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19/10/2023 | FRANCE | N°23DA00947

France | France, Cour administrative d'appel de Douai, 1ère chambre, 19 octobre 2023, 23DA00947


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 29 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée.

Par un jugement n° 2204771 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 29 avril 2022 et a enjoint au préfet territorialement compétent de lui d

élivrer une carte de séjour mention vie privée et familiale dans le délai de deux mois ...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme B... A... a demandé au tribunal administratif de Rouen d'annuler l'arrêté du 29 avril 2022 par lequel le préfet de la Seine-Maritime a refusé de l'admettre au séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays à destination duquel elle pourra être éloignée.

Par un jugement n° 2204771 du 4 mai 2023, le tribunal administratif de Rouen a annulé l'arrêté du 29 avril 2022 et a enjoint au préfet territorialement compétent de lui délivrer une carte de séjour mention vie privée et familiale dans le délai de deux mois à compter de la notification du jugement et une autorisation provisoire de séjour dans le délai de quinze jours à compter de cette notification.

Procédure devant la cour :

Par une requête, enregistrée le 24 mai 2023 le préfet de la Seine-Maritime demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) de rejeter la demande présentée par Mme A... devant le tribunal administratif de Rouen.

Il soutient que :

- Mme A... ne justifie pas de son état-civil ;

- l'intéressée ne remplit pas les conditions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il renvoie pour les autres moyens à son mémoire en défense produit en première instance.

Par un mémoire en défense, enregistré le 14 septembre 2023, Mme A..., représentée par Me Magali Leroy conclut au rejet de la requête et à la mise à la charge de l'Etat de la somme de 1 200 euros toutes taxes comprises au titre de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991, à verser à son conseil, sous réserve que cette dernière renonce à percevoir la contribution de l'Etat à l'aide juridictionnelle.

Elle soutient que :

- le préfet aurait dû saisir les autorités de son pays d'origine pour vérifier l'authenticité des actes d'état-civil produits et ne pouvait pas se fonder uniquement sur l'analyse de la police aux frontières ;

- le préfet a commis une erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Par ordonnance du 15 septembre 2023, la clôture de l'instruction a été fixée au 27 septembre 2023 à 12 heures.

Mme A... a été maintenue au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 31 août 2023 du bureau d'aide juridictionnelle du tribunal judiciaire de Douai.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne ;

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- le code civil ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative.

La présidente de la formation de jugement a dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Le rapport de M. Denis Perrin, premier conseiller a été entendu au cours de l'audience publique.

Considérant ce qui suit :

1. Mme A..., ressortissante guinéenne, déclare être née le 13 août 2002 et être entrée en France le 12 août 2018. Elle a été prise en charge au titre de l'aide sociale à l'enfance par un jugement du 9 novembre 2018 du Tribunal judiciaire de Rouen. Elle a sollicité la délivrance d'un titre de séjour le 13 août 2020. Par un arrêté du 29 avril 2022, le préfet de la Seine-Maritime a rejeté sa demande. Le préfet de la Seine-Maritime a, en outre, assorti ce refus d'une obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et a fixé le pays de renvoi. Il relève appel du jugement du 4 mai 2023 par lequel le tribunal administratif de Rouen a annulé cet arrêté et a enjoint à l'autorité préfectorale de délivrer à Mme A... un titre de séjour dans le délai d'un mois à compter de la notification de ce jugement.

Sur les moyens d'annulation retenus par le tribunal administratif de Rouen :

2. Le tribunal administratif de Rouen a considéré que le préfet a à tort retenu que Mme A... ne pouvait justifier de son état-civil et qu'il a en outre porté une atteinte disproportionnée à sa vie privée et familiale, méconnaissant ainsi les dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

En ce qui concerne la justification par Mme A... de son état civil :

3. Aux termes de l'article R. 431-10 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui demande la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour présente à l'appui de sa demande : 1° Les documents justifiants de son état civil ; (...) ". L'article L. 811-2 de ce même code prévoit que la vérification de tout acte d'état civil étranger est effectuée dans les conditions définies par l'article 47 du code civil. Aux termes de l'article 47 du code civil : " Tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française ".

4. Il résulte de ces dispositions que, lorsqu'est produit devant l'administration un acte d'état civil émanant d'une autorité étrangère qui a fait l'objet d'une légalisation, sont en principe attestées la véracité de la signature apposée sur cet acte, la qualité de celui qui l'a dressé et l'identité du sceau ou timbre dont cet acte est revêtu. En cas de doute sur la véracité de la signature, sur l'identité du timbre ou sur la qualité du signataire de la légalisation, il appartient à l'autorité administrative de procéder, sous le contrôle du juge, à toutes vérifications utiles pour s'assurer de la réalité et de l'authenticité de la légalisation. En outre, la légalisation se bornant à attester de la régularité formelle d'un acte, la force probante de celui-ci peut être combattue par tout moyen susceptible d'établir que l'acte en cause est irrégulier, falsifié ou inexact. Par suite, en cas de contestation de la valeur probante d'un acte d'état civil légalisé établi à l'étranger, il revient au juge administratif de former sa conviction en se fondant sur tous les éléments versés au dossier dans le cadre de l'instruction du litige qui lui est soumis.

5. A l'appui de sa demande de titre de séjour, Mme A... a produit un jugement supplétif d'acte de naissance émis le 10 septembre 2018 par le tribunal de première instance de Pita, une retranscription de celui-ci par les autorités guinéennes, ainsi qu'une carte d'identité consulaire délivrée par les services consulaires de l'ambassade de République de Guinée à Paris.

6. En premier lieu, en ce qui concerne le jugement supplétif, dans son rapport du 20 décembre 2021, la police aux frontières (PAF) relève, la mauvaise qualité d'un timbre humide et son caractère partiellement illisible, l'illisibilité partielle également du timbre sec ainsi qu'une faute d'orthographe sur le timbre humide du chef du greffe du tribunal. Le service de police conclut au caractère falsifié du jugement pour ce dernier motif, bien qu'il ait fait l'objet d'une légalisation.

7. En deuxième lieu, en ce qui concerne la transcription, le 15 octobre 2018, de ce jugement, la police aux frontières, dans son rapport rédigé à la même date, souligne que la devise du pays comme le timbre sec sont illisibles et émet un avis défavorable sur l'authenticité de ce document.

8. Mme A... se prévaut des mentions de sa carte d'identité consulaire établie le 21 juillet 2020 et de son passeport qui n'a toutefois été délivré que le 11 novembre 2022, postérieurement à la décision contestée. Néanmoins, il appartient à l'administration sous le contrôle du juge d'apprécier les conséquences à tirer de la production d'une carte consulaire ou d'un passeport, qui ne sont pas des actes d'état civil, sans qu'une force probante particulière puisse être attribuée ou refusée à ces documents par principe. Par ailleurs, elle a également produit devant le tribunal administratif, une copie intégrale d'acte de naissance mais celle-ci a été établie par l'ambassade de Guinée en France, le 1er mars 2023, postérieurement également à la décision contestée. Au surplus, il ne ressort pas des pièces du dossier que ces documents aient été établis au vu d'autres pièces que les documents non probants analysés ci-dessus. Enfin, l'administration française n'est pas tenue de solliciter nécessairement et systématiquement les autorités d'un autre État afin d'établir qu'un acte d'état civil présenté comme émanant de cet État est dépourvu d'authenticité, en particulier lorsque l'acte est, compte tenu de sa forme et des informations dont dispose l'administration française sur la forme habituelle du document en question, manifestement falsifié. Le préfet de la Seine-Maritime n'était donc pas tenu de saisir les autorités guinéennes, compte tenu de l'analyse effectuée par la police aux frontières pour remettre en cause le caractère probant des actes produits par Mme A....

9. Dans ces conditions, alors que Mme A... n'apporte aucun élément probant de nature à contredire les constats effectués par le service de la police aux frontières, le préfet de la Seine-Maritime n'a pas fait une inexacte application des dispositions précitées en rejetant la demande de titre de séjour de Mme A... au motif qu'elle ne justifiait pas de sa date de naissance et donc de son état-civil.

En ce qui concerne l'application des dispositions de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

10. Aux termes de l'article L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui n'entre pas dans les catégories prévues aux articles L. 423-1, L. 423-7, L. 423-14, L. 423-15, L. 423-21 et L. 423-22 ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement familial, et qui dispose de liens personnels et familiaux en France tels que le refus d'autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, se voit délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " vie privée et familiale " d'une durée d'un an, sans que soit opposable la condition prévue à l'article L.412-1. / Les liens mentionnés au premier alinéa sont appréciés notamment au regard de leur intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d'existence de l'étranger, de son insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine. / L'insertion de l'étranger dans la société française est évaluée en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République ".

11. Mme. A... soutient que la décision de refus de titre de séjour méconnaît le droit au respect de la vie privée et familiale et fait valoir, à cet effet, qu'elle a été prise en charge par le service de l'aide sociale à l'enfance dès son arrivée en France et s'est impliquée dans son parcours de formation. Toutefois, il ressort des pièces du dossier que Mme. A..., qui est présente en France depuis moins de quatre ans à la date de l'arrêté contesté, est célibataire et sans enfant à charge. Elle ne fait état d'aucune relation familiale en France, n'y établit pas l'intensité de ses relations privées ou amicale et ne justifie pas être isolée en Guinée où elle a vécu au moins jusqu'à l'âge de seize ans. En outre, les formations qu'elle a poursuivies, dont celle du CAP " employé de vente " qu'elle n'a pas obtenu et son recrutement par la commune de Pantin comme agent technique contractuel polyvalent ne suffisent pas, à eux-seuls, à établir que l'intéressée ait fixé le centre de ses intérêts privés en France. Malgré ses différents stages, Mme. A... ne démontre pas non plus une insertion sociale particulière. Dans ces conditions, et en dépit des efforts d'intégration professionnelle de Mme A..., le préfet de la Seine-Maritime, en rejetant sa demande de titre de séjour, n'a pas porté non plus une atteinte disproportionnée à son droit au respect de la vie privée et familiale au regard des buts poursuivis par cette décision.

12. Il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Rouen s'est fondé pour annuler la décision du préfet de la Seine-Maritime sur les deux motifs tirés de la méconnaissance des articles R. 431-10 et L. 423-23 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

13. Toutefois, il appartient à la cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens invoqués par Mme A....

Sur les autres moyens de Mme A... :

En ce qui concerne les moyens communs à l'ensemble des décisions :

S'agissant du droit à une bonne administration, au principe du contradictoire et à l'accès aux informations qui la concerne :

14. En premier lieu, aux termes de l'article 41 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne : " Toute personne a le droit de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions et organes de l'Union. / Ce droit comporte notamment : / - le droit de toute personne d'être entendue avant qu'une mesure individuelle qui l'affecterait défavorablement ne soit prise à son encontre ; (...) ". Si l'article 41 de la charte s'adresse non pas aux États membres, mais uniquement aux institutions, aux organes et aux organismes de l'Union européenne, le droit d'être entendu fait partie intégrante du respect des droits de la défense, principe général du droit de l'Union européenne, également invoqué par Mme A....

15. Lorsqu'il sollicite la délivrance ou le renouvellement d'un titre de séjour, l'étranger, en raison même de l'accomplissement de cette démarche qui tend à son maintien régulier sur le territoire français, ne saurait ignorer qu'en cas de refus, il pourra faire l'objet d'une mesure d'éloignement. A l'occasion du dépôt de sa demande, il est conduit à préciser à l'administration les motifs pour lesquels il demande que lui soit délivré un titre de séjour et à produire tous éléments susceptibles de venir au soutien de cette demande. Il lui appartient, lors du dépôt de cette demande, lequel doit en principe faire l'objet d'une présentation personnelle du demandeur en préfecture, d'apporter à l'administration toutes les précisions qu'il juge utiles. Il lui est loisible, au cours de l'instruction de sa demande, de faire valoir auprès de l'administration toute observation complémentaire utile, au besoin en faisant état d'éléments nouveaux. Le droit de l'intéressé d'être entendu est ainsi satisfait avant que n'intervienne le refus de titre de séjour. Le moyen tiré de la méconnaissance du droit d'être entendu doit donc être écarté.

16. En deuxième lieu, si Mme A... fait valoir qu'avant de se prononcer sur sa demande de titre de séjour, le préfet de la Seine-Maritime ne lui a pas communiqué les rapports de la police aux frontières, aucune disposition ni aucun principe n'imposait au préfet de procéder d'office à cette communication alors que l'intéressée a produit elle-même les documents analysés par ce rapport. Par ailleurs, s'il était loisible au préfet de prendre sa décision après avoir demandé l'avis de la police aux frontières, aucun texte n'impose la consultation de ce service. Par suite, l'intéressée ne peut se prévaloir des dispositions de l'article L. 311-2 du code des relations entre le public et l'administration qui prévoient qu'un avis prévu par un texte législatif ou règlementaire préalablement à l'édiction d'une décision sur demande est communicable à l'auteur de la demande. Dans ces conditions, Mme A... ne saurait soutenir que le principe du contradictoire, les droits de la défense et le droit d'accéder aux informations qui la concernent et le traitement impartial de sa demande auraient été méconnus.

S'agissant de la motivation et de l'examen de situation personnelle :

17. La décision contestée vise les textes dont elle fait application et comporte les considérations de fait qui en constituent le fondement. En particulier, elle mentionne la date d'entrée en France de Mme A..., indique, entre autres, qu'elle a suivi un CAP, qu'elle bénéficiait d'une promesse d'embauche au moment de l'édiction de l'arrêté litigieux. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation de l'obligation de quitter le territoire français doit être écarté. Il ne ressort pas non plus des termes de la décision que le préfet ne se serait pas livré, au vu des pièces du dossier, à un examen sérieux de la situation de Mme A....

En ce qui concerne les moyens propres à la décision de refus de séjour :

S'agissant de la violation de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de l'erreur manifeste d'appréciation :

18. Pour les mêmes motifs que ceux développés au point 11, ces moyens ne peuvent qu'être écartés.

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

19. Aux termes de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " A titre exceptionnel, l'étranger qui a été confié à l'aide sociale à l'enfance ou du tiers digne de confiance entre l'âge de seize ans et l'âge de dix-huit ans et qui justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle peut, dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié " ou " travailleur temporaire ", sous réserve du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans le pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil ou du tiers digne de confiance sur l'insertion de cet étranger dans la société française. La condition prévue à l'article L. 412-1 n'est pas opposable ".

20. Lorsqu'il examine une demande d'admission exceptionnelle au séjour en qualité de " salarié " ou " travailleur temporaire ", présentée sur le fondement des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, le préfet vérifie tout d'abord que l'étranger est dans l'année qui suit son dix-huitième anniversaire, qu'il a été confié à l'aide sociale à l'enfance entre l'âge de seize ans et dix-huit ans, qu'il justifie suivre depuis au moins six mois une formation destinée à lui apporter une qualification professionnelle et que sa présence en France ne constitue pas une menace pour l'ordre public. Il lui revient ensuite, dans le cadre du large pouvoir dont il dispose, de porter une appréciation globale sur la situation de l'intéressé, au regard notamment du caractère réel et sérieux du suivi de cette formation, de la nature de ses liens avec sa famille restée dans son pays d'origine et de l'avis de la structure d'accueil sur l'insertion de cet étranger dans la société française. Il appartient au juge administratif, saisi d'un moyen en ce sens, de vérifier que le préfet n'a pas commis d'erreur manifeste dans l'appréciation ainsi portée.

21. Il ressort des pièces du dossier que, si Mme A... a été confiée à l'aide sociale à l'enfance, elle n'établit pas ainsi qu'il a été dit, qu'elle ait été confiée à ce service avant l'âge de dix-huit ans, le caractère probant des documents d'état-civil qu'elle a produits ayant été remis en cause. Par ailleurs, si elle a suivi une formation professionnelle et si des attestations de ses employeurs en stage témoignent de son sérieux, elle n'a pas obtenu son diplôme de CAP spécialité " employé de vente ". En outre, à la date de la décision, elle ne suivait plus une formation professionnelle mais travaillait. Dans ces conditions, bien que la structure d'accueil témoigne de la motivation de l'intéressée, le préfet de la Seine-Maritime, qui s'est livré à une appréciation globale de la situation de Mme A..., n'a pas commis d'erreur manifeste d'appréciation dans l'application des dispositions précitées de l'article L. 435-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile en refusant d'admettre l'intéressé au séjour sur ce fondement.

S'agissant de la méconnaissance de l'article L. 435-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

22. Aux termes de cet article : " L'étranger dont l'admission au séjour répond à des considérations humanitaires ou se justifie au regard des motifs exceptionnels qu'il fait valoir peut se voir délivrer une carte de séjour temporaire portant la mention " salarié ", " travailleur temporaire " ou " vie privée et familiale ", sans que soit opposable la condition prévue à l'article L. 412-1. / Lorsqu'elle envisage de refuser la demande d'admission exceptionnelle au séjour formée par un étranger qui justifie par tout moyen résider habituellement en France depuis plus de dix ans, l'autorité administrative est tenue de soumettre cette demande pour avis à la commission du titre de séjour prévue à l'article L. 432-14. ".

23. Il ressort des pièces du dossier que Mme A... n'apporte aucun autre élément autre que ceux précédemment mentionnés de nature à établir que son séjour réponde à des considérations humanitaires ou soit justifiée par des motifs exceptionnels. Dans ces conditions, le moyen tiré d'une erreur manifeste d'appréciation dans l'application de cet article doit être écarté.

S'agissant de la saisine de la commission du titre de séjour :

24. Le préfet est tenu de saisir la commission du titre de séjour du seul cas des étrangers qui remplissent effectivement les conditions pour se voir attribuer de plein droit un titre de séjour, et non de celui de tous les étrangers qui se prévalent de ces dispositions, ainsi que de ceux qui ayant demandé un titre sur le fondement de l'article L. 435-1 précité justifient résider habituellement en France depuis plus de dix ans. Mme A... n'étant dans aucun de ces cas, le moyen tiré de l'absence de saisine de la commission du titre de séjour doit être écarté.

En ce qui concerne les moyens propres à l'obligation de quitter le territoire français dans un délai de trente jours et fixant le pays de destination :

25. Pour les mêmes motifs que ceux exposés au point 11, le moyen tiré de la méconnaissance de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de la décision sur la situation personnelle de Mme A... doit être écarté.

26. Il résulte également de ce qui précède que le moyen tiré par la voie de l'exception, de l'illégalité de la décision de refus de titre doit être écarté.

S'agissant de la méconnaissance des articles 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et l'article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

27. Aux termes de l'article 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme : " Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants ". Aux termes de l'article article L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'autorité administrative peut désigner comme pays de renvoi : / 1° Le pays dont l'étranger a la nationalité, sauf si l'Office français de protection des réfugiés et apatrides ou la Cour nationale du droit d'asile lui a reconnu la qualité de réfugié ou lui a accordé le bénéfice de la protection subsidiaire ou s'il n'a pas encore été statué sur sa demande d'asile ; / 2° Un autre pays pour lequel un document de voyage en cours de validité a été délivré en application d'un accord ou arrangement de réadmission européen ou bilatéral ; / 3° Ou, avec l'accord de l'étranger, tout autre pays dans lequel il est légalement admissible. / Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires aux stipulations de l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950 ".

28. Si Mme A... soutient qu'elle est arrivée en France pour fuir un risque de mariage arrangé et les violences subies sur sa personne, elle ne produit aucune pièce permettant d'établir la réalité des risques auxquels elle serait exposée à son retour dans son pays. Dans ces conditions, le moyen de Mme A... tiré de la méconnaissance des articles 3 de la convention de sauvegarde des droits de l'homme et L. 721-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile doit être écarté. Pour les mêmes motifs, le moyen tiré de l'erreur dans l'appréciation des conséquences de la décision fixant le pays de destination sur la situation personnelle de Mme A... doit être écarté.

29. Il résulte de tout ce qui précède que le préfet de Seine-Maritime est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Rouen a annulé son arrêté du 29 avril 2022.

Sur les frais liés au litige :

30. Les dispositions combinées de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 sur l'aide juridique et de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat qui n'est pas la partie perdante dans la présente instance, la somme réclamée à ce titre par Mme A....

DÉCIDE :

Article 1 : Le jugement du 4 mai 2023 du tribunal administratif de Rouen est annulé.

Article 2 : La demande de Mme A... tant devant le tribunal administratif que devant la cour est rejetée.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à Mme B... A..., à Me Magali Leroy, et ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée au préfet de la Seine-Maritime

Délibéré après l'audience publique du 5 octobre 2023 à laquelle siégeaient :

- Mme Ghislaine Borot, présidente de chambre,

- Mme Isabelle Legrand présidente-assesseure,

- M. Denis Perrin premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe le 19 octobre 2023.

Le rapporteur,

Signé : D. PerrinLa présidente de la 1ère chambre,

Signé : G. Borot

La greffière,

Signé : C. Sire

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le les concerne ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution du présent arrêt.

Pour expédition conforme,

Le greffier en chef,

Par délégation,

Le greffier,

Christine Sire

N°23DA00947 2


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Douai
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 23DA00947
Date de la décision : 19/10/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme Borot
Rapporteur ?: M. Denis Perrin
Rapporteur public ?: M. Gloux-Saliou
Avocat(s) : LEROY

Origine de la décision
Date de l'import : 29/10/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.douai;arret;2023-10-19;23da00947 ?
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