La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

27/04/2022 | FRANCE | N°20DA01392

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 27 avril 2022, 20DA01392


Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 8 septembre 2020 et des mémoires enregistrés les 15 novembre 2021, 24 janvier 2022 et 7 février 2022, l'association Sud-Artois pour la protection de l'environnement, M. I... G..., M. F... C..., M. et Mme E... J..., M. et Mme L... K..., M. et Mme B... A... et M. et Mme H... A..., représentés par Me Laurence Lanoy, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 mai 2020 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a autorisé la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs

et de trois postes de livraison sur le territoire des communes de Lebucquière...

Vu la procédure suivante :

Par une requête enregistrée le 8 septembre 2020 et des mémoires enregistrés les 15 novembre 2021, 24 janvier 2022 et 7 février 2022, l'association Sud-Artois pour la protection de l'environnement, M. I... G..., M. F... C..., M. et Mme E... J..., M. et Mme L... K..., M. et Mme B... A... et M. et Mme H... A..., représentés par Me Laurence Lanoy, demandent à la cour :

1°) d'annuler l'arrêté du 7 mai 2020 par lequel le préfet du Pas-de-Calais a autorisé la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs et de trois postes de livraison sur le territoire des communes de Lebucquière, Haplincourt, Bertincourt et Vélu.

2°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Ils soutiennent que :

- ils justifient d'un intérêt pour agir suffisant ;

- l'arrêté attaqué est entaché d'une insuffisance de motivation ;

- il méconnaît l'article R. 122-5 du code de l'environnement dès lors que l'étude d'impact est insuffisante et contradictoire ;

- il méconnaît le 5° du I de l'article L. 181-2 et, par suite, l'article R. 181-28 du code de l'environnement dès lors que le préfet s'est abstenu d'examiner si le projet pouvait bénéficier de la dérogation prévue au 4° du I de l'article L. 411-2 de ce code et, par suite, n'a pas saisi pour avis le Conseil national de la protection de la nature ;

- il méconnaît les schémas régionaux éoliens du Nord-Pas-de-Calais et de Picardie ;

- il méconnaît l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

- le vice tiré de l'absence de dérogation n'est pas susceptible d'être régularisé dès lors que le projet ne satisfait pas aux conditions fixées à l'article L. 411-2 du code de l'environnement ;

- à titre subsidiaire, dans l'hypothèse où un sursis à statuer serait décidé, il conviendrait de prononcer la suspension de l'intégralité de l'arrêté attaqué dans l'attente d'une régularisation.

Par des mémoires en défense enregistrés les 10 mars 2021, 6 décembre 2021, 31 janvier 2022 et 17 février 2022, la société Parc éolien du Sud Artois, représentée par Me Paul Elfassi, conclut à titre principal au rejet de la requête, à titre subsidiaire à la régularisation de l'autorisation en application de l'article L. 181-18 du code de l'environnement et enfin à la mise à la charge de chacun des requérants de la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- les requérants ne justifient pas d'un intérêt pour agir ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés ;

- elle n'était pas tenue d'obtenir une dérogation aux interdictions prévues par l'article L. 411-1 du code de l'environnement ;

- à titre subsidiaire, si une telle dérogation était requise, un délai de dix-huit mois devrait lui être accordé pour régulariser sa demande sans qu'il soit nécessaire de suspendre la construction de l'installation ;

- l'intervention de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France est irrecevable.

Par des mémoires en défense enregistrés les 11 octobre 2021 et 23 février 2022, la ministre de la transition écologique conclut au rejet de la requête.

Elle soutient que :

- les requérants ne justifient pas d'un intérêt pour agir ;

- les moyens de la requête ne sont pas fondés.

Par une intervention enregistrée le 31 janvier 2022, l'association Société pour la protection des paysages et l'esthétique de la France, représentée par Me Gaspar Cottard, demande que la cour fasse droit aux conclusions de la requête.

Elle soutient que :

- elle a intérêt pour intervenir ;

- les moyens contenus dans la requête sont fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la directive 92/43/CEE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages ;

- la directive 2009/147/CE du Parlement européen et du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages ;

- le code de l'environnement ;

- l'arrêté du 23 avril 2007 fixant la liste des mammifères terrestres protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- l'arrêté du 29 octobre 2009 fixant la liste des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Stéphane Eustache, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Gaspar Cottard représentant l'association Sud-Artois pour la protection de l'environnement et autres, et la société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France, et de Me Antoine Le Dylio représentant la société Parc éolien du Sud Artois.

Considérant ce qui suit :

1. La société Parc éolien du Sud Artois a déposé le 15 mai 2017 une demande d'autorisation environnementale, complétée le 10 décembre 2018, tendant à la construction et à l'exploitation d'un parc éolien composé de huit aérogénérateurs et de trois postes de livraison sur le territoire des communes de Lebucquière, Haplincourt, Bertincourt et Vélu. Par un arrêté du 7 mai 2020, le préfet du Pas-de-Calais a autorisé la construction et l'exploitation d'un parc éolien composé de quatre aérogénérateurs seulement et de trois postes de livraison sur le territoire de ces communes. L'association Sud-Artois pour la protection de l'environnement, M. G..., M. C..., M. et Mme J..., M. et Mme K..., M. et Mme B... A... et M. et Mme H... A... demandent l'annulation de cet arrêté.

Sur les fins de non-recevoir opposées en défense :

2. Conformément à l'article R. 181-50 du code de l'environnement, les autorisations environnementales peuvent être déférées à la juridiction administrative par des " tiers intéressés " en raison des inconvénients ou des dangers pour les intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du même code, parmi lesquels figurent la commodité du voisinage, la santé, , la protection de la nature, de l'environnement et des paysages ainsi que la conservation des sites et des monuments.

3. En premier lieu, comme le stipule l'article 2 de ses statuts, l'association requérante a pour but " la protection de la nature, de l'environnement et du cadre de vie du Sud-Artois ainsi que la santé et le bien-être des habitants du Sud-Artois " et de " s'opposer à des projets susceptibles d'affecter fortement l'environnement, l'identité des territoires, les patrimoines paysagers, naturels, économiques, sociaux, culturels, faunistiques, floristiques du Sud-Artois ". Si le même article stipule que l'association entend s'opposer " en particulier à l'implantation d'un site éolien industriel sur la commune de Beaumetz-les-Cambrai ", il résulte de ces termes mêmes que cet objectif n'exclut pas la poursuite d'actions contre l'implantation d'autres parcs éoliens dans le ressort géographique de l'association, à l'instar du parc litigieux. Par suite, compte tenu de son objet statutaire, qui définit avec une précision suffisante son périmètre d'intervention, l'association justifie de son intérêt à agir.

4. En second lieu, il résulte de l'instruction que les aérogénérateurs du projet seront en tout ou partie visibles depuis l'habitation de M. G... située à Vélu à environ un kilomètre du projet. Dans ces conditions, ce requérant justifie aussi d'un intérêt pour agir suffisant.

5. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner l'intérêt pour agir des autres requérants, que les fins de non-recevoir opposées par la ministre de la transition écologique et la société Parc éolien du Sud Artois doivent être écartées.

Sur l'intervention de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France :

6. Aux termes de l'article R. 632-1 du code de justice administrative : " L'intervention est formée par mémoire distinct. / Les dispositions du chapitre IV du titre Ier du livre IV relatif à la transmission des requêtes par voie électronique sont applicables aux interventions. / Le président de la formation de jugement ou le président de la chambre chargée de l'instruction ordonne, s'il y a lieu, que ce mémoire en intervention soit communiqué aux parties et fixe le délai imparti à celles-ci pour y répondre. / Néanmoins, le jugement de l'affaire principale qui est instruite ne peut être retardé par une intervention ".

7. En premier lieu, comme le stipule l'article 1er de ses statuts, l'association Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France a notamment pour but " d'empêcher que les sites naturels ou urbains qui font la beauté du visage de la France, ne soient dégradés ou détruits par des spéculations des industries, des constructions, des travaux publics, conçus, installés ou exécutés sans aucun souci de l'aspect de la région et des intérêts matériels mêmes qui sont attachés à cet aspect ". Il résulte en outre de l'instruction que cette association, reconnue d'utilité publique par un décret du 2 mai 1936, a été agréée au titre de la protection de l'environnement par un arrêté de la ministre de la transition écologique du 31 mai 2021. Dans ces conditions, l'association justifie d'un intérêt de nature à la rendre recevable à intervenir dans la présente instance.

8. En second lieu, les dispositions citées au point 6 ne frappent pas d'irrecevabilité une intervention au motif qu'elle concerne une affaire qui est en état d'être jugée. Elles dispensent seulement le juge administratif de procéder à la communication aux parties d'une intervention qui serait produite à ce stade de la procédure, hors le cas où la solution du litige au principal dépendrait d'un moyen invoqué uniquement par l'intervenant.

9. En l'espèce, l'intervention de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France a été présentée le 31 janvier 2021 à une date à laquelle l'instruction n'était pas close. Par suite, la société Parc éolien du Sud Artois n'est pas fondée à soutenir que la communication de cette intervention aux parties contrevient aux dispositions précitées de l'article R. 632-1 du code de justice administrative.

Sur le moyen tiré de la méconnaissance du 5° du I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement :

10. Aux termes de l'article 2 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 visée ci-dessus : " 1. La présente directive a pour objet de contribuer à assurer la biodiversité par la conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages sur le territoire européen des États membres où le traité s'applique. / 2. Les mesures prises en vertu de la présente directive visent à assurer le maintien ou le rétablissement, dans un état de conservation favorable, des habitats naturels et des espèces de faune et de flore sauvages d'intérêt communautaire. / 3. Les mesures prises en vertu de la présente directive tiennent compte des exigences économiques, sociales et culturelles, ainsi que des particularités régionales et locales ". Aux termes de l'article 12 de cette directive : " 1. Les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un système de protection stricte des espèces animales figurant à l'annexe IV point a ), dans leur aire de répartition naturelle, interdisant: / a) toute forme de capture ou de mise à mort intentionnelle de spécimens de ces espèces dans la nature; / b ) la perturbation intentionnelle de ces espèces notamment durant la période de reproduction, de dépendance, d'hibernation et de migration ; / c) la destruction ou le ramassage intentionnels des œufs dans la nature; / d ) la détérioration ou la destruction des sites de reproduction ou des aires de repos (...) ".

11. Aux termes de l'article 16 de la même directive : " A condition qu'il n'existe pas une autre solution satisfaisante et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle, les États membres peuvent déroger aux dispositions des articles 12 , 13 , 14 et de l'article 15 points a ) et b ) : / a) dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) à des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié par les autorités nationales compétentes de certains spécimens des espèces figurant à l'annexe IV ".

12. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 4 mars 2021, C-473/19 et C-474/19, que lorsqu'une activité humaine est manifestement autre que la mise à mort ou la perturbation d'espèces animales, les interdictions prévues aux a), b) et c) du paragraphe 1 de l'article 12 de la directive 92/43/CEE du 21 mai 1992 ne sauraient s'appliquer qu'en cas de risque d'incidence négative sur l'état de conservation des espèces concernées et que la protection qu'elles offrent ne cesse pas de s'appliquer aux espèces ayant atteint un état de conservation favorable. En outre, dans l'hypothèse où la permanence de la fonctionnalité écologique dans l'habitat naturel de l'espèce concernée dans une zone particulière est, malgré les précautions prises, perdue par détérioration, destruction ou dégradation, que ce soit directement ou indirectement, par l'effet de l'activité en cause, considérée isolément ou cumulativement avec d'autres, l'interdiction prévue au d) du même paragraphe ne peut être interprétée comme n'opérant qu'à partir du moment où l'état de conservation de l'espèce concernée risque de se dégrader.

13. Aux termes de l'article 1er de la directive du 30 novembre 2009 visée ci-dessus : " 1. La présente directive concerne la conservation de toutes les espèces d'oiseaux vivant naturellement à l'état sauvage sur le territoire européen des États membres auquel le traité est applicable. Elle a pour objet la protection, la gestion et la régulation de ces espèces et en réglemente l'exploitation. / 2. La présente directive s'applique aux oiseaux ainsi qu'à leurs œufs, à leurs nids et à leurs habitats ". Aux termes de l'article 2 de cette directive : " Les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour maintenir ou adapter la population de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er à un niveau qui corresponde notamment aux exigences écologiques, scientifiques et culturelles, compte tenu des exigences économiques et récréationnelles ". Aux termes du premier paragraphe de l'article 3 de cette directive : " Compte tenu des exigences mentionnées à l'article 2, les États membres prennent toutes les mesures nécessaires pour préserver, maintenir ou rétablir une diversité et une superficie suffisantes d'habitats pour toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er ". Aux termes de l'article 5 de cette directive : " Sans préjudice des articles 7 et 9, les États membres prennent les mesures nécessaires pour instaurer un régime général de protection de toutes les espèces d'oiseaux visées à l'article 1er et comportant notamment l'interdiction : / de les tuer ou de les capturer intentionnellement, quelle que soit la méthode employée ; / b) de détruire ou d'endommager intentionnellement leurs nids et leurs œufs et d'enlever leurs nids ; / (...) / d) de les perturber intentionnellement, notamment durant la période de reproduction et de dépendance, pour autant que la perturbation ait un effet significatif eu égard aux objectifs de la présente directive (...) ".

14. Aux termes de l'article 9 de cette directive : " 1. Les États membres peuvent déroger aux articles 5 à 8 s'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pour les motifs ci-après: / a) - dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques, / - dans l'intérêt de la sécurité aérienne, / - pour prévenir les dommages importants aux cultures, au bétail, aux forêts, aux pêcheries et aux eaux, / - pour la protection de la flore et de la faune; / b) pour des fins de recherche et d'enseignement, de repeuplement, de réintroduction ainsi que pour l'élevage se rapportant à ces actions ; / c) pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées et de manière sélective, la capture, la détention ou toute autre exploitation judicieuse de certains oiseaux en petites quantités ".

15. Il résulte de ces dispositions, telles qu'interprétées par la Cour de justice de l'Union européenne, notamment dans son arrêt du 4 mars 2021, C-473/19 et C-474/19, que les interdictions prévues à l'article 5 de la directive 2009/147/CE ne sauraient s'appliquer qu'aux espèces qui sont énumérées à l'annexe I à cette directive, celles qui sont menacées à un certain niveau ou dont la population montre une tendance à baisser à long terme.

16. Pour assurer la transposition en droit interne de ces dispositions, les 1° et 3° du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement interdisent, lorsqu'un intérêt scientifique particulier, le rôle essentiel dans l'écosystème ou les nécessités de la préservation du patrimoine naturel justifient la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels ou d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, respectivement " La destruction ou l'enlèvement des oeufs ou des nids, la mutilation, la destruction, la capture ou l'enlèvement, la perturbation intentionnelle, la naturalisation d'animaux de ces espèces ou, qu'ils soient vivants ou morts, leur transport, leur colportage, leur utilisation, leur détention, leur mise en vente, leur vente ou leur achat " et " La destruction, l'altération ou la dégradation de ces habitats naturels ou de ces habitats d'espèces ". Comme le prévoit le 1° du I de l'article L. 411-2 du même code, un décret en Conseil d'Etat détermine les conditions dans lesquelles est fixée " La liste limitative des habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées ainsi que des sites d'intérêt géologique, y compris des types de cavités souterraines, ainsi protégés ".

17. A ce titre, l'article R. 411-1 du code de l'environnement dispose : " Les listes des espèces animales non domestiques et des espèces végétales non cultivées faisant l'objet des interdictions définies par l'article L. 411-1 sont établies par arrêté conjoint du ministre chargé de la protection de la nature et soit du ministre chargé de l'agriculture, soit, lorsqu'il s'agit d'espèces marines, du ministre chargé des pêches maritimes ". Pour l'application de ces dispositions, les arrêtés du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 visés ci-dessus fixent la liste des mammifères terrestres et les listes des oiseaux protégés sur l'ensemble du territoire et les modalités de leur protection. S'agissant des oiseaux protégés, l'arrêté du 29 octobre 2009 fixe, en son article 3, la liste des espèces auxquelles s'appliquent les interdictions prévues aux 1° et 3° du I de l'article L. 411-1 du code de l'environnement et, en son article 4, la liste des espèces auxquelles ne s'appliquent que les interdictions prévues au 1° de ce même I.

18. Par ailleurs, le 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement prévoit qu'il peut être dérogé aux interdictions mentionnées au point 16 " à condition qu'il n'existe pas d'autre solution satisfaisante, pouvant être évaluée par une tierce expertise menée, à la demande de l'autorité compétente, par un organisme extérieur choisi en accord avec elle, aux frais du pétitionnaire, et que la dérogation ne nuise pas au maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces concernées dans leur aire de répartition naturelle : / a) Dans l'intérêt de la protection de la faune et de la flore sauvages et de la conservation des habitats naturels ; / b) Pour prévenir des dommages importants notamment aux cultures, à l'élevage, aux forêts, aux pêcheries, aux eaux et à d'autres formes de propriété ; / c) Dans l'intérêt de la santé et de la sécurité publiques ou pour d'autres raisons impératives d'intérêt public majeur, y compris de nature sociale ou économique, et pour des motifs qui comporteraient des conséquences bénéfiques primordiales pour l'environnement ; / d) A des fins de recherche et d'éducation, de repeuplement et de réintroduction de ces espèces et pour des opérations de reproduction nécessaires à ces fins, y compris la propagation artificielle des plantes ; / e) Pour permettre, dans des conditions strictement contrôlées, d'une manière sélective et dans une mesure limitée, la prise ou la détention d'un nombre limité et spécifié de certains spécimens ".

19. Lorsqu'une installation est soumise à autorisation environnementale en application du 2° de l'article L. 181-1 du code de l'environnement, l'autorisation peut, en vertu du 5° du I de l'article L. 181-2 de ce code, tenir lieu de la " Dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, d'espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats en application du 4° du I de l'article L. 411-2 ", lorsque le projet y est soumis ou le nécessite. Le cas échéant, l'autorisation ne peut être accordée, comme le prescrit le 4° du II de l'article L. 181-3 du même code, que si les mesures qu'elle comporte assurent " Le respect des conditions, fixées au 4° du I de l'article L. 411-2, de délivrance de la dérogation aux interdictions édictées pour la conservation de sites d'intérêt géologique, d'habitats naturels, des espèces animales non domestiques ou végétales non cultivées et de leurs habitats, lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de cette dérogation ".

20. Lorsque l'autorisation environnementale tient lieu de dérogation au titre du 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement, le dossier de demande comporte, comme le prévoit l'article D. 181-15-5 du même code, une description : " 1° Des espèces concernées, avec leur nom scientifique et nom commun ; / 2° Des spécimens de chacune des espèces faisant l'objet de la demande avec une estimation de leur nombre et de leur sexe ; / 3° De la période ou des dates d'intervention ; / 4° Des lieux d'intervention ; / 5° S'il y a lieu, des mesures de réduction ou de compensation mises en œuvre, ayant des conséquences bénéfiques pour les espèces concernées ; / 6° De la qualification des personnes amenées à intervenir ; / 7° Du protocole des interventions : modalités techniques, modalités d'enregistrement des données obtenues ; / 8° Des modalités de compte rendu des interventions ". En outre, comme le prévoyait l'article R. 181-28 du même code dans sa rédaction applicable au présent litige : " Lorsque l'autorisation environnementale est demandée pour un projet pour lequel elle tient lieu de dérogation aux interdictions édictées en application du 4° de l'article L. 411-2, le préfet saisit pour avis le Conseil national de la protection de la nature, qui se prononce dans le délai de deux mois ".

21. En l'espèce, il est constant que les éléments mentionnés au point 20 n'ont pas été fournis par la pétitionnaire et que l'autorisation délivrée ne tient pas lieu de la dérogation prévue par le 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement. Or il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que 23 espèces protégées d'oiseaux nicheurs, dont 10 présentent un enjeu spécifique régional compris entre " moyen " et " très fort ", ont été identifiées dans l'aire d'étude immédiate du projet. Si seuls les aérogénérateurs E 7, E 9, E 10 et E 11 ont été autorisés par l'arrêté attaqué, il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que ceux-ci sont susceptibles d'entraîner, en raison de leur proximité de zones de nidification, durant la phase de construction ou d'exploitation du projet, la destruction de spécimens d'oiseaux, en particulier le busard Saint-Martin, le bruant proyer et le bruant jaune, qui figurent parmi ceux dont la destruction dans le milieu naturel est interdite " sur tout le territoire métropolitain et en tout temps " par l'article 3 de l'arrêté du 29 octobre 2009 visé ci-dessus. Si l'arrêté attaqué comporte des mesures consistant à identifier et à protéger les nids de busards Saint-Martin dans un rayon de deux kilomètres autour du projet, il ne résulte pas de l'instruction que ces mesures, qui ne portent d'ailleurs que sur cette espèce protégée d'oiseaux, permettraient d'exclure tout risque de destruction de spécimens.

22. Par ailleurs, il résulte de l'instruction et notamment de l'étude d'impact que 11 espèces de chiroptères, principalement la pipistrelle commune, ont été identifiées dans l'aire d'étude immédiate du projet. Or le fonctionnement des aérogénérateurs E 7, E 9, E 10 et E 11 est susceptible d'entraîner, en raison de leur proximité de haies et bosquets dont l'activité chiroptérologique a été qualifiée de " moyenne ", la destruction de spécimens de chiroptères qui figurent parmi ceux dont la destruction dans le milieu naturel est interdite " sur tout le territoire métropolitain et en tout temps " par l'article 2 de l'arrêté du 23 avril 2007 visé ci-dessus. Si l'arrêté attaqué prescrit un dispositif de bridage de l'aérogénérateur E7 durant les périodes du jour et de l'année où l'activité des chiroptères est la plus intense, il ne résulte pas de l'instruction que ce dispositif, qui ne concerne au reste que ce seul aérogénérateur, permettrait d'éviter toute destruction de spécimens.

23. Les appelants soutiennent qu'en s'abstenant d'examiner si l'autorisation sollicitée par la société Parc éolien du Sud Artois pouvait tenir lieu de la dérogation prévue au 4° du I de l'article L. 411-2 du code de l'environnement et, par suite, de procéder à la consultation prévue par l'article R. 181-28 de ce code, alors que le projet est susceptible d'entraîner la destruction d'au moins un spécimen d'espèces animales non domestiques protégées, le préfet du Pas-de-Calais a méconnu les dispositions du 5° du I de l'article L. 181-2 du code de l'environnement.

24. La ministre de la transition écologique fait valoir en défense " qu'un projet n'est soumis à dérogation et à la saisine du Conseil national de la protection de la nature dans le cas présent, que s'il conduit à un risque significatif de destruction des espèces [protégées] ". Par ailleurs, il résulte du point 3.2.1 du Guide sur l'application de la réglementation relative aux espèces protégées pour les parcs éoliens terrestres, établi en mars 2014 et publié sur le site internet du ministère de la transition écologique, que " Si l'étude d'impact conclut à l'absence de risque de mortalité de nature à remettre en cause le maintien ou la restauration en bon état de conservation de la population locale d'une ou plusieurs espèces protégées présentes (c'est à dire que la mortalité accidentelle prévisible ne remet pas en cause la permanence des cycles biologiques des populations concernées et n'a pas effets significatifs sur leur maintien et leur dynamique), il est considéré qu'il n'y a pas de nécessité à solliciter l'octroi d'une dérogation à l'interdiction de destruction de spécimens d'espèces protégées ".

Sur l'application des dispositions de l'article L. 111-3 du code de justice administrative :

25. Aux termes de l'article L. 113-1 du code de justice administrative : " Avant de statuer sur une requête soulevant une question de droit nouvelle, présentant une difficulté sérieuse et se posant dans de nombreux litiges, le tribunal administratif ou la cour administrative d'appel peut, par une décision qui n'est susceptible d'aucun recours, transmettre le dossier de l'affaire au Conseil d'Etat, qui examine dans un délai de trois mois la question soulevée. Il est sursis à toute décision au fond jusqu'à un avis du Conseil d'Etat ou, à défaut, jusqu'à l'expiration de ce délai ".

26. La présente requête soulève les questions suivantes :

1°) Lorsque l'autorité administrative est saisie d'une demande d'autorisation environnementale sur le fondement du 2° de l'article L. 181-1 du code de l'environnement, suffit-il, pour qu'elle soit tenue d'exiger du pétitionnaire qu'il sollicite l'octroi de la dérogation prévue par le 4° du I de l'article L. 411-2 de ce code, que le projet soit susceptible d'entraîner la mutilation, la destruction ou la perturbation intentionnelle d'un seul spécimen d'une des espèces mentionnées dans les arrêtés ministériels du 23 avril 2007 et du 29 octobre 2009 visés ci-dessus ou la destruction, l'altération ou la dégradation d'un seul de leur habitat, ou faut-il que le projet soit susceptible d'entraîner ces atteintes sur une part significative de ces spécimens ou habitats en tenant compte notamment de leur nombre et du régime de protection applicable aux espèces concernées '

2°) Dans chacune de ces hypothèses, l'autorité administrative doit-elle tenir compte de la probabilité de réalisation du risque d'atteinte à ces espèces ou des effets prévisibles des mesures proposées par le pétitionnaire tendant à éviter, réduire ou compenser les incidences du projet '

27. Ces questions constituent une question de droit nouvelle présentant une difficulté sérieuse et susceptible de se poser dans de nombreux litiges. Dans ces conditions, il y a lieu de surseoir à statuer sur la requête et de transmettre pour avis sur ces questions le dossier de l'affaire au Conseil d'État.

DÉCIDE :

Article 1er : L'intervention de la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France est admise.

Article 2 : Le dossier de la requête de l'association Sud-Artois pour la protection de l'environnement, de M. G..., de M. C..., de M. et Mme J..., de M. et Mme K..., de M. et Mme B... A... et de M. et Mme H... A... est transmis au Conseil d'État pour examen des questions énoncées au point 26.

Article 3 : Il est sursis à statuer sur la requête de l'association Sud-Artois pour la protection de l'environnement, de M. G..., de M. C..., de M. et Mme J..., de M. et Mme K..., de M. et Mme B... A... et de M. et Mme H... A... jusqu'au prononcé de l'avis du Conseil d'État ou, à défaut, jusqu'à l'expiration d'un délai de trois mois à compter de la transmission du dossier prévue à l'article 2

Article 4 : Tous droits et moyens des parties sur lesquels il n'est pas expressément statué par le présent arrêt sont réservés jusqu'en fin d'instance.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. I... G..., qui a été désigné à cette fin dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 751-3 du code de justice administrative, à la ministre de la transition écologique, à la société Parc éolien du Sud Artois et à la Société pour la protection des paysages et de l'esthétique de la France.

Copie en sera transmise pour information au préfet du Pas-de-Calais.

Délibéré après l'audience publique du 15 mars 2022 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes Honoré, présidente assesseure,

- M. Stéphane Eustache, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 27 avril 2022.

Le rapporteur,

Signé : S. Eustache

Le président de la 1ère chambre,

Signé : M. D...

Le greffier,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne à la ministre de la transition écologique en ce qui la concerne ou à tous huissiers de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

N°20DA01392

2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20DA01392
Date de la décision : 27/04/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Stéphane Eustache
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : LANOY

Origine de la décision
Date de l'import : 09/08/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2022-04-27;20da01392 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award