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15/06/2010 | FRANCE | N°09DA00256

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (bis), 15 juin 2010, 09DA00256


Vu, I, sous le n° 09DA00256, le recours, enregistré le 18 février 2009, du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701120 du 27 janvier 2009 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a annulé, à la demande de M. A, l'ordonnance du 12 avril 2007 du président du Tribunal administratif d'Amiens mettant à la charge de celui-ci les frais de l'expertise ordonnée sur sa demande le 11 janvier 2007 et a mis lesdits frais d'expertise à la charge de l'Etat ;

2°) de rejeter la de

mande présentée par M. A devant le Tribunal administratif d'Amiens ;

Le...

Vu, I, sous le n° 09DA00256, le recours, enregistré le 18 février 2009, du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ; le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0701120 du 27 janvier 2009 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a annulé, à la demande de M. A, l'ordonnance du 12 avril 2007 du président du Tribunal administratif d'Amiens mettant à la charge de celui-ci les frais de l'expertise ordonnée sur sa demande le 11 janvier 2007 et a mis lesdits frais d'expertise à la charge de l'Etat ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A devant le Tribunal administratif d'Amiens ;

Le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, soutient que les frais et honoraires des experts sont, en principe, supportés par le demandeur ; qu'en l'occurrence c'est M. A qui a sollicité du président du tribunal administratif la désignation d'un expert ; qu'en outre, dans le cadre de l'examen du litige au fond par la juridiction de première instance, le ministre a conclu au rejet des prétentions indemnitaires de l'intéressé ; que c'est à tort que les premiers juges ont considéré, en se fondant sur les seuls éléments tirés du rapport d'expertise, que la taxation provisoire des frais d'expertise devait être mise à la charge de l'Etat ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire en défense, enregistré par télécopie le 6 décembre 2009 et régularisé par la production de l'original le 8 décembre 2009, présenté pour M. A, demeurant ..., par le cabinet Ivaldi, Soubré, de Gueroult, qui conclut au rejet du recours du GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ; M. A soutient que le rapport déposé par l'expert concluait à l'inadaptation du centre de détention de Liancourt à son handicap ; que le caractère inadapté du centre de détention de Liancourt à l'accueil de détenu handicapé a été également reconnu par les juges judiciaires qui ont décidé de suspendre l'exécution de sa peine pour ce motif ; que, dès lors, les premiers juges étaient fondés, comme le permettent les dispositions de l'article R. 621-13 du code de justice administrative, à mettre à la charge de l'Etat les frais d'expertise ;

Vu, II, sous le n° 10DA00006, la requête enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Douai par télécopie le 5 janvier 2010 et régularisée par la production de l'original le 11 janvier 2010, présentée pour M. Olivier B, demeurant ..., par Me Soubre-M'Barki ; M. B demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0702134 du 5 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à ce que l'Etat soit condamné à lui verser la somme de 48 450 euros en réparation du préjudice subi à raison des conditions de son incarcération au centre de détention de Liancourt ;

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 125 850 euros ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 4 000 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

M. B soutient que le rapport d'expertise a établi que ses conditions de détention n'étaient pas conformes avec les normes exigibles pour l'accueil des personnes handicapées ; que de nombreux rapports, notamment de l'observatoire international des prisons et de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales de l'Oise, font état de la vétusté du centre de détention de Liancourt ; que les juges judiciaires ont suspendu l'exécution de sa peine en raison de l'inadaptation du centre de détention de Liancourt à son handicap et de l'impossibilité de le transférer vers un centre de détention adapté faute de place disponible ; que l'Etat était conscient du caractère inadapté des lieux puisque le 16 novembre 2007 le garde des Sceaux lui a proposé une transaction en échange du désistement de son action ; que l'administration pénitentiaire a donc commis une faute en le plaçant en détention dans un établissement inadapté à son handicap et en refusant son transfert vers un autre centre de détention ; que son préjudice peut valablement être évalué à la somme de 150 euros par jour de détention ; que la durée totale de sa détention à Liancourt est de 839 jours ;

Vu l'ordonnance en date du 26 janvier 2010 fixant la clôture de l'instruction au 26 avril 2010 ;

Vu le mémoire, enregistré par télécopie le 16 avril 2010 et régularisé par la production de l'original le 26 avril 2010, présenté par le ministre de la justice, qui conclut au rejet de la requête ; le ministre soutient que la requête est irrecevable faute de présenter des moyens d'appel propres à mettre la Cour en mesure de se prononcer sur le jugement de première instance ; que les conditions de détentions de M. B n'étaient pas contraires aux stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que la proposition de transaction ne saurait valoir reconnaissance de responsabilité de la part de l'Etat ; que les prétentions indemnitaires sont surévaluées ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu le code de procédure pénale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique le rapport de M. Jean-Marc Guyau, premier conseiller, les conclusions de M. Jacques Lepers, rapporteur public et les parties présentes ou représentées ayant été invitées à présenter leurs observations, Me Soubre-M'Barki, pour M. B ;

Considérant que les requêtes n° 09DA00256 présentée par le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE et n° 10DA00006 présentée pour M. B présentent à juger des questions semblables et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Sur les conclusions indemnitaires présentées par M. B :

Considérant que M. B, paraplégique et se déplaçant à l'aide d'un fauteuil roulant, a été détenu du 2 octobre 2006 au 2 septembre 2008 puis du 9 septembre 2008 au 17 avril 2009 au centre de détention de Liancourt ; qu'il a demandé que l'Etat soit condamné à lui verser une indemnité en raison des conditions de sa détention dans cet établissement, qu'il estime contraires au principe de respect de la dignité humaine, mettant en cause l'inadaptation de ce centre de détention à son handicap ; que M. B relève appel du jugement en date du 5 novembre 2009 par lequel le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande ;

Sur la fin de non-recevoir opposée par le ministre de la justice :

Considérant que la requête de M. B, qui ne constitue pas la seule reproduction littérale de sa demande présentée au Tribunal administratif d'Amiens, contient l'exposé des faits et des moyens ainsi que l'énoncé des conclusions soumises à la Cour ; qu'elle est, par suite, suffisamment motivée ; que, dès lors, la fin de non-recevoir opposée par le MINISTRE DE LA JUSTICE, tirée du défaut de motivation de la requête, doit être écartée ;

Sur la responsabilité :

Considérant qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ; qu'aux termes de l'article D. 83 du code de procédure pénale : Le régime appliqué dans les maisons d'arrêt est celui de l'emprisonnement individuel de jour et de nuit dans toute la mesure où la distribution des lieux le permet et sauf contre-indication médicale (...) ; qu'aux termes de l'article D. 189 du même code : A l'égard de toutes les personnes qui lui sont confiées par l'autorité judiciaire, à quelque titre que ce soit, le service public pénitentiaire assure le respect de la dignité inhérente à la personne humaine et prend toutes les mesures destinées à faciliter leur réinsertion sociale ;

Considérant que, le 17 avril 2009, la Cour d'appel de Douai a suspendu la peine prononcée à l'encontre de M. B en raison de l'inadaptation de la prison de Liancourt à l'incarcération d'un détenu se déplaçant en fauteuil roulant et de l'impossibilité pour l'administration pénitentiaire de proposer un établissement adapté à l'état de santé de celui-ci ; qu'il résulte de l'instruction et notamment du rapport d'expertise enregistré au greffe du Tribunal administratif d'Amiens le 4 avril 2004, que, d'une part, l'exiguïté de la cellule de M. B lui permettait difficilement de se mouvoir à l'intérieur de celle-ci et d'accéder aux toilettes alors que les seuls sanitaires adaptés aux handicapés se situaient dans la bibliothèque de l'établissement pénitentiaire et que, d'autre part, la disposition des lieux rendait très difficiles ses déplacements à l' intérieur de l'établissement, lui imposant de recourir à une aide ; que, par suite, nonobstant l'avis du médiateur de la République en date du 28 juillet 2008, compte tenu de la durée de sa présence au centre pénitentiaire de Liancourt, M. B est fondé à soutenir que sa détention dans cet établissement pénitentiaire non adapté à son état de santé et la perte d'autonomie qu'il a subie sont constitutives d'une atteinte à sa dignité, en méconnaissance tant des stipulations précitées de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales que des dispositions sus-rappelées du code de procédure pénale ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. B est fondé à soutenir que ses conditions de détentions étaient constitutives d'une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à son égard et que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le Tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande indemnitaire ;

Sur le préjudice :

Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il sera fait une juste appréciation du préjudice moral qu'il a subi en lui allouant une somme de 9 000 euros ;

Sur les frais d'expertise :

Considérant qu'aux termes de l'article R. 761-1 du code de justice administrative : Les dépens comprennent les frais d'expertise, d'enquête et de toute autre mesure d'instruction dont les frais ne sont pas à la charge de l'Etat. Sous réserve de dispositions particulières, ils sont mis à la charge de toute partie perdante sauf si les circonstances particulières de l'affaire justifient qu'ils soient mis à la charge d'une autre partie ou partagés entre les parties ;

Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de mettre les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 527 euros, à la charge de l'Etat ; que, par voie de conséquence, le GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE n'est pas fondé, dans l'instance n° 09DA00256 à demander que ces frais soient mis à la charge de M. B ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. B dans la présente instance et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du Tribunal administratif d'Amiens du 5 novembre 2009 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. B une somme de 9 000 euros en réparation de son préjudice.

Article 3 : Les frais d'expertise, taxés et liquidés à la somme de 1 527 euros, sont mis à la charge de l'Etat.

Article 4 : L'Etat versera à M. B une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions des parties est rejeté.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE ET DES LIBERTES et à M. Olivier B.

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Nos 09DA00256,10DA00006


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 09DA00256
Date de la décision : 15/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Mulsant
Rapporteur ?: M. Jean-Marc Guyau
Rapporteur public ?: M. Lepers
Avocat(s) : CABINET IVALDI - SOUBRE - DE GUEROULT ; CABINET IVALDI - SOUBRE - DE GUEROULT ; SOUBRE-M'BARKI

Origine de la décision
Date de l'import : 22/01/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2010-06-15;09da00256 ?
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