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25/11/2021 | FRANCE | N°21DA00656

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 3ème chambre, 25 novembre 2021, 21DA00656


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 septembre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination. Il avait également demandé d'enjoindre sous astreinte journalière de 100 euros à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour, ou subsidiairement, de réexaminer sa sit

uation et de lui délivrer dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour,...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler, pour excès de pouvoir, l'arrêté du 17 septembre 2020 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de lui délivrer un titre de séjour, l'a obligé à quitter le territoire français dans un délai de trente jours, a fixé le pays de destination. Il avait également demandé d'enjoindre sous astreinte journalière de 100 euros à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour, ou subsidiairement, de réexaminer sa situation et de lui délivrer dans cette attente, une autorisation provisoire de séjour, dans les deux cas, dans le délai d'un mois à compter de la notification du jugement.

Par un jugement n° 2004050 du 2 mars 2021, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 17 septembre 2020 et a enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 25 mars 2021, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter les demandes de M. A....

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Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. M. B... A..., de nationalité guinéenne, est entré en France le 1er juillet 2017 selon ses déclarations et a été pris en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance par décision de justice du 1er septembre 2017. Il a sollicité un titre séjour le 29 juillet 2019. Par arrêté du 17 septembre 2020, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté cette demande et a assorti cette décision d'une obligation de quitter le territoire français dans le délai de trente jours et d'une décision fixant le pays de destination. Saisi par M. A..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a enjoint à l'autorité préfectorale de lui délivrer un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement. Le préfet de la Seine-Maritime relève appel de ce jugement du 2 mars 2021.

Sur les motifs d'annulation retenus par le tribunal administratif de Rouen :

2. Le préfet de la Seine-Maritime, dans sa décision du 17 septembre 2020, a d'abord constaté que M. A... ne justifie pas de son état-civil tel qu'exigé par les dispositions de l'article L. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il s'est ensuite prononcé sur le droit au séjour au regard des dispositions de l'article L. 313-14 du même code, puis des dispositions du 7° de l'article L. 313-11, de celles de l'article L. 313-15 et enfin de l'article L. 313-10 de ce code. Pour annuler ce refus de titre, le tribunal administratif de Rouen a d'abord retenu que la présomption des actes d'état-civil produits par M. A... ne peut être remise en cause et que par suite le refus ne pouvait se fonder sur la méconnaissance de l'article R. 311-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il a ensuite jugé que le préfet s'était fondé de manière prépondérante sur le critère de l'isolement familial pour refuser un titre de séjour sur le fondement de l'article L. 313-15, commettant ainsi une erreur de droit et avait également méconnu les dispositions de cet article, compte tenu de l'insertion de M. A... dans la société française.

En ce qui concerne l'erreur de droit au regard de la justification de l'état civil de l'étranger :

3. Aux termes de l'article R. 313-2-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile dans sa numérotation alors en vigueur : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente les documents justifiant de son état civil et de sa nationalité et, le cas échéant, de ceux de son conjoint, de ses enfants et de ses ascendants. " Le premier alinéa de l'article L. 111-6 du même code dispose que : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. ". L'article 47 du code civil prévoit que : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. ". La force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger, il appartient au juge administratif de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties. Pour juger qu'un acte d'état civil produit devant lui est dépourvu de force probante, qu'il soit irrégulier, falsifié ou inexact, le juge doit en conséquence se fonder sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis. Ce faisant, il lui appartient d'apprécier les conséquences à tirer de la production par l'étranger d'une carte consulaire ou d'un passeport dont l'authenticité est établie ou n'est pas contestée, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée par principe à de tels documents.

4. En l'espèce, M. A... a produit un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance du 13 février 2019 du tribunal de première instance de Siguiri (République de Guinée) établissant sa naissance le 26 juin 2001 et faisant état de sa transcription dans les registres d'état-civil le 3 juillet 2019. Toutefois, il a également fourni une transcription dans les registres d'état civil datée du 8 juin 2017 et faisant référence à un jugement du 5 juin 2017. Ainsi que le note le rapport d'analyse documentaire de la direction de la police aux frontières, ces documents ne sont pas cohérents entre eux. Si ce même rapport indique que " compte tenu de la fraude généralisée au niveau de l'état-civil " en Guinée, " il n'est pas possible de formuler un quelconque avis relatif à l'authenticité " des documents, M. A... ne justifie pas au vu de ces éléments, de son état-civil, comme l'a constaté la décision préfectorale du 17 septembre 2020. Si M. A... a également produit une carte consulaire dont l'authenticité n'est pas remise en cause par la police aux frontières dans son rapport d'analyse documentaire, ce document établi en France le 3 septembre 2019, a pu être obtenu sur la base du jugement supplétif et de sa transcription dont l'authenticité est contestée. La circonstance que les décisions judiciaires confiant M. A... à l'aide sociale à l'enfance, qui ne constituent pas des jugements en matière d'état-civil, n'aient pas remis en cause sa minorité, ne permet pas à l'intéressé de justifier de son état-civil. S'il s'était fondé sur le seul motif tiré de l'absence de justification de l'état-civil requise par l'article R. 311-2-2 précité du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet aurait pris la même décision de rejet de la demande de titre de séjour de M. A.... Le préfet de la Seine-Maritime est donc fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé, par le jugement contesté, sa décision de refus de titre du 17 septembre 2020, au motif que les dispositions de l'article R. 311-2-2 étaient méconnues.

En ce qui concerne la méconnaissance de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

5. Aux termes de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel et sauf si sa présence constitue une menace pour l'ordre public, la carte de séjour temporaire prévue aux 1° et 2° de l'article L. 313-10 portant la mention " salarié " ou la mention " travailleur temporaire " peut être délivrée, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, à l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle, sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Le respect de la condition prévue à l'article L. 313-2 n'est pas exigé. ". Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de "salarié" ou "travailleur temporaire", présentée sur le fondement de l'article L. 313 15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée. Les dispositions de l'article précité n'exigent donc pas que le demandeur soit isolé dans son pays d'origine et, d'autre part, que la délivrance du titre doit procéder d'une appréciation globale sur la situation de la personne concernée au regard du caractère réel et sérieux du suivi de sa formation, de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur son insertion dans la société française.

6. Le préfet de la Seine-Maritime a refusé le titre demandé sur le fondement des dispositions rappelées au point 6, au motif que M. A... disposait de liens familiaux forts dans son pays d'origine. Il a en effet considéré, d'après les termes mêmes de la décision, que la délivrance d'un titre sur ce fondement " reste subordonnée à la nature des liens avec sa famille dans son pays d'origine ". Il a donc commis une erreur de droit, au regard des principes rappelés au point 6. Toutefois, lorsqu'un des motifs d'une décision est illégal, il appartient au juge administratif d'examiner si l'administration aurait pris la même décision en se fondant sur les seuls motifs légaux.

7. S'agissant du dernier motif retenu par le tribunal administratif tiré de l'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-15, il ressort des pièces du dossier que M. A... a bénéficié de l'aide sociale à l'enfance depuis le 31 juillet 2017. Il a suivi en alternance, depuis septembre 2018, un certificat d'aptitude professionnelle qu'il a obtenu en juin 2020. La structure qui le suit témoigne de sa volonté d'insertion. Il a également obtenu le diplôme d'enseignement de la langue française au niveau A 2 en mai 2018. Toutefois, il ne justifie d'aucun lien social fort en France, en dehors de ceux liés à sa formation et, comme le fait valoir le préfet, il a gardé des relations avec sa famille dans son pays d'origine puisque c'est sa mère qui a déposé une requête, le 13 février 2019, alors que l'intéressé était en France depuis plus d'un an, pour obtenir un jugement supplétif tenant lieu d'acte de naissance. Par suite, le préfet est également fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a annulé sa décision de refus de titre pour ce motif d'erreur manifeste d'appréciation au regard des dispositions de l'article L. 313-15 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile. Il appartient toutefois à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel d'examiner les autres moyens soulevés par M. A..., tant en première instance qu'en appel.

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

En ce qui concerne le refus de titre de séjour :

8. M. A... soutenait en première instance qu'il n'était pas justifié de la compétence du signataire de la décision contestée. Toutefois, le préfet avait produit en première instance l'arrêté du 4 septembre 2020 donnant délégation à M. D... C..., signataire du refus de titre, pour signer les décisions relevant des attributions de la direction des migrations et de l'intégration, notamment les refus de délivrance de titre de séjour ainsi que les mesures d'éloignement. Par suite, le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de l'acte contesté ne peut qu'être écarté.

9. Compte tenu de ce qui a été dit au point 7, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste d'appréciation des conséquences de la décision sur sa situation personnelle doit être écarté.

10. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen a annulé sa décision de refus de titre.

En ce qui concerne l'obligation de quitter le territoire français :

11. Il résulte de ce qui a été dit au point 10 que le moyen tiré par voie de l'exception, de l'illégalité du refus du titre, base légale de l'obligation de quitter le territoire français ne peut qu'être écarté.

12. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée ne peut qu'être écarté.

13. Il résulte de ce qui a été dit au point 7 que le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ne peut qu'être écarté.

En ce qui concerne la décision fixant le pays de destination :

14. Il résulte de ce qui a été dit aux points 11 à 13 que le moyen tiré par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'obligation de quitter le territoire français, base légale de la décision fixant le pays de destination, ne peut qu'être écarté.

15. Il résulte de ce qui a été dit au point 8 que le moyen tiré de l'incompétence de l'auteur de la décision contestée ne peut qu'être écarté.

16. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen, par le jugement contesté, a annulé son arrêté du 17 septembre 2020. Par suite les demandes de M. A..., tant en première instance qu'en appel, et y compris ses conclusions à fins d'injonction sous astreinte et au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 2 mars 2021 est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. A... sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de l'intérieur, à M. B... A... et à Me Quevremont.

Copie en sera adressée pour information au préfet de la Seine-Maritime.

N° 21DA00656 6


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 21DA00656
Date de la décision : 25/11/2021
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

Étrangers - Séjour des étrangers.

Étrangers - Obligation de quitter le territoire français (OQTF) et reconduite à la frontière.


Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Cassara
Avocat(s) : QUEVREMONT

Origine de la décision
Date de l'import : 07/12/2021
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2021-11-25;21da00656 ?
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