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12/07/2016 | FRANCE | N°16DA00361

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (bis), 12 juillet 2016, 16DA00361


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 octobre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1503391 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de Rouen a annulé, par son article 1er, la décision fixant le pays de destination ainsi que celle pron

onçant la rétention administrative de l'intéressé et a rejeté, par son article 2, le ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D...A...a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 24 octobre 2015 par lequel la préfète du Pas-de-Calais l'a obligé à quitter le territoire français sans délai de départ volontaire, a fixé le pays de destination et a prononcé son placement en rétention administrative.

Par un jugement n° 1503391 du 28 janvier 2016, le tribunal administratif de Rouen a annulé, par son article 1er, la décision fixant le pays de destination ainsi que celle prononçant la rétention administrative de l'intéressé et a rejeté, par son article 2, le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour :

I. Par une requête, enregistrée sous le n°16DA00361, le 18 février 2016, la préfète du Pas-de-Calais demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, par son article 1er, il a annulé la décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement en rétention administrative de l'étranger ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le magistrat désigné par le président du tribunal administratif a estimé que M. A...était exposé à des mauvais traitements ou persécutions prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- l'intéressé, qui n'a au demeurant pas déposé de demande d'asile, ne démontre pas qu'il encourrait des menaces réelles et personnelles en cas de retour en Afghanistan ;

- la décision de placement en rétention était légalement justifiée.

La requête de la préfète du Pas-de-Calais a été communiquée le 24 février 2016 à M. A..., qui n'a pas présenté de mémoire en défense.

II. Par une requête, enregistrée le 26 février 2016 sous le n°16DA00446, M. D...A..., représenté par Me B...C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement en tant que, par son article 2, il a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision d'obligation de quitter le territoire français dont il est l'objet ;

2°) d'annuler la décision du 24 octobre 2015 par laquelle la préfète du Pas-de-Calais lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- le tribunal a commis des erreurs de fait sur sa situation personnelle compte tenu " des similitudes" avec la situation d'un autre étranger dont le tribunal a eu également à connaître ;

- la juridiction a méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que les premiers juges n'ont pas exercé leur office ;

- la décision d'éloignement a été prise en violation du droit d'être entendu, garanti par l'article 41 de la charte des droits fondamentaux ;

- elle méconnaît également l'article 4 du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la préfète ayant utilisé la procédure d'éloignement à des fins d'évacuation de la zone de Calais, son arrêté est entaché d'un détournement de pouvoir.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Hadi Habchi, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

1. Considérant que les requêtes de la préfète du Pas-de-Calais et de M.A..., qui ont été chacune introduites dans le délai d'appel, sont dirigées contre un même jugement du tribunal administratif de Rouen ; qu'il y a lieu de les joindre pour y être statué par un seul arrêt ;

Sur les conclusions d'appel de M. A...dirigées contre la décision l'obligeant à quitter le territoire français :

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Considérant, en premier lieu, qu'il ressort de l'examen du jugement attaqué et de l'ensemble du dossier de première instance que le tribunal administratif de Rouen a répondu à l'argumentation de M. A...relative à son droit au séjour et à sa situation administrative et personnelle ; que dans l'hypothèse où les premiers juges auraient commis, comme le soutient M. A..., des erreurs de fait susceptibles d'affecter la validité de la motivation du jugement dont le contrôle est opéré par l'effet dévolutif de l'appel, ces erreurs resteraient, en tout état de cause, sans incidence sur la régularité du jugement ;

3. Considérant, en deuxième lieu, que la circonstance qu'un jugement du tribunal administratif de Rouen rendu le 28 janvier 2016 sous le n°1503393 relatif à un ressort syrien, fait état du nom de M.A..., est sans incidence sur la régularité du jugement attaqué ;

4. Considérant, en troisième lieu, que contrairement à ce que soutient M.A..., le tribunal a pu, sans entacher son jugement d'irrégularité, prendre en compte les pièces produites par la préfète du Pas-de-Calais, pour répondre au moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu avant l'adoption d'une mesure d'éloignement ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui a été dit aux points 2 à 4 que le tribunal administratif de Rouen n'a pas, en tout état de cause, méconnu les stipulations du paragraphe 1 de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Sur la légalité de la décision d'obligation de quitter le territoire français :

6. Considérant que le droit d'être entendu préalablement à l'adoption d'une décision de retour tel qu'il est notamment consacré par le droit de l'Union n'implique pas que l'administration ait l'obligation de mettre l'intéressé à même de présenter ses observations de façon spécifique sur la décision l'obligeant à quitter le territoire français ou sur la décision le plaçant en rétention dans l'attente de l'exécution de la mesure d'éloignement, dès lors qu'il a pu être entendu sur l'irrégularité du séjour ou la perspective de l'éloignement ; qu'il ressort des pièces versées au dossier, ainsi qu'il a été dit au point 4, que M. A...a pu faire valoir ses observations utiles lors de son interpellation par les autorités françaises, le 24 octobre 2015 ; que, par suite, le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit être écarté ;

7. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que la décision obligeant M. A... à quitter le territoire français a été prise après examen particulier de sa situation personnelle et administrative et se fonde sur des circonstances de fait propres à cette situation ; que, dès lors, le requérant ne peut utilement se prévaloir de l'interdiction d'expulsion collective d'étrangers, et de la circonstance que d'autres mesures d'éloignement auraient été prononcées le même jour, à l'encontre d'étrangers de même nationalité ; que, dès lors, la décision contestée n'a pas méconnu les stipulations de l'article 4 du quatrième protocole additionnel à la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

8. Considérant que, contrairement à ce que soutient M.A..., il ne ressort pas des pièces versées au dossier que la préfète du Pas-de-Calais aurait utilisé la procédure d'éloignement de M. A... dans le but exclusif de l'éloigner de la commune de Calais et de mettre un terme à la concentration d'un grand nombre de ressortissants étrangers aux abords du territoire communal ; que, par suite, le détournement de pouvoir n'est pas établi ;

9. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que la décision obligeant M. A...à quitter le territoire français n'est pas entachée d'illégalité ; que, par suite, ce dernier n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a rejeté, par l'article 2 de son jugement, sa demande tendant à l'annulation de la mesure d'éloignement dont il est l'objet ;

Sur les conclusions d'appel de la préfète du Pas-de-Calais dirigées contre les décisions fixant le pays de destination et prononçant le placement en rétention administrative :

En ce qui concerne les deux motifs d'annulation retenus par le magistrat désigné :

10. Considérant, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants " ;

11. Considérant qu'il ressort des pièces versées au dossier que M.A..., qui se déclare ressortissant afghan né le 1er janvier 1995, est entré en France au cours du mois d'octobre 2015 démuni de tout visa ou document de séjour ; qu'après avoir été interpellé le 24 octobre 2015 par le service de la police aux frontières du Pas-de-Calais, la préfète de ce département lui a fait obligation de quitter le territoire français sans délai de départ volontaire et a prononcé son placement au centre de rétention administrative d'Oissel par un arrêté du même jour ; que si, ainsi qu'il ressort des termes du rapport de l'EASO (European Asylum Support Office) de janvier 2016, la province de Fâryâb, située au nord- ouest de l'Afghanistan, constitue une zone où le degré de violence généralisée a atteint une forte intensité et donc un niveau suffisamment élevé pour que des motifs sérieux et avérés permettent de penser qu'un civil renvoyé dans la région concernée, du seul fait de sa présence sur ce territoire, encourra un risque réel de subir une menace grave, directe et individuelle, il ne ressort d'aucune des pièces versées au dossier que l'intéressé serait originaire de la province de Fâryâb ; que d'ailleurs, les déclarations de M.A..., peu circonstanciées sur ce point devant l'administration, ne sont étayées d'aucun commencement de preuve, notamment d'aucun document d'identité, et demeurent dénuées de véracité; qu'en se bornant, lors de son audition devant le service de la police aux frontières du Pas-de-Calais, puis, devant le tribunal administratif, à faire état de l'instabilité généralisée du pays et de la situation sécuritaire en Afghanistan et à se prévaloir de menaces perpétrées par les groupes armés talibans, dans la province de Fâryâb, M. A...ne démontre pas qu'il serait originaire de cette province, ni qu'il serait exposé à des traitements inhumains ou dégradants en cas de retour en Afghanistan ; qu'il ne ressort pas des pièces versées au dossier de première instance que l'intéressé, qui n'a au demeurant présenté aucune demande d'asile, serait personnellement exposé à un risque avéré de subir des traitements prohibés par les stipulations de l'article 3 de la convention citée au point 10 ; que, par suite, la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a retenu, pour annuler la décision fixant le pays de destination, le moyen tiré de la violation des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

12. Considérant, en second lieu, qu'aux termes de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Un étranger ne peut être placé ou maintenu en rétention que pour le temps strictement nécessaire à son départ. L'administration doit exercer toute diligence à cet effet " ;

13. Considérant qu'il ressort des pièces versées en cause d'appel par la préfète du Pas-de-Calais que l'autorité administrative a accompli le 24 octobre 2015 plusieurs diligences auprès des autorités consulaires afghanes afin de procéder à l'éloignement de l'intéressé ; que, par suite, c'est à tort que tribunal administratif de Rouen a retenu le moyen tiré de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 554-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile citées au point 12, pour annuler la mesure de rétention administrative dont l'étranger faisait l'objet ;

14. Considérant, toutefois, qu'il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens soulevés par M. A...devant la juridiction administrative ;

En ce qui concerne les moyens communs aux deux décisions en litige :

15. Considérant que, par un arrêté du 24 juillet 2015, régulièrement publié au recueil des actes administratifs n° 59 spécial du 27 juillet 2015, la préfète du Pas-de-Calais a donné délégation à M. Marc Del Grande, secrétaire général, à l'effet de signer toutes décisions en toutes matières à l'exception de six au nombre desquelles ne figurent pas la police spéciale des étrangers ; que, par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur des décisions attaquées manque en fait ;

16. Considérant que l'arrêté du 24 octobre 2015 énonce les considérations de droit et de fait qui constituent le fondement des décisions d'éloignement sans délai de départ volontaire et de placement en rétention administrative prises par l'autorité administrative ; que, par suite, le moyen tiré du défaut de motivation de l'acte attaqué doit être écarté ;

Sur la décision fixant le pays de destination :

17. Considérant que, compte tenu de ce qui a été dit au point 9, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision fixant le pays de destination serait dépourvue de base légale ;

18. Considérant qu'ainsi qu'il a été dit au point 11, il ne ressort pas des pièces versées au dossier que M. A...serait personnellement menacé ou exposé à des risques de mauvais traitements en cas de retour en Afghanistan ; que, par suite, les moyens tirés de la méconnaissance des dispositions de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ainsi que des stipulations de l'article 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, doivent être écartés ;

19. Considérant qu'il résulte ce qui vient d'être dit que la décision fixant le pays de destination n'est pas entachée d'illégalité ;

Sur la décision de placement en rétention administrative :

20. Considérant qu'eu égard à ce qui a été dit aux points 9 et 19, M. A...n'est pas fondé à soutenir que la décision de placement en rétention administrative serait dépourvue de base légale ;

21. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la préfète du Pas-de-Calais est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision fixant le pays de destination et celle prononçant le placement de M. A...en rétention administrative ;

22. Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme que M. A...demande sur le fondement de ces dispositions et de celles de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1997 ; que, par suite, ses conclusions doivent être rejetées ;

DÉCIDE :

Article 1er : L'article 1er du jugement n° 1503391 du tribunal administratif de Rouen du 28 janvier 2016 est annulé.

Article 2 : Les demandes présentées par M. A...devant le tribunal administratif de Rouen tendant à l'annulation de la décision fixant le pays de destination et celle le plaçant en rétention administrative sont rejetées.

Article 3 : La requête n° 14DA00446 présentée par M. A...est rejetée.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. D...A...et à Me B...C.dénuées de véracité

Copie en sera transmise pour information à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 30 juin 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- M. Hadi Habchi, premier conseiller.

Lu en audience publique le 12 juillet 2016.

Le rapporteur,

Signé : H. HABCHILe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : S. DUPUIS

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Sylviane Dupuis

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Nos16DA00361,16DA00446 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 16DA00361
Date de la décision : 12/07/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-02-01 Étrangers. Séjour des étrangers. Autorisation de séjour. Demande de titre de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. Yeznikian
Rapporteur ?: M. Hadi Habchi
Rapporteur public ?: M. Riou
Avocat(s) : LANGUIL ;

Origine de la décision
Date de l'import : 26/07/2016
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-07-12;16da00361 ?
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