La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

09/03/2023 | FRANCE | N°22DA01742

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 09 mars 2023, 22DA01742


Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 août 2022 et des mémoires enregistrés le 6 octobre 2022 et le 9 janvier 2023, la société Parc éolien du Bosquel, représentée par Me Antoine Guiheux, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel la préfète de la Somme a rejeté sa demande d'autorisation environnementale portant sur l'implantation et l'exploitation de quatre éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Bosquel, ain

si que le rejet implicite de son recours gracieux contre cet arrêté ;

2°) de délivrer ...

Vu la procédure suivante :

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 3 août 2022 et des mémoires enregistrés le 6 octobre 2022 et le 9 janvier 2023, la société Parc éolien du Bosquel, représentée par Me Antoine Guiheux, demande à la cour, dans le dernier état de ses écritures :

1°) d'annuler l'arrêté du 9 juin 2022 par lequel la préfète de la Somme a rejeté sa demande d'autorisation environnementale portant sur l'implantation et l'exploitation de quatre éoliennes et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Bosquel, ainsi que le rejet implicite de son recours gracieux contre cet arrêté ;

2°) de délivrer l'autorisation environnementale sollicitée, assortie des prescriptions nécessaires à la préservation des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement ;

3°) à titre subsidiaire, d'enjoindre sous astreinte à la préfète de la Somme de statuer à nouveau dans un délai d'un mois à compter de l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 5 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- l'arrêté est insuffisamment motivé ;

- le projet ne porte pas atteinte au paysage et aux sites et monuments, ni à la commodité du voisinage.

Par un mémoire en défense enregistré le 14 décembre 2022, le ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens contenus dans la requête ne sont pas fondés et que le projet porte également atteinte au bourg de Bosquel et à la commodité du voisinage.

La clôture de l'instruction a été fixée la dernière fois au 10 février 2023 à 12 heures par ordonnance du 9 janvier 2023.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller,

- les conclusions de M. Aurélien Gloux-Saliou, rapporteur public,

- et les observations de Me Antoine Guiheux, représentant la société Parc éolien du Bosquel.

Considérant ce qui suit :

Sur les conclusions à fin d'annulation :

1. La société Parc éolien du Bosquel a déposé, le 14 mai 2019, une demande d'autorisation environnementale afin de construire et d'exploiter quatre aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Bosquel. Par un arrêté du 9 juin 2022, la préfète de la Somme a refusé de délivrer cette autorisation au motif qu'elle était de nature à porter atteinte aux monuments. La société Parc éolien du Bosquel demande l'annulation de cet arrêté.

En ce qui concerne la motivation de la décision du 9 juin 2021 :

2. L'arrêté attaqué vise les textes dont il fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, il fait état d'une covisibilité entre l'église d'Essertaux et le projet, relève un effet d'écrasement du monument et conteste de manière argumentée l'appréciation par l'étude d'impact des effets du projet sur ce monument comme sur le château d'Essertaux. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée doit être écarté.

En ce qui concerne les atteintes aux intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement :

3. D'une part, aux termes de l'article L 181-3 du code de l'environnement : " I. L'autorisation environnementale ne peut être accordée que si les mesures qu'elle comporte assurent la prévention des dangers ou inconvénients pour les intérêts mentionnés aux articles L. 211-1 et L. 511-1, selon les cas (...) ". D'autre part, aux termes de l'article L. 511-1 du même code : " Sont soumis aux dispositions du présent titre les usines, ateliers, dépôts, chantiers et, d'une manière générale, les installations exploitées ou détenues par toute personne physique ou morale, publique ou privée, qui peuvent présenter des dangers ou des inconvénients soit pour la commodité du voisinage, soit pour la santé, la sécurité, la salubrité publiques, soit pour l'agriculture, soit pour la protection de la nature, de l'environnement et des paysages, soit pour l'utilisation économe des sols naturels, agricoles ou forestiers, soit pour l'utilisation rationnelle de l'énergie, soit pour la conservation des sites et des monuments ainsi que des éléments du patrimoine archéologique. ".

4. Pour rechercher l'existence d'une atteinte à un paysage de nature à fonder un refus d'autorisation ou les prescriptions spéciales accompagnant la délivrance de cette autorisation, il appartient au préfet d'apprécier, dans un premier temps, la qualité du site ou du paysage sur lequel l'installation est projetée et d'évaluer, dans un second temps, l'impact que cette installation, compte tenu de sa nature et de ses effets, pourrait avoir sur le site, sur le monument ou sur le paysage.

S'agissant de la qualité du site d'implantation du projet :

5. Le site d'implantation du projet se situe dans une zone ouverte de grandes cultures. Il est bordé à l'est par l'autoroute A 16 et est en dénivelé vers la vallée de la Selle. Il ne fait l'objet d'aucune protection et ne présente pas d'intérêt paysager particulier.

S'agissant de l'atteinte à l'église d'Essertaux :

6. Cette église de la deuxième moitié du XVIIIème siècle est inscrite au titre des monuments historiques. Elle est située à environ un kilomètre du projet. Depuis le centre du village face à l'église, l'observateur tourne le dos au parc éolien qui est également fortement masqué par des arbres. Depuis la route départementale où l'église et le parc sont en covisibilité, l'église apparaît dans le lointain et la différence d'échelle avec les éoliennes, si elle est marquée, ne produit pas un effet d'écrasement comme l'affirme l'arrêté contesté. Au fur et à mesure que l'observateur se rapproche du village, les éoliennes comme l'église sont largement masquées par des éléments boisés, de sorte que l'effet d'écrasement n'est pas plus caractérisé. L'étude paysagère, si elle identifie l'église comme un enjeu fort pour le projet, conclut à un impact modéré sur celle-ci, d'autant que la taille des éoliennes a été réduite à 136,5 mètres pour atténuer le rapport d'échelle. Enfin si l'arrêté contesté se fonde sur le photomontage n° 4, il est constant que cette vue, prise au sud du bourg de Bosquel, ne fait pas apparaître l'église. Par ailleurs, si elle permet de se rendre compte de l'effet des éoliennes à une distance d'un kilomètre, cet effet qualifié de modéré est propre à l'environnement de cette photographie et ne peut être transposé à l'environnement au centre d'Essertaux où les éléments bâtis masquent partiellement les éoliennes. Compte tenu de ces éléments, l'atteinte à l'église d'Essertaux n'est pas établie.

S'agissant de l'atteinte au château d'Essertaux :

7. Si le projet est visible depuis l'esplanade du château, il ne l'est qu'en tournant le dos à ce monument inscrit mais non ouvert au public et à son parc. Certes, le projet est partiellement en covisibilité avec une dépendance du château, également inscrite. Toutefois, les éoliennes sont pour l'essentiel masquées par le bâti et la végétation, seules les pales d'une éolienne dépassant le toit de cette dépendance. Le rapport d'échelle avec cette dépendance n'apparaît donc pas significativement déséquilibré. Contrairement à ce que conclut l'arrêté contesté, il ne résulte pas de ces éléments une prégnance des éoliennes qui nuirait " considérablement à la qualité architecturale et paysagère du domaine du château ". L'étude paysagère conclut d'ailleurs à un impact modéré sur les monuments comme sur le bourg d'Essertaux. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'atteinte au château d'Essertaux n'apparaît pas significative.

S'agissant des autres motifs invoqués en défense par le ministre :

8 En premier lieu, s'agissant du bourg de Bosquel, l'éolienne la plus proche est située à 1 200 mètres du bourg. Depuis le centre du bourg, seule l'extrémité des pales de l'éolienne E1 est visible légèrement au-dessus du bâti mais le projet est masqué par le bâti et la végétation. Si le projet est en revanche très visible depuis les sorties sud du bourg, il prend place dans un paysage de plateau avec des cultures ouvertes de plein champ comprenant déjà des éoliennes et des pylônes d'une ligne électrique à haute tension. L'étude paysagère conclut d'ailleurs à un impact très faible ou nul selon les points de vue. Compte tenu de ces éléments, l'atteinte au bourg du Bosquel n'apparaît pas significative et ne peut donc constituer un motif de refus du projet se substituant à ceux initialement retenus par la préfète de la Somme dans son arrêté du 9 juin 2022.

9. En deuxième lieu, s'agissant de la saturation visuelle, si le ministre soutient en défense que le projet vient aggraver la saturation visuelle pour les bourgs de Fransures et de Flers-sur-Noye, il se fonde exclusivement sur des données théoriques qui doivent être combinées avec l'analyse concrète du contexte paysager dans lequel se déploie le champ visuel, pour déterminer s'il existe un effet de saturation visuelle de nature à porter atteinte à la commodité du voisinage. Or, seule l'extrémité des pales de l'éolienne E4 est faiblement visible depuis le centre du bourg de Fransures, le projet étant très largement masqué par la végétation et le bâti. L'étude paysagère conclut d'ailleurs à un impact faible uniquement pour l'éolienne E4. Pour le village rue de Flers-sur-Noye, le projet est visible depuis la sortie nord dont il est situé à 1 567 mètres, de l'autre côté de l'autoroute. Si le projet est nettement visible depuis l'habitat dispersé, localisé à l'est, il prend place également dans un paysage dégagé de plateau sans intérêt particulier. L'étude paysagère conclut à un impact modéré sur l'habitat proche et note que cet impact a été limité par le choix de la variante finale où la taille des éoliennes a été diminuée à 136,5 mètres. Compte tenu de l'ensemble de ces éléments, l'atteinte à la commodité du voisinage, qui n'apparaît pas significative, ne peut constituer un motif de rejet du projet se substituant à ceux retenus initialement dans l'arrêté du 9 juin 2022.

10. En troisième et dernier lieu, le ministre invoque en défense d'autres motifs. Toutefois il reconnaît que l'impact du projet sur l'archéologie est de niveau modéré. De même, il ne remet pas en cause les conclusions de l'étude d'impact sur le caractère modéré des atteintes sur la population tant au regard du balisage nocturne que du bruit. Si le commissaire enquêteur a donné un avis défavorable au projet, le conseil municipal de Bosquel s'est prononcé favorablement sur le projet dans sa séance du 14 décembre 2021. Il en est de même de la commission départementale de la nature, des paysages et des sites lors de la séance du 15 mars 2022. Ainsi, il n'est pas établi que l'un des autres motifs invoqués en défense, qui sont assortis de peu de précisions, aurait pu justifier le refus du projet.

11. Il résulte de tout ce qui précède que l'arrêté du 9 juin 2022 de la préfète de la Somme doit être annulé en tant qu'il refuse d'autoriser la construction et l'exploitation du parc éolien du Bosquel. Le rejet du recours gracieux contre cet arrêté doit également être annulé par voie de conséquence.

Sur la délivrance de l'autorisation et l'injonction :

12. Dans le cadre d'un litige relevant d'un contentieux de pleine juridiction, comme en l'espèce, le juge administratif a le pouvoir d'autoriser la création et le fonctionnement d'une installation soumise à autorisation environnementale en l'assortissant des conditions qu'il juge indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement. Il a, en particulier, le pouvoir d'annuler la décision par laquelle l'autorité administrative a refusé l'autorisation sollicitée puis, après avoir, si nécessaire, régularisé ou complété la procédure, d'accorder lui-même cette autorisation aux conditions qu'il fixe ou, le cas échéant, en renvoyant le bénéficiaire devant le préfet pour la fixation de ces conditions.

13. Le ministre de la transition écologique n'a invoqué aucune atteinte autre que celles écartées précédemment qui justifierait le refus du projet.

14. Dans ces conditions, eu égard au motif d'annulation retenu au présent arrêt, il y a lieu pour la cour de faire usage de ses pouvoirs de pleine juridiction, d'une part, en délivrant à la société pétitionnaire l'autorisation environnementale relative à la construction et l'exploitation de quatre aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune de Bosquel, d'autre part, en la renvoyant devant le préfet de la Somme pour que soient fixées les prescriptions indispensables à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement, enfin, en enjoignant à l'autorité administrative de fixer ces prescriptions dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt, sans qu'il soit besoin d'assortir cette injonction d'une astreinte.

15. En vue de garantir la sécurité juridique du bénéficiaire de l'autorisation et l'information des tiers, il est enjoint au maire de Bosquel et au préfet de la Somme de procéder dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt aux mesures de publicité prescrites par l'article R.181-44 du code de l'environnement, à savoir un affichage du présent arrêt à la mairie de Bosquel pendant une durée minimum d'un mois, une publication sur le site internet des services de l'Etat du département de la Somme pendant une durée minimale de quatre mois et un envoi de l'arrêt par le préfet aux conseils municipaux et aux autorités locales qui ont été consultées.

Sur les frais liés à l'instance :

15. Dans les circonstances de l'espèce, il y a lieu de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros à verser à la société Parc éolien du Bosquel sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

DÉCIDE :

Article 1er : L'arrêté du 9 juin 2022 de la préfète de la Somme et la décision de rejet implicite du recours gracieux formé contre cet arrêté sont annulés.

Article 2 : L'autorisation environnementale pour la construction et l'exploitation de quatre aérogénérateurs et un poste de livraison sur le territoire de la commune du Bosquel est accordée à la société Parc éolien du Bosquel.

Article 3 : La société Parc éolien du Bosquel est renvoyée devant le préfet de la Somme pour que soient fixées les prescriptions nécessaires à la protection des intérêts mentionnés à l'article L. 511-1 du code de l'environnement.

Article 4 : Il est enjoint au préfet de la Somme de fixer les prescriptions mentionnées à l'article 3 dans un délai de quatre mois à compter de la notification du présent arrêt.

Article 5 : L'Etat versera la somme de 2 000 euros à la société Parc éolien du Bosquel au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Il est enjoint au préfet de la Somme et au maire de Bosquel de procéder aux mesures de publicité prévues par l'article R. 181-44 du code de l'environnement, dans le délai de dix jours à compter de la notification du présent arrêt.

Article 7 : Le présent arrêt sera notifié à la société Parc éolien du Bosquel, au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme et à la commune de Bosquel.

Délibéré après l'audience publique du 16 février 2023 à laquelle siégeaient :

- M. Marc Heinis, président de chambre,

- Mme Corinne Baes-Honoré, présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 9 mars 2023.

Le rapporteur

Signé : D. PerrinLe président de 1ère chambre,

Signé : M. A...

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de la transition écologique et de la cohésion des territoires et au préfet de la Somme en ce qui les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

C. Sire

N°22DA01742 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 22DA01742
Date de la décision : 09/03/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : M. Heinis
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : CABINET VOLTA

Origine de la décision
Date de l'import : 21/05/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-03-09;22da01742 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award