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28/07/2006 | FRANCE | N°06LY00851

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 6ème chambre, 28 juillet 2006, 06LY00851


Vu, I/ le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 26 avril 2006, sous le n° 06LY00851, présenté par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0601594-0601595 en date du 14 avril 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 21 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. et Mme Reuf X et lui a enjoint de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour

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2)° de rejeter les demandes présentées par M. et Mme X devant le Tr...

Vu, I/ le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 26 avril 2006, sous le n° 06LY00851, présenté par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0601594-0601595 en date du 14 avril 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 21 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. et Mme Reuf X et lui a enjoint de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour ;

2)° de rejeter les demandes présentées par M. et Mme X devant le Tribunal administratif ;

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Vu, II/ le recours, enregistré au greffe de la Cour administrative d'appel de Lyon le 26 avril 2006, sous le n° 06LY00852, présenté par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE ;

Le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE demande à la Cour de prononcer, en application de l'article R. 811-15 du code de justice administrative, le sursis à exécution du jugement n° 0601594-0601595 en date du 14 avril 2006, par lequel le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 21 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. et Mme X et lui a enjoint de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour ;

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Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu la décision en date du 22 juin 2006 par laquelle l'aide juridictionnelle totale est accordée à M. X ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention internationale relative aux droits de l'enfant signée à New York le 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu la loi n° 79-587 du 11 juillet 1979 ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 13 juillet 2006 :

- le rapport de M. Chabanol, président de la Cour ;

- et les conclusions de Mme Verley-Cheynel, commissaire du gouvernement ;


Considérant que les requêtes susvisées du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE concernent le même jugement ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul arrêt ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité (…) » ;

Considérant qu'il ressort des pièces du dossier que M. et Mme X, de nationalité bosniaque, sont entrés irrégulièrement en France et ne justifiaient pas, à la date des arrêtés en litige, être titulaires d'un titre de séjour en cours de validité ; qu'ils étaient ainsi dans le cas prévu par les dispositions précitées du 1° de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) l'admission en France d'un étranger qui demande à bénéficier de l'asile ne peut être refusée que si : (…) 2° L'étranger qui demande à bénéficier de l'asile a la nationalité (…) d'un pays considéré comme un pays d'origine sûr. (…) La prise en compte du caractère sûr du pays d'origine ne peut faire obstacle à l'examen individuel de chaque demande ; (…) » et qu'aux termes du premier alinéa de l'article L. 742-6 du même code : « L'étranger présent sur le territoire français dont la demande d'asile entre dans l'un des cas visés aux 2° à 4° de l'article L. 741-4 bénéficie du droit de se maintenir en France jusqu'à la notification de la décision de l'office français de protection des réfugiés et apatrides, lorsqu'il s'agit d'une décision de rejet. En conséquence, aucune mesure d'éloignement mentionnée au livre V du présent code ne peut être mise à exécution avant la décision de l'office. » ;

Considérant que pour annuler les arrêtés de reconduite à la frontière pris par le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE à l'encontre de M. et Mme X le 21 mars 2006, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a jugé que ces mesures d'éloignement méconnaissaient les dispositions de l'article L. 742-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile qui prévoit que lorsqu'il est admis à séjourner en France, l'étranger qui demande à bénéficier de l'asile se voit délivrer une autorisation provisoire de séjour qui est renouvelable jusqu'à ce que la commission des recours des réfugiés statue ; qu'il ressort toutefois des pièces des dossiers que par décisions en date du 18 août 2005, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a refusé à M. et Mme X la délivrance d'une autorisation provisoire de séjour, en application des dispositions précitées du 2° de l'article L. 741-4 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, la Bosnie-Herzégovine figurant sur la liste des pays sûrs ; que l'office français de protection des réfugiés et apatrides a rejeté les demandes d'asile présentées par M. et Mme X, par décisions du 20 septembre 2005 que les intéressés ont contestées devant la commission des recours des réfugiés par des recours enregistrés devant cette juridiction le 17 octobre 2005 ; que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a pu ainsi, sans méconnaître les dispositions du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, ordonner en application de l'article L. 742-6 précité, la reconduite à la frontière de M. et Mme X, alors même que la commission des recours des réfugiés, saisie d'un recours non suspensif, n'avait pas encore statué ; que, par suite, le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé, pour ce motif, les arrêtés litigieux ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, d'examiner les autres moyens présentés par M. et Mme X, tant devant le Tribunal administratif de Grenoble que devant la Cour ;

Sur la légalité des arrêtés de reconduite à la frontière :

En ce qui concerne leur légalité externe :

Considérant, en premier lieu, que les arrêtés de reconduite à la frontière du 21 mars 2006, qui comportent l'énoncé des considérations de droit et de fait sur lesquelles ils se fondent, sont suffisamment motivés et que l'absence, dans ces arrêtés, du visa des recours formés par M. et Mme X devant la commission des recours des réfugiés contre les décisions de refus d'asile de l'office français de protection des réfugiés et apatrides est sans incidence sur la légalité desdits arrêtés ;

Considérant, en second lieu, que contrairement aux affirmations de M. et Mme X, il ressort des mentions des arrêtés de reconduite à la frontière litigieux que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a procédé à un examen préalable de la situation personnelle et familiale des intéressés, notamment au regard des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales avant de prendre les mesures d'éloignement en litige ;
En ce qui concerne l'exception d'illégalité des décisions du 18 août 2005 de refus de délivrance d'autorisation provisoire de séjour :

Considérant que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE a soutenu sans être contredit que le refus d'autorisation de séjour a été notifié à M. et Mme X le 18 août 2005, cette notification étant assortie de l'indication des voies et délais de recours ; que cet élément n'est démenti par aucune pièce des dossiers ; que par suite, à la date à laquelle a été soulevé, par voie d'exception, le moyen tiré de l'illégalité de ces refus, ces derniers étaient devenus définitifs ; que le moyen susmentionné est dès lors irrecevable ;

En ce qui concerne les autres moyens :

Considérant, en premier lieu, que les moyens tirés de l'illégalité des décisions de l'office français de protection des réfugiés et apatrides du 20 septembre 2005 refusant à M. et Mme X le bénéfice du statut de réfugié ne peuvent, en tout état de cause, être utilement invoqués à l'appui d'un recours dirigé contre des mesures de reconduite à la frontière ;

Considérant, en deuxième lieu, qu'aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : « 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui. » et qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : « Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (…) des tribunaux, des autorités administratives (…), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale » ; qu'il résulte de ces dernières stipulations, qui peuvent être utilement invoquées à l'appui d'un recours pour excès de pouvoir, que, dans l'exercice de son pouvoir d'appréciation, l'autorité administrative doit accorder une attention primordiale à l'intérêt supérieur des enfants dans toutes les décisions les concernant ;

Considérant que si M. et Mme X soutiennent qu'ils ne pourraient vivre une vie privée et familiale normale qu'en France où leurs enfants sont scolarisés et qu'ils se refusent à vivre en Bosnie-Herzégovine où de nombreux membres de leur famille ont été tués, rien ne fait obstacle à ce que M. et Mme X, qui sont entrés irrégulièrement en France à l'âge respectivement de quarante-cinq et de trente-neuf ans et qui résidaient sur le territoire national depuis moins d'un an à la date des mesures d'éloignement litigieuses dont ils font tous deux l'objet, quittent ensemble la France, accompagnés de leurs deux enfants mineurs ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions d'entrée et de séjour de M. et Mme X en France, et eu égard aux effets d'une mesure de reconduite à la frontière, les arrêtés en litige n'ont pas porté au droit des intéressés au respect de leur vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels ils ont été pris ; qu'ils n'ont, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; qu'ils n'ont pas davantage méconnu les stipulations précitées de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;


Considérant, en troisième lieu, que si M. et Mme X soutiennent que les mesures d'éloignement prises à leur encontre seraient entachées d'une erreur manifeste d'appréciation eu égard aux risques auxquels ils seraient exposés en cas de retour en Bosnie-Herzégovine, le moyen tiré des risques encourus en cas de retour dans le pays d'origine est inopérant lorsqu'il est dirigé à l'encontre d'un arrêté de reconduite à la frontière, lequel ne désigne pas le pays de destination de la reconduite ;

Sur la décision distincte fixant le pays de destination :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : « (…) Un étranger ne peut être éloigné à destination d'un pays s'il établit que sa vie ou sa liberté y sont menacées ou qu'il y est exposé à des traitements contraires à l'article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950. » et que ce dernier texte énonce que « Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou des traitements inhumains ou dégradants » ;

Considérant que ces dispositions combinées font obstacle à ce que puisse être légalement désigné comme pays de destination d'un étranger faisant l'objet d'une mesure d'éloignement un Etat pour lequel il existe des motifs sérieux et avérés de croire que l'intéressé s'y trouverait exposé à un risque réel pour sa personne, soit du fait des autorités de cet Etat, soit même du fait de personnes ou de groupes de personnes ne relevant pas des autorités publiques, dès lors que, dans ce dernier cas, les autorités de l'Etat de destination ne sont pas en mesure de parer à un tel risque par une protection appropriée ;

Considérant que si M. et Mme X se prévalent des risques qu'ils courraient en cas de retour en république Srpska, et font état d'exactions subies en 1995, et si la circonstance que la Bosnie-Herzégovine figure désormais sur la liste des pays d'origine sûrs ne fait pas obstacle à ce que, notamment, des musulmans bosniaques soient reconnus exposés à des risques de traitements inhumains dans la république Srpska, les requérants, qui n'ont quitté la fédération croato-bosniaque qu'en 2005, et ne justifient pas de diligences réelles, sérieuses et constantes pour se réinstaller en république Srpska, n'établissent pas qu'un retour dans leur pays les exposerait à de tels traitements ; que par suite ils ne sont pas fondés à soutenir que la décision fixant leur pays de destination méconnaîtrait les dispositions précitées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que le PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble a annulé ses arrêtés du 21 mars 2006 ordonnant la reconduite à la frontière de M. et Mme X et fixant le pays de destination de ces reconduites, et lui a, par voie de conséquence, enjoint de délivrer aux intéressés une autorisation provisoire de séjour ;

Sur les conclusions de M. et Mme X aux fins d'injonction :

Considérant que le présent arrêt rejette les conclusions de M. et Mme X dirigées contre les arrêtés de reconduite à la frontière ; que, par suite, les conclusions tendant à ce qu'il soit enjoint au préfet de délivrer à M. et Mme X une autorisation provisoire de séjour doivent être rejetées ;



Sur les conclusions de M. et Mme X tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant que les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat, qui n'est pas la partie perdante, quelque somme que ce soit au titre des frais exposés par M. et Mme X et non compris dans les dépens ;

Sur le recours du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE tendant au sursis à exécution du jugement en date du 14 avril 2006 :

Considérant que la Cour statuant au fond par le présent arrêt sur le recours n° 06LY00851, les conclusions du recours enregistré sous le n° 06LY00852 deviennent sans objet ;

DECIDE :


Article 1er : Le jugement du magistrat délégué par le président du Tribunal administratif de Grenoble en date du 14 avril 2006 est annulé.
Article 2 : Les demandes présentées par M. et Mme X devant le Tribunal administratif de Grenoble et leurs conclusions devant la Cour sont rejetées.
Article 3 : Il n'y a pas lieu de statuer sur le recours n° 06LY00852 du PREFET DE LA HAUTE-SAVOIE à fin de sursis à exécution du jugement du 14 avril 2006.
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Nos 06LY00851,…


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 06LY00851
Date de la décision : 28/07/2006
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Daniel CHABANOL
Rapporteur public ?: Mme VERLEY-CHEYNEL
Avocat(s) : DUBRAY

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2006-07-28;06ly00851 ?
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