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06/11/2014 | FRANCE | N°13DA00411

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (bis), 06 novembre 2014, 13DA00411


Vu la requête, enregistrée le 26 mars 2013, présentée pour Me B...A..., agissant en qualité de liquidateur de la société SA Seafrance, demeurant..., par Me Christian Lahami ;

Me A...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1104437 du 29 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité à 300 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en qualité de liquidateur de la société SA Seafrance ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 721 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2

009 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 11 mai 2010, en réparation des préju...

Vu la requête, enregistrée le 26 mars 2013, présentée pour Me B...A..., agissant en qualité de liquidateur de la société SA Seafrance, demeurant..., par Me Christian Lahami ;

Me A...demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1104437 du 29 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité à 300 000 euros la somme que l'Etat a été condamné à lui verser en qualité de liquidateur de la société SA Seafrance ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 721 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 11 mai 2009 et la capitalisation de ces intérêts à compter du 11 mai 2010, en réparation des préjudices subis en raison du blocage du port de Calais les 14, 15 et 16 avril 2009 ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 6 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

.........................................................................................................

Vu les notes en délibéré enregistrées le 23 octobre 2014, présentées pour MeA... ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code civil ;

Vu le code maritime ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu la décision du 8 octobre 2014 du président de la cour désignant M. Laurent Domingo pour exercer les fonctions de rapporteur public à l'audience du 23 octobre 2014 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- les conclusions de M. Laurent Domingo, rapporteur public,

- et les observations de Me Christian Lahami, avocat de MeA... ;

1. Considérant que, suite au blocage par des marins-pêcheurs du port de Calais, le 14 avril 2009, entre 16 h 00 et 22 h 00, et le 15 avril 2009, entre 6 h 55 et 21 h 00, la société SA Seafrance, qui exploitait une ligne de transport maritime de personnes et de marchandises entre les ports de Calais et de Douvres, a demandé à l'Etat de l'indemniser des préjudices qu'elle a subis ; que MeA..., agissant en qualité de liquidateur de la société SA Seafrance, relève appel du jugement en date du 29 janvier 2013 par lequel le tribunal administratif de Lille a limité la condamnation de l'Etat à la somme de 300 000 euros, en réparation de la perte de bénéfice, du préjudice moral et de l'atteinte à l'image subis par la société SA Seafrance en raison du blocage du port de Calais le 15 avril 2009 ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant qu'il résulte de la minute du jugement que contrairement à ce que soutient la société SA Seafrance, le tribunal administratif a visé son mémoire enregistré le 24 février 2012, et en a analysé les moyens ;

3. Considérant que lorsqu'il est saisi, postérieurement à la clôture de l'instruction et au prononcé des conclusions du rapporteur public, d'une note en délibéré émanant de l'une des parties à l'instance, il appartient dans tous les cas au juge administratif d'en prendre connaissance avant la séance au cours de laquelle sera rendue la décision ; que, s'il a toujours la faculté, dans l'intérêt d'une bonne justice, de rouvrir l'instruction et de soumettre au débat contradictoire les éléments contenus dans la note en délibéré, il n'est tenu de le faire à peine d'irrégularité de sa décision que si cette note contient soit l'exposé d'une circonstance de fait dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et que le juge ne pourrait ignorer sans fonder sa décision sur des faits matériellement inexacts, soit d'une circonstance de droit nouvelle ou que le juge devrait relever d'office ; que si la société SA Seafrance a produit une note en délibéré enregistrée le 17 janvier 2013, cette note, visée par le jugement attaqué, se bornait à développer les conditions d'engagement de la responsabilité de l'Etat en cas de faute dans l'usage de ses pouvoirs de police administrative, qu'elles avaient déjà énoncées dans la requête introductive d'instance ; que le tribunal administratif n'avait dès lors pas à rouvrir l'instruction et à communiquer cette note à la partie adverse ;

4. Considérant que si la société SA Seafrance soutient que le tribunal a omis de statuer sur le moyen tiré de ce que l'abstention à prévenir le blocage du port dès le 14 avril 2009 constituait une faute, il est constant que le jugement répond expressément à ce moyen dans son point 4 et statue, en outre, dans les points 4 à 6 sur le principe de l'engagement de la responsabilité pour faute de l'Etat ;

5. Considérant qu'enfin, si la requérante fait grief aux premiers juges d'avoir dénaturer les faits, commis des erreurs de droit ou d'appréciation, ces critiques doivent être regardées comme se rattachant au principe de l'engagement de la responsabilité de l'Etat, et ne peuvent, par suite, qu'être écartées au regard des conclusions relatives à la régularité du jugement ;

Sur la responsabilité :

En ce qui concerne la responsabilité sans faute :

6. Considérant que l'impossibilité pour un navire de commerce d'entrer dans un port français normalement ouvert au trafic ou d'en sortir en raison de barrages établis par des tiers pour appuyer des revendications professionnelles ne saurait être regardée comme un aléa normal du commerce maritime ; que cependant le préjudice subi par la société requérante, eu égard à la brièveté du blocage constaté, ne présente pas le caractère de gravité permettant de le regarder comme une charge n'incombant pas normalement aux exploitants ou usagers du port ;

En ce qui concerne la responsabilité pour faute :

S'agissant de la promesse non tenue :

7. Considérant que, contrairement à ce que soutient la société SA Seafrance, il ne résulte pas de l'instruction que l'Etat se soit engagé à empêcher tout blocage du port ; qu'ainsi, lors d'une réunion organisée le 29 septembre 2008 par la chambre de commerce et d'industrie, le sous-préfet de Calais s'est borné à indiquer que l'Etat mettrait " en oeuvre les moyens adéquats pour mettre fin, le plus rapidement possible, à un éventuel blocage " ; que, par suite, la société SA Seafrance n'est pas fondée à soutenir que la responsabilité de l'Etat serait engagée à raison d'une promesse non tenue ;

S'agissant de la responsabilité pour faute dans l'usage des pouvoirs de police :

8. Considérant que les autorités de l'Etat chargées de l'exploitation et de la police des ports maritimes sont tenues, en principe, d'exercer les pouvoirs qu'elles tiennent de la législation en vigueur et notamment du livre III du code des ports maritimes, pour assurer aux usagers du domaine public portuaire une utilisation normale de ce domaine public ; que, toutefois, l'obligation qui leur incombe de maintenir ce domaine libre de tout obstacle trouve sa limite dans les nécessités de l'ordre public ;

9. Considérant qu'il ne résulte pas de l'instruction que le mouvement revendicatif des marins-pêcheurs de la région de Calais, destiné à protester contre les quotas de pêche, était prévisible plusieurs jours avant qu'il ne se produise et que les autorités chargées de la police de l'ordre public en avaient été dûment informées ; qu'en revanche, le blocage du port de Calais, le 15 avril 2009, avait été annoncé dès la veille au soir par les marins-pêcheurs ; qu'alors même qu'il était ainsi informé, le préfet du Pas-de-Calais s'est abstenu d'intervenir pour empêcher que les bateaux des marins-pêcheurs du port de Calais rejoignent les six navires provenant du port de Boulogne-sur-Mer qui initialement bloquaient seuls le port et auraient pu, eu égard à leur faible nombre, être facilement déplacés sans créer un risque sérieux de troubles graves à l'ordre public, pour que l'accès au port soit libéré ; que ce faisant, le préfet a commis une faute lourde de nature à engager la responsabilité de l'Etat au titre de la journée du 15 avril 2009 ; que la compagnie requérante justifie pour la première fois en appel que, si dès le 16 avril 2009 ses navires ont pu librement naviguer, les passagers, inquiets des risques de blocage, ne se sont présentés qu'en petit nombre ; que ce n'est que le 17 avril 2009 que les chiffres de fréquentation des navires de la compagnie sont revenus à un niveau normal ; qu'ainsi, et bien que le blocage ait cessé le 15 avril 2009 à 22 h 15, il existe un lien de causalité entre la carence fautive de l'Etat à faire cesser le blocage le 15 avril 2009 et la perte de fréquentation constatée le 16 avril 2009 ;

S'agissant de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement entre les usagers du service public et de la distorsion de concurrence entre les transporteurs :

10. Considérant que la circonstance alléguée que l'Etat aurait assuré de façon prioritaire, par l'envoi sur place de forces de police importantes, le libre accès au tunnel sous la manche, n'est pas de nature à engager sa responsabilité dès lors que la société SA Seafrance et Eurotunnel n'étaient pas placées dans des situations identiques ; que dans l'usage de ses pouvoirs de police le préfet du Pas-de-Calais n'a donc, en tout état de cause, ni méconnu le principe d'égalité de traitement entre les usagers du service public, ni provoqué une distorsion de concurrence entre les deux opérateurs de transport ;

11. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la société requérante est seulement fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a écarté la responsabilité de l'Etat au titre de la journée du 16 avril 2009 ;

Sur les préjudices :

En ce qui concerne la perte de bénéfice :

12. Considérant qu'il résulte de l'instruction et notamment de l'étude économique produite par la société requérante, qui n'est pas sérieusement contestée en défense, qu'elle a subi une perte d'un montant de 621 000 euros, pour les journées des 14, 15 et 16 avril 2009, correspondant aux pertes de marge brute sur les traversées qu'elle n'a pu effectuer, aux surcoûts supportés par la sous-traitance du transport de ses passagers par d'autres opérateurs, à l'utilisation de bus pour rapatrier ses personnels de Douvres et transporter ses clients, à la fourniture de repas et de boissons aux clients bloqués dans les ports de Calais et de Douvres, aux six opérations de déhalage de ses navires et au coût des constats d'huissiers effectués, déduction faite des frais, notamment de carburant, non engagés ; que compte tenu de ce qui a été dit aux points 9 et 11, il sera fait une juste appréciation du préjudice global ainsi subi au titre des seules journées des 15 et 16 avril 2009 en mettant à la charge de l'Etat le versement d'une indemnité de 414 000 euros ;

En ce qui concerne le préjudice moral et le préjudice tiré de l'atteinte portée à la réputation de la société requérante :

13. Considérant que la société SA Seafrance demande le versement d'une somme globale de 100 000 euros en réparation des préjudices susmentionnés ; qu'il sera fait une juste appréciation de ces préjudices en mettant à la charge de l'Etat le versement, au profit de la société requérante, d'une somme de 25 000 euros ;

14. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la société SA Seafrance est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif a condamné l'Etat à ne lui allouer que la somme de 300 000 euros ; qu'il convient de porter cette somme à 439 000 euros, sous déduction du paiement déjà effectué en exécution de l'ordonnance en date du 29 décembre 2011 du juge des référés du tribunal administratif de Lille allouant à la société SA Seafrance une provision de 300 000 euros, et de réformer le jugement en ce sens ;

Sur les intérêts demandés par la SA Seafrance :

15. Considérant que, lorsqu'ils ont été demandés, et quelle que soit la date de cette demande, les intérêts dus en application de l'article 1153 du code civil courent à compter du jour où la sommation de payer le principal est parvenue au débiteur ou, en l'absence d'une telle demande préalablement à la saisine du juge, à compter du jour de cette saisine ; que la SA Seafrance ne justifie pas de la date de notification de sa réclamation préalable en date du 11 mai 2009 au préfet du Pas-de-Calais ; que, toutefois, ce dernier, en rejetant partiellement ladite réclamation par une lettre en date du 19 août 2009, en a nécessairement eu connaissance, au plus tard, à cette date ; que, dans ces conditions, il y a lieu de fixer le point de départ des intérêts de l'indemnité due à la SA Seafrance à la date du 19 août 2009 ;

Sur la capitalisation des intérêts demandée par la SA Seafrance :

16. Considérant que la capitalisation des intérêts a été demandée le 1er aout 2011 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que, dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ;

18. Considérant, qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement, au profit de la SA Seafrance, d'une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DÉCIDE :

Article 1er : La somme de 300 000 euros que l'Etat a été condamné à verser à la société SA Seafrance par le jugement du 29 janvier 2013 du tribunal administratif de Lille est portée à 439 000 euros, sous déduction du paiement déjà effectué en exécution de l'ordonnance en date du 29 décembre 2011 du juge des référés dudit tribunal lui allouant une provision de 300 000 euros. Les sommes dues porteront intérêts au taux légal au 19 août 2009. Les intérêts échus à la date du 1er aout 2011 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés à chacune de ces dates pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 29 janvier 2013 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : L'Etat versera à la société SA Seafrance une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la société SA Seafrance est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Me B...A..., liquidateur de la société SA Seafrance, et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée pour information au préfet du Pas-de-Calais.

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N°13DA00411


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 13DA00411
Date de la décision : 06/11/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité sans faute - Responsabilité fondée sur l'égalité devant les charges publiques.

Responsabilité de la puissance publique - Responsabilité en raison des différentes activités des services publics - Services de police - Services de l'Etat - Abstention des forces de police.


Composition du Tribunal
Président : M. Nizet
Rapporteur ?: M. Olivier Nizet
Rapporteur public ?: M. Domingo
Avocat(s) : SELARL DEPINAY LAHAMI

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2014-11-06;13da00411 ?
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