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17/09/2019 | FRANCE | N°19DA01023

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1re chambre - formation à 3 (bis), 17 septembre 2019, 19DA01023


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 décembre 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1811227 du 4 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 mai 2019, M. A..., représenté par Me D... C..., de

mande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler pour excès de pouvoir l'arrêté du 6 décembre 2018 par lequel le préfet du Nord a ordonné son transfert aux autorités italiennes et l'a assigné à résidence.

Par un jugement n° 1811227 du 4 janvier 2019, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 2 mai 2019, M. A..., représenté par Me D... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir cet arrêté ;

3°) d'enjoindre au préfet du Nord de réexaminer sa situation dans un délai de quinze jours à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

.................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le règlement (CE) n° 1560/2003 de la Commission du 2 septembre 2003, modifié par le règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014 ;

- le règlement (UE) n° 603/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- le règlement (UE) n° 604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Jean-Pierre Bouchut, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. A..., ressortissant guinéen, né le 10 mars 1989, qui déclare avoir quitté la Guinée en raison de craintes pour sa vie, a déposé en France une demande d'asile le 13 février 2018. La consultation d'Eurodac a fait apparaître l'existence d'une prise d'empreintes en Italie. Ce pays, consulté par la France, a accepté de le prendre en charge. Le requérant a été transféré en Italie le 23 août 2018 et est ensuite revenu en France où il a déposé une nouvelle demande d'asile le 8 novembre 2018. A nouveau consulté par la France, l'Italie a accepté de prendre en charge M. A.... Ce dernier relève appel du jugement par lequel le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2018 édicté par le préfet du Nord ordonnant son transfert vers l'Italie et l'assignant à résidence.

Sur la décision de transfert :

2. Aux termes de l'article 29 du règlement (UE) n° 604-2013 du Parlement européen et du Conseil en date du 26 juin 2013 : " 1. Le transfert du demandeur ou d'une autre personne visée à l'article 18, paragraphe 1, point c) ou d), de l'Etat membre requérant vers l'Etat membre responsable s'effectue conformément au droit national de l'Etat membre requérant, après concertation entre les Etats membres concernés, dès qu'il est matériellement possible et, au plus tard, dans un délai de six mois à compter de l'acceptation par un autre Etat membre de la requête aux fins de prise en charge ou de reprise en charge de la personne concernée ou de la décision définitive sur le recours ou la révision lorsque l'effet suspensif est accordé conformément à l'article 27, paragraphe 3. / (...) / 2. Si le transfert n'est pas exécuté dans le délai de six mois, l'Etat membre responsable est libéré de son obligation de prendre en charge ou de reprendre en charge la personne concernée et la responsabilité est alors transférée à l'Etat membre requérant. Ce délai peut être porté à un an au maximum s'il n'a pas pu être procédé au transfert en raison d'un emprisonnement de la personne concernée ou à dix-huit mois au maximum si la personne concernée prend la fuite. / (...) ".

3. Aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Sous réserve du second alinéa de l'article L. 742-1, l'étranger dont l'examen de la demande d'asile relève de la responsabilité d'un autre Etat peut faire l'objet d'un transfert vers l'Etat responsable de cet examen ". Aux termes du I de l'article L. 742-4 de ce code : " L'étranger qui a fait l'objet d'une décision de transfert mentionnée à l'article L. 742-3 peut, dans le délai de quinze jours à compter de la notification de cette décision, en demander l'annulation au président du tribunal administratif. / Le président ou le magistrat qu'il désigne à cette fin (...) statue dans un délai de quinze jours à compter de sa saisine (...) ". Aux termes du second alinéa de l'article L. 742-5 du même code : " La décision de transfert ne peut faire l'objet d'une exécution d'office ni avant l'expiration d'un délai de quinze jours ou, si une décision de placement en rétention prise en application de l'article L. 551-1 ou d'assignation à résidence prise en application de l'article L. 561-2 a été notifiée avec la décision de transfert, avant l'expiration d'un délai de quarante-huit heures, ni avant que le tribunal administratif ait statué, s'il a été saisi ". L'article L. 742-6 du même code prévoit enfin que : " Si la décision de transfert est annulée, il est immédiatement mis fin aux mesures de surveillance prévues au livre V. L'autorité administrative statue à nouveau sur le cas de l'intéressé ".

4. Il résulte de la combinaison de ces dispositions que l'introduction d'un recours devant le tribunal administratif contre la décision de transfert a pour effet d'interrompre le délai de six mois fixé à l'article 29 du règlement (UE) n° 604/2013, qui courait à compter de l'acceptation du transfert par l'Etat requis, délai qui recommence à courir intégralement à compter de la date à laquelle le tribunal administratif statue au principal sur cette demande, quel que soit le sens de sa décision. L'appel, même s'il est formé par le préfet, n'a pas pour effet d'interrompre ce nouveau délai. Son expiration a pour conséquence qu'en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement précité, l'Etat requérant devient responsable de l'examen de la demande de protection internationale.

5. Par un arrêté du 6 décembre 2018, le préfet du Nord a ordonné le transfert de M. A... aux autorités italiennes. Le délai de six mois imparti à l'administration pour procéder à son transfert à compter de la décision d'acceptation des autorités italiennes du 23 novembre 2018 a été interrompu par la présentation d'une demande de l'intéressé devant le tribunal administratif de Lille le 7 décembre 2018. Ce délai a recommencé à courir à compter du 9 janvier 2019, date de notification du jugement du magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille. Il ne ressort d'aucune pièce du dossier que l'autorité préfectorale, qui n'a pas présenté d'observations à réception de l'information relative au moyen d'ordre public susvisé, aurait décidé de porter à douze ou dix-huit mois le délai de remise après avoir constaté que l'intéressé aurait été emprisonné ou qu'il aurait pris la fuite. En conséquence, la décision de transfert est devenue caduque dès lors qu'elle n'a fait l'objet d'aucune décision de prorogation et n'a pas été matériellement exécutée. Dans ces conditions, en application des dispositions du paragraphe 2 de l'article 29 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013, l'Italie est libérée de son obligation de reprise en charge de M. A... et la responsabilité de l'examen de la demande d'asile de ce dernier est transférée à la France. La caducité de cette décision, qui est intervenue postérieurement à l'introduction de la requête de M. A..., a pour effet de priver d'objet sa demande tendant à l'annulation de la décision du 6 décembre 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes. Par suite, il n'y a plus lieu d'y statuer.

Sur la décision portant assignation à résidence :

6. M. A... soutient que l'illégalité de la décision de transfert contenue dans l'arrêté en litige entache par voie de conséquence la légalité de l'arrêté l'assignant à résidence. Il y a donc lieu d'examiner les moyens soulevés par le requérant à l'encontre de la décision de transfert.

7. Aux termes de l'article 23 du règlement (UE) n° 604/2013 dit Dublin III intitulé " Présentation d'une requête aux fins de reprise en charge lorsqu'une nouvelle demande a été introduite dans l'Etat membre requérant " : " (...) 2. Une requête aux fins de reprise en charge est formulée aussi rapidement que possible et, en tout état de cause, dans un délai de deux mois à compter de la réception du résultat positif Eurodac (...) / 3. Lorsque la requête aux fins de reprise en charge n'est pas formulée dans les délais fixés au paragraphe 2, c'est l'Etat membre auprès duquel la nouvelle demande est introduite qui est responsable de l'examen de la demande de protection internationale. (...) ". Aux termes de l'article 25 du même règlement : " 1. L'Etat membre requis procède aux vérifications nécessaires et statue sur la requête aux fins de reprise en charge de la personne concernée aussi rapidement que possible et en tout état de cause dans un délai n'excédant pas un mois à compter de la date de réception de la requête. Lorsque la requête est fondée sur des données obtenues par le système Eurodac, ce délai est réduit à deux semaines. / 2. L'absence de réponse à l'expiration du délai d'un mois ou du délai de deux semaines mentionnés au paragraphe 1 équivaut à l'acceptation de la requête, et entraîne l'obligation de reprendre en charge la personne concernée, y compris l'obligation d'assurer une bonne organisation de son arrivée ". Aux termes de l'article 15 du règlement (CE) n° 1560/2003 susvisé, dans sa rédaction issue du règlement d'exécution (UE) n° 118/2014 de la Commission du 30 janvier 2014, applicable au présent litige : " 1. Les requêtes et les réponses, ainsi que toutes les correspondances écrites entre Etats membres visant à l'application du règlement (UE) n° 604/2013, sont, autant que possible, transmises via le réseau de communication électronique " Dublinet " établi au titre II du présent règlement (...) / 2. Toute requête, réponse ou correspondance émanant d'un point d'accès national visé à l'article 19 est réputée authentique. / 3. L'accusé de réception émis par le système fait foi de la transmission et de la date et de l'heure de réception de la requête ou de la réponse ". Aux termes de l'article 18 de ce règlement : " Les moyens de transmission électroniques sécurisés, visés à l'article 22, paragraphe 2, du règlement n° 343/2003, sont dénommés " Dublinet " (...) ". Selon l'article 19 de ce règlement : " 1. Chaque Etat membre dispose d'un unique point d'accès national identifié. 2. Les points d'accès nationaux sont responsables du traitement des données entrantes et de la transmission des données sortantes. 3. Les points d'accès nationaux sont responsables de l'émission d'un accusé réception pour toute transmission entrante. (...) ".

8. Il résulte des dispositions citées ci-dessus du règlement (CE) n° 1560/2003 du 2 septembre 2003 que la production de l'accusé de réception émis, dans le cadre du réseau Dublinet, par le point d'accès national de l'Etat requis lorsqu'il reçoit une demande présentée par les autorités françaises établit l'existence et la date de cette demande et permet, en conséquence, de déterminer le point de départ du délai de deux semaines au terme duquel la demande de reprise est tenue pour implicitement acceptée. Pour autant, la production de cet accusé de réception ne constitue pas le seul moyen d'établir que les conditions mises à la reprise en charge du demandeur étaient effectivement remplies. Il appartient au juge administratif, lorsque l'accusé de réception n'est pas produit, de se prononcer au vu de l'ensemble des éléments qui ont été versés au débat contradictoire devant lui, par exemple du rapprochement des dates de consultation du fichier Eurodac et de saisine du point d'accès national français ou des éléments figurant dans une confirmation explicite par l'Etat requis de son acceptation implicite de reprise en charge.

9. Il ressort des pièces du dossier que M. A... a déposé une demande d'asile le 8 novembre 2018 et qu'à l'issue de la procédure de vérification effectuée au titre du règlement européen Eurodac, un résultat positif ou " hit " a été enregistré le même jour. Le préfet du Nord produit l'accusé de réception électronique daté du 8 novembre 2018 concernant la demande de reprise en charge de M A..., comportant le numéro de référence de son dossier " Dublinet " ainsi que la désignation de l'Italie en tant qu'Etat requis. Il verse également au dossier l'accusé de réception électronique " Dublinet " du 6 décembre 2018 concernant le formulaire intitulé " Constat d'un accord implicite et confirmation de reconnaissance de la responsabilité " comportant le numéro de référence du dossier du requérant. Ces éléments suffisent à tenir pour établie la saisine des autorités italiennes par les autorités françaises. Il suit de là que le moyen tiré de la méconnaissance des articles 23 et 25 du règlement (UE) n° 604/2013 du 26 juin 2013 doit être écarté.

10. Il ressort des pièces du dossier, et notamment des termes même de l'arrêté contesté, que le préfet a pris en considération la circonstance que M. A... avait, au début de l'année 2018, déposé une première demande d'asile en France, qu'il avait fait l'objet d'un transfert aux autorités italiennes et qu'il était revenu sur le territoire national où il avait déposé une seconde demande d'asile. La circonstance que les services préfectoraux aient saisi l'Italie, en novembre 2018, d'une demande de reprise en charge sur le fondement du b) du 1. de l'article 18 du règlement n° 604/2013 du 26 juin 2013 et non sur le fondement du d) du même article ne caractérise pas par elle-même un défaut d'examen de la situation du requérant. Enfin, il n'est pas établi que le requérant, qui a fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire italien le 13 septembre 2018, serait éloigné par les autorités de ce pays en direction de la Guinée. Dès lors, le préfet n'a pas entaché sa décision d'un défaut d'examen de la situation du l'intéressé pour n'avoir pas examiné les risques de violation des articles 4 de la Charte des droits fondamentaux et 3 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales en cas de renvoi en Guinée. Par suite, le moyen tiré du défaut d'examen de la situation particulière de l'intéressé doit être écarté.

11. Il résulte de ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à invoquer, par la voie de l'exception, l'illégalité de la décision ordonnant son transfert aux autorités italiennes.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. A... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 6 décembre 2018 par lequel le préfet du Nord l'a assigné à résidence.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

13. Si, compte tenu de la caducité de la décision de transfert attaquée, la France est l'Etat membre responsable de la demande d'asile présentée par M. A..., le présent arrêt, qui se borne à prononcer un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de l'arrêté de transfert n'implique, par lui-même, aucune mesure d'exécution sous astreinte. Par suite, les conclusions à fin d'injonction doivent être rejetées.

Sur les frais liés au litige :

14. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire droit aux conclusions de M. A... tendant à la mise à la charge de l'Etat d'une somme au titre des frais liés au litige.

DÉCIDE :

Article 1er : Il n'y a pas lieu de statuer sur les conclusions de la requête de M. A... tendant à l'annulation de l'arrêté du préfet du Nord du 6 décembre 2018 ordonnant son transfert aux autorités italiennes.

Article 2 : Le surplus des conclusions présentées par M. A... est rejeté.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... A..., au ministre de l'intérieur et à Me D... C....

Copie en sera transmise pour information au préfet du Nord.

N°19DA01023 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1re chambre - formation à 3 (bis)
Numéro d'arrêt : 19DA01023
Date de la décision : 17/09/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335 Étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. Boulanger
Rapporteur ?: M. Jean-Pierre Bouchut
Rapporteur public ?: M. Minet
Avocat(s) : CLEMENT

Origine de la décision
Date de l'import : 24/09/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2019-09-17;19da01023 ?
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