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30/07/2020 | FRANCE | N°18DA02619

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 30 juillet 2020, 18DA02619


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 15 juin 1998 par laquelle le président de la communauté urbaine de Lille a rejeté sa demande de titularisation dans un cadre d'emploi de catégorie A, d'enjoindre à la métropole européenne de Lille de reconstituer sa carrière à compter du 1er avril 1998, comme attaché principal ainsi que de rectifier les bases de liquidation de sa pension et de condamner la métropole européenne de Lille, à lui verser, en réparation du

préjudice subi, une somme de 280 000 euros à parfaire, assortie des intérêts a...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. D... B... a demandé au tribunal administratif de Lille d'annuler la décision du 15 juin 1998 par laquelle le président de la communauté urbaine de Lille a rejeté sa demande de titularisation dans un cadre d'emploi de catégorie A, d'enjoindre à la métropole européenne de Lille de reconstituer sa carrière à compter du 1er avril 1998, comme attaché principal ainsi que de rectifier les bases de liquidation de sa pension et de condamner la métropole européenne de Lille, à lui verser, en réparation du préjudice subi, une somme de 280 000 euros à parfaire, assortie des intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de sa demande.

Par un jugement n° 1508364 du 23 octobre 2018, le tribunal administratif de Lille a rejeté sa demande.

Procédure devant la cour :

Par une requête et des mémoires, enregistrés le 23 décembre 2018, le 23 mai 2019 et le 1er juillet 2020, M. D... B..., représenté par Me A... C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler pour excès de pouvoir la décision du 15 juin 1998 par laquelle le président de la communauté urbaine de Lille a rejeté sa demande de titularisation dans un cadre d'emplois de catégorie A ;

3°) d'enjoindre au président de la métropole européenne de Lille de reconstituer sa carrière à compter du 1er avril 1998 comme attaché principal et de rectifier les bases de liquidation transmises à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ;

4°) de condamner la métropole européenne de Lille à lui verser la somme estimée provisoirement à 280 000 euros, avec intérêts au taux légal à compter de l'enregistrement de la demande de première instance ;

5°) d'ordonner, en tant que de besoin, une expertise pour fixer le montant du préjudice subi ;

6 °) de mettre à la charge de la métropole européenne de Lille la somme de 4 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et du citoyen

- la loi n°84-54 du 26 janvier 1984 ;

- le décret n°86-227 du 18 février 1986 ;

- le décret n°87-1099 du 30 décembre 1987 ;

- le décret n°93-986 du 4 août 1993 ;

- le décret n°98-68 du 2 février 1998

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur public ;

- et les observations de Me A... C..., représentant M. B....

Considérant ce qui suit :

1. M. B... a été recruté comme contractuel le 1er octobre 1983 par la communauté urbaine de Lille, devenue la métropole européenne de Lille. Il a demandé sa titularisation dans le cadre d'emploi des rédacteurs territoriaux par courrier du 20 décembre 1993, en application du décret du 4 août 1993 portant modifications de certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale. Par arrêté du 17 novembre 1994, la communauté urbaine de Lille a fait droit à sa demande à compter du 1er janvier 1994. Il a ensuite demandé sa titularisation dans la catégorie A, par courrier du 26 mars 1998. La communauté urbaine de Lille a rejeté cette demande par décision du 15 juin 1998. Il a saisi le tribunal administratif de Lille de conclusions à fin d'annulation de la décision du 15 juin 1998, d'injonction tendant à ce que la métropole européenne de Lille le titularise en catégorie A, ainsi que de condamnation de cet établissement public à réparer le préjudice qu'il a subi. M. B... relève appel du jugement du 23 octobre 2018 qui a rejeté ses demandes.

Sur la régularité du jugement :

2. Le jugement contesté du 23 octobre 2018, après avoir rappelé les textes applicables a considéré que la communauté urbaine de Lille ne pouvait pas titulariser M. B... en catégorie A. Il a ainsi implicitement mais nécessairement écarté les moyens tirés de l'erreur de cette intercommunalité dans la gestion de la carrière de M. B... ainsi que d'un manque de loyauté de cet établissement public à l'égard de son agent, moyens qui au surplus n'étaient pas assortis de précisions permettant d'en apprécier le bien-fondé. M. B..., qui, au demeurant, est imprécis sur les moyens que le premier juge n'aurait pas examinés, n'est donc pas fondé à soutenir que le tribunal administratif de Lille aurait entaché le jugement du 23 octobre 2018 d'irrégularité en ce qu'il aurait omis de se prononcer sur l'ensemble des moyens qu'il a soulevé en première instance.

3. Le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai, des situations consolidées par l'effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d'une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l'obligation d'informer l'intéressé sur les voies et les délais de recours, ou l'absence de preuve qu'une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d'un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l'exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu'il en a eu connaissance.

4. En l'espèce, si la décision en litige du 15 juin 1998 ne comportait pas mention des voies et délais de recours, il n'est pas contesté qu'elle a été immédiatement notifiée à M. B.... Celui-ci n'a demandé au juge de l'excès de pouvoir, l'annulation de cette décision que le 12 octobre 2015, bien au-delà du délai raisonnable mentionné au point précédent, alors même qu'il en avait eu nécessairement connaissance d'autant qu'il avait formé un recours gracieux contre cette décision, le 25 avril 2010. Pour se prévaloir de circonstances exceptionnelles justifiant un tel délai, M. B... indique qu'il n'a pris conscience des conséquences de son absence de titularisation en catégorie A qu'au moment de formuler sa demande de mise à la retraite et qu'il ignorait également que son emploi de contractuel relevait de la catégorie A. Il ressort toutefois des pièces du dossier que M. B..., qui indique qu'il est licencié en droit et qui revendique son reclassement comme attaché principal, a demandé la reconstitution de sa carrière avec intégration à la catégorie A, le 20 août 2009, le 23 avril 2010, le 12 août 2010 et à nouveau le 16 octobre 2014, démontrant ainsi qu'il avait pleinement connaissance des conséquences de la décision du 15 juin 1998. Il ne peut donc, même s'il ignorait la durée d'un an, mentionnée au point précédent, se prévaloir d'aucune circonstance exceptionnelle, justifiant qu'il ne forme un recours en excès de pouvoir contre la décision du 15 juin 1998 que le 12 octobre 2015.

5. La fixation d'un délai raisonnable, excédant le délai de droit commun de deux mois, dans lequel peuvent être contestées les décisions administratives individuelles qui ne comportent pas de mention des voies et délais de recours, vise dans un but d'intérêt général, à garantir la sécurité juridique. Elle ne peut donc être regardée, d'autant que ce délai peut tenir compte de circonstances particulières, comme méconnaissant le principe d'un droit au recours effectif garanti par les stipulations du paragraphe 1er de l'article 6 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, d'autant que ce principe n'est pas absolu et peut se prêter à des limitations notamment quant aux délais dans lesquels ces actions peuvent être engagées. M. B... n'est donc pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille a rejeté comme tardives ses conclusions d'annulation et par voie de conséquence ses conclusions d'injonction.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne les conclusions d'annulation :

6. M. B... réitère, en cause d'appel, ses conclusions d'annulation de la décision du 15 juin 1998. Compte tenu de ce qui a été dit aux points 5 et 6, de telles conclusions sont irrecevables, comme l'oppose en défense la métropole européenne de Lille et ne peuvent donc qu'être rejetées. Les conclusions à fins d'injonction visent uniquement à demander que soient prises les mesures imposées par l'annulation de la décision du 15 juin 1998, elles ne peuvent donc qu'être rejetées par voie de conséquence de l'irrecevabilité des conclusions en excès de pouvoir.

En ce qui concerne les conclusions indemnitaires :

7. L'article 1er du décret du 18 février 1986 relatif à la titularisation des agents des collectivités territoriales des catégories A et B dans sa version issue du décret du 2 février 1998 portant modifications de certaines dispositions relatives à la fonction publique territoriale dispose que : " Les agents non titulaires des communes, des départements, des régions ou de leurs établissements publics ainsi que des offices publics d'habitation à loyer modéré et des caisses de crédit municipal, qui occupent un des emplois définis à l'article 3 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 et qui remplissent les conditions énumérées respectivement aux articles 126 et 127 de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984, ont vocation à être titularisés sur leur demande dans des corps ou dans des emplois classés en catégorie A ou B déterminés en application de l'article 129 de la loi du 26 janvier 1984 précitée, dans les conditions fixées au tableau de correspondance annexé au présent décret. ". Par suite, M. B... qui avait été titularisé et intégré à sa demande comme rédacteur territorial à compter du 1er janvier 1994, ne pouvait bénéficier des dispositions précitées, comme le lui rappelait la décision du 15 juin 1998 rejetant sa demande d'intégration dans la catégorie A, puisqu'il n'était plus agent non titulaire à la date de cette demande. Il n'est donc pas fondé à soutenir que l'illégalité fautive de cette décision engage la responsabilité de la métropole européenne de Lille.

8. M. B... soutient que sa demande d'intégration en catégorie A, formulée le 26 mars 1998, constituait une demande de retrait de l'arrêté du 17 novembre 1994 le titularisant et l'intégrant dans le cadre d'emploi des rédacteurs territoriaux et qu'ainsi, il demandait à être replacé, à compter du 1er janvier 1994, dans une position d'agent contractuel de l'intercommunalité. Toutefois, d'après les termes mêmes de cette demande, il se bornait à solliciter l'abrogation de l'arrêté du 17 novembre 1994. L'appelant n'est donc pas fondé à soutenir que le tribunal administratif ne s'est pas prononcé sur l'illégalité fautive de la décision du 15 juin 1998 en ce qu'elle aurait refusé le retrait de l'arrêté du 17 novembre 1994. A supposer même qu'il ait demandé le retrait de cette décision, comme il l'a fait ultérieurement le 23 avril 2010, si M. B... soutient qu'elle pouvait être retirée à tout moment car résultant de fraude, il ne démontre pas ce caractère frauduleux alors que la titularisation prononcée faisait suite à sa demande. Si M. B... soutient encore qu'il ignorait que l'emploi de contractuel qu'il occupait relevait de la catégorie A, cette circonstance, à la supposer avérée, ne démontre pas l'intention de l'intercommunalité de le tromper alors qu'encore une fois, sa titularisation résulte de sa propre démarche et qu'il avait nécessairement conscience de la différence entre sa rémunération, au demeurant maintenue après son intégration, et l'indice dans lequel il était reclassé.

9. A supposer même que l'arrêté du 18 novembre 1994 titularisant M. B... en catégorie B soit illégal et que, par suite, son retrait soit possible sur la demande de l'intéressé, qui a été formulée la première fois seulement par courrier du 23 avril 2010, ce retrait n'aurait pas pour conséquence d'entraîner la titularisation de M. B... en catégorie A. Ce retrait aurait pour seul effet de replacer rétroactivement l'intéressé dans une position de contractuel et ne permettrait donc pas de reconstituer sa carrière comme attaché principal comme il le demande. M. B... se borne, par ailleurs, à affirmer sans l'établir qu'à la date à laquelle il demandait son intégration en catégorie A, existait un emploi vacant d'attaché sur lequel il aurait pu être nommé, condition nécessaire pour permettre sa titularisation, qui n'est donc pas remplie. Enfin, la titularisation est subordonnée, aux termes de l'article 2 du décret du 18 février 1986, à l'inscription sur une liste d'aptitude " pour les agents dont l'ancienneté est supérieure à dix ans dont cinq ans au moins dans des fonctions d'un niveau équivalent à celui des fonctions exercées par les membres du corps ou de l'emploi d'accueil à l'inscription sur une d'aptitude ". M. B... ne démontre pas non plus qu'il aurait eu une chance sérieuse d'être inscrit sur cette liste et par suite, d'être titularisé en catégorie A, alors que son chef de service a refusé de le proposer en 2009 pour une promotion au grade d'attaché.

10. Aux termes de l'article 7 du décret du 18 février 1986 dans sa version applicable à la date de sa demande de titularisation : " Les agents non titulaires disposent, pour présenter leur candidature, d'un délai de six mois à compter de la publication du présent décret s'ils remplissent les conditions requises, ou, à défaut, à compter de la date à laquelle ils réunissent les conditions prévues par l'article 126 ou l'article 127 de la loi du 26 janvier 1984 précitée. Un délai d'option d'une durée égale est ouvert à compter de la date à laquelle ils reçoivent notification de leur classement pour accepter leur titularisation. ". M. B..., qui a demandé sa titularisation par courrier du 20 décembre 1993, soit dans les six mois suivant la publication du décret du 4 août 1993 et a été titularisé par arrêté du 17 novembre 1994, n'établit pas que les dispositions précitées n'auraient pas été respectées.

11. M. B... soutient aussi que la métropole européenne de Lille a commis d'autres manquements que l'illégalité fautive des décisions du 15 juin 1998 et du 17 novembre 1994 en ne respectant pas son obligation de loyauté à son égard. Toutefois, il n'apporte aucune précision permettant d'apprécier le bien-fondé de ce moyen. Au surplus, M. B... n'établit pas que la métropole européenne de Lille ait commis des manquements dans la gestion de sa carrière, dès lors qu'il a été titularisé dans le grade de rédacteur, à sa demande, que sa rémunération a été maintenue à un indice correspondant à la fin de carrière de ce grade, qu'il a été promu au grade de rédacteur chef à compter du 1er janvier 1997 et a terminé sa carrière au grade de rédacteur principal de 1ère classe.

12. Il résulte de tout ce qui précède que M. B... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Lille, par le jugement du 31 octobre 2018, a rejeté ses demandes. Par suite, il y a lieu de rejeter sa requête, y compris ses conclusions au titre de l'article L.761-1 du code de justice administrative, sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise que M. B... sollicite. Il n'y a pas lieu, dans les circonstances de l'espèce de faire droit aux conclusions de la métropole européenne de Lille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de M. B... est rejetée.

Article 2 : Les conclusions de la métropole européenne de Lille au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. D... B... et à la métropole européenne de Lille.

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N°18DA02619

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18DA02619
Date de la décision : 30/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

36-04-02 Fonctionnaires et agents publics. Changement de cadres, reclassements, intégrations. Intégration de fonctionnaires métropolitains dans des corps et cadres divers.


Composition du Tribunal
Président : M. Albertini
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : VIEGAS

Origine de la décision
Date de l'import : 01/09/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2020-07-30;18da02619 ?
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