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08/12/2016 | FRANCE | N°15DA00789

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre - formation à 3 (bis), 08 décembre 2016, 15DA00789


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 178 203,04 euros au titre des frais de remise en état de l'écluse Sanson du port de Boulogne-sur-Mer et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de cet ouvrage par l'Etat et le préjudice subi résultant de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1301201 du 10 mars

2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-Pa...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La région Nord-Pas-de-Calais a demandé au tribunal administratif de Lille, à titre principal, de condamner l'Etat à lui verser une somme de 2 178 203,04 euros au titre des frais de remise en état de l'écluse Sanson du port de Boulogne-sur-Mer et, à titre subsidiaire, de nommer un expert judiciaire ayant pour mission d'établir le lien de causalité entre le défaut d'entretien de cet ouvrage par l'Etat et le préjudice subi résultant de la ruine de l'ouvrage.

Par un jugement n° 1301201 du 10 mars 2015, le tribunal administratif de Lille a rejeté la demande de la région Nord-Pas-de-Calais, comme irrecevable.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 13 mai 2015, la région Nord-Pas-de-Calais, représentée par la SELARL Latournerie, Wolfrom avocats, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 2 178 203,04 euros sauf à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa requête par le tribunal ;

3°) en tout état de cause, d'ordonner une expertise afin de déterminer le montant des investissements consentis par l'Etat, de constater l'état de l'ouvrage avant et après le transfert, de déterminer l'étendue, l'origine et les causes des dommages et le coût de la réparation de l'ouvrage et de se prononcer sur les responsabilités ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 5 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, en sus les dépens.

Elle soutient que :

- le jugement est insuffisamment motivé au regard de l'article L. 9 du code de justice administrative ;

- c'est à tort que le tribunal a exigé une demande préalable pour lier le contentieux s'agissant du recouvrement d'une créance en matière de travaux publics ;

- il aurait, en tout état de cause, dû tenir compte de l'intervention, en cours d'instance, d'une décision implicite de rejet de sa demande indemnitaire du 29 août 2014 ;

- l'Etat a manqué, avant le transfert de l'écluse Sanson, à son obligation d'entretien et de conservation de l'affectation de cette partie de son domaine public, fondée sur les articles L. 3111-1 et L. 2121-1 du code général des propriétés des personnes publiques, de telle sorte que les désordres qui l'affectent rendent désormais impossible l'utilisation de cet ouvrage conformément à son affectation ;

- cette faute a conduit à la minoration du volume d'investissements programmés, entrainant une minoration de la compensation financière qui lui a été accordée ;

- son consentement à la convention de transfert de ce bien a été vicié par les manoeuvres dolosives de l'Etat qui ne l'a pas suffisamment informée de la gravité du délabrement qui affectait l'écluse Sanson au moment de son transfert ;

- l'expertise est utile compte tenu de la technicité de l'ouvrage et de l'ampleur du dommage ;

- elle a la qualité de tiers ou, à défaut, d'usager d'un ouvrage public mal entretenu, qui lui a causé un dommage lorsque l'Etat en était propriétaire.

Par un mémoire, enregistré le 25 août 2015, la ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie conclut au rejet de la requête ;

Elle soutient que les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des propriétés des personnes publiques ;

- le code général des collectivités territoriales ;

- la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 ;

- le décret n° 2005-1509 du 6 décembre 2005 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Jean-Michel Riou, rapporteur public.

1. Considérant que, par une convention du 22 décembre 2006, établie en application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et du décret du 6 décembre 2005 pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, l'Etat a transféré à la région Nord-Pas-de-Calais, désormais dénommée région Hauts-de-France, la propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion du port de Boulogne-sur-Mer à compter du 1er janvier 2007 ; qu'au cours d'un carénage de la porte de l'écluse Sanson, intervenu au cours de l'hiver 2009, des désordres importants sont apparus et ont empiré lors de la dépose de la porte aval, en décembre 2010 ; que la région, qui sollicite de l'Etat la réparation de ses préjudices ou, à tout le moins, la désignation d'un expert, relève appel du jugement du tribunal administratif de Lille qui a rejeté ses demandes comme irrecevables, faute pour elle d'avoir lié le contentieux ;

Sur la régularité du jugement :

2. Considérant que la demande présentée par la région Nord-Pas-de-Calais devant le tribunal administratif de Lille tendait à l'indemnisation de préjudices résultant, selon elle, du mauvais entretien par l'Etat de l'écluse Sanson, dans le port de Boulogne-sur-Mer, et de l'insuffisante compensation de son transfert ; qu'elle se prévalait ainsi d'une créance relative au financement de travaux publics et invoquait, en outre, au moins une faute tirée du défaut d'entretien d'un ouvrage public ; que, dans ces conditions, conformément aux dispositions de l'article R. 421-1 du code de justice administrative dans leur rédaction alors applicable, la région n'avait pas à faire précéder sa demande au tribunal administratif de Lille d'un recours administratif préalable ; que, par suite et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de régularité du jugement, la région Hauts-de-France est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté comme irrecevable la demande dont il était saisi, faute de liaison du contentieux ; que son jugement du 10 mars 2015 doit, dès lors, être annulé ;

3. Considérant que, dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu d'évoquer et de statuer immédiatement sur la demande présentée par la région Nord-Pas-de-Calais devant le tribunal administratif de Lille ;

Sans qu'il soit besoin de statuer sur les fins de non-recevoir opposées en première instance par le préfet de la région Nord-Pas-de-Calais ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'entretien normal de l'ouvrage public :

4. Considérant qu'en cas de défaut d'entretien normal de l'ouvrage public, la responsabilité de la collectivité qui a la qualité de maître de l'ouvrage ne peut être recherchée que par la victime d'un dommage de travaux publics ; qu'à la date à laquelle le dommage est survenu, la région Nord-Pas-de-Calais n'avait pas la qualité de tiers ni celle d'usager de l'écluse de Sanson ; qu'elle n'a pas davantage subi un dommage résultant de la présence ou du fonctionnement de cet écluse lorsque l'Etat en était propriétaire ; qu'ayant la qualité de maître d'ouvrage lors de la constatation de son délabrement, elle ne saurait rechercher, sur le fondement du défaut d'entretien normal, la responsabilité sans faute de l'Etat, dans les droits et obligations duquel elle a été substituée par application du III de l'article 30 de la loi du 13 août 2004, à compter du 1er janvier 2007 ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour défaut d'information :

5. Considérant qu'aux termes du I de l'article 30 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " La propriété, l'aménagement, l'entretien et la gestion des ports non autonomes relevant de l'Etat sont transférés, au plus tard au 1er janvier 2007 et dans les conditions fixées par le code des ports maritimes et au présent article, aux collectivités territoriales ou à leurs groupements dans le ressort géographique desquels sont situées ces infrastructures " ; qu'aux termes des deux premiers alinéas du III du même article : " Pour chaque port transféré, une convention conclue entre l'Etat et la collectivité territoriale ou le groupement intéressé, ou, à défaut, un arrêté du ministre chargé des ports maritimes dresse un diagnostic de l'état du port, définit les modalités du transfert et fixe sa date d'entrée en vigueur. / La collectivité ou le groupement bénéficiaire du transfert succède à l'Etat dans l'ensemble de ses droits et obligations à l'égard des tiers " ;

6. Considérant que l'annexe 3-1-1 à la convention de transfert du port de Boulogne-sur-Mer, négociée entre l'Etat et la région Nord-Pas-de-Calais et signée le 22 décembre 2006, comporte un état des lieux au moment de la cession dont il ressort que l'écluse Sanson, commandant l'accès au bassin Napoléon et fréquentée par 6 237 navires en 2004, au cours de 2 548 mouvements, constitue un ouvrage mobile stratégique, fortement sollicité, devant faire l'objet d'attentions particulières dans son exploitation et ses opérations d'entretien ; qu'il est précisé que " la programmation des opérations de gros entretien doit respecter scrupuleusement le calendrier établi. Toute interruption de fonctionnement est très vite et très durement ressentie par les usagers et les entreprises qui vivent de la transformation du poisson (...) " ; que l'annexe 16 à cette même convention indique, au titre des opérations d'investissement à prévoir avec un niveau de priorité 1, affectant un ouvrage stratégique utilisé de manière intensive 24h sur 24h, à réaliser de manière urgente, " le carénage de la porte amont de l'écluse Sanson " et " la réfection du bâtiment de commande de l'écluse Sanson " ; que la région avait auparavant été destinataire d'un dossier d'information détaillé sur l'état des ouvrages et dépendances du port le 28 décembre 2005, qui n'a, comme la convention de transfert et ses annexes, suscité aucune remarque, demande de complément d'information ou d'expertise de sa part ;

7. Considérant que la région Nord-Pas-de-Calais qui avait ainsi connaissance, avant la cession de l'écluse Sanson, de la nécessité des travaux qu'il lui incomberait de prendre en charge après le transfert et de leur caractère urgent ne peut donc rechercher la responsabilité de l'Etat en invoquant l'insuffisance des informations fournies alors même qu'elle n'en a sollicité aucune supplémentaire ; qu'il ne résulte, par ailleurs, pas de l'instruction que l'Etat lui aurait dissimulé certaines informations quant à l'état de l'écluse Sanson et qu'il aurait cherché à l'induire en erreur en minorant le montant des investissements devant être réalisés ultérieurement ; que, par suite, la région n'est pas fondée à soutenir que l'Etat aurait commis des manoeuvres dolosives à son encontre ni qu'il aurait commis une faute en lui fournissant des informations erronées concernant l'état réel de l'écluse Sanson ;

Sur la responsabilité de l'Etat pour insuffisance de compensation financière :

8. Considérant que l'article L. 3111-1 du code général des propriétés des personnes publiques, qui pose le principe que les biens des personnes publiques sont inaliénables, et l'article L. 2121-1 du même code qui prévoit que les biens du domaine public sont utilisés conformément à leur affectation à l'utilité publique, ne créent pas à la charge de la personne publique propriétaire de l'ouvrage une obligation générale, qui ne saurait résulter que de dispositions législatives particulières ou de stipulations conventionnelles, de consacrer des investissements pour l'entretien d'un ouvrage ;

9. Considérant qu'aux termes de l'article 119 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales : " Sous réserve des dispositions prévues au présent article et à l'article 121, les transferts de compétences à titre définitif inscrits dans la présente loi et ayant pour conséquence d'accroître les charges des collectivités territoriales ou de leurs groupements ouvrent droit à une compensation financière dans les condition fixées par les articles L. 1614-1 à L. 1614-7 du code général des collectivités territoriales. / Les ressources attribuées au titre de cette compensation sont équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, par l'Etat, à l'exercice des compétences transférées, diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts. / Le droit à compensation des charges d'investissement transférées par la présente loi est égal à la moyenne des dépenses actualisées, hors taxes et hors fonds de concours, constatées sur une période d'au moins cinq ans précédant le transfert de compétences " ;

10. Considérant que, s'agissant des ports maritimes, le décret du 6 décembre 2005, pris pour l'application de l'article 119 de la loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales, fixe à dix ans la période prise en compte pour le calcul des dépenses ouvrant droit à compensation des charges d'investissement transférées ;

11. Considérant que, contrairement à ce qu'allègue la région Nord-Pas-de-Calais, il ne résulte ni des dispositions citées aux deux points précédents, ni d'une autre disposition, ni d'aucun principe que l'Etat était légalement tenu de lui transférer des ouvrages portuaires parfaitement entretenus ou qui ne nécessiteraient aucun investissement nouveau ;

12. Considérant qu'à supposer que l'Etat ait délibérément réduit ses dépenses d'entretien ou qu'il ait renoncé à certains investissements lorsque le transfert du port de Boulogne-sur-Mer à la région Nord-Pas-de-Calais a été envisagé à partir de 2005, il ne résulte pas de l'instruction que cette circonstance a été, en l'espèce, de nature à réduire de manière significative le montant de la compensation financière qu'il devait lui verser dès lors notamment que celle-ci a été calculée à partir des dépenses engagées au cours des dix années qui ont précédé le transfert et donc en prenant en compte une période de temps qui a largement précédé cette hypothèse d'un transfert ; qu'en tout état de cause, le montant de la compensation a été négocié entre les parties et fixé en connaissance de cause en application des dispositions législatives précitées ;

13. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède, et sans qu'il soit besoin de prescrire l'expertise sollicitée qui ne présente pas de caractère utile, que les conclusions indemnitaires de la région Nord-Pas-de-Calais doivent être rejetées ; que, par voie de conséquence, ses conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 10 mars 2015 est annulé.

Article 2 : La demande présentée par la région Nord-Pas-de-Calais devant la juridiction administrative est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la région Hauts-de-France et à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat.

Copie en sera adressée pour information à la préfète du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 24 novembre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Yeznikian, président de chambre,

- M. Christian Bernier, président-assesseur,

- Mme Amélie Fort-Besnard, premier conseiller.

Lu en audience publique le 8 décembre 2016.

Le rapporteur,

Signé : A. FORT-BESNARDLe premier vice-président de la cour,

Président de chambre,

Signé : O. YEZNIKIAN

Le greffier,

Signé : C. SIRE

La République mande et ordonne à la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat, en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

N°15DA00789 2


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