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10/06/2010 | FRANCE | N°10LY00055

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, Juge unique - 4ème chambre, 10 juin 2010, 10LY00055


Vu la requête, enregistrée au greffe le 14 janvier 2010, présentée pour Mme Brigitte A, dont le domicile est ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0906364 en date du 29 octobre 2009, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 octobre 2009, par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa reconduite à la frontière, et de la décision du même jour fixant le pays de destination ;

2°) d'annuler cet arrêté et cette décision pour excès de

pouvoir ainsi que la mise en demeure, du même jour, de quitter le territoire national dans...

Vu la requête, enregistrée au greffe le 14 janvier 2010, présentée pour Mme Brigitte A, dont le domicile est ... ;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0906364 en date du 29 octobre 2009, par lequel le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de l'arrêté du 19 octobre 2009, par lequel le préfet du Rhône a ordonné sa reconduite à la frontière, et de la décision du même jour fixant le pays de destination ;

2°) d'annuler cet arrêté et cette décision pour excès de pouvoir ainsi que la mise en demeure, du même jour, de quitter le territoire national dans le délai de sept jours ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 € au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que l'arrêté de reconduite à la frontière est entaché d'un vice de procédure en raison de l'irrégularité des conditions de son interpellation par les services de police ; que, titulaire d'un titre de séjour délivré par les autorités espagnoles, elle ne pouvait faire l'objet d'une reconduite à la frontière ; que l'arrêté de reconduite à la frontière, qui méconnaît, d'une part, les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, dès lors que le centre de ses intérêts se situe en France, et, d'autre part, celles de l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, est également entaché d'un détournement de pouvoir ; que la décision fixant le pays de renvoi est insuffisamment motivée dès lors qu'elle se réfère à l'arrêté de reconduite à la frontière dont elle n'a pas reçu notification ; qu'elle est entachée d'une erreur de droit puisqu'elle fixe le Cameroun comme pays de destination alors qu'elle justifie être légalement admissible en Espagne ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu le mémoire enregistré le 30 mars 2010 présenté par le préfet du Rhône, qui conclut au rejet de la requête ;

Il soutient que Mme A, qui ne remplit pas les conditions requises pour séjourner en France au regard des stipulations de la convention d'application de l'accord de Schengen, entre dans le cas prévu par les dispositions du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile où le préfet peut décider la reconduite d'un étranger à la frontière ; que l'arrêté de reconduite à la frontière, notifié à l'intéressée, ne méconnaît ni les stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, ni celles de l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant ; que la décision fixant le pays de destination n'est pas entachée d'une erreur de droit dès lors qu'elle mentionne que Mme A sera reconduite vers le pays dont elle a la nationalité ou de tout autre pays où elle établirait être légalement admissible ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Vu la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985, signée le 19 juin 1990 ;

Vu la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant, signée à New-York, le 26 janvier 1990 ;

Vu le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 3 juin 2010 :

- le rapport de M. du Besset, président,

- les observations de Me Mergy, avocat de Mme A,

- les conclusions de Mme Gondouin , rapporteur public,

la parole ayant été de nouveau donnée à Me Mergy ;

Sur la légalité de l'arrêté de reconduite à la frontière :

Considérant qu'aux termes du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'autorité administrative compétente peut, par arrêté motivé, décider qu'un étranger sera reconduit à la frontière dans les cas suivants : / 1° Si l'étranger ne peut justifier être entré régulièrement en France, à moins qu'il ne soit titulaire d'un titre de séjour en cours de validité ; (...) ; qu'en vertu de l'article L. 511-2 du même code : Les dispositions du 1° du II de l'article L. 511-1 sont applicables à l'étranger qui n'est pas ressortissant d'un État membre de l'Union européenne : a) S'il ne remplit pas les conditions d'entrée prévues à l'article 5 de la convention signée à Schengen le 19 juin 1990 ; b) Ou si, en provenance directe du territoire d'un État partie à cette convention, il ne peut justifier être entré sur le territoire métropolitain en se conformant aux stipulations de ses articles 19, paragraphe 1 ou 2, 20, paragraphe 1, et 21, paragraphe 1 ou 2 ; qu'aux termes de l'article 5 de la convention d'application de l'accord de Schengen du 14 juin 1985 signée le 19 juin 1990 : 1. Pour un séjour n'excédant pas trois mois, l'entrée sur les territoires des Parties contractantes peut être accordée à l'étranger qui remplit les conditions ci-après : a) Posséder un document ou des documents valables permettant le franchissement de la frontière, déterminés par le Comité exécutif ; (...) c) Présenter, le cas échéant, les documents justifiant de l'objet et des conditions du séjour envisagé et disposer des moyens de subsistance suffisants, tant pour la durée du séjour envisagé que pour le retour dans le pays de provenance ou le transit vers un État tiers dans lequel son admission est garantie, ou être en mesure d'acquérir légalement ces moyens ; (...) e) Ne pas être considéré comme pouvant compromettre l'ordre public, la sécurité nationale ou les relations internationales de l'une des Parties contractantes (...) ; qu'aux termes du paragraphe 1 de l'article 21 de la même convention : Les étrangers titulaires d'un titre de séjour délivré par une des Parties contractantes peuvent, sous le couvert de ce titre ainsi que d'un document de voyage, ces documents étant en cours de validité, circuler librement pendant une période de trois mois au maximum sur le territoire des autres Parties contractantes pour autant qu'ils remplissent les conditions visées à l'article 5, paragraphe 1, points a, c et e, et qu'ils ne figurent pas sur la liste de signalement nationale de la Partie contractante concernée ;

Considérant que, si Mme A, de nationalité camerounaise, est entrée en France en provenance d'Espagne, sous couvert d'un titre de séjour délivré par les autorités espagnoles valable du 16 octobre 2008 au 23 avril 2011, il ressort des pièces du dossier qu'elle n'a produit ni visa d'entrée Schengen, ni aucun des titres requis pour séjourner sur le territoire national ; qu'à supposer qu'elle soit présente sur le territoire national depuis moins de trois mois, elle n'établit pas, en tout état de cause, remplir les conditions de l'article 5 de la convention d'application de l'accord de Schengen précité ; que notamment le caractère suffisant de ses moyens de subsistance ne saurait être établi par la seule allégation qu'elle perçoit une pension alimentaire et un certain nombre d'allocations ; qu'ainsi, au 19 octobre 2009, date de l'arrêté en litige, Mme A ne remplissait pas les conditions prévues par l'article 21 de la convention d'application de l'accord de Schengen pour entrer régulièrement sur le territoire français ; que, ne justifiant pas d'une entrée régulière sur le territoire, Mme A pouvait faire légalement l'objet d'une mesure de reconduite à la frontière, sur le fondement du 1° du II de l'article L. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

Considérant que Mme A ne saurait se prévaloir utilement de l'irrégularité des conditions dans lesquelles elle a été interpellée pour contester la légalité de la mesure de reconduite à la frontière dont elle a été l'objet ;

Considérant qu'à supposer que l'arrêté de reconduite à la frontière n'ait pas été régulièrement notifié à Mme A cette circonstance est sans influence sur sa légalité ;

Considérant qu'aux termes de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : 1° Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance ; 2° Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale ou à la protection des droits et libertés d'autrui et qu'aux termes de l'article 3-1 de la convention relative aux droits de l'enfant : Dans toutes les décisions qui concernent des enfants, qu'elles soient le fait (...) des tribunaux, des autorités administratives (...), l'intérêt supérieur des enfants doit être une considération primordiale ;

Considérant que, si Mme A fait valoir que ses enfants, âgés respectivement de quinze ans, dix ans et quatre ans, demeurent en permanence en France, dans un appartement que lui prête une amie et qu'elle utilise elle-même lors de ses séjours, il ressort toutefois des pièces du dossier qu'elle dispose d'un logement à son nom en Espagne, pays dans lequel elle a obtenu son permis de conduire et un titre de séjour ; qu'elle n'établit pas que les pères de ses enfants exercent un quelconque droit de visite sur eux ni contribuent à leur entretien et à leur éducation, nonobstant la circonstance alléguée que le père du plus jeune de ceux-ci ait été condamné à verser une pension alimentaire ; que, dans ces conditions, rien ne s'oppose à ce que ses enfants puissent l'accompagner dans le pays de la reconduite afin d'y constituer la cellule familiale ; que, par suite, Mme A ne peut soutenir que le centre de ses intérêts se situe en France, où elle a déjà fait l'objet d'un refus de titre de séjour assorti d'une obligation de quitter le territoire français, le 6 septembre 2006, et ne justifie pas d'une intégration particulière, alors même qu'elle est francophone ; que, compte tenu de l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment de la durée et des conditions de son entrée et de son séjour en France, l'arrêté en litige n'a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée par rapport aux buts en vue desquels il a été pris ; qu'il n'a, ainsi, pas méconnu les stipulations de l'article 8 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et n'a pas davantage méconnu les stipulations de l'article 3-1 de la convention des Nations-Unies sur les droits de l'enfant ;

Considérant que si Mme A soutient que l'arrêté de reconduite à la frontière est entaché de détournement de pouvoir dès lors qu'il s'agirait, selon elle, d'une mesure de rétorsion motivée par la circonstance qu'elle serait revenue sur une plainte déposée contre le père de son dernier enfant, suspecté par les services de police d'avoir obtenu par fraude sa naturalisation, elle n'apporte aucun élément au soutien de son allégation ; que, dès lors, ce moyen ne peut qu'être écarté ;

Sur la légalité de la décision fixant le pays de destination :

Considérant que Mme A soutient que la décision fixant le pays de destination est insuffisamment motivée dans la mesure notamment où elle fait référence à l'arrêté de reconduite à la frontière dont elle n'aurait pas eu notification ; que toutefois, d'une part, elle n'établit pas ne pas avoir été destinataire de l'arrêté de reconduite à la frontière, d'autre part, la décision fixant le pays de destination doit être regardée comme suffisamment motivée par l'indication que l'intéressée est de nationalité camerounaise et qu'elle pourra être reconduite d'office à la frontière du pays dont elle a la nationalité ou de tout autre pays où elle établirait être légalement admissible ;

Considérant qu'aux termes de l'article L. 513-2 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : L'étranger qui ... doit être reconduit à la frontière est éloigné : / 1° A destination du pays dont il a la nationalité ...; / 2° Ou à destination du pays qui lui a délivré un document de voyage en cours de validité ; / 3° Ou à destination d'un autre pays dans lequel il est légalement admissible ;

Considérant que la décision en litige précise que Mme A sera reconduite à destination du pays dont elle a la nationalité ou à destination de tout autre pays dans lequel elle établit être légalement admissible ; qu'ainsi, alors même qu'il est établi que Mme A est admissible en Espagne, cette décision ne méconnaît pas les dispositions précitées ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner la recevabilité des conclusions par lesquelles est demandée l'annulation, en conséquence de l'illégalité des décisions de reconduite à la frontière et fixant le pays de destination, de la mise en demeure de quitter le territoire français, que Mme A n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le magistrat désigné par le président du Tribunal administratif de Lyon a rejeté sa demande ; que ses conclusions aux fins d'injonction et tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées par voie de conséquence ;

DECIDE :

Article 1er : La requête de Mme A est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Brigitte A, au préfet du Rhône et au ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire.

Lu en audience publique, le 10 juin 2010.

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N° 10LY00055

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : Juge unique - 4ème chambre
Numéro d'arrêt : 10LY00055
Date de la décision : 10/06/2010
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Rapporteur ?: M. Emmanuel du BESSET
Rapporteur public ?: Mme GONDOUIN
Avocat(s) : MERGY

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2010-06-10;10ly00055 ?
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