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23/06/2015 | FRANCE | N°14DA01687

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3 (ter), 23 juin 2015, 14DA01687


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Rouen la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2006 en réparation du préjudice moral qu'il estimait avoir subi du fait de la destruction de l'une de ses oeuvres d'art.

Par un jugement n° 0703198 du 7 janvier 2010, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 10DA00305 du 19 mai 2011, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l

a requête tendant à l'annulation de ce jugement.

Par une décision n° 353168 du 15 octob...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A...C...a demandé au tribunal administratif de Rouen la condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros avec intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2006 en réparation du préjudice moral qu'il estimait avoir subi du fait de la destruction de l'une de ses oeuvres d'art.

Par un jugement n° 0703198 du 7 janvier 2010, le tribunal administratif de Rouen a rejeté cette demande.

Par un arrêt n° 10DA00305 du 19 mai 2011, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté la requête tendant à l'annulation de ce jugement.

Par une décision n° 353168 du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai et a renvoyé l'affaire devant cette cour.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 mars 2010, le 18 juin 2010, le 20 août 2010, le 23 septembre 2010, le 13 octobre 2010, le 15 janvier 2015 et le 19 février 2015, M. A... C..., représenté par MeB..., demande à la cour dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler le jugement n° 0703198 du 7 janvier 2010 du tribunal administratif de Rouen ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 30 000 euros, ainsi que les intérêts au taux légal à compter du 20 décembre 2006 et la capitalisation de ces intérêts en réparation du préjudice moral qu'il a subi ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 2 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la propriété intellectuelle ;

- la loi n° 2006-691 du 1er août 2006 ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Lavail Dellaporta, président-assesseur,

- et les conclusions de M. Marjanovic, rapporteur public.

1. Considérant que M. C..., artiste peintre professionnel, a demandé la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité en réparation du préjudice moral subi du fait de la destruction d'une fresque murale qu'il avait réalisée en 1978, alors qu'il effectuait son service national, à la caserne du 71ème régiment du génie située à Oissel ; qu'il a relevé appel du jugement du 7 janvier 2010 par lequel le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa demande ; que, par un arrêt du 19 mai 2011, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté son appel contre ce jugement ; que, par une décision du 15 octobre 2014, le Conseil d'Etat, statuant au contentieux, a annulé cet arrêt pour avoir donné aux faits une qualification juridique erronée et a renvoyé cette affaire à la cour ;

Sur l'exception de prescription quadriennale :

2. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'Etat, les départements, les communes et les établissements publics : " Sont prescrites, au profit de l'Etat, des départements et des communes, (...) toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis (...) " ; que l'article 3 de cette loi dispose que : " La prescription ne court ni contre le créancier qui ne peut agir, (...) ni contre celui qui peut être légitimement regardé comme ignorant l'existence de sa créance ou de la créance de celui qu'il représente légalement. " ;

3. Considérant qu'il résulte de l'instruction que la date à laquelle l'intéressé a eu connaissance de la destruction de la fresque qu'il avait peinte ne peut être déterminée avec certitude ; que par suite, il y a lieu d'écarter l'exception de prescription quadriennale soulevée par le ministre de la défense ;

Sur la responsabilité de l'Etat :

4. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 111-1 du code de la propriété intellectuelle, dans sa rédaction applicable en l'espèce : " L'auteur d'une oeuvre de l'esprit jouit sur cette oeuvre, du seul fait de sa création, d'un droit de propriété incorporelle exclusif et opposable à tous. Ce droit comporte des attributs d'ordre intellectuel et moral ainsi que des attributs d'ordre patrimonial, qui sont déterminés par les livres Ier et III du présent code. L'existence ou la conclusion d'un contrat de louage d'ouvrage ou de service par l'auteur d'une oeuvre de l'esprit n'emporte aucune dérogation à la jouissance du droit reconnu par l'alinéa 1er. " ; qu'aux termes de l'article L. 121-1 du même code : " L'auteur jouit du droit au respect de son nom, de sa qualité et de son oeuvre. / Ce droit est attaché à sa personne. / Il est perpétuel, inaliénable et imprescriptible. (...) " ;

5. Considérant, d'autre part, qu'antérieurement à l'entrée en vigueur de la loi susvisée du 1er août 2006, un agent public auteur d'une oeuvre jouissait de droits de propriété intellectuelle sur l'oeuvre dont la création était détachable du service ; qu'il en était ainsi, notamment, si cette oeuvre avait été faite en dehors du service et de toute commande du service ou si elle était sans rapport direct avec les fonctions exercées par l'auteur au sein du service ; que lorsque l'oeuvre, détachable du service, était indissociable d'un ouvrage public, son auteur ne pouvait prétendre à une intangibilité absolue de son oeuvre ou de l'édifice qui l'accueillait ; que, toutefois, le maître de l'ouvrage ne pouvait porter atteinte au droit de l'auteur de cette oeuvre en apportant des modifications à l'ouvrage que dans la seule mesure où elles étaient rendues strictement indispensables par des impératifs, notamment esthétiques, techniques ou de sécurité publique, légitimés par les nécessités du service public et notamment celles résultant de la destination de l'édifice ou de son adaptation à des besoins nouveaux ;

6. Considérant qu'il résulte de l'instruction que si la fresque murale, dont l'existence n'est pas sérieusement contestée, au titre de laquelle M. C...se prévaut de droits d'auteur a été réalisée par lui sur l'un des murs de la caserne alors affectée au régiment au sein duquel il effectuait son service militaire, avec l'accord du chef de corps, elle n'a toutefois pas été réalisée pour l'exécution de ses missions d'aspirant, chef de section ; que cette création était donc détachable du service auquel était astreint l'intéressé ; que l'Etat ne se prévaut d'aucun impératif technique, esthétique, ou de sécurité publique lié aux nécessités du service public justifiant la destruction de la fresque ; que l'Etat a ainsi porté une atteinte illégale à l'oeuvre de M. C..., constitutive d'une faute de nature à engager la responsabilité de la personne publique ;

Sur le préjudice :

7. Considérant qu'il sera fait une juste appréciation de l'atteinte portée au droit moral du requérant sur son oeuvre en condamnant l'Etat à verser à M. C... la somme de 3 000 euros ;

Sur les intérêts et la capitalisation :

8. Considérant que M. C... a droit aux intérêts au taux légal correspondant à l'indemnité de 3 000 euros à compter du 8 janvier 2007, date de réception de sa demande par le ministre de l'intérieur ;

9. Considérant que la capitalisation de ces intérêts a été demandée le 15 janvier 2015 ; qu'à cette date, il était dû au moins une année d'intérêts ; que dès lors, conformément aux dispositions de l'article 1154 du code civil, il y a lieu de faire droit à cette demande ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. C... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté sa requête ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

11. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat le versement à M. C...d'une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0703198 du tribunal administratif de Rouen du 7 janvier 2010 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. C... la somme de 3 000 euros. Cette somme portera intérêts au taux légal à compter du 8 janvier 2007. Les intérêts échus à la date du 15 janvier 2015 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à M. C... la somme de 1 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de M. C... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. A... C..., au ministre de la défense et au ministre de l'intérieur.

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N°14DA01687


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 14DA01687
Date de la décision : 23/06/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Droits civils et individuels - Droit de propriété - Propriété littéraire et artistique.

Procédure - Introduction de l'instance - Délais - Point de départ des délais.


Composition du Tribunal
Président : M. Hoffmann
Rapporteur ?: M. Marc Lavail Dellaporta
Rapporteur public ?: M. Marjanovic
Avocat(s) : CABINET D'AVOCATS MEZERAC - CHEVRET et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 06/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2015-06-23;14da01687 ?
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