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05/10/2023 | FRANCE | N°23DA01141

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 05 octobre 2023, 23DA01141


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 18 novembre 2022 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours et fixation du pays de renvoi.

Par un jugement n° 2205096 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de délivrer à M. A... un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et mis à

la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. A... au titre des frais ex...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du préfet de la Seine-Maritime du 18 novembre 2022 portant refus de titre de séjour, obligation de quitter le territoire français dans les trente jours et fixation du pays de renvoi.

Par un jugement n° 2205096 du 23 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté, enjoint au préfet de délivrer à M. A... un titre de séjour dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et mis à la charge de l'Etat une somme de 1 000 euros à verser à M. A... au titre des frais exposés et non compris dans les dépens.

Procédure devant la cour :

Par une requête enregistrée le 19 juin 2023, le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande de M. A... devant le tribunal administratif.

Il soutient que M. A... n'a pas justifié de son état civil à l'appui de sa demande de titre de séjour.

Par un mémoire enregistré le 13 septembre 2023, M. A..., représenté par Me Blandine Quevremont, conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 200 euros, à verser à son conseil sur le fondement de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Il soutient que :

- l'absence de numéro d'identification sur ses actes de naissance ne permet pas de remettre en cause le caractère probant des documents d'état-civil qu'il produit ;- le préfet aurait dû tenir compte de tous les éléments qu'il fournissait pour justifier de son état-civil, y compris la carte consulaire ;

- la poursuite pour infraction pénale aux faux documents a été classée sans suite par le procureur de la République.

M. A... a été admis au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 12 septembre 2023 du bureau d'aide juridictionnelle près le tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller, a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

Sur l'objet du litige :

1. Par un arrêté du 18 novembre 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté la demande de titre de séjour de M. A..., lui a enjoint de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. A la demande de M. A..., le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté. Le préfet fait appel de ce jugement.

Sur le moyen d'annulation retenu par le tribunal :

2. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance (...) d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiant de son état civil ; (...) ".

3. Aux termes de l'article L. 811-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " La vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies à l'article 47 du code civil ". Aux termes de ce dernier article : " Tout acte de l'état civil (...) des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. (...) ".

4. Il résulte de ces dispositions que la force probante d'un acte d'état civil établi à l'étranger peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir qu'il est irrégulier, falsifié ou inexact. En cas de contestation par l'administration de la valeur probante de l'acte, il appartient au juge de former sa conviction au vu de l'ensemble des éléments produits par les parties.

5. M. A..., de nationalité malienne, a joint à sa demande de titre de séjour, outre une carte consulaire, un jugement supplétif d'acte de naissance, un acte de naissance et un extrait d'acte de naissance.

6. En premier lieu, en ce qui concerne le jugement supplétif du 8 juin 2018, dans son rapport du 27 octobre 2021, la police aux frontières (PAF) relève qu'il n'y a pas de type d'impression particulier pour ce document. Elle souligne que le maire et le greffier en chef qui ont signé ce document ne sont pas nommés. La PAF émet un avis défavorable sur son authenticité pour ce dernier motif et indique qu'il est impossible d'émettre un avis technique définitif car ce type de document ne comporte aucune exigence de sécurité documentaire.

7. En deuxième lieu, dans son rapport rédigé à la même date sur l'acte de naissance établi le 20 juin 2018, la PAF relève que le mode d'impression est de mauvaise qualité, que la maison d'édition n'est pas identifiée et que le numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales est absent. La PAF estime que ce document est contrefait.

8. En troisième lieu, dans son rapport rédigé à la même date sur l'extrait d'acte de naissance établit le 20 juin 2018, la PAF relève que le mode d'impression est de mauvaise qualité et que le numéro d'identification nationale des personnes physiques et morales est absent. La PAF estime que ce document est contrefait

9. M. A... soutient que l'attribution d'un numéro d'identification national des personnes physiques et morales (NINA) aux personnes nées avant la loi malienne n°06-040 du 11 août 2006 portant institution de ce numéro d'identification nationale, n'est pas systématique. Il souligne le dysfonctionnement, selon lui avéré, des services de l'Etat. Le préfet, pour sa part, cite diverses décisions juridictionnelles dont il ressort que l'article 7 de la loi malienne n°06-040 prévoit l'inscription de ce numéro sur tous les actes d'état-civil et qu'en conséquence les actes produits par l'intéressé postérieurs à la loi auraient dû le comporter.

10. Il ne ressort pas des pièces du dossier que les services de l'Etat puissent être regardés comme ayant dysfonctionné dans le cas de M. A.... Par ailleurs, le préfet ne s'est pas fondé sur la seule omission du numéro NINA pour remettre en cause le caractère probant des documents fournis. Au vu de l'ensemble des éléments du dossier, le préfet était fondé à remettre en cause la valeur probante des actes d'état-civil produits par M. A....

11. Il appartient au juge d'apprécier les conséquences à tirer de la production d'une carte consulaire ou d'un passeport, qui ne sont pas des actes d'état civil, sans qu'une force probante particulière puisse attribuée ou refusée à ces documents par principe. Il ne ressort pas des pièces du dossier que la carte consulaire de l'intéressé, délivrée le 21 janvier 2021 par l'ambassade du Mali en France, ait été établie au vu d'autres pièces que les documents non probants analysés ci-dessus.

12. M. A... a fait l'objet d'une décision de placement prise par le juge des enfants le 19 octobre 2018 et d'un jugement du 2 avril 2019 d'ouverture d'une tutelle. Mais il ressort des pièces du dossier que le département de la Seine-Maritime a initialement refusé de prendre en charge M. A... en raison d'un doute sur sa minorité. Le jugement d'ouverture d'une tutelle fait également état de l'évaluation sociale effectuée le 31 juillet 2018 qui remettait en cause la minorité de l'intéressé eu égard aux éléments recueillis, à son attitude et au manque d'informations données par ce dernier. Le juge des enfants, qui n'est pas un juge de l'état-civil, a ordonné le placement de M. A..., en retenant sa minorité en l'absence à l'époque de documents d'état-civil et compte-tenu de son isolement. De même, le juge des tutelles, qui n'est pas non plus un juge de l'état-civil, a ouvert une tutelle en considérant que le doute sur la minorité devait profiter à l'intéressé et en l'absence à la date du jugement des résultats de l'enquête confiée à la police aux frontières. M. A... se prévaut d'un courriel du 29 août 2023 de la police aux frontières, au demeurant postérieur à la décision de refus de titre, qui indique que les poursuites pour infractions pour faux documents ont été classés " 11 ", ce qui signifierait selon lui, sans suite pour absence d'infraction. D'une part la décision de refus de titre n'a pas pour condition que les faits retenus constituent une infraction pénale. D'autre part, à supposer que soit confirmé un classement sans suite, il ne constitue pas une constatation de faits, retenu par le juge pénal et constituant le support nécessaire d'un jugement définitif ayant autorité de chose jugée.

13. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a estimé que M. A... avait justifié de son état civil à l'appui de sa demande de titre de séjour.

14. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par M. A....

Sur les autres moyens invoqués par M. A... :

En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions :

S'agissant de la compétence du signataire de l'arrêté du 18 novembre 2022 :

15. Par arrêté du 29 août 2022, publié le même jour au recueil des actes administratifs de la préfecture, le préfet de la Seine-Maritime a donné délégation de signature à M. E... D..., directeur des migrations et de l'intégration à la préfecture, pour signer chacune des décisions comprises dans l'arrêté en litige. Le moyen tiré de l'incompétence du signataire de ces décisions doit donc être écarté.

S'agissant de la motivation et de l'examen de la situation :

16. En premier lieu, conformément aux articles L. 211-5 du code des relations entre le public et l'administration et L. 613-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'arrêté a énoncé dans ses considérants ou son dispositif les motifs de droit et de fait qui ont fondé ses différentes décisions.

17. En deuxième lieu, il ressort de la motivation de l'arrêté que le préfet a procédé, pour toutes ses décisions, à un examen sérieux et particulier des éléments relatifs à la situation de l'intéressé alors portés à sa connaissance.

En ce qui concerne la décision de refus de titre :

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 423-22 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

18. Aux termes de cet article : " Dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire ou s'il entre dans les prévisions de l'article L. 421-35, l'étranger qui a été confié au service de l'aide sociale à l'enfance ou à un tiers digne de confiance au plus tard le jour de ses seize ans se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Cette carte est délivrée sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de la formation qui lui a été prescrite, de la nature des liens de l'étranger avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur son insertion dans la société française. ".

19. M. A... n'établit pas qu'il a été confié à l'aide sociale à l'aide sociale à l'enfance au plus tard le jour de ses seize ans puisqu'il ne peut, ainsi qu'il a été dit, justifier de son état-civil et par suite de sa date de naissance. Au surplus, l'intéressé n'est pas dépourvu de toute attache dans son pays d'origine puisqu'il a indiqué au juge des enfants le 19 octobre 2018 avoir contacté sa famille en vue de l'obtention de documents d'état-civil. Par ailleurs, s'il était en formation d'apprentissage en maçonnerie et a obtenu un contrat d'apprentissage du 16 novembre 2020 au 31 août 2022, il ne justifie pas avoir obtenu le certificat d'aptitude professionnelle et l'avis de la structure d'insertion en date du 7 juin 2021 indique sa difficulté à suivre les cours, compte tenu qu'il n'avait jamais été scolarisé auparavant. En outre, pour démontrer son insertion postérieurement à sa formation, l'intéressé se borne à fournir des contrats de missions temporaires de septembre à novembre 2022. Si l'avis de la structure d'accueil conclut que M. A... est très bien intégré et si celui-ci produit deux attestations de bénévoles associatifs qui le suivent qui témoignent de son courage et de son volontarisme, il ne produit aucun autre élément démontrant l'intensité de ses attaches privées ou de son intégration. Dans ces conditions, le moyen tiré de la violation des dispositions précitées doit être en tout état de cause écarté.

S'agissant de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

20. Il résulte de ce qui précède qu'alors que M. A... a vécu la majeure partie de sa vie au Mali où réside toute sa famille et est entré irrégulièrement en France en juillet 2018, l'arrêté en litige ne porte pas une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale. Le moyen tiré de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit donc être écarté.

En ce qui concerne les autres décisions :

21. Il résulte de ce qui précède que les moyens tirés du défaut de base légale de la décision portant obligation de quitter le territoire français et de la décision fixant le pays de destination, eu égard à l'illégalité de la décision de refus de titre, doivent être écartés. Il résulte également de ce qui précède et pour les mêmes motifs que le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales par la décision portant obligation de quitter le territoire français doit également être écarté.

22. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de la Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif a annulé l'arrêté du 18 novembre 2022.

Sur les frais liés au litige :

23. Les dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'une somme soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, au titre des frais exposés par M. A... non compris dans les dépens.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Rouen du 23 mai 2023 est annulé.

Article 2 : Les demandes de M. A... devant le tribunal administratif et devant la cour sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... A..., au ministre de l'intérieur et des outre-mer et à Me Blandine Quevremont.

Copie en sera transmise pour information au préfet de la Seine-Maritime.

Délibéré après l'audience publique du 21 septembre 2023 à laquelle siégeaient :

Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

Mme Isabelle Legrand, présidente assesseure,

M. Denis Perrin, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 5 octobre 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. Perrin La présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : Christine Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer, en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis, en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

La greffière en chef,

Par délégation,

La greffière,

Christine Sire

2

N° 23DA01141


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA01141
Date de la décision : 05/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : QUEVREMONT

Origine de la décision
Date de l'import : 15/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-10-05;23da01141 ?
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