troisième lieu, aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale. " La mesure d'éloignement opposée à M. B... n'a pas pour objet et ne saurait avoir pour effet de le séparer de ses enfants, dont la mère de nationalité algérienne réside irrégulièrement en France. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations précitées ne peut être accueilli, alors au surplus que M. B... ne justifie pas entretenir des liens avec ses enfants.

Sur la décision fixant le pays de renvoi :

6. En faisant valoir que le centre de ses intérêts privés et familiaux se situerait en France, M. B..., de nationalité algérienne, ne conteste pas utilement la décision fixant l'Algérie comme pays de renvoi, mais invoque à nouveau l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français au regard de ses liens privés et familiaux, moyen écarté au point 4.

Sur l'interdiction de retour :

7. Aux termes de l'article L. 612-6 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Lorsqu'aucun délai de départ volontaire n'a été accordé à l'étranger, l'autorité administrative assortit la décision portant obligation de quitter le territoire français d'une interdiction de retour sur le territoire français. Des circonstances humanitaires peuvent toutefois justifier que l'autorité administrative n'édicte pas d'interdiction de retour. / Les effets de cette interdiction cessent à l'expiration d'une durée, fixée par l'autorité administrative, qui ne peut excéder trois ans à compter de l'exécution de l'obligation de quitter le territoire français. " aux termes de l'article L. 612-10 du même code : " Pour fixer la durée des interdictions de retour mentionnées aux articles L. 612-6 et L. 612-7, l'autorité administrative tient compte de la durée de présence de l'étranger sur le territoire français, de la nature et de l'ancienneté de ses liens avec la France, de la circonstance qu'il a déjà fait l'objet ou non d'une mesure d'éloignement et de la menace pour l'ordre public que représente sa présence sur le territoire français. / Il en est de même pour l'édiction et la durée de l'interdiction de retour mentionnée à l'article L. 612-8 ainsi que pour la prolongation de l'interdiction de retour prévue à l'article L. 612-11. "

8. En premier lieu, l'interdiction de retour fait référence aux dispositions précitées et relève que M. B..., entré récemment sur le territoire français, ne justifie pas de son insertion sociale et professionnelle, qu'il s'est soustrait à de précédentes mesures d'éloignement, et que la gravité des faits commis dès son entrée en France justifie qu'il soit interdit de retour pour une durée de trois ans. En outre, ainsi qu'il a été exposé au point 2, l'arrêté indique les éléments de fait relatifs à la situation familiale de l'intéressé, lesquels caractérisent ses liens avec

la France. La décision est ainsi régulièrement motivée au regard des critères mentionnés

à l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

9. En deuxième lieu, M. B..., qui avait été éloigné à destination de l'Algérie

le 16 octobre 2019 après s'être soustrait à de précédentes mesures d'éloignement, ne conteste pas qu'il était entré récemment en France lorsqu'il a commis, le 8 octobre 2021, les faits graves, de nature à le faire regarder comme représentant une menace pour l'ordre public, pour lesquels il a été condamné à une peine d'emprisonnement de trois ans. Le bon comportement en détention dont il se prévaut ne saurait caractériser une insertion sociale et professionnelle, et il résulte de ce qui a été dit au point 4 que ses liens avec la France ne sont pas particulièrement intenses. Le requérant n'est donc pas fondé à soutenir que sa situation ne correspondrait à aucun des critères fixés par les dispositions de l'article L. 612-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

10. En troisième lieu, M. B... n'apporte aucune preuve des relations qu'il allègue entretenir avec ses enfants, lesquels ont au demeurant vocation à suivre leurs parents de nationalité algérienne, tous deux en situation irrégulière. S'il se prévaut de l'état de santé de sa mère de nationalité française, il ne ressort pas des pièces du dossier que cette dernière aurait besoin de son assistance, alors qu'elle réside avec son fils aîné titulaire d'un titre de séjour. Enfin, M. B... ne démontre pas se trouver dans l'impossibilité de vivre seul en Algérie en raison d'une prétendue fragilité psychologique. Ainsi, et alors que sa présence constitue une menace pour l'ordre public, l'existence de circonstances humanitaires justifiant qu'aucune interdiction de retour ne soit prise n'est pas établie.

11. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Limoges a rejeté sa demande. Par suite, ses conclusions à fin d'injonction et celles présentées au titre des frais exposés à l'occasion du litige doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... alias C... B... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer. Une copie en sera adressée au préfet de la Corrèze.

Délibéré après l'audience du 9 avril 2024 à laquelle siégeaient :

Mme Catherine Girault, présidente,

Mme Anne Meyer, présidente-assesseure,

M. Olivier Cotte, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 2 mai 2024.

La rapporteure,

Anne A...

La présidente,

Catherine GiraultLe greffier,

Fabrice Benoit

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, et à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

2

N° 23BX02944


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de BORDEAUX
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23BX02944
Date de la décision : 02/05/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme GIRAULT
Rapporteur ?: Mme Anne MEYER
Rapporteur public ?: Mme ISOARD
Avocat(s) : MOULAI

Origine de la décision
Date de l'import : 12/05/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-05-02;23bx02944 ?
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