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27/02/2020 | FRANCE | N°17DA00159

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 27 février 2020, 17DA00159


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 29 juillet 2013 par laquelle le gouverneur de la Banque de France lui a infligé un blâme et de condamner la Banque de France à lui verser la somme de 270 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.

Par un jugement n° 1305930 du 6 décembre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoi

res, enregistrés le 24 janvier 2017, le 14 septembre 2017 et le 24 octobre 2017, M. D..., repr...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. F... D... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler, pour excès de pouvoir, la décision du 29 juillet 2013 par laquelle le gouverneur de la Banque de France lui a infligé un blâme et de condamner la Banque de France à lui verser la somme de 270 000 euros en réparation du préjudice qu'il estime avoir subi.

Par un jugement n° 1305930 du 6 décembre 2016, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 24 janvier 2017, le 14 septembre 2017 et le 24 octobre 2017, M. D..., représenté par Me C... E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir le blâme infligé le 29 juillet 2013 ;

3°) de condamner la Banque de France à lui verser la somme de 270 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis, avec intérêts à compter de sa demande préalable ;

4°) de mettre à la charge de la Banque de France la somme de 5 000 euros à lui verser au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu ;

- le code monétaire et financier ;

- le code du travail ;

- le statut du personnel de la banque de France ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public,

- et les observations de Me C... E... pour M. D..., de M. D... et de Me B... A... pour la Banque de France.

Une note en délibéré a été enregistrée le 7 février 2020 pour la Banque de France, représentée par la SCP Delvolvé et Trichet.

Une note en délibéré a également été enregistrée le 7 février 2020 pour M. D..., représenté par Me E....

Considérant ce qui suit :

1. M. F... D... est cadre de la Banque de France depuis mars 1991 et il était affecté à la succursale de Lille lorsqu'il a fait l'objet d'un blâme, par une décision du 29 juillet 2013. Il a saisi le tribunal administratif de Lille d'une demande d'annulation pour excès de pouvoir de cette sanction ainsi que d'une demande de condamnation de la Banque de France à lui verser la somme de 270 000 euros, en réparation du préjudice subi. Il relève appel du jugement du 6 décembre 2016 par lequel le tribunal administratif de Lille a rejeté l'ensemble de ses conclusions.

Sur la fin de non-recevoir :

2. Si la Banque de France soutient en défense que le jugement de première instance n'était pas joint à la requête, il ressort des pièces du dossier que ce jugement constituait la première pièce jointe à la requête. Par suite, la fin de non-recevoir opposée par la Banque de France ne peut qu'être écartée.

Sur le blâme infligé le 29 juillet 2013 :

3. Aux termes de l'article L. 142-1 du code monétaire et financier : " La Banque de France est une institution dont le capital appartient à l'Etat ". Aux termes de l'article L. 142-9 du même code : " (...) Le conseil général de la Banque de France détermine, dans les conditions prévues par le troisième alinéa de l'article L. 142-2, les règles applicables aux agents de la Banque de France dans les domaines où les dispositions du code du travail sont incompatibles avec le statut ou avec les missions de service public dont elle est chargée. (...) ". Il résulte de ces dispositions que la Banque de France constitue une personne publique chargée par la loi de missions de service public, qui n'a pas cependant le caractère d'un établissement public, mais revêt une nature particulière et présente des caractéristiques propres. Au nombre de ces caractéristiques figure l'application à son personnel des dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec son statut, ni avec les missions de service public dont elle est chargée.

4. Aux termes de l'article L. 1332-2 du code du travail : " Lorsque l'employeur envisage de prendre une sanction, il convoque le salarié en lui précisant l'objet de la convocation, sauf si la sanction envisagée est un avertissement ou une sanction de même nature n'ayant pas d'incidence, immédiate ou non, sur la présence dans l'entreprise, la fonction, la carrière ou la rémunération du salarié. / Lors de son audition, le salarié peut se faire assister par une personne de son choix appartenant au personnel de l'entreprise. / Au cours de l'entretien, l'employeur indique le motif de la sanction envisagée et recueille les explications du salarié. / La sanction ne peut intervenir moins de deux jours ouvrables, ni plus d'un mois après le jour fixé pour l'entretien. Elle est motivée et notifiée à l'intéressé. ".

5. Les dispositions précitées du code du travail n'apparaissent incompatibles, ni avec les missions de service public dont la Banque de France est chargée, ni avec le statut de son personnel. En particulier, si les articles 228 à 239 de ce statut établissent la procédure disciplinaire, ils ne fixent aucune règle sur le délai de prononcé de la sanction. Au surplus, la Banque de France, en défense, ne justifie aucunement de la contrariété entre les dispositions précitées et le statut du personnel. Or, en l'espèce, il ressort des pièces du dossier qu'une enquête a été effectuée préalablement à la sanction, conformément aux dispositions de l'article 233 du statut. Le rapport d'enquête, établi par l'inspecteur général, a été adressé le 6 mai 2013 à M. D.... Préalablement, par courrier du 22 avril 2013, la directrice du recrutement et des carrières a informé l'intéressé qu'une sanction était envisagée à son encontre. Ce courrier indiquait les motifs de la sanction éventuelle, le type de sanction et convoquait M. D... à un entretien individuel, le 7 juin 2013, en se référant explicitement à l'article L. 1332-2 du code du travail. La lettre d'envoi du rapport d'enquête faisait également référence à ces dispositions du code du travail. Par suite, la décision infligeant le blâme ne pouvait être prononcée le 29 juillet 2013, plus d'un mois après l'entretien prévu par l'article L. 1332-2 du code du travail, alors que la Banque de France a entendu suivre la procédure prévue par ce même article et ne démontre pas en quoi elle serait contraire au statut du personnel. La méconnaissance de cette disposition prévoyant un délai maximal après l'entretien pour prendre une sanction a privé M. D... d'une garantie et a nécessairement eu une influence sur le sens de la décision. M. D... est ainsi fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, par le jugement contesté, a rejeté ses conclusions d'annulation de cette décision. La décision du 29 juillet 2013 infligeant un blâme à M. D... doit donc être annulée pour vice de procédure, sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les autres moyens au soutien des conclusions d'annulation pour excès de pouvoir.

Sur les conclusions indemnitaires :

6. Aux termes de l'article 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. " et aux termes de l'article 1154-1 du même code dans sa version en vigueur jusqu'au 10 août 2016, applicable aux faits de l'espèce : " Lorsque survient un litige relatif à l'application des articles L. 1152-1 à L. 1152-3 et L. 1153-1 à L. 1153-4, le candidat à un emploi, à un stage ou à une période de formation en entreprise ou le salarié établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement. /Au vu de ces éléments, il incombe à la partie défenderesse de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. / Le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. ". Pour apprécier si des agissements, dont il est allégué qu'ils sont constitutifs d'un harcèlement moral, revêtent un tel caractère, le juge doit tenir compte des comportements respectifs de l'agent auquel il est reproché d'avoir exercé de tels agissements et de l'agent qui estime avoir été victime d'un harcèlement moral.

7. M. D... se plaint du comportement de sa hiérarchie, estimant que ses activités ont été réduites et que les directives données à certains services l'ont empêché d'accomplir ses missions. Il résulte toutefois de l'instruction que ses supérieurs hiérarchiques apprécient le travail de M. D... et reconnaissent ses apports, notamment en matière de suivi et d'amélioration des performances en matière de dépenses. Ses missions, d'après les pièces du dossier, n'ont pas varié sur l'ensemble de la période en cause. Pour établir les faits laissant présumer un harcèlement moral, M. D... produit, pour l'essentiel, copie des messages qu'il a adressés en réaction aux directives de sa hiérarchie. Ces messages comprennent de très nombreux destinataires, parfois sans lien avec sa hiérarchie directe et sont rédigés dans un style très direct, le plus souvent ironique, voire acerbe. Ils peuvent comprendre des jugements de valeur particulièrement dévalorisants pour ses interlocuteurs, par exemple " pratique managériale du vide absolu " dans un message du 19 mars 2012, ou encore " inefficience, actions contreproductives " à l'égard de collègues, dans un message du 17 novembre 2010. Il résulte également des pièces produites par l'appelant, comme du rapport précité de l'inspecteur général, que l'intéressé a pour habitude de relancer systématiquement ses interlocuteurs, lorsqu'il n'obtient pas de réponse rapide à ses demandes, en mettant en copie sa hiérarchie directe, voire des cadres en fonction au siège de la Banque de France. Par ailleurs, si M. D... se plaint de ne pas avoir été évalué par son supérieur hiérarchique de rang " n+ 2 ", cette affirmation est inexacte pour l'année 2011 et il a bien bénéficié, en outre, d'une évaluation de son supérieur hiérarchique direct en 2010 et 2012. Il ne démontre pas, au demeurant, que cette absence d'évaluation par son supérieur hiérarchique de rang " n+ 2 " ait eu des conséquences sur sa carrière. De même, s'il établit qu'il n'était pas présent sur l'organigramme de la succursale de Lille en date du 7 novembre 2012, sa présence a été rétablie dans l'organigramme du 14 novembre 2012. Si M. D... se plaint aussi de ne pas avoir été informé de la suspension de son accès à l'internet, suite à un message qu'il a adressé à l'extérieur de la Banque de France, il résulte des pièces produites que le directeur des affaires régionales de la succursale de Lille a cherché à organiser un rendez-vous avec l'intéressé, pour lui notifier cette décision de suspension, et que M. D... ne s'y est pas rendu. Si ce dernier critique également le rapport de l'inspecteur général, certes très négatif sur son comportement et concluant à l'absence de perspective de solution locale sérieuse pour M. D..., ce rapport n'est ni injurieux, ni ne préconise la révocation de l'intéressé, la Banque ayant en outre envisagé suite à ce rapport, au pire une sanction du deuxième degré, à savoir un retard de deux ans maximum dans l'avancement d'échelon, ou une suspension maximale d'un mois. De surcroît, l'intéressé a été invité à plusieurs reprises à s'exprimer sur ce rapport, soit avant sa remise, soit dans le cadre de la procédure disciplinaire. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. D... n'établit pas des faits laissant présumer d'agissements répétés de harcèlement moral de la part de sa hiérarchie, alors qu'il convient de tenir compte du comportement de l'agent, qui, par son attitude, a pu provoquer des consignes tendant à ne pas répondre à ces demandes incessantes et critiques, ou des restrictions dans son accès aux applications de communication électroniques. Il ne résulte pas en effet de l'instruction que le comportement de sa hiérarchie directe excède les limites du pouvoir d'organisation du service. Il n'est pas établi, non plus, compte tenu de ce qui précède, que la procédure disciplinaire engagée à la suite du rapport précité de l'inspecteur général, constitue une pratique discriminatoire à l'encontre de celui-ci pour avoir dénoncé des actes de harcèlement moral. Par suite, M. D... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, par le jugement contesté, a rejeté sa demande d'indemnisation du harcèlement moral subi.

8. Si M. D... doit être considéré comme soutenant aussi que la responsabilité de la Banque de France est engagée en raison de la méconnaissance de son obligation de protection de ses salariés, il résulte de l'instruction que, dès que l'intéressé a exprimé son mal-être, le directeur régional en a informé le médecin du travail par courrier électronique du 7 mars 2013. M. D... ne s'est pas rendu à la visite médicale que lui a proposée, le 28 mars 2013, le médecin du travail, suite à cette alerte. Par ailleurs, il n'apporte aucun élément démontrant que sa santé et sa sécurité étaient mises en danger de manière immédiate et que son employeur n'aurait pris aucune mesure de protection. La responsabilité de la Banque de France de ce chef ne peut donc être retenue.

9. M. D... doit également être considéré comme recherchant la responsabilité de la Banque de France en raison de l'illégalité fautive de la sanction. Ainsi qu'il a été dit au point 5, le blâme infligé à M. D... l'a été au terme d'une procédure irrégulière. Toutefois, il ne peut être fait droit aux demandes indemnitaires présentées sur ce fondement que si, compte tenu de la nature et de la gravité de cette irrégularité procédurale, la même décision n'aurait pu être légalement prise, s'agissant tant du principe même de la sanction que de son quantum, dans le cadre d'une procédure régulière. En l'espèce, il était reproché à M. D... d'avoir utilisé sa messagerie de manière non conforme aux règles définies par la Banque et d'avoir un comportement perturbateur de la hiérarchie. Il résulte de l'instruction et notamment du rapport de l'inspecteur général précité que ces griefs étaient fondés sur la diffusion par M. D... à un grand nombre d'interlocuteurs, de messages ironiques, voire insultants ou peu respectueux de ses collègues et de sa hiérarchie. En particulier, à la suite de son entretien professionnel au titre de l'année 2012, il a diffusé aux représentants du personnel avec copie à sa hiérarchie, le compte-rendu de cet entretien avec un commentaire le qualifiant de " concentré d'inepties ". Si M. D... soutient qu'aucune règle interne n'existait sur l'utilisation de la messagerie, il produit lui-même une charte des nouvelles technologies. En tout état de cause, le ton de ses messages était pour le moins déplacé et manquait de respect pour sa hiérarchie. Par suite, les faits reprochés apparaissent fautifs et la sanction envisagée, le blâme, n'était pas disproportionnée. En outre, M. D... soutient que la sanction révèle un détournement de pouvoir car elle constitue un élément du harcèlement moral dont il est l'objet. Toutefois, ainsi qu'il a été dit au point 7, le harcèlement moral n'est pas établi. En conséquence, M. D... n'est pas fondé, pour l'ensemble de ces motifs, à demander la réparation du préjudice né de l'illégalité fautive de la sanction.

10. Il résulte de tout ce qui précède que M. D... est seulement fondé à soutenir que c'est à tort que par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lille a rejeté ses conclusions d'annulation pour excès de pouvoir du blâme infligé le 29 juillet 2013. Il n'est en revanche pas fondé à soutenir que c'est à tort que ses conclusions indemnitaires ont été rejetées. Il n'y a pas lieu dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions présentées sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative par les deux parties.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Lille du 6 décembre 2016 est annulé en tant qu'il a rejeté les conclusions d'annulation pour excès de pouvoir de M. D....

Article 2 : La décision du 29 juillet 2013 infligeant un blâme à M. D... est annulée.

Article 3 : Le surplus des conclusions de M. D... tant devant le tribunal administratif de Lille que devant la cour est rejeté.

Article 4 : Les conclusions de la Banque de France tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... D... et à la Banque de France.

6

N° 17DA00159


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 17DA00159
Date de la décision : 27/02/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

13-025 Capitaux, monnaie, banques. Banque de France.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : PLANQUE

Origine de la décision
Date de l'import : 10/03/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-02-27;17da00159 ?
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