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21/10/2021 | FRANCE | N°19DA01543

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 21 octobre 2021, 19DA01543


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de l'Aisne a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2016 par lequel le préfet de l'Aisne a constaté le montant des charges correspondant aux compétences transférées du département de l'Aisne à la région Hauts-de-France et fixé le montant des attributions de compensation financière pour ces transferts de compétence. Il avait également demandé qu'il soit enjoint au préfet de l'Aisne de prendre un nouvel arrêté conforme à l'avis rendu le 26 oct

obre 2016 par la commission locale d'évaluation des charges et des ressources transf...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Le département de l'Aisne a demandé au tribunal administratif d'Amiens d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2016 par lequel le préfet de l'Aisne a constaté le montant des charges correspondant aux compétences transférées du département de l'Aisne à la région Hauts-de-France et fixé le montant des attributions de compensation financière pour ces transferts de compétence. Il avait également demandé qu'il soit enjoint au préfet de l'Aisne de prendre un nouvel arrêté conforme à l'avis rendu le 26 octobre 2016 par la commission locale d'évaluation des charges et des ressources transférées, ou, à défaut de prendre un nouvel arrêté fixant le montant des charges transférées à 11 060 800,98 euros.

Par un jugement n° 1700256 du 3 mai 2019, le tribunal administratif d'Amiens a rejeté ses demandes.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 5 juillet 2019, le département de l'Aisne, représenté par Me Aloïs Ramel, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler l'arrêté du 22 décembre 2016 du préfet de l'Aisne ;

3°) d'enjoindre au préfet de l'Aisne de prendre un nouvel arrêté conforme à la délibération de la commission locale d'évaluation des charges et des ressources transférées, ou à défaut fixant à 11 060 800,98 euros le montant des charges transférées ;

4°) de mettre à la charge de de l'Etat la somme de 6 800 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code général des collectivités territoriales ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- le code des transports ;

- la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 ;

- la loi n° 2015-1785 du 29 décembre 2015 de finances pour 2016 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Hervé Cassara, rapporteur-public,

- et les observations de Me Agathe Delécluse pour le département de l'Aisne.

Le département de l'Aisne, représenté par Me Aloïs Ramel, a présenté une note en délibéré enregistrée le 8 octobre 2021.

Considérant ce qui suit :

1. L'article 15 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation de la République a transféré du département à la région, les compétences en matière de transports non urbains de voyageurs à compter du 1er janvier 2017 et celle des transports scolaires à compter du 1er septembre 2017. L'article 17 de cette loi a également transféré entre les mêmes collectivités, la compétence des voies ferrées d'intérêt local. Dans ce cadre, le préfet de l'Aisne a constaté, en application de l'article 133 de la loi du 7 août 2015, par un arrêté du 22 décembre 2016, le montant des charges transférées du département de l'Aisne à la région Hauts-de-France, après avoir recueilli l'avis de la commission locale d'évaluation des charges et ressources transférées en date du 26 octobre 2016. Le département de l'Aisne a saisi le tribunal administratif d'Amiens de conclusions d'annulation pour excès de pouvoir de cet arrêté ainsi que d'injonction à ce que l'autorité préfectorale prenne un arrêté conforme à l'avis de la commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées ou à défaut fixe le montant des charges transférées à la somme de 11 060 800,98 euros. Il relève appel du jugement du 3 mai 2019 par lequel ce tribunal a rejeté sa demande.

Sur la régularité du jugement :

2. En premier lieu, aux termes de l'article R. 741-2 du code de justice administrative : " La décision mentionne que l'audience a été publique, sauf s'il a été fait application des dispositions de l'article L. 731-1. Dans ce dernier cas, il est mentionné que l'audience a eu lieu ou s'est poursuivie hors la présence du public. / Elle contient le nom des parties, l'analyse des conclusions et mémoires ainsi que les visas des dispositions législatives ou réglementaires dont elle fait application. ".

3. En l'espèce, si le jugement contesté ne mentionne pas dans ses visas, le code des transports alors qu'il fait application, dans son considérant 13, des articles L. 3111-7 et L. 3111-8 de ce code, il reproduit intégralement dans son considérant 12, ces dispositions. Par suite, le département de l'Aisne n'est pas fondé à soutenir que le jugement du tribunal administratif d'Amiens doit être annulé comme irrégulier pour ce motif.

4. En deuxième lieu, le département de l'Aisne soutient que le jugement contesté est irrégulier, la réponse apportée par le tribunal administratif d'Amiens à trois des moyens qu'il a soulevés étant trop succincte selon lui pour comprendre le sens de la décision juridictionnelle.

5. Il soutient d'abord que le jugement n'explique pas en quoi le préfet a tenu compte de l'avis de la commission locale d'évaluation des charges et des ressources transférées, comme ce jugement le mentionne en son point 4. Toutefois, le tribunal a considéré dans le point 8 que l'autorité préfectorale n'avait pas à se conformer à l'avis de la commission que le tribunal estime illégal. La lecture de l'ensemble du jugement permet donc, contrairement à ce que soutient le département de l'Aisne, de comprendre pourquoi, selon les premiers juges, le préfet pouvait se référer à l'avis de la commission sans le suivre.

6. Si le département soutient que le jugement ne permet pas de comprendre en quoi le détournement de pouvoir n'est pas établi comme ce jugement l'indique en son paragraphe 15, les autres points du jugement, notamment son point 14, considèrent que le préfet n'a pas excédé ses pouvoirs qu'il a utilisés conformément à la réglementation. Le jugement est donc également suffisamment motivé sur ce point.

7. Si le département soutient aussi que le jugement contesté ne répond pas à la méconnaissance du principe d'égalité entre collectivités, il ressort des écritures de première instance que le principe d'égalité n'était évoqué de manière très sommaire qu'à l'appui du moyen tiré de la méconnaissance de l'article L. 1111-5 du code général des collectivités territoriales, qui prohibe les discriminations entre des personnes placées dans la même situation lorsqu'une collectivité territoriale octroie une aide sociale ou un avantage tarifaire. Le moyen tiré du respect du principe d'égalité entre collectivités ne peut donc être regardé comme soulevé en première instance. Par ailleurs, il résulte également du jugement et notamment de son considérant 10, que les premiers juges ont répondu de manière suffisante au moyen, tel qu'il était soulevé, du respect du principe d'égalité entre usagers au regard de l'article L. 1111-5 du code général des collectivités territoriales.

8. Si le département soutient que la délibération du conseil régional des Hauts-de-France, visée par l'arrêté préfectoral n'était que provisoire, l'appréciation portée par le tribunal sur la validité de cette délibération a trait au bien-fondé du jugement et non à sa régularité. De même si le département soutient que le jugement est entaché d'erreurs de faits, la matérialité des circonstances retenues par le tribunal pour fonder sa décision a également trait au bien-fondé du jugement.

Sur le bien-fondé du jugement :

9. Aux termes du V de l'article 133 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, dans sa version alors applicable : " " Les transferts de compétences effectués entre un département et une autre collectivité territoriale ou un groupement de collectivités territoriales et ayant pour conséquence d'accroître les charges de ces derniers sont accompagnés du transfert concomitant par le département à cette collectivité territoriale ou à ce groupement des ressources nécessaires à l'exercice normal de ces compétences. / Ces ressources sont équivalentes aux dépenses effectuées, à la date du transfert, par le département au titre des compétences transférées. Elles assurent la compensation intégrale des charges transférées. / Les charges correspondant à l'exercice des compétences transférées font l'objet d'une évaluation préalable à leur transfert. / Une commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées est composée paritairement de quatre représentants du conseil départemental et de quatre représentants de l'assemblée délibérante de la collectivité territoriale ou du groupement concerné. Elle est présidée par le président de la chambre régionale des comptes territorialement compétente. En cas d'absence ou d'empêchement, il est remplacé par un magistrat relevant de la même chambre, qu'il a au préalable désigné. La commission locale ne peut valablement délibérer que si le nombre des membres présents est au moins égal à la moitié du nombre des membres appelés à délibérer. Si ce nombre n'est pas atteint, une nouvelle convocation est adressée aux membres de la commission. La commission peut alors délibérer quel que soit le nombre de membres présents. En cas de partage égal des voix, celle du président est prépondérante. / La commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées est consultée sur l'évaluation préalable des charges correspondant aux compétences transférées et sur les modalités de leur compensation. / Le montant des dépenses résultant des accroissements et des diminutions de charges est constaté, pour chaque compétence transférée et pour chaque collectivité, par arrêté du représentant de l'Etat dans le département. / Les charges transférées doivent être équivalentes aux dépenses consacrées, à la date du transfert, à l'exercice des compétences transférées. Ces charges peuvent être diminuées du montant des éventuelles réductions brutes de charges ou des augmentations de ressources entraînées par les transferts. / Les périodes de référence et les modalités d'évaluation des dépenses engagées par le département et figurant dans les comptes administratifs avant le transfert de chaque compétence sont déterminées à la majorité des deux tiers des membres de la commission mentionnée au quatrième alinéa du présent V. / A défaut d'accord des membres de la commission, le droit à compensation des charges d'investissement transférées est égal à la moyenne des dépenses actualisées, hors taxes, hors fonds européens et hors fonds de concours, figurant dans les comptes administratifs du département et constatées sur une période de sept ans précédant la date du transfert. Les dépenses prises en compte pour la détermination du droit à compensation sont actualisées en fonction de l'indice des prix de la formation brute de capital des administrations publiques, constaté à la date du transfert. / A défaut d'accord des membres de la commission, le droit à compensation des charges de fonctionnement transférées est égal à la moyenne des dépenses actualisées figurant dans les comptes administratifs du département et constatées sur une période de trois ans précédant le transfert de compétences. Les dépenses prises en compte pour la détermination du droit à compensation sont actualisées en fonction de l'indice des prix à la consommation, hors tabac, constaté à la date du transfert. / Les modalités de compensation des charges transférées sont déterminées en loi de finances. ".

En ce qui concerne les moyens de légalité externe :

10. En premier lieu, l'arrêté du 22 décembre 2016 vise les textes dont il fait application, notamment le V de l'article 133 de la loi du 7 août 2015. Il n'avait pas à viser spécifiquement les alinéas 9 et 10 de ces dispositions comme le soutient le département. Par ailleurs, il vise également le III de l'article 89 de la loi de finances pour 2016, ce qui supposait l'existence de délibérations discordantes du conseil départemental de l'Aisne et du conseil régional des Hauts-de-France, qui seules justifiaient l'intervention d'un arrêté préfectoral pour fixer le montant de la compensation financière du transfert de compétences. Il n'avait donc pas à viser spécifiquement ces délibérations, contrairement à ce que soutient le département de l'Aisne. Enfin, l'arrêté détaille dans son article 1er, les charges nettes transférées par types de compétences transférées et en déduit le montant de la compensation tant pour l'année 2017 que pour l'année 2018. Le moyen tiré du défaut de motivation doit donc être, en tout état de cause, écarté.

11. En deuxième lieu, le département de l'Aisne soutient ensuite que l'arrêté préfectoral est entaché d'un vice de procédure en ce qu'il n'a pas pris en compte l'avis de la commission locale pour l'évaluation des charges et ressources transférées. Toutefois, l'arrêté du 22 décembre 2016 vise l'avis de la commission du 26 octobre 2016 et l'a donc bien pris en compte. Ce moyen doit donc également être écarté.

12. En troisième lieu, les dispositions de la loi du 7 août 2015 rappelées au point 9, n'interdisent pas au préfet de s'appuyer sur tous éléments d'information pour déterminer le montant des dépenses engagées au titre de la compétence transférée. Par suite, et contrairement à ce que soutient le département de l'Aisne, le préfet pouvait prendre en compte le courrier que lui avait adressé le président du conseil régional des Hauts-de-France le 24 novembre 2016 pour lui faire part de l'illégalité dont était entaché selon lui l'avis de la commission locale d'évaluation des charges et ressources transférées.

En ce qui concerne les moyens de légalité interne :

S'agissant des erreurs de droit invoquées par le département de l'Aisne :

13. En premier lieu, il résulte des dispositions rappelées au point 9, éclairées par les travaux parlementaires, que, si le préfet constate le montant des dépenses engagées par le département pour l'exercice des compétences transférées en l'occurrence à la région, après avis d'une commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées, ces dispositions ne lui imposent pas de se conformer strictement à l'avis de cette commission, sous réserve qu'il respecte, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, les règles précises fixées par le législateur pour cette évaluation et qui ont pour objet d'assurer une compensation intégrale des charges transférées. A cet égard, la référence notamment par le V de l'article 133 de la loi du 7 août 2015 à une absence d'accord doit être lue comme renvoyant à une situation d'absence d'accord entre les membres de la commission et non à un accord nécessaire de la commission à toute décision du préfet. Par suite, le département de l'Aisne n'est pas fondé à soutenir que le préfet ne pouvait s'écarter de l'avis de la commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées.

14. En deuxième lieu, aux termes du A du III de l'article 89 de la loi du de finances pour 2016 dans sa rédaction alors en vigueur : " Au titre des transferts de compétences prévus à l'article 15 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République, une attribution de compensation financière est versée par la région au département. / Cette attribution est égale à la différence entre le montant correspondant à 25 % du produit de la cotisation sur la valeur ajoutée perçue par le département l'année précédant celle de la première application du présent article et le coût net des charges transférées calculé selon les modalités définies au V de l'article 133 de la loi n° 2015-991 du 7 août 2015 précitée. Elle ne peut être indexée. / Lorsque l'attribution de compensation financière est négative, la région peut demander au département d'effectuer, à due concurrence, un versement à son profit. / Le montant de l'attribution de compensation financière est fixé par délibérations concordantes du conseil régional et du conseil départemental. A défaut, son montant est fixé par arrêté du représentant de l'Etat dans le département. / L'attribution de compensation financière constitue une dépense obligatoire pour la région ou, le cas échéant, le département. ".

15. En l'espèce, le préfet a dans un même arrêté, d'une part constaté le montant des dépenses engagées par le département de l'Aisne au titre des compétences transférées à la région Hauts-de-France, en application de l'article 133 de la loi du 7 août 2015 et, d'autre part, fixé le montant de la compensation financière entre ces deux collectivités en raison de ce transfert de compétences, en application de l'article 89 de la loi de finances pour 2016. Si ces procédures sont distinctes et doivent normalement se succéder dans le temps, rien n'empêchait le préfet de l'Aisne de procéder concomitamment dès lors que les deux assemblées de ces collectivités, le conseil départemental de l'Aisne par délibération du 12 décembre 2016 et le conseil régional des Hauts-de-France par délibérations des 13 et 14 décembre 2016, avaient fixé le montant de la compensation sans attendre elles-mêmes la décision préfectorale constatant le montant des dépenses précédemment engagées au titre des compétences transférées. Au demeurant, il n'est pas établi que le préfet aurait pris d'autres décisions s'il avait procédé en deux temps, dès lors qu'il était pleinement informé des raisons de la divergence entre les deux collectivités tant par l'avis de la commission que par la teneur des deux délibérations, qu'enfin par le courrier que lui avait adressé le 24 novembre 2016, le président du conseil régional des Hauts-de-France.

16. En troisième lieu, si, ainsi que le fait valoir le département de l'Aisne, la délibération du 13 et 14 décembre 2016 du conseil régional des Hauts-de-France porte dans son timbre, à côté de la mention " délibération n° " les termes " (provisoire 54254) ", cette circonstance n'est à mettre en lien qu'avec le caractère provisoire du numéro de cette délibération, mais ne remet en rien en cause son existence. D'ailleurs, la délibération du 2 février 2017 qui en tire les conséquences budgétaires la vise. Dès lors, le préfet pouvait s'y référer pour constater qu'elle chiffre le montant de la compensation financière à la somme de 9 248 838 euros alors que par délibération du 12 décembre 2016 le conseil départemental avait chiffré cette somme à 6 444 638 euros pour une année pleine. L'autorité préfectorale, qui ne pouvait ainsi que constater l'absence de concordance entre les deux collectivités, était tenue de fixer elle-même le montant de la compensation financière en application des dispositions rappelées au point 13, d'autant que le transfert de compétence était fixé à la date du 1er janvier 2017 pour les transports interurbains et les voies ferrées d'intérêt local et à celle du 1er septembre 2017 pour les transports scolaires.

17. En quatrième lieu, le préfet n'a pas statué dans son arrêté sur des questions nouvelles qui n'auraient pas été débattues ou soumises à l'avis de la commission locale pour l'évaluation des charges et des ressources transférées. Par suite, il n'était pas tenu de recueillir préalablement un nouvel avis de cette commission avant de prendre son arrêté, même si celui-ci s'éloignait de l'avis de la commission.

S'agissant du montant des charges transférées :

18. Il résulte des dispositions de la loi du 7 août 2015, rappelées au point 9, que la compensation financière des compétences transférées doit être concomitante au transfert et intégrale, c'est-à-dire correspondre aux dépenses nettes effectuées à la date du transfert, d'après les termes mêmes de la loi. Le préfet, chargé par ces dispositions, de constater le montant des dépenses engagées correspondant aux compétences transférées en tenant compte des accroissements et diminutions de charges résultant des transferts ne peut donc prendre en compte des ressources ou des économies hypothétiques sans porter atteinte à ce principe de compensation intégrale et concomitante. En l'espèce, dans son avis du 26 octobre 2016, la commission locale pour l'évaluation des charges et ressources transférées a diminué le montant de la compensation que le département de l'Aisne devait verser à la région Hauts-de-France pour le transfert de la compétence en matière de transport scolaire, d'une somme de 2,8 millions d'euros correspondant à la prise en charge par la région de la moitié du coût de transport des lycéens. Or, si la région Nord-Pas de Calais puis la région Hauts-de-France avaient décidé de verser une subvention aux départements du Nord et du Pas de Calais, équivalente à la moitié de la dépense engagée par ces départements pour le transport des lycéens, il n'est pas contesté que la région Hauts-de-France n'avait à aucun moment décidé d'étendre cette dotation aux départements de l'ancienne région Picardie. Il ne s'agit donc pas d'une recette effectivement perçue à la date du transfert venant diminuer la charge transférée au titre de l'exercice de la compétence relative au transport scolaire. Au surplus, le transfert de compétences ne pouvait entraîner la perception de cette ressource par le département, puisque celui-ci n'aurait pu légalement percevoir une subvention pour une compétence qu'il n'exerçait plus. Il ne s'agit donc pas non plus d'une diminution de charges résultant du transfert de compétences. Elle ne constituait pas non plus une économie pour la région Hauts-de-France puisqu'elle ne versait pas une telle dotation au département de l'Aisne. En conséquence, le préfet ne pouvait prendre en compte cette recette hypothétique pour fixer le montant des dépenses engagées par le département de l'Aisne pour l'exercice des compétences transférées à la région Hauts-de-France.

19. Le département de l'Aisne soutient que le préfet aurait dû exclure du montant des charges transférées, celui correspondant aux compensations versées aux autorités organisatrices de la mobilité. Le VI de l'article 15 de la loi du 7 août 2015 portant nouvelle organisation territoriale de la République dispose que : " La région bénéficiaire du transfert de compétences prévu au présent article succède au département dans l'ensemble de ses droits et obligations à l'égard des tiers. ". Le I du même article 15 a substitué à l'article L. 3111-8 du code des transports, la région au département pour conclure avec l'autorité compétente pour l'organisation des transports urbains, une convention qui " fixe les conditions de financement des services de transports scolaires " en cas ce création ou de modification d'un périmètre de transport urbain. Il résulte de ces dispositions que la région est substituée au département pour les relations avec les autorités organisatrices de transport urbain, désormais autorités organisatrices de la mobilité, en ce qui concerne les transports scolaires. Par suite, le préfet pouvait considérer, suivant strictement sur ce point l'avis de la commission, que les compensations financières versées par le département de l'Aisne aux autorités organisatrices de transport urbain dans son ressort pour l'organisation des transports scolaires majoraient la charge transférée à la région des Hauts-de-France en application du principe de compensation intégrale édictée par l'article 133 de la loi du 7 août 2015. Cette interprétation est au demeurant corroborée par la nouvelle rédaction, de portée purement interprétative, de l'article 133 de la loi du 7 août 2015 susvisée, en vigueur à compter du 27 décembre 2019, qui inclut expressément de telles charges. Le département de l'Aisne n'est donc pas fondé à soutenir que la charge transférée ne devait pas comprendre les compensations qu'il versait aux autorités organisatrices de transport urbain pour l'organisation des transports scolaires.

20. Aux termes du cinquième alinéa de l'article L. 1111-5 du code général des collectivités territoriales : " Lorsqu'ils attribuent des aides sociales à caractère individuel, en espèces ou en nature, ou un avantage tarifaire dans l'accès à un service public, les collectivités territoriales, leurs établissements publics, les groupements de collectivités et les organismes chargés de la gestion d'un service public veillent à ce que les conditions d'attribution de ces aides et avantages n'entraînent pas de discrimination à l'égard de personnes placées dans la même situation, eu égard à l'objet de l'aide ou de l'avantage, et ayant les mêmes ressources rapportées à la composition du foyer. ". L'arrêté préfectoral en litige qui constate la dépense engagée par le département de l'Aisne pour l'exercice des compétences transférées à la région Hauts-de-France ne constitue ni l'attribution d'une aide sociale individuelle, ni n'a pour conséquence de donner un avantage tarifaire dans l'accès à un service public. Par suite, le moyen tiré de la méconnaissance de ces dispositions doit être écarté comme inopérant.

21. Le préfet de l'Aisne en constatant le montant des dépenses engagées à la date du transfert de compétences par le seul département de l'Aisne, a respecté les dispositions de l'article 133 de la loi du 7 août 2015 pour constater le montant des dépenses engagées par le département de l'Aisne pour les compétences transférées à la région Hauts-de-France, et a notamment respecté les principes de compensation intégrale et concomitante posés par la loi, en prenant en compte uniquement les dépenses engagées et les recettes perçues effectivement par le département de l'Aisne pour l'exercice des compétences transférées à la région Hauts-de-France, à la date du transfert. Dès lors, le département de l'Aisne ne peut utilement soutenir que par l'effet de cette application régulière de la loi, le préfet aurait méconnu les principes d'égalité de traitement entre usagers du service public, d'égalité devant les charges publiques et d'égalité entre collectivités territoriales.

22. Même il s'est écarté de l'avis de la commission locale d'évaluation des charges et ressources transférées, ainsi qu'il vient d'être dit, le préfet de l'Aisne a respecté les dispositions de l'article 133 de la loi du 7 août 2015. Le moyen tiré du détournement de pouvoir ne peut qu'être écarté.

23. Il résulte de tout ce qui précède que le département de l'Aisne n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif d'Amiens, par le jugement contesté, a rejeté ses demandes d'annulation de l'arrêté du 22 décembre 2018. Sa requête doit donc être rejetée, y compris ses conclusions d'injonction et celles au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête du département de l'Aisne est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié au département de l'Aisne et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au préfet de l'Aisne, à la ministre de la cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales et pour information à la région Hauts-de-France.

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N°19DA01543

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N°"Numéro"


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 19DA01543
Date de la décision : 21/10/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

135-01-07-03 Collectivités territoriales. - Dispositions générales. - Dispositions financières. - Compensation des transferts de compétences.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : SCP SEBAN et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-10-21;19da01543 ?
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