La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

07/07/2016 | FRANCE | N°16DA00586-16DA00587

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3e chambre - formation à 3 (ter), 07 juillet 2016, 16DA00586-16DA00587


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 mars 2014 par laquelle le ministre de la défense a prononcé à titre disciplinaire la résiliation de son contrat d'engagement.

Par un jugement nos 1307470, 1403417 du 19 janvier 2016, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 23 mars 2016, sous le n° 16DA00586 le ministre de la défense demande à la

cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1403417 du 19 janvier 2016 du tribunal administratif de L...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. E...D...a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 12 mars 2014 par laquelle le ministre de la défense a prononcé à titre disciplinaire la résiliation de son contrat d'engagement.

Par un jugement nos 1307470, 1403417 du 19 janvier 2016, le tribunal administratif de Lille a annulé cette décision.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée le 23 mars 2016, sous le n° 16DA00586 le ministre de la défense demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1403417 du 19 janvier 2016 du tribunal administratif de Lille annulant sa décision du 12 mars 2014 prononçant, à titre disciplinaire, la résiliation du contrat d'engagement de M. D...et lui enjoignant de le réintégrer dans son emploi ;

2°) de rejeter les demandes présentées par M. D...devant le tribunal administratif de Lille ;

Il soutient que :

- les faits reprochés à M. D...constituent une atteinte grave au principe d'obéissance auquel sont soumis les militaires ;

- ils sont constitutifs d'une atteinte à l'honneur et à la dignité des forces armées ;

- ils sont de nature à justifier la prononciation d'une sanction disciplinaire ;

- la sanction disciplinaire de résiliation du contrat d'engagement de M. D...n'est pas disproportionnée au regard des faits qui lui sont reprochés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 27 mai 2016, M.D..., représenté par Me C...A..., conclut au rejet de la requête et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que les moyens présentés par le ministre de la défense ne sont pas fondés.

II. Par une requête enregistrée le 23 mars 2016, sous le n° 16DA00587, le ministre de la défense demande à la cour d'ordonner, sur le fondement de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à l'exécution du jugement nos 1307470,1403417 du 19 janvier 2016 du tribunal administratif de Lille ;

Il soutient qu'en l'état de l'instruction, les moyens qu'il soulève sont sérieux et que l'exécution du jugement risquerait d'entraîner des conséquences difficilement réparables.

Par un mémoire en défense, enregistré le 19 avril 2016, M.D..., représenté par Me C...A...conclut au rejet de la requête aux fins de sursis à l'exécution du jugement nos 1307470,1403417 et à ce que soit mise à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient qu'en l'état de l'instruction, les moyens soulevés par le ministre de la défense ne peuvent être regardés comme étant sérieux.

Vu les autres pièces des dossiers.

Vu :

- le code de la défense ;

- la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Albertini, président de chambre,

- les conclusions de Mme Maryse Pestka, rapporteur public.

1. Considérant que les deux requêtes visées ci-dessus tendent respectivement à l'annulation et au sursis à l'exécution du même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt ;

Sur les conclusions aux fins d'annulation du jugement :

2. Considérant que M.D..., militaire recruté sous contrat le 6 décembre 2005, a été nommé sergent à compter du 1er février 2010 et sert au sein du 41ème régiment de transmissions, à Douai ; qu'il lui est reproché d'avoir, le 10 octobre 2013, réalisé un geste polémique dit de la " quenelle ", alors qu'il participait en service à un cross réservé aux personnels militaires et civils de son régiment et d'autres unités de l'armée de terre ; que la réalisation de ce geste par M.D..., au milieu des participants à cette compétition, a été photographiée par la cellule de communication des armées ; que, dès le 11 octobre 2013, le chef de corps l'a suspendu de ses fonctions ; que le conseil d'enquête des armées, saisi de ce comportement, a émis, le 27 février 2014, un avis consultatif préconisant une sanction de quarante jours d'arrêts à l'encontre de M.D... ; que, par la décision en litige du 12 mars 2014, le ministre de la défense a prononcé la résiliation à titre disciplinaire de son contrat d'engagement ;

3. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article L. 4111-1 du code de la défense : " L'état militaire exige en toute circonstance (...) discipline, disponibilité, loyalisme et neutralité. Les devoirs qu'il comporte et les sujétions qu'il implique méritent le respect des citoyens et la considération de la Nation. " ; qu'aux termes de l'article L. 4121-1 du même code : " Les militaires jouissent de tous les droits et libertés reconnus aux citoyens. Toutefois, l'exercice de certains d'entre eux est soit interdit, soit restreint dans les conditions fixées au présent livre. " ; qu'aux termes de l'article L. 4121-2 de ce code : " Les opinions ou croyances, notamment philosophiques, religieuses ou politiques, sont libres. / Elles ne peuvent cependant être exprimées qu'en dehors du service et avec la réserve exigée par l'état militaire. " ; que, d'autre part, aux termes de l'article L. 4137-2 du code de la défense : " Les sanctions disciplinaires applicables aux militaires sont réparties en trois groupes : / (...) / 3° Les sanctions du troisième groupe sont : / a) Le retrait d'emploi, défini par les dispositions de l'article L. 4138-15 ; / b) La radiation des cadres ou la résiliation du contrat " ;

4. Considérant qu'il appartient au juge de l'excès de pouvoir, saisi de moyens en ce sens, de rechercher si les faits reprochés à un agent public ayant fait l'objet d'une sanction disciplinaire constituent des fautes de nature à justifier une sanction et si la sanction retenue est proportionnée à la gravité de ces fautes ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que M. D... ainsi que l'ensemble de ses camarades de troupe avaient reçu à plusieurs reprises l'ordre de leurs supérieurs directs, tant par voie écrite qu'oralement, leur interdisant en toute circonstance de réaliser le geste dit de la " quenelle ; que M. D...déclare avoir réalisé ce geste afin de protester contre les poursuites disciplinaires engagées à l'encontre de l'un de ses camarades, sergent servant sous contrat au 41ème régiment de transmissions, de deux autres sous-officiers, qui avaient eux-mêmes accompli ce geste le 20 septembre 2015 sur la scène du théâtre de la Main d'Or, en uniforme, aux côtés de M. F...M'B... M'B... qui s'y produisait, et de deux militaires chasseurs alpins à qui il a été reproché d'avoir exécuté le même geste alors qu'ils étaient en faction devant une synagogue ; que le cross régimentaire au cours duquel a été effectué le geste reproché à M. D...se déroulait dans une enceinte militaire, mais aussi sur la voie publique ; que l'intéressé, qui a été photographié par un agent du service de communication des armées, était revêtu d'une tenue de sport spécifique, portant l'insigne de son unité, permettant de l'identifier en sa qualité de militaire appartenant au 41ème régiment de transmissions ; que le fait pour M.D..., militaire en service et portant cette tenue de sport, de reproduire un geste à connotation antisémite au milieu des personnels civils et militaires de son régiment et d'autres unités de l'armée de terre, en étant photographié, moins d'un mois après les événements survenus le 20 septembre 2013 au théâtre de la Main d'Or, constitue une méconnaissance fautive des obligations de réserve, de dignité et d'exemplarité auxquelles sont soumis les militaires, et justifiait l'application d'une sanction disciplinaire ; qu'eu égard à la gravité de ces faits, alors même que les états de services de l'intéressé seraient irréprochables, l'autorité militaire n'a pas pris, en décidant de la résiliation du contrat d'engagement de M. D...une sanction disproportionnée ; que, par suite, le ministre de la défense est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a en raison d'une disproportion entre la faute commise et la sanction retenue, annulé la décision en litige ;

6. Considérant qu'il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. D...devant le tribunal administratif de Lille ;

7. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 11 juillet 1979 susvisée : " Les personnes physiques ou morales ont le droit d'être informées sans délai des motifs des décisions administratives individuelles défavorables qui les concernent. / A cet effet, doivent être motivées les décisions qui : / - restreignent l'exercice des libertés publiques ou, de manière générale, constituent une mesure de police ; / - infligent une sanction ; (...) " ; qu'aux termes de son article 3 : " La motivation exigée par la présente loi doit être écrite et comporter l'énoncé des considérations de droit et de fait qui constituent le fondement de la décision. " ; que la décision du 12 mars 2014 vise les dispositions du chapitre 7 " discipline " du titre 3 " dispositions statutaires relatives aux déroulements des carrières " du livre 1er " statut général des militaires " de sa quatrième partie " le personnel militaire " ; qu'elle indique de manière détaillée et circonstanciée les faits ayant conduit à la décision de résiliation à titre disciplinaire du contrat d'engagement de M.D... ; qu'elle comporte, ainsi, les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement et est, par suite, suffisamment motivée ;

Sur les conclusions aux fins de sursis à exécution :

8. Considérant que la cour statuant par le présent arrêt sur les conclusions de la requête du ministre de la défense tendant à l'annulation du jugement attaqué, les conclusions de sa requête n° 16DA00587 tendant à ce qu'il soit sursis à l'exécution de ce jugement en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative sont privées d'objet ; qu'il n'y a pas lieu, par suite, d'y statuer ;

Sur les frais irrépétibles :

9. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, les sommes que demande M. D...au titre des frais exposés et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête n° 16DA00587 aux fins de sursis à l'exécution du jugement attaqué.

Article 2 : Le jugement n° 1403417 du 19 janvier 2016 du tribunal administratif de Lille est annulé.

Article 3 : La demande présentée par M. D...devant le tribunal administratif de Lille tendant à l'annulation de la décision du 12 mars 2014 du ministre de la défense de résiliation à titre disciplinaire de son contrat d'engagement et à ce qu'il lui soit enjoint de le rétablir dans l'ensemble de ses fonctions est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et à M. E...D....

Copie en sera transmise, pour information, au colonel commandant le 41ème régiment de transmissions.

Délibéré après l'audience publique du 23 juin 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 7 juillet 2016.

L'assesseur le plus ancien,

Signé : O. NIZET

Le président de chambre,

président-rapporteur

Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,

Signé : I. GENOT La République mande et ordonne au ministre de la défense en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

''

''

''

''

3

Nos16DA00586,16DA00587


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3e chambre - formation à 3 (ter)
Numéro d'arrêt : 16DA00586-16DA00587
Date de la décision : 07/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Armées et défense - Personnels militaires et civils de la défense - Questions communes à l'ensemble des personnels militaires - Discipline.

Fonctionnaires et agents publics - Statuts - droits - obligations et garanties - Statuts spéciaux - Militaires (voir : Armées).


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Paul Louis Albertini
Rapporteur public ?: Mme Pestka
Avocat(s) : YON

Origine de la décision
Date de l'import : 19/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-07-07;16da00586.16da00587 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award