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09/10/2008 | FRANCE | N°08DA00626

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, Juge des reconduites à la frontière, 09 octobre 2008, 08DA00626


Vu, la requête, enregistrée le 10 avril 2008 par courrier électronique au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai et régularisée les 14 et 16 avril 2008 par courrier original, présentée pour M. Allan X, demeurant ..., par Me Aydin-Izouli ; M. X demande au président de la Cour :

11) d'annuler le jugement n° 0800606, en date du 6 mars 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2008 du préfet de la Seine-Maritime prononçant à son égard une mesure de

reconduite à la frontière et désignant l'Irak comme pays de destination d...

Vu, la requête, enregistrée le 10 avril 2008 par courrier électronique au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai et régularisée les 14 et 16 avril 2008 par courrier original, présentée pour M. Allan X, demeurant ..., par Me Aydin-Izouli ; M. X demande au président de la Cour :

11) d'annuler le jugement n° 0800606, en date du 6 mars 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 3 mars 2008 du préfet de la Seine-Maritime prononçant à son égard une mesure de reconduite à la frontière et désignant l'Irak comme pays de destination de cette mesure et à ce qu'il soit enjoint au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir ledit arrêté de reconduite à la frontière et la désignation de l'Irak comme pays de renvoi ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Seine-Maritime de lui délivrer une autorisation provisoire de séjour ;

M. X soutient :

- qu'alors qu'il a formé une demande d'aide juridictionnelle dans le but d'introduire un pourvoi en cassation devant le Conseil d'Etat à l'encontre de la décision de la Commission des recours des réfugiés confirmant le refus qui lui a été opposé de l'admettre au statut de réfugié et au bénéfice de la protection subsidiaire, il devait être considéré comme un demandeur d'asile ; qu'en prononçant néanmoins à son égard une mesure de reconduite à la frontière, le préfet de la

Seine-Maritime a entaché son arrêté d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'il comporte sur sa situation personnelle ;

- que si la Commission des recours des réfugiés a confirmé le rejet de sa demande d'asile qui lui avait été opposé par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides, elle a eu recours à l'une des clauses d'exclusion prévues par l'article 1er F, après avoir toutefois estimé établies ses craintes de persécutions en cas de retour dans son pays d'origine ; qu'un demandeur d'asile débouté sur un tel fondement ne saurait faire l'objet d'une mesure d'éloignement ; qu'ayant été, au cas d'espèce, impliqué malgré lui dans une vendetta familiale visant un membre du PDK, il s'est trouvé contraint de trouver refuge pendant plusieurs années parmi les membres du PKK, dont il a ensuite déserté les rangs ; que, dans ces conditions et compte tenu des éléments versés au dossier, il est suffisamment établi, contrairement à ce qu'a retenu à tort le premier juge, qu'un renvoi vers l'Irak l'exposerait à des traitements inhumains et dégradants prohibés par l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, voire mettrait sa vie en danger ; qu'il y aura donc lieu d'annuler pour ce motif la désignation de l'Irak comme pays de destination de la mesure de reconduite dont il fait l'objet ;

Vu le jugement et l'arrêté attaqués ;

Vu l'ordonnance, en date du 13 mai 2008, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Douai fixe la clôture de l'instruction au 13 juin 2008 ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 13 juin 2008 par télécopie et régularisé le

18 juin 2008 par courrier original, présenté par le préfet de la Seine-Maritime ; le préfet conclut au rejet de la requête ; le préfet soutient que la nationalité de M. X n'a pas été aisée à déterminer, celui-ci ayant successivement déclaré à l'administration être un ressortissant syrien, puis irakien, puis turc ; que les pièces versées au dossier font apparaître que les faits auxquels M. X fait référence pour tenter de démontrer la réalité des menaces dont il pourrait faire l'objet en cas de retour dans son pays d'origine remontent à plus de douze ans ;

Vu l'ordonnance, en date du 17 juin 2008, par laquelle le président de la Cour administrative d'appel de Douai décide la réouverture de l'instruction ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention de Genève du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 30 septembre 2008 :

- le rapport de M. André Schilte, président de la Cour ;

- et les conclusions de M. Jacques Lepers, commissaire du gouvernement ;

Considérant que, par arrêté en date du 3 mars 2008, le préfet de la Seine-Maritime a décidé de reconduire M. X, ressortissant irakien, né le 25 novembre 1980 et entré en France au cours du mois d'avril 2005, à la frontière, en se fondant sur les dispositions du 1° de l'article L. 511-1-II du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et a désigné l'Irak comme pays de destination de cette mesure ; que M. X forme appel du jugement, en date du 6 mars 2008, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande dirigée contre cet arrêté ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation :

En ce qui concerne la légalité de la mesure de reconduite à la frontière :

Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (...) II - L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (...) » ; que M. X, qui, ainsi qu'il a été dit, est arrivé en France au cours du mois d'avril 2005, n'a toutefois pas été en mesure de justifier d'une entrée régulière et n'était titulaire d'aucun titre de séjour ; qu'il entrait ainsi dans le cas visé par les dispositions précitées autorisant le préfet de la Seine-Maritime à décider, par l'arrêté attaqué, qu'il serait reconduit à la frontière ;

Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'étranger auquel la reconnaissance de la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire a été définitivement refusé et qui ne peut être autorisé à demeurer sur le territoire à un autre titre, doit quitter le territoire français, sous peine de faire l'objet d'une mesure d'éloignement prévue au titre Ier du livre V et, le cas échéant, des pénalités prévues au chapitre Ier du titre II du livre VI » ; qu'il ressort des pièces du dossier que, par décision en date du

25 mai 2005, l'Office français de protection des réfugiés et apatrides a refusé, en faisant application des stipulations de l'article 1er F b de la convention de Genève et des dispositions de l'article

L. 712-2 b) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, de reconnaître à

M. X le statut de réfugié et de lui accorder le bénéfice de la protection subsidiaire, au motif qu'il existait de sérieuses raisons de penser que l'intéressé s'était rendu coupable de crimes graves de droit commun au sens de ces stipulations et dispositions ; que, par une décision du 2 novembre 2007, qui est définitive, la Commission des recours des réfugiés a rejeté, pour le même motif, le recours formé par M. X à l'encontre de ce refus ; que, dans ces conditions, la circonstance, à la supposer même établie, que l'intéressé se serait pourvu en cassation contre cette dernière décision, n'était pas de nature, eu égard aux dispositions précitées de l'article L. 742-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et à l'absence de caractère suspensif de ce pourvoi, à faire obstacle, pas davantage que le motif retenu par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides et la Commission des recours des réfugiés, pour rejeter sa demande d'asile, à ce qu'une mesure de reconduite à la frontière soit prise à son égard ; que, dès lors, la mesure de reconduite à la frontière attaquée n'est entachée ni d'erreur de droit, ni, en tout état de cause, d'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences qu'elle comporte sur la situation personnelle de l'intéressé ;

En ce qui concerne la légalité de la désignation du pays de destination de cette mesure :

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. X a été le complice de son frère dans l'assassinat, en 1996, d'un sympathisant du parti démocratique du Kurdistan (PDK) irakien, meurtrier de son oncle, dans le cadre d'une vendetta ; que si, comme le fait observer le préfet, l'ancienneté de ces faits permet de relativiser la réalité et le caractère actuel des risques encourus à ce titre par l'intéressé, il est cependant établi, par ailleurs, par les éléments du dossier que M. X, qui a trouvé refuge dès 1996 auprès des membres du parti des travailleurs du Kurdistan (PKK) et a ensuite combattu durant plusieurs années à leurs côtés, a finalement déserté leurs rangs en septembre 2004, après leur avoir subtilisé des fonds pour financer son départ ; que ces éléments, notamment le récit circonstancié de l'intéressé et les lettres de sa mère et de sa soeur versées au dossier, permettent de tenir pour établi que M. X risquerait d'être inquiété, notamment par les membres du PKK, en cas de retour en Irak et ne pourrait raisonnablement espérer une protection de la part des autorités locales ; que la réalité et le caractère actuel de ces risques ont d'ailleurs été reconnus tant par l'Office français de protection des réfugiés et apatrides à deux reprises que par la Commission des recours des réfugiés, la demande d'asile formée par l'intéressé ayant été rejetée, ainsi qu'il a été dit, en faisant application des cas d'exclusion prévus par les stipulations de l'article 1er F b de la convention de Genève et les dispositions de l'article L. 712-2 b) du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ; que, dans les circonstances particulières de l'espèce, la décision attaquée doit être regardée comme ayant été prise en méconnaissance des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. X est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen a rejeté les conclusions de sa demande dirigées contre la décision du 3 mars 2008 désignant le pays de destination de la mesure de reconduite à la frontière prise le même jour à son égard ;

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

Considérant que la présente décision, qui se borne à annuler la décision désignant le pays de destination de la mesure de reconduite à la frontière prise à l'égard de M. X, n'implique pas qu'une autorisation provisoire de séjour soit délivrée à l'intéressé, ni même que l'administration procède à un nouvel examen de sa situation au regard du droit au séjour ; que, dès lors, les conclusions aux fins d'injonction présentées par M. X doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0800606 du magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Rouen en date du 6 mars 2008 est annulé en tant qu'il rejette les conclusions de la demande de M. X dirigées contre la décision désignant le pays de destination de la mesure de reconduite prise le 3 mars 2008 à son égard.

Article 2 : L'arrêté du préfet de la Seine-Maritime en date du 3 mars 2008 est annulé en tant qu'il désigne le pays de destination de la mesure de reconduite à la frontière prise le même jour à l'égard de M. X.

Article 3 : Le surplus des conclusions de la requête de M. X est rejeté.

Article 4 : La présente décision sera notifiée à M. Allan X et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

Copie sera transmise au préfet de la Seine-Maritime.

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : Juge des reconduites à la frontière
Numéro d'arrêt : 08DA00626
Date de la décision : 09/10/2008
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. André Schilte
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : AYDIN-IZOULI

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2008-10-09;08da00626 ?
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