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23/10/2015 | FRANCE | N°13DA02138

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 2e chambre - formation à 3, 23 octobre 2015, 13DA02138


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1100265 du 3 octobre 2013, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par un recours et un mémoire, enregistrés le 20 décembre 2013 et le 2 février 2015, le ministre

délégué chargé du budget demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administrati...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. et Mme C...ont demandé au tribunal administratif d'Amiens la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 et des pénalités correspondantes.

Par un jugement n° 1100265 du 3 octobre 2013, le tribunal administratif d'Amiens a fait droit à leur demande.

Procédure devant la cour :

Par un recours et un mémoire, enregistrés le 20 décembre 2013 et le 2 février 2015, le ministre délégué chargé du budget demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 3 octobre 2013 ;

2°) de remettre l'imposition en litige à la charge de M. et MmeC... ;

3°) d'ordonner la restitution de la somme de 1 500 euros mise à la charge de l'Etat au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des impôts et le livre des procédures fiscales ;

- le code civil ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Domingo, premier conseiller,

- les conclusions de M. Guyau, rapporteur public,

- et les observations de MeB..., représentant M. et MmeC....

1. Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. et Mme C...et leurs deux filles ont créé, le 7 novembre 1992, la société DAJA en faisant apport des titres qu'ils détenaient dans la société de distribution du Beauvais (SDB) dont l'objet est l'exploitation d'un supermarché sous l'enseigne Leclerc ; qu'à cette occasion, M. et Mme C...ont déclaré avoir réalisé une plus-value dont ils ont demandé le report d'imposition sur le fondement des dispositions alors en vigueur du II de l'article 92 B du code général des impôts ; que, par acte du 17 novembre 2000, M. et Mme C...ont fait donation à leurs deux filles de la pleine propriété de 6 062 titres de la société DAJA, de la nue-propriété de 24 738 titres de cette société et de la nue-propriété des 950 titres de la société Petit Ther dont l'objet est la gestion des immeubles servant à l'exploitation du supermarché Leclerc ; que le 30 novembre 2000, les membres de la famille C...ont cédé l'intégralité des titres qu'ils détenaient dans ces sociétés à la société Auchan ; qu'au terme d'un examen contradictoire de leur situation fiscale personnelle, M. et Mme C...ont été imposés au titre de l'année 2000, après que l'administration a écarté comme ne lui étant pas opposable, en vertu de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales, la donation-partage du 17 novembre 2000, sur l'ensemble des plus-values réalisées à l'occasion de la cession des titres des sociétés DAJA et Petit Ther, y compris celle résultant de la fin du report d'imposition dont ils avaient bénéficié, en 1992, lors de l'apport de titres de la société SDB à la société DAJA ; que le ministre délégué chargé du budget relève appel du jugement du 3 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge, au profit de M. et MmeC..., des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales ainsi que des pénalités correspondantes auxquelles ils ont été assujettis au titre de l'année 2000 ;

Sur l'abus de droit :

2. Considérant qu'aux termes de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales dans sa rédaction applicable au litige : " Ne peuvent être opposés à l'administration des impôts les actes qui dissimulent la portée véritable d'un contrat ou d'une convention à l'aide de clauses : (...) qui déguisent soit une réalisation, soit un transfert de bénéfices ou de revenus (...) / L'administration est en droit de restituer son véritable caractère à l'opération litigieuse. En cas de désaccord sur les rectifications notifiées sur le fondement du présent article, le litige est soumis, à la demande du contribuable, à l'avis du comité consultatif pour la répression des abus de droit. L'administration peut également soumettre le litige à l'avis du comité dont les avis rendus feront l'objet d'un rapport annuel / Si l'administration ne s'est pas conformée à l'avis du comité, elle doit apporter la preuve du bien-fondé de la rectification " ;

3. Considérant qu'il résulte de ces dispositions que lorsque l'administration use des pouvoirs que lui confère ce texte dans des conditions telles que la charge de la preuve lui incombe, elle est fondée à écarter comme ne lui étant pas opposables certains actes passés par le contribuable dès lors qu'elle établit que ces actes ont un caractère fictif, ou bien, à défaut, recherchent le bénéfice d'une application littérale des textes à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs et n'ont pu être inspirés par aucun motif autre que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, s'il n'avait pas passé ces actes, aurait normalement supportées eu égard à sa situation et à ses activités réelles ;

4. Considérant que le comité consultatif pour la répression des abus de droit, dans sa séance du 12 décembre 2006, a émis un avis défavorable au maintien des redressements notifiés par l'administration ; que le service ne s'étant pas conformé à cet avis, il appartient à l'administration d'apporter la preuve de l'existence d'un abus de droit ;

5. Considérant qu'aux termes de l'article 894 du code civil : " La donation entre vifs est un acte par lequel le donateur se dépouille actuellement et irrévocablement de la chose donnée, en faveur du donataire qui l'accepte. " ; que dès lors qu'un acte revêt le caractère d'une donation au sens de ces dispositions, l'administration ne peut le regarder comme n'ayant pu être inspiré par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que son auteur, s'il ne l'avait pas passé, aurait normalement supportées ; qu'elle n'est, par suite, pas fondée à l'écarter comme ne lui étant pas opposable sur le fondement de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ; qu'en revanche, l'administration peut écarter sur ce fondement un acte qui, présenté comme une donation, ne se traduit pas par un dépouillement immédiat et irrévocable de son auteur ;

6. Considérant qu'aux termes de l'article 900-1 du code civil : " Les clauses d'inaliénabilité affectant un bien donné ou légué ne sont valables que si elles sont temporaires et justifiées par un intérêt sérieux et légitime " ; que la circonstance qu'un acte de disposition soit assorti d'une clause d'inaliénabilité la vie durant du donateur ne lui ôte pas son caractère de donation au sens du code civil ; que, par suite, la circonstance que l'acte de donation du 17 novembre 2000 comporte une clause faisant interdiction aux donataires d'aliéner ou de nantir, jusqu'au décès du conjoint survivant, les titres donnés en nue-propriété, sauf accord des donateurs, n'est pas de nature à remettre en cause la volonté de M. et Mme C...de donner leur patrimoine à leurs enfants ;

7. Considérant que si la clause de remploi contenue dans l'acte de donation du 17 novembre 2000, sur le fondement de laquelle les intéressés ont conclu, le 30 novembre 2000, une convention de remploi, prévoyait que M. et Mme C...avaient la liberté de procéder à tout remploi du prix de la cession simultanée en usufruit et en nue-propriété des titres donnés à leurs filles, elle imposait que le démembrement de propriété affectant ces titres soit reporté sur le prix de cession puis sur les biens acquis par le remploi ; qu'à cet égard, il résulte de l'instruction que M. et MmeC..., qui ne se sont pas réappropriés les sommes issues de la vente des titres des sociétés DAJA et Petit Ther, ont décidé de souscrire avec leurs filles, en remploi du produit de la cession des titres à la société Auchan, des contrats de capitalisation en leur appliquant les mêmes conditions de démembrement de propriété que celles affectant les titres vendus ;

8. Considérant que les pouvoirs de gestion reconnus aux donateurs et les restrictions apportées aux droits des donataires nues-propriétaires par la convention de remploi du 30 novembre 2000, appliqués aux contrats de capitalisation, n'affectent pas le droit de propriété des donataires ; qu'en particulier, si M. et Mme C...peuvent, compte tenu des termes de la convention de remploi du 30 novembre 2000, être regardés comme des quasi-usufruitiers sur les sommes déposées sur ces contrats, il est constant qu'ils sont redevables, à l'égard des nues-propriétaires, d'une créance de restitution d'un montant équivalent ; qu'ainsi, et alors même que la créance de restitution n'est pas assortie d'une sûreté, M. et Mme C...se sont effectivement dessaisis des titres ayant fait l'objet de la donation ;

9. Considérant que la modification, le jour de la donation, des statuts de la société DAJA, en vue de transférer le droit de vote lors des assemblées générales extraordinaires des donataires nues-propriétaires aux donateurs usufruitiers, n'est pas de nature, alors notamment qu'elle n'a pas eu pour effet de priver les nues-propriétaires de leur qualité d'associées, à remettre en cause l'intention libérale des donateurs ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que l'acte de donation du 17 novembre 2000 a consisté en un dépouillement immédiat et irrévocable de M. et Mme C... dès la signature de cet acte ; qu'ainsi, et alors que la rapidité avec laquelle est intervenue la cession des titres donnés est sans incidence par elle-même sur le caractère de cette donation, l'administration n'apporte pas la preuve de ce que la donation-partage suivie de la cession des titres était constitutive d'un abus de droit au sens des dispositions précitées de l'article L. 64 du livre des procédures fiscales ;

Sur la demande de substitution de base légale présentée par l'administration :

11. Considérant que l'administration peut, à tout moment de la procédure contentieuse, y compris pour la première fois en appel, invoquer tout moyen nouveau propre à donner un fondement légal à une imposition contestée devant le juge de l'impôt, à la condition qu'elle ne prive pas le contribuable des garanties de procédure prévues par la loi ; que le ministre demande que les plus-values réalisées lors de la cession des titres des sociétés DAJA et Petit Ther soient imposées à l'impôt sur le revenu au nom de M. et Mme C...sur le fondement des dispositions des articles 150-0 A et suivants du code général des impôts ;

12. Considérant qu'aux termes de l'article 150-0 A du code général des impôts, dans sa version alors applicable : " I. 1. Sous réserve des dispositions propres aux bénéfices industriels et commerciaux, aux bénéfices non commerciaux et aux bénéfices agricoles ainsi que de l'article 150 A bis, les gains nets retirés des cessions à titre onéreux, effectuées directement ou par personne interposée, de valeurs mobilières, de droits sociaux, de titres mentionnés au 1° de l'article 118 et aux 6° et 7° de l'article 120, de droits portant sur ces valeurs, droits ou titres ou de titres représentatifs des mêmes valeurs, droits ou titres, sont soumis à l'impôt sur le revenu (...) " ;

13. Considérant que dans l'hypothèse où des titres ont fait l'objet d'une donation avec réserve d'usufruit au profit du donateur, puis ont été cédés en pleine propriété, avec l'accord de l'usufruitier, par le nu-propriétaire, le produit de la cession étant effectivement réemployé dans des titres eux-mêmes démembrés du fait d'un report d'usufruit au profit du donateur, le nu-propriétaire cédant, seul bénéficiaire du produit résultant de la cession des titres démembrés, est redevable de la plus-value nette réalisée à ce titre ;

14. Considérant qu'il résulte de l'acte de donation du 17 novembre 2000 que M. et Mme C... et leurs filles ont convenu, dans le cas où les titres donnés seraient vendus, simultanément en usufruit par les donateurs et en nue-propriété par les donataires, de reporter sur le prix de cession puis sur les biens acquis en remploi du prix de cession le droit d'usufruit dont jouissent M. et MmeC... ; qu'en application de ces stipulations, les titres de la société DAJA et de la société Petit Ther ont été cédés à la société Auchan, simultanément en nue-propriété et en usufruit ; que le produit de la cession de ces titres a fait l'objet, en décembre 2000 et janvier 2001, d'un remploi effectif par la souscription de contrats de capitalisation et le droit d'usufruit de M. et Mme C...a été reporté sur les valeurs de ces contrats ; que du fait de ce remploi effectif, M. et Mme C...ne peuvent être regardés comme redevables de l'imposition sur les plus-values réalisées à l'occasion de cette cession ; que, par suite, la demande de substitution de base légale présentée par l'administration ne peut être accueillie ;

15. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le ministre délégué chargé du budget n'est pas fondé à se plaindre que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a prononcé la décharge des cotisations supplémentaires d'impôt sur le revenu et de contributions sociales auxquelles M. et Mme C...ont été assujettis au titre de l'année 2000 ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

16. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation " ;

En ce qui concerne les frais exposés en première instance :

17. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le ministre délégué chargé du budget n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens a condamné l'Etat, qui était la partie perdante, à verser à M. et Mme C...une somme au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

En ce qui concerne les frais exposés en appel :

18. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. et Mme C...et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le recours du ministre délégué chargé du budget est rejeté.

Article 2 : L'Etat versera à M. et Mme C...une somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre des finances et des comptes publics et à M. et Mme A...C....

Copie sera adressée à l'administrateur général des finances publiques chargé de la direction spécialisée de contrôle fiscal Nord.

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N°13DA02138


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 2e chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13DA02138
Date de la décision : 23/10/2015
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

19-01-03-03 Contributions et taxes. Généralités. Règles générales d'établissement de l'impôt. Abus de droit et fraude à la loi.


Composition du Tribunal
Président : M. Nowak
Rapporteur ?: M. Edouard Nowak
Rapporteur public ?: M. Guyau
Avocat(s) : SELARL VAUBAN

Origine de la décision
Date de l'import : 03/11/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2015-10-23;13da02138 ?
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