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15/12/2016 | FRANCE | N°14DA00708

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 15 décembre 2016, 14DA00708


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Baxi a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 mai 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a, d'une part, procédé au retrait du rejet implicite né du silence gardé sur le recours introduit par M. C...D...contre la décision de l'inspecteur du travail le 26 septembre 2011 autorisant son licenciement pour faute, d'autre part, annulé cette décision de l'inspecteur du travail, enfin, refusé de délivrer cette autor

isation.

Par un jugement n° 1202004 du 4 février 2014, le tribunal administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Baxi a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 10 mai 2012 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a, d'une part, procédé au retrait du rejet implicite né du silence gardé sur le recours introduit par M. C...D...contre la décision de l'inspecteur du travail le 26 septembre 2011 autorisant son licenciement pour faute, d'autre part, annulé cette décision de l'inspecteur du travail, enfin, refusé de délivrer cette autorisation.

Par un jugement n° 1202004 du 4 février 2014, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté cette demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 23 avril 2014, la société anonyme Chappée, venant aux droits de la société Baxi, représentée par Me A...E..., demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif d'Amiens du 4 février 2014 ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du ministre du travail, de l'emploi et de la santé du 10 mai 2012 ;

3°) à titre principal, de faire injonction au ministre chargé du travail d'autoriser le licenciement de M.D..., et à titre subsidiaire, de se prononcer à nouveau sur sa demande d'autorisation de licencier l'intéressé.

4°) si la cour estimait la production du dossier pénal nécessaire à éclairer sa décision, de surseoir à statuer jusqu'à la clôture de l'instruction pénale.

Elle soutient que :

- les faits reprochés à M. D... pouvaient légalement être qualifiés de faute de nature à justifier un licenciement, alors même qu'aucune incrimination pénale n'a finalement été retenue à l'encontre de l'intéressé ;

- M. D...a manifestement eu connaissance des témoignages recueillis au cours de l'enquête pénale, de sorte qu'ayant eu légalement accès à cette enquête en tant que partie civile, elle est fondée à les lui opposer ;

- en revanche, le ministre n'a pu légalement fonder sa décision sur des éléments de la procédure pénale couverts par le secret de l'instruction ;

- de nombreux témoignages précis et concordants, dont plusieurs ont été recueillis auprès de personnes n'entretenant pas des relations conflictuelles avec M. D...et sont corroborés par des indices matériels, sont de nature à établir la matérialité des faits reprochés à l'intéressé.

Par un mémoire en défense, enregistré le 16 juillet 2014, M.D..., représenté par Me B...F..., conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 2 500 euros soit mise à la charge de la SA Chappée au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- la requête est irrecevable, car tardive ;

- l'absence de poursuite pénale diligentée à son encontre doit nécessairement conduire à considérer que la réalité des faits qui lui sont imputés n'est pas établie ;

- il n'a jamais eu accès au dossier pénal, ni détenu les procès-verbaux des auditions conduites dans ce cadre, de sorte que son employeur n'a pu valablement lui opposer ces éléments sans méconnaître le principe du contradictoire ;

- le ministre n'a pas fondé sa décision sur des éléments de ce dossier, mais a seulement porté une appréciation sur les éléments avancés par la société appelante à l'appui de sa demande d'autorisation de licenciement ;

- les témoignages invoqués par la SA Chappée, dont certains émanent de personnes animées par la volonté de lui nuire ou ont été suscités, sont entachés d'incohérences ou d'imprécisions ;

- les indices matériels avancés ne sont pas davantage probants.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de procédure pénale ;

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public.

1. Considérant que la société Baxi, entreprise industrielle spécialisée dans la fabrication et la commercialisation de chaudières, a été amenée à constater, depuis plusieurs années, des disparitions récurrentes de chaudières et d'accessoires de celles-ci ; qu'après avoir vainement tenté de déceler en son sein la cause de ces nombreuses disparitions, elle a finalement décidé de déposer une plainte qui a conduit à ce qu'une enquête de police soit diligentée ; que, dans ce cadre, M. C...D..., qui exerçait les fonctions d'animateur qualité et détenait les mandats de membre titulaire du comité d'établissement de Villers-Cotterêts (Aisne), de délégué du personnel titulaire au sein du même établissement et de membre suppléant du comité central d'entreprise, a été entendu ; que, les indices relevés sur les lieux et diverses auditions ayant conduit la société Baxi, qui s'était constituée partie civile, à mettre en cause M. D...dans la disparition de ses matériels, elle a sollicité de l'inspecteur du travail l'autorisation de le licencier pour faute ; que la société anonyme Chappée, qui vient aux droits de la société Baxi, relève appel du jugement du 4 février 2014 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation pour excès de pouvoir de la décision du 10 mai 2012 du ministre chargé du travail annulant l'autorisation de licenciement délivrée le 26 septembre 2011 par l'inspecteur du travail et refusant de délivrer cette autorisation ;

2. Considérant que, pour annuler l'autorisation, donnée par l'inspecteur du travail, de licencier M.D..., le ministre a notamment estimé que l'inspecteur du travail n'avait pu légalement se fonder sur des témoignages et constats couverts par le secret de l'instruction prévu à l'article 11 du code de procédure pénale ; qu'il ne ressort cependant pas des motifs de la décision du ministre qu'il se soit lui-même fondé sur de tels éléments pour arrêter sa position ; qu'ainsi, le moyen tiré de ce que la décision ministérielle contestée procéderait elle-même d'une méconnaissance du secret de l'instruction doit être écarté ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1235-1 du code du travail, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision ministérielle contestée : " En cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. / Si un doute subsiste, il profite au salarié. " ;

4. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que l'autorisation de licenciement sollicitée par la SA Chappée se fondait essentiellement sur des témoignages, recueillis notamment auprès de voisins de M.D..., en vertu desquels ce dernier aurait entreposé chez l'un d'entre eux une chaudière murale neuve, un ballon d'eau chaude, ainsi que du matériel emballé dans dix-huit colis ; qu'en outre la SA Chappée se prévalait, d'une part, de ce que cette chaudière et ces matériels avaient été retrouvés sur la propriété d'un voisin de M.D..., emballés dans des colis dont l'un comportait un document rédigé à l'attention de ce dernier ; qu'elle relevait, d'autre part, que la chaudière ainsi retrouvée avait été antérieurement retournée à l'entreprise par un client qui avait constaté une rayure sur sa tôlerie et que M. D..., responsable qualité, avait réceptionné ce retour et porté, dans un premier temps, sur la fiche constatant cet événement, une mention selon laquelle ce matériel devait être examiné en vue d'une réparation, puis, après correction, une indication contraire, selon laquelle il devait être mis au rebut ; que, toutefois, les témoignages recueillis auprès de voisins de M. D... ne sauraient être regardés comme présentant un caractère probant, alors qu'il ressort des pièces du dossier que ce dernier nourrissait avec ceux-ci des relations conflictuelles dès avant les faits en cause ; qu'en outre, si deux collègues de M. D...ont également témoigné, l'un pour attester que les rubans adhésifs spécifiques mis en oeuvre pour emballer les colis retrouvés étaient couramment utilisés par l'intéressé dans le cadre de ses fonctions, l'autre pour déclarer avoir aidé celui-ci, deux ans auparavant, à charger un ballon d'eau chaude dans le coffre de sa voiture personnelle, ces témoignages ne sont pas de nature à établir, pour le premier, que M. D... était, comme le prétend la SA Chappée, le seul utilisateur des adhésifs en cause, pour le second, qui est dépourvu de précision quant aux circonstances de lieu et de temps dans lesquelles aurait été opéré l'emport de matériel allégué, le détournement de matériels imputé à M. D...; qu'enfin, ni le fait qu'un document mentionnant le nom de ce dernier, qui, dans le cadre de ses fonctions, était l'interlocuteur naturel des clients retournant un matériel, était fixé sur l'un des colis retrouvés chez son voisin, ni la modification apportée par l'intéressé sur la fiche de retour de la chaudière refusée à la livraison ne suffisent à établir de façon certaine l'existence d'agissements de M. D... en vue de détourner du matériel de l'entreprise ; qu'ainsi, alors qu'en vertu des dispositions précitées de l'article L. 1235-1 du code du travail, le doute doit profiter au salarié, pour estimer, par la décision contestée, que l'employeur n'apportait pas d'éléments de fait suffisamment précis et matériellement vérifiables de nature à démontrer l'implication de M. D... dans la soustraction frauduleuse de matériels qui lui était imputée, le ministre, qui ne s'est pas fondé, ni les premiers juges, sur la circonstance qu'aucune poursuite pénale n'avait été exercée à l'encontre de l'intéressé, ne s'est pas mépris dans son appréciation des faits de l'espèce ;

5. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit nécessaire pour la cour de surseoir à statuer dans l'attente d'une clôture de l'instruction pénale, ni de statuer sur la fin de non-recevoir opposée par M.D..., que la SA Chappée n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 4 février 2014, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande ; que les conclusions à fin d'injonction qu'elle présente doivent, par voie de conséquence, être rejetées ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 500 euros à la charge de la SA Chappée au titre des frais exposés par M. D...et non-compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de la SA Chappée est rejetée.

Article 2 : La SA Chappée versera à M. D...la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société anonyme Chappée, venant aux droits de la société Baxi, à M. C...D...et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera adressée, pour information, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, du travail et de l'emploi du Nord - Pas-de-Calais - Picardie.

Délibéré après l'audience publique du 1er décembre 2016 à laquelle siégeaient :

- M. Olivier Nizet, président-assesseur, assurant la présidence de la formation de jugement en application de l'article R. 222-26 du code de justice administrative,

- M. Jean-Jacques Gauthé, premier conseiller,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 15 décembre 2016.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PAPIN Le président de

la formation de jugement,

Signé : O. NIZET

Le greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui le concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

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N°14DA00708

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14DA00708
Date de la décision : 15/12/2016
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Nizet
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : LEFEVRE-FRANQUET

Origine de la décision
Date de l'import : 10/01/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2016-12-15;14da00708 ?
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