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17/07/2020 | FRANCE | N°19DA01034

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 4ème chambre, 17 juillet 2020, 19DA01034


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, un récépissé lui permettant

de conclure un contrat de travail, dans un délai de quinze jours à compter de la ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... E... a demandé au tribunal administratif d'Amiens, d'une part, d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de destination, d'autre part, d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou, à défaut, de réexaminer sa situation et de lui délivrer, dans cette attente, un récépissé lui permettant de conclure un contrat de travail, dans un délai de quinze jours à compter de la date de notification du jugement à intervenir, sous astreinte de 100 euros par jour de retard.

Par un jugement n° 1803750 du 15 février 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 3 mai 2019, Mme E..., représentée par Me D..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 24 octobre 2018 du préfet de la Somme ;

3°) d'enjoindre au préfet de la Somme de lui délivrer un titre de séjour dans un délai d'un mois à compter de la date de notification de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat le versement à son conseil de la somme de 2 000 euros au titre des dispositions de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code du travail ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

Le président de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de Mme A... C..., première conseillère, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme E..., ressortissante malgache née le 17 septembre 1988, est entrée en France, le 30 août 2011, sous couvert d'un passeport national revêtu d'un visa de long séjour en qualité d'étudiante. Le titre de séjour qui lui a été délivré en qualité d'étudiant a été renouvelé jusqu'au 26 novembre 2015. Elle a ensuite bénéficié d'une autorisation provisoire de séjour en qualité d'étudiante en recherche d'emploi, puis de titres de séjour en qualité de travailleur temporaire. A la suite de son embauche par la société BRB, qui, après un contrat à durée déterminée lui a proposé un contrat à durée indéterminée à compter du 21 mars 2018, Mme E... a sollicité, le 7 août 2018, la délivrance d'un titre de séjour en qualité de salarié sur le fondement du 1° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Par une décision du 9 octobre 2018, le préfet de la Somme a rejeté la demande de changement de statut présentée par l'intéressée et ne l'a pas autorisée à travailler au sein de la société BRB. Par arrêté du 24 octobre 2018, le préfet de la Somme a rejeté la demande de titre de séjour de Mme E..., lui a fait obligation de quitter le territoire français et a fixé le pays de renvoi. Mme E... relève appel du jugement du 15 février 2019 par lequel le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cet arrêté.

2. En premier lieu, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges, Mme E..., qui critique l'appréciation portée par le préfet de la Somme sur les critères de délivrance d'une autorisation de travail, doit être regardée comme excipant, à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité de salarié, de l'illégalité de la décision du 9 octobre 2018 lui refusant l'autorisation de travailler, dont il ne ressort pas des pièces du dossier qu'elle serait devenu définitive à la date de l'introduction de sa demande devant le tribunal administratif d'Amiens.

3. Aux termes de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " Une carte de séjour temporaire, d'une durée maximale d'un an, autorisant l'exercice d'une activité professionnelle est délivrée à l'étranger : / 1° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée indéterminée, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 du code du travail. Elle porte la mention "salarié". / (...) / 2° Pour l'exercice d'une activité salariée sous contrat de travail à durée déterminée ou dans les cas prévus aux articles L. 1262-1 et L. 1262-2 du même code, dans les conditions prévues à l'article L. 5221-2 dudit code. Cette carte est délivrée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement, dans la limite d'un an. Elle est renouvelée pour une durée identique à celle du contrat de travail ou du détachement. Elle porte la mention " travailleur temporaire " ; (...) ". Aux termes de l'article L. 5221-2 du code du travail : " Pour entrer en France en vue d'y exercer une profession salariée, l'étranger présente : / (...) / 2° Un contrat de travail visé par l'autorité administrative ou une autorisation de travail. ". Aux termes de l'article R. 5221-20 du même code : " Pour accorder ou refuser l'une des autorisations de travail mentionnées à l'article R. 5221-11, le préfet prend en compte les éléments d'appréciation suivants : / 1° La situation de l'emploi dans la profession et dans la zone géographique pour lesquelles la demande est formulée, compte tenu des spécificités requises pour le poste de travail considéré, et les recherches déjà accomplies par l'employeur auprès des organismes concourant au service public de l'emploi pour recruter un candidat déjà présent sur le marché du travail ; / 2° L'adéquation entre la qualification, l'expérience, les diplômes ou titres de l'étranger et les caractéristiques de l'emploi auquel il postule ; / Lorsque la demande concerne un étudiant ayant achevé son cursus sur le territoire français cet élément s'apprécie au regard des seules études suivies et seuls diplômes obtenus en France ; / 3° Le respect par l'employeur, l'utilisateur mentionné à l'article L. 1251-1 ou l'entreprise d'accueil de la législation relative au travail et à la protection sociale ; (...) ". Enfin, aux termes de l'article R. 5221-3 du même code : " L'autorisation de travail peut être constituée par l'un des documents suivants : / (...) / 9° La carte de séjour temporaire portant la mention " travailleur temporaire ", délivrée en application du 2° de l'article L. 313-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (...) / Elle permet l'exercice de l'activité professionnelle salariée dans le respect des termes de l'autorisation de travail accordée ; (...) "

4. Pour refuser l'autorisation de travail de Mme E... portant sur un poste d'employé polyvalent dans la restauration au sein de la société BRB, le préfet de la Somme s'est fondé sur la triple circonstance que la situation de l'emploi dans le département de la Seine-et-Marne ne justifiait pas le recours à la main d'oeuvre étrangère, que le diplôme obtenu par l'intéressée était en inadéquation avec les caractéristiques de l'emploi auquel elle postulait, et que l'employeur de cette dernière ne justifiait pas du respect de la législation relative au travail.

5. Mme E..., pour contester le premier motif retenu par le préfet, fait valoir que la société BRB a fait face à plusieurs abandons de poste de la part d'employés polyvalents de nationalité française et a trouvé en elle une employée fiable. Toutefois, à les supposer même établies, ces circonstances ne sont pas de nature à remettre en cause l'appréciation portée par le préfet sur l'absence de nécessité pour cette entreprise d'un recours à la main d'oeuvre étrangère, au regard du nombre important de demandeurs d'emploi sur le marché du travail, en région Ile-de-France, susceptibles d'occuper l'emploi auquel postule l'intéressée, et alors qu'il est constant que la société BRB n'avait, dans ce contexte, déposé aucune offre d'emploi auprès d'organismes concourant au service public de l'emploi.

6. S'agissant du deuxième motif retenu par le préfet, Mme E... ne conteste pas l'inadéquation entre l'emploi auquel elle postule et la qualification obtenue par elle à l'issue de ses études, qui lui ont permis d'obtenir un Master mention " économie des organisations et gouvernance ", spécialité " management des organisations de la net économie ". Elle soutient toutefois avoir acquis, grâce à ses expériences professionnelles antérieures, une qualification justifiant son embauche en tant qu'employée polyvalente en restauration. Toutefois, il ne ressort pas des pièces du dossier, en tout état de cause, que les emplois qu'elle a tenus auprès de la société Darty, la société Kéolis et de la société CMFG lui aurait permis d'acquérir l'expérience dont elle se prévaut dans le domaine de l'emploi en cause.

7. Enfin, il ressort des pièces du dossier que si Mme E... disposait d'un titre de séjour en qualité de travailleur temporaire au moment de son embauche sous contrat à durée déterminée avec la société BRB, l'autorisation de travail qui lui avait été délivrée parallèlement à ce titre de séjour concernait une autre société. La société BRB n'ayant pas fait viser les contrats de travail conclus avec elle, soit à durée déterminée le 21 novembre 2017, soit à durée indéterminée à compter du 21 mars 2018, en méconnaissance des dispositions précitées de l'article R. 5221-3 du code du travail, la requérante ne peut utilement soutenir que son employeur aurait respecté la législation relative au travail.

8. Dans ces conditions, c'est par une exacte appréciation des dispositions de l'article R. 5221-20 du code du travail que le préfet de la Somme a refusé de délivrer à Mme E... l'autorisation de travail sollicitée. Il suit de là que la requérante n'est pas fondée à exciper de l'illégalité de la décision du 9 octobre 2018 à l'appui de ses conclusions à fin d'annulation de l'arrêté du 24 octobre 2018 par lequel le préfet de la Somme a refusé de lui délivrer un titre de séjour en qualité de salarié.

9. En deuxième lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. / 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bienêtre économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui (...) ".

10. Si Mme E... se prévaut de la présence en France d'une soeur, de nationalité française, et d'une cousine, et fait état de ses liens avec une autre soeur résidant en Allemagne, l'intéressée, célibataire et sans charge de famille, n'établit pas qu'elle serait dépourvue d'attaches dans son pays d'origine, où elle a vécu jusqu'à l'âge de vingt-trois ans. Par ailleurs, ni son expérience associative d'une durée de cinq ans au sein d'un comité presbytéral, ni l'intérêt que son parcours universitaire et professionnel pourrait présenter pour de futurs employeurs ne sont de nature à établir qu'elle aurait transféré le centre de ses intérêts privés sur le territoire français. Dans ces conditions, et alors même que les pièces du dossier montrent la volonté de l'intéressée de s'insérer dans le monde du travail en France, le préfet de la Somme, en lui refusant la délivrance d'un titre de séjour et en lui faisant obligation de quitter le territoire français, n'a pas porté au droit de l'intéressée au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ces décisions ont été prises. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, les décisions contestées ne sont pas davantage entachées d'erreur manifeste dans l'appréciation de leurs conséquences sur la situation personnelle de l'intéressée.

11. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La carte de séjour temporaire mentionnée à l'article L. 313-11 ou la carte de séjour temporaire mentionnée aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 peut être délivrée, sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, à l'étranger ne vivant pas en état de polygamie dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 313-2. / (...) ".

12. Il ne ressort pas des pièces du dossier que, compte tenu de la situation de Mme E... telle qu'elle a été exposée aux points précédents, l'intéressée puisse se prévaloir de considérations humanitaires ou de motifs exceptionnels propres à justifier son admission exceptionnelle au séjour, sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. En quatrième et dernier lieu, les moyens tirés de ce que l'arrêté contesté serait entaché d'erreurs de fait et d'erreur de droit, qui ne sont, en ce qu'ils sont énoncés sous la forme d'une pétition de principe, assortis d'aucune précision permettant à la cour d'en apprécier le bien-fondé, doivent être écartés.

14. Il résulte de tout ce qui précède que Mme E... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté sa demande. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction, ainsi que celles tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme E... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... E..., au ministre de l'intérieur et à Me D....

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Somme.

5

N°19DA01034


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01034
Date de la décision : 17/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : M. Heu
Rapporteur ?: Mme Hélène Busidan
Rapporteur public ?: M. Arruebo-Mannier
Avocat(s) : SCP CARON-DAQUO-AMOUEL-PEREIRA

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-17;19da01034 ?
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