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27/04/2017 | FRANCE | N°16DA00526

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre - formation à 3, 27 avril 2017, 16DA00526


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G...a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 octobre 2010 par laquelle l'inspecteur du travail de la 14ème section de la Seine-Maritime a autorisé la société Etudes Techniques B...à le licencier pour motif économique, ainsi que la décision du 11 mai 2011 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a rejeté son recours hiérarchique contre cette autorisation, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la som

me de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C...G...a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 octobre 2010 par laquelle l'inspecteur du travail de la 14ème section de la Seine-Maritime a autorisé la société Etudes Techniques B...à le licencier pour motif économique, ainsi que la décision du 11 mai 2011 par laquelle le ministre du travail, de l'emploi et de la santé a rejeté son recours hiérarchique contre cette autorisation, d'autre part, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Par un jugement n° 1101866 du 15 octobre 2013, le tribunal administratif de Rouen a prononcé les annulations demandées et a mis à la charge de l'Etat, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, une somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par M. G...et non-compris dans les dépens.

Par un arrêt n° 13DA02056 du 3 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Etudes techniques B...contre ce jugement et a mis à sa charge, sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. G...et non-compris dans les dépens.

Par une décision n° 384175 du 9 mars 2016, le Conseil d'Etat a annulé l'arrêt de la cour administrative d'appel de Douai du 3 juillet 2014 et lui a renvoyé l'affaire pour qu'il y soit statué.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 12 décembre 2013, le 27 mai 2014, le 16 juin 2014, le 6 mai 2016 et le 5 août 2016, la société par actions simplifiée ADVEMES, venant aux droits de la société Etudes TechniquesB..., représentée par Me F...E..., a demandé à la cour :

1°) d'annuler le jugement du tribunal administratif de Rouen du 15 octobre 2013 ;

2°) de rejeter la demande présentée par M. G...devant le tribunal administratif de Rouen ;

3°) de mettre à la charge de M. G...la somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'existence d'un " groupeB... ", dont les entités offriraient une organisation permettant d'effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel, n'étant aucunement établie, son obligation de reclassement, à laquelle elle a satisfait, était circonscrite au périmètre de l'entreprise ;

- l'autorisation de licenciement accordée par l'inspecteur du travail n'a pas été prise à l'issue d'une procédure irrégulière, le délai d'un mois et deux jours suivant l'avis du comité d'entreprise au terme duquel la demande d'autorisation de licenciement a été présentée n'étant pas excessivement long ;

- la décision par laquelle le ministre a rejeté le recours hiérarchique formé par M. G... a été prise par une autorité valablement habilitée par une délégation de signature régulièrement consentie et publiée ;

- cette décision est suffisamment motivée ;

- la réalité des difficultés économiques invoquées pour justifier le licenciement de l'intéressé est établie ;

- les critères d'ordre retenus pour opérer les licenciements sont exempts de discrimination ;

- les difficultés relationnelles ayant existé entre M. G...et l'ancien dirigeant de l'entreprise ne suffisent pas à établir que le licenciement de l'intéressé serait en lien avec son mandat.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 25 avril 2014, le 6 juillet 2016 et le 16 septembre 2016, M.G..., représenté par Me D...A..., conclut au rejet de la requête et à ce que la somme de 3 000 euros soit mise à la charge de la SAS ADVEMES au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- pour retenir que son employeur s'était acquitté de son obligation légale de reclassement, alors qu'aucune recherche n'avait été effectuée au sein des entités du groupe B...offrant des possibilités de permutation du personnel et que la seule offre qui lui avait été faite était déloyale et dépourvue de caractère sérieux, le ministre a commis une erreur d'appréciation ;

- pour accorder à la société Etudes Techniques B...l'autorisation de le licencier, alors que le délai imparti pour le saisir était expiré compte tenu de la mesure de mise à pied dont il était l'objet, l'inspecteur du travail s'est prononcé à l'issue d'une procédure irrégulière ;

- en ce qu'il retient l'absence de lien entre son licenciement et le mandat qu'il détenait, le ministre a insuffisamment motivé sa décision ;

- l'inspecteur du travail a commis une erreur d'appréciation pour retenir que le comité d'entreprise avait été régulièrement consulté sur le projet de licenciement économique ;

- pour estimer que la réalité du motif économique avancé pour justifier son licenciement était établie, l'inspecteur du travail et le ministre ont commis une erreur d'appréciation ;

- les critères d'ordre des licenciements mis en oeuvre en l'espèce étaient empreints de discrimination ;

- contrairement à ce qu'ont cru devoir retenir l'inspecteur du travail et le ministre, son licenciement avait, en réalité, pour but de faire obstacle à l'exercice de son mandat représentatif.

Par une décision du 17 mai 2016, M. G...a été admis à l'aide juridictionnelle totale.

Par un mémoire enregistré le 22 mars 2017, la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social a présenté des observations.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Jean-François Papin, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Hadi Habchi, rapporteur public.

1. Considérant que M. G...a été recruté le 13 juin 2005, en tant que dessinateur-projeteur, par la société Etudes TechniquesB..., dont le siège était situé à Octeville-sur-Mer (Seine-Maritime) et dont l'activité consistait à réaliser des prestations d'études et d'ingénierie afférentes à la conception, ainsi qu'aux phases préalables à la fabrication de divers composants utilisés dans des secteurs d'activité variés, tels que l'automobile, l'aéronautique, la pharmacie, la chimie, les biens d'équipement, l'électronique ou l'agro-alimentaire ; que M. G...a été élu délégué du personnel et membre du comité d'entreprise au sein de la délégation unique du personnel de la société, puis comme membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ; que ces mandats étant arrivés à expiration le 3 août 2010, M. G...est toutefois demeuré délégué syndical au sein de la société Etudes TechniquesB... ; que cette dernière ayant fait état de difficultés économiques importantes, elle a été conduite, malgré une tentative de diversification de ses activités dans le domaine des énergies renouvelables, à envisager un plan de restructuration impliquant la suppression de six postes, dont trois postes de dessinateur-projeteur ; qu'après la mise en application des critères d'ordre de licenciement définis au préalable, M. G...s'est trouvé concerné par ces licenciements ; qu'au terme de la procédure d'information-consultation du comité d'entreprise, la société Etudes Techniques B...a sollicité de l'inspecteur du travail territorialement compétent l'autorisation de licencier M. G...pour motif économique ; que, par une décision du 29 octobre 2010, l'inspecteur du travail a délivré l'autorisation sollicitée ; que, par une décision du 11 mai 2011, le ministre chargé du travail a rejeté le recours hiérarchique que M. G...avait formé contre cette autorisation ; que l'intéressé a demandé au tribunal administratif de Rouen, d'une part, d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 29 octobre 2010 de l'inspecteur du travail autorisant la société Etudes Techniques B...à le licencier pour motif économique, ainsi que la décision du 11 mai 2011 du ministre du travail, de l'emploi et de la santé rejetant son recours hiérarchique contre cette autorisation ; que, par un jugement du 15 octobre 2013, le tribunal administratif de Rouen a fait droit à cette demande ; que, par un arrêt du 3 juillet 2014, la cour administrative d'appel de Douai a rejeté l'appel formé par la société Etudes techniques B...contre ce jugement ; que, toutefois, par une décision du 9 mars 2016, le Conseil d'Etat a annulé cet arrêt à la demande de cette société, aux droits de laquelle vient la société par actions simplifiée ADVEMES, et a renvoyé l'affaire à la cour pour qu'il y soit statué ;

2. Considérant qu'en vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail ; que, lorsque le licenciement d'un de ces salariés est envisagé, il ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou l'appartenance syndicale de l'intéressé ; que, dans le cas où la demande de licenciement est fondée sur un motif de caractère économique, il appartient à l'inspecteur du travail et, le cas échéant, au ministre, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si la situation de l'entreprise justifie le licenciement du salarié, en tenant compte notamment de la nécessité des réductions envisagées d'effectifs et de la possibilité d'assurer le reclassement du salarié dans l'entreprise ou au sein du groupe auquel appartient cette dernière ;

3. Considérant qu'aux termes de l'article L. 1233-4 du code du travail dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : " Le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé ne peut être opéré dans l'entreprise ou dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient (...) " ; qu'il résulte de ces dispositions que, pour apprécier si l'employeur a satisfait à son obligation en matière de reclassement, l'autorité administrative doit s'assurer, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, qu'il a procédé à la recherche des possibilités de reclassement du salarié dans les entreprises dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation permettent, en raison des relations qui existent avec elles, d'y effectuer la permutation de tout ou partie de son personnel ;

4. Considérant que, pour annuler, par le jugement attaqué, l'autorisation accordée par l'inspecteur du travail à la société Etudes TechniquesB..., le 29 octobre 2010, de licencier M. G... pour motif économique et la décision du 11 mai 2011 par laquelle le ministre a rejeté le recours hiérarchique formé par l'intéressé contre cette autorisation, le tribunal administratif de Rouen a jugé que, pour estimer que la société Etudes Techniques B...avait satisfait, à l'égard de M.G..., à son obligation légale de reclassement, l'administration s'était livrée à une appréciation inexacte des faits de l'espèce, dès lors que les recherches de reclassement effectuées par elle s'étaient limitées au périmètre de l'entreprise et que cette dernière devait être regardée comme appartenant à un " groupeB... ", dont l'existence était révélée par un faisceau d'indices ressortant des pièces du dossier ;

5. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier, d'une part, que la société Etudes Techniques B...a fait figurer, en en-tête de nombreux documents et correspondances qu'elle a émis dès l'année 2005, un logo " GroupeB... ", d'autre part, qu'un article publié dans la presse économique en juin 2005 a présenté en des termes non équivoques la société Etudes Techniques B...comme étant membre d'un groupeB..., auquel appartenait également la société Mécanique 3R, qui exerçait une activité de construction mécanique, enfin, que la société Etudes Techniques B...et la société WavesB..., dont les activités étaient voisines, ont eu le même dirigeant jusqu'à l'été 2010 ; que toutefois, en admettant même que ces indices, relevés par le tribunal administratif de Rouen, puissent être regardés comme suffisants à établir, à défaut de l'existence effective d'un " groupeB... " auquel la société Etudes Techniques B...aurait fait partie, au moins une proximité entre plusieurs entreprises exerçant des activités voisines ou complémentaires avec celle de cette société et ayant eu des intérêts communs avec celle-ci, ni ces indices, ni aucun des autres éléments de l'instruction, ne sont pas de nature à établir à eux seuls que ces entreprises auraient pu offrir, eu égard à leur organisation, leurs activités ou leur lieu d'exploitation, des possibilités d'y effectuer la permutation de tout ou partie du personnel de la société Etudes TechniquesB... ; que, si M. G...soutient avoir conçu, à la demande du dirigeant de la société Etudes Techniques B...et de la société WavesB..., et pour le compte de cette dernière société, des animations en trois dimensions au cours de l'année 2009, à l'aide d'un logiciel de conception assistée par ordinateur, les impressions de ce travail, que l'intéressé fournit au dossier, sont insuffisantes, même rapprochées d'éditions de courriers électroniques et autres documents techniques ne faisant aucunement mention de la société WavesB..., à établir la réalité de cette allégation ; qu'ainsi, pour estimer que la société Etudes Techniques B...avait pu s'acquitter de son obligation légale de reclassement à l'égard de M. G...en limitant ses recherches au périmètre de l'entreprise, l'administration n'a pas commis d'erreur d'appréciation ; qu'il suit de là que la SAS ADVEMES, venant aux droits de la société Etudes TechniquesB..., est fondée à soutenir que le tribunal administratif de Rouen a retenu à tort ce motif pour annuler l'autorisation qui lui avait été donnée par l'inspecteur du travail de licencier M. G... pour motif économique, ainsi que la décision par laquelle le ministre chargé du travail a rejeté le recours hiérarchique que l'intéressé avait formé contre cette autorisation ;

6. Considérant qu'il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. G...devant le tribunal administratif de Rouen ;

Sur la légalité externe des décisions contestées :

7. Considérant qu'aux termes de l'article R. 2421-10 du code du travail : " La demande d'autorisation de licenciement d'un délégué du personnel, d'un membre du comité d'entreprise ou d'un membre du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail est adressée à l'inspecteur du travail dont dépend l'établissement qui l'emploie. / (...) / Excepté dans le cas de mise à pied, la demande est transmise dans les quinze jours suivant la date à laquelle a été émis l'avis du comité d'entreprise. / (...) " et qu'aux termes de l'article R. 2421-14 de ce code : " En cas de faute grave, l'employeur peut prononcer la mise à pied immédiate de l'intéressé jusqu'à la décision de l'inspecteur du travail. / La consultation du comité d'entreprise a lieu dans un délai de dix jours à compter de la date de la mise à pied. / La demande d'autorisation de licenciement est présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise. S'il n'y a pas de comité d'entreprise, cette demande est présentée dans un délai de huit jours à compter de la date de la mise à pied. / (...) " ; que les délais fixés par l'une et l'autre de ces dispositions ne sont pas prescrits à peine de nullité de la procédure de licenciement ; que toutefois, dans le cas où la demande d'autorisation de licenciement concerne un salarié mis à pied l'employeur est tenu, eu égard à la gravité de la mesure de mise à pied, de respecter, à peine d'irrégularité de sa demande, un délai aussi court que possible pour la présenter ;

8. Considérant qu'il est constant qu'à la fin de la réunion ordinaire du comité d'entreprise du 23 août 2010, le président-directeur général de la société Etudes Techniques B...a demandé à M. G...de prendre sans délai les jours de repos qui lui restaient à poser au titre de la réduction du temps de travail, ainsi que le solde de ses jours de congé, d'emporter les objets personnels présents dans son bureau, de laisser les clés du local du comité d'entreprise à une personne de son choix et de communiquer le code d'accès à son poste de travail ; que, toutefois, alors notamment que la société Etudes Techniques B...a exclusivement invoqué un motif d'ordre économique pour justifier le licenciement de M. G...et que ce dernier a continué à percevoir sa rémunération nonobstant ces mesures, celles-ci, prises par l'employeur près d'un mois après la consultation du comité d'entreprise sur la perspective du licenciement de M. G..., ne peuvent, dans les circonstances de l'espèce, être regardées comme revêtant la nature d'une mise à pied, au sens des dispositions précitées de l'article R. 2421-14 du code du travail ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la demande d'autorisation de licenciement n'a pas été présentée dans les quarante-huit heures suivant la délibération du comité d'entreprise est inopérant ; qu'au surplus, le délai de huit jours séparant le prononcé par l'employeur, le 23 août 2010, des mesures précédemment décrites et la réception par l'inspecteur du travail, le 31 août 2010, de la demande tendant à obtenir l'autorisation de procéder à ce licenciement, n'a pas présenté, dans les circonstances de l'espèce, un caractère excessivement long ; que, par suite, le moyen tiré de ce que la décision de l'inspecteur du travail aurait été prise à l'issue d'une procédure irrégulière ne peut qu'être écarté ;

9. Considérant que, lorsque le ministre rejette le recours hiérarchique qui lui est présenté contre la décision de l'inspecteur du travail statuant sur la demande d'autorisation de licenciement formée par l'employeur, sa décision ne se substitue pas à celle de l'inspecteur ; que, par suite, s'il appartient au juge administratif, saisi d'un recours contre ces deux décisions, d'annuler, le cas échéant, celle du ministre par voie de conséquence de l'annulation de celle de l'inspecteur, des moyens critiquant les vices propres dont serait entachée la décision du ministre ne peuvent être utilement invoqués, au soutien des conclusions dirigées contre cette décision ; que, dès lors, les moyens tirés, en l'espèce, de l'incompétence du signataire de la décision rejetant le recours formé par M. G...contre l'autorisation, donnée par l'inspecteur du travail, de procéder à son licenciement et de l'insuffisante motivation de cette décision ne peuvent qu'être écartés comme inopérants ;

Sur la légalité interne :

En ce qui concerne le respect par l'employeur de son obligation légale de reclassement :

10. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que, par une lettre recommandée datée du 21 juin 2010, la société Etudes Techniques B...a proposé à M. G...un reclassement sur un poste de dessinateur de pièces manufacturées disponible au sein de ses effectifs ; que les seuls faits que ce poste relève d'une catégorie inférieure à celle de l'emploi jusqu'alors occupé par M. G...et que la même proposition a été formulée auprès de plusieurs autres salariés ne sont pas, par eux-mêmes, de nature à permettre de regarder cette offre de reclassement comme déloyale et dépourvue de caractère sérieux, l'intéressé n'alléguant pas qu'une affectation sur le poste proposé lui occasionnerait une baisse significative de rémunération ou une diminution notable de son niveau de responsabilités ; qu'il suit de là et de ce qui a été dit au point 5, que le moyen tiré de ce que, pour retenir que la société Etudes Techniques B...s'était acquittée de son obligation légale de reclassement, l'administration aurait commis une erreur d'appréciation doit être écarté ;

En ce qui concerne le contrôle par l'administration du respect par l'employeur de la procédure préalable au licenciement :

11. Considérant qu'il est constant que le comité d'entreprise a été convoqué le 28 mai 2010 en séance extraordinaire afin d'examiner le projet de licenciement économique ; que, toutefois, réuni le 7 juin 2010, ce comité a refusé d'émettre un avis après avoir estimé que les informations en sa possession concernant la situation économique de l'entreprise étaient insuffisantes ; qu'il ressort cependant des pièces du dossier et n'est pas contesté que les bilans comptables des exercices clos en 2006, 2007, 2008 et 2009 avaient été signifiés par huissier à M. G... le 18 mai 2010, en prévision de cette réunion, en sa qualité de représentant du personnel au sein de ce comité et qu'y avaient été joints les résultats enregistrés par activité, ainsi qu'un compte d'exploitation prévisionnel présentant une projection de la situation de l'entreprise avec et sans mise en oeuvre des licenciements envisagés ; qu'il appartenait à M.G..., qui a disposé d'un délai suffisant pour prendre connaissance de ces documents avant la réunion du comité d'entreprise, de demander à la direction de la société Etudes TechniquesB..., pour le cas où il estimait que le comité ne serait pas suffisamment éclairé, de produire tout autre élément et d'obtenir, en tant que de besoin, toute injonction en ce sens du juge des référés, ce qu'il n'a pas estimé utile de faire ; que, dans ces conditions, il ne ressort pas des pièces du dossier que le comité d'entreprise n'aurait pas disposé de tous les éléments propres à lui permettre de se prononcer, ni qu'il aurait été empêché d'émettre un avis ; que, par suite, pour estimer que la procédure de consultation du comité d'entreprise sur le projet de licenciement économique avait été régulière, l'inspecteur du travail et le ministre ne se sont pas mépris dans l'appréciation à laquelle ils se sont livrés ;

En ce qui concerne la réalité du motif économique invoqué :

12. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier et n'est pas contesté que la société Etudes Techniques B...a vu son chiffre d'affaires fortement décroître à compter de l'année 2005, en conséquence d'une baisse de son niveau d'activités, et que cette tendance s'est accentuée les années suivantes, compte tenu, en outre, de la conjoncture économique générale, ce chiffre d'affaires étant notamment passé de 2 033 931 euros en 2007 à 1 414 490 euros en 2009 ; que, dans le même temps le résultat d'exploitation est rapidement devenu déficitaire, la perte d'exploitation s'établissant, en 2008, à 137 207 euros, puis atteignant, en 2009, 550 108 euros ; que la réalité de cette situation est confirmée par les conclusions des deux experts comptables missionnés par le comité d'entreprise, qui relèvent, pour l'un, une forte augmentation du taux d'endettement de la société, qui est passé de 2,2% en 2005 à 21,6% en 2009, pour l'autre, que le niveau de pertes atteint en 2009 menaçait à court terme la pérennité de l'entreprise ; que, pour faire face à cette situation, la société Etudes Techniques B...a tenté, en vain, de diversifier ses activités en se tournant vers le domaine des énergies renouvelables et en mettant un terme à son activité de formation, identifiée comme non-rentable ; qu'au cours de l'enquête contradictoire mise en oeuvre par l'inspecteur du travail, la société Etudes Techniques B...a produit des documents comptables provisoires présentant sa situation au terme des six premiers mois de l'année 2010, desquels il ressort que le niveau de pertes atteint en 2009 s'est confirmé sur cette période, à l'issue de laquelle une perte de 175 963 euros a été enregistrée ; que, si M. G...fait valoir que de tels documents provisoires seraient, par nature, dépourvus de caractère probant et qu'ils ne pouvaient, par suite, être exploités par l'inspecteur du travail, il ne critique pas sérieusement la sincérité de ces documents extraits de la comptabilité de la société et établis par un cabinet d'expertise comptable à une date à laquelle les comptes de l'année 2010 n'étaient pas arrêtés ; que, s'il fait valoir, en outre, que la tendance retracée par ces documents ne s'est pas confirmée sur la période postérieure, mais qu'au contraire, la seconde partie de l'année 2010 a été caractérisée par une amélioration notable de la situation de la société Etudes TechniquesB..., l'exercice comptable ayant finalement été clôturé avec un résultat excédentaire de 144 749,88 euros, il ressort d'un document annexé aux comptes de la société et produit par M. G... que ce résultat ne trouve pas son origine dans une reprise significative de l'activité de la société, son chiffre d'affaires s'étant maintenu à 1 420 511,50 euros en 2010, contre 1 414 490 euros en 2009, mais dans de nombreux efforts consentis par ses dirigeants, qui ont notamment pris la forme d'abandons de créance représentant un montant total d'un peu plus de 125 000 euros ; qu'il ressort, en outre, du rapport déposé par le commissaire aux comptes au greffe du tribunal de commerce du Havre le 7 juillet 2011, également versé au dossier par M. G..., que la baisse de la masse salariale induite par le plan de restructuration dans lequel s'inscrit le licenciement de ce dernier a aussi contribué à cette amélioration ; que, toutefois, la situation de la société Etudes TechniquesB..., qui avait puisé sur des réserves déjà insuffisantes et sur ses capitaux propres, inférieurs à la moitié du capital social au 25 juin 2010, demeurait, à la fin de l'exercice 2010, fragile, le commissaire aux comptes précisant que le résultat d'exploitation accusait toujours une perte de 99 048 euros, le redressement de la société trouvant son origine dans un résultat exceptionnel en bénéfice de 144 750 euros ; qu'ainsi, pour remédier à la situation de pertes structurelles dans laquelle elle se trouvait placée, la société Etudes Techniques B...n'a eu d'autre choix que d'opter pour un plan de restructuration destinée à restreindre ses coûts d'exploitation, en réduisant notamment sa charge salariale ; que M. G...ne critique pas utilement le lien existant entre ces difficultés économiques et la suppression des deux postes du centre de formation, activité non rentable, du poste de responsable commercial, dont les missions ont été reprises par le dirigeant de la société, et de ceux de trois dessinateurs-projeteurs sur seize, en faisant référence aux affirmations péremptoires et non argumentées de l'un des experts désignés par le comité d'entreprise et en se prévalant d'une solution alternative suggérée par l'autre expert, que les dirigeants de la société ont pu librement choisir de ne pas mettre en oeuvre ; que, dans ces conditions et compte tenu notamment de l'absence de redressement du chiffre d'affaires de la société Etudes Techniques B...au cours de l'année 2010, de ce que l'amélioration enregistrée toutefois au cours de cette année trouve pour partie son origine dans les résultats du plan de réorganisation mis en oeuvre par la société et pour une autre dans des aides financières dont les effets sont circonscrits dans le temps, l'inspecteur du travail et le ministre n'ont pas commis d'erreur d'appréciation pour estimer que la réalité du motif économique avancé pour justifier le licenciement de M. G...était établie ;

En ce qui concerne les critères d'ordre de licenciement :

13. Considérant qu'il n'appartient pas à l'autorité administrative, saisie d'une demande d'autorisation de licenciement pour motif économique, de vérifier sa conformité aux critères fixés par un accord collectif pour l'ordre des licenciements ; qu'il incombe seulement à l'administration de s'assurer que les critères mis en oeuvre par l'employeur ne révèlent pas une volonté de discrimination au détriment du salarié investi d'un mandat représentatif ;

14. Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que la société Etudes Techniques B...a mis en oeuvre, après consultation du comité d'entreprise, qui n'a émis aucune réserve sur ceux-ci, des critères d'ordre de licenciement, à savoir l'âge des intéressés, leur ancienneté, leurs qualifications professionnelles, leur charge de famille et, le cas échéant, leur situation de handicap ; qu'eu égard à ce qui vient d'être dit au point précédent, M. G...ne peut utilement discuter, dans le cadre de la présente instance, de la pertinence du choix de ces critères ; que, par ailleurs, le seul fait que le tableau utilisé par la direction de la société Etudes techniques B...comporte des ratures affectant la ligne concernant l'un des autres salariés licenciés avec M. G... ne suffit pas à établir que la mise en oeuvre de ces critères, au demeurant à l'égard de ce dernier, aurait été empreinte de discrimination ; qu'enfin, si M. G... soutient que son employeur aurait retenu à tort, en ce qui le concerne, des qualifications professionnelles du niveau du baccalauréat, alors qu'il serait titulaire d'un diplôme universitaire de technologie en électricité et mécanique, le relevé de notes qu'il verse au dossier ne suffit pas, à lui seul, compte tenu de l'imprécision des mentions qu'il comporte, à permettre à l'intéressé de justifier de l'obtention du diplôme qu'il revendique, ni, par suite et en tout état de cause, d'établir que son employeur aurait fait usage, à son détriment, d'un tableau comportant des renseignements erronés ;

En ce qui concerne le lien avec le mandat représentatif :

15. Considérant qu'il est constant que M. G...et M.B..., l'ancien dirigeant de la société Etudes TechniquesB..., ont entretenu des relations particulièrement tendues qui se sont peu à peu transformées en une animosité personnelle et que cette situation a été à l'origine, à plusieurs reprises, de blocages dans le fonctionnement des organes de représentation du personnel, ce qui a conduit le juge des référés à intervenir et l'inspecteur du travail à recommander à M. B...de déléguer un collaborateur pour assurer la présidence des réunions du comité d'entreprise ; que, toutefois, il ne ressort pas des seules pièces versées au dossier que le licenciement de M.G..., justifié par l'employeur pour des motifs d'ordre économique avérés et qui ont pu le conduire à supprimer trois postes parmi les dessinateurs-projeteurs, représentant l'effectif le plus nombreux dans l'entreprise, aurait eu, en réalité, pour objet de faire obstacle à l'exercice par M. G...de ses fonctions représentatives, alors même que deux précédentes procédures de licenciement économique, qui n'ont pas été conduites à leur terme, avaient déjà concerné l'intéressé ; que, dans ce contexte, le fait que ce dernier a été affecté avec un collègue, pour des raisons sur lesquelles le dirigeant de la société s'est expliqué auprès de l'inspecteur du travail, dans un bureau distinct de celui dans lequel étaient installés les autres dessinateurs-projeteurs ne suffit pas à établir la réalité des allégations de M. G...quant au lien qui existerait entre son licenciement et son mandat représentatif ; que, par suite, pour estimer, après son enquête contradictoire, que ce licenciement n'était pas en lien avec ce mandat détenu par M. G..., l'inspecteur du travail, puis le ministre, n'ont pas commis d'erreur d'appréciation des faits de l'espèce, ni n'ont donné à ces faits une qualification juridique erronée ;

16. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que la SAS ADVEMES est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement du 15 octobre 2013, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'autorisation accordée par l'inspecteur du travail à la société Etudes TechniquesB..., aux droits de laquelle elle vient, de licencier M. G... pour motif économique et la décision par laquelle le ministre a rejeté le recours hiérarchique de l'intéressé ;

Sur les conclusions présentées au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

17. Considérant que ces dispositions font, en tout état de cause, obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de la SAS ADVEMES, qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, au titre des frais exposés par M. G...et non compris dans les dépens ;

18. Considérant qu'il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre, sur le fondement des mêmes dispositions, une somme à la charge de M. G...au titre des frais exposés par la SAS ADVEMES et non compris dans les dépens ;

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du 15 octobre 2013 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande présentée par M. G...devant le tribunal administratif de Rouen ainsi que ses conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la SAS ADVEMES au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. C...G..., à la société par actions simplifiée ADVEMES, venant aux droits de la société Etudes Techniques B...et à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

Copie en sera transmise, pour information, au directeur régional des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Hauts-de-France.

Délibéré après l'audience publique du 30 mars 2017 à laquelle siégeaient :

- M. Paul-Louis Albertini, président de chambre,

- M. Olivier Nizet, président-assesseur,

- M. Jean-François Papin, premier conseiller.

Lu en audience publique le 27 avril 2017.

Le rapporteur,

Signé : J.-F. PAPIN Le président de chambre,

Signé : P.-L. ALBERTINI Le greffier,

Signé : I. GENOT

La République mande et ordonne à la ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme

Le greffier,

Isabelle Genot

1

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N°16DA00526


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16DA00526
Date de la décision : 27/04/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-03-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. Licenciement pour motif économique. Obligation de reclassement.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Jean-François Papin
Rapporteur public ?: M. Habchi
Avocat(s) : CABINET SANGY

Origine de la décision
Date de l'import : 16/05/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2017-04-27;16da00526 ?
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