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30/06/2020 | FRANCE | N°18LY02727

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 3ème chambre, 30 juin 2020, 18LY02727


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) à titre principal, de " réformer " les décisions du préfet de l'Isère en date du 29 octobre 2015 et du 6 juin 2016 ayant refusé l'indemnisation des sinistres subis par son troupeau d'ovins, constatés les 23 août et 1er septembre 2015 et en conséquence, d'ordonner que lui soit versée la somme de 31 056 euros outre une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner

l'Etat à lui payer une indemnité globale de 41 056 euros au titre des mêmes préjudices, sur...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme F... B... a demandé au tribunal administratif de Grenoble :

1°) à titre principal, de " réformer " les décisions du préfet de l'Isère en date du 29 octobre 2015 et du 6 juin 2016 ayant refusé l'indemnisation des sinistres subis par son troupeau d'ovins, constatés les 23 août et 1er septembre 2015 et en conséquence, d'ordonner que lui soit versée la somme de 31 056 euros outre une indemnité de 10 000 euros en réparation de son préjudice moral ;

2°) à titre subsidiaire, de condamner l'Etat à lui payer une indemnité globale de 41 056 euros au titre des mêmes préjudices, sur le fondement de la responsabilité sans faute de l'Etat du fait de la loi soit pour rupture d'égalité devant les charges publiques, soit pour risque spécial ;

3°) à titre infiniment subsidiaire, d'annuler les décisions du 29 octobre 2015 et 6 juin 2016 pour vices de légalité externe et en conséquence, enjoindre au préfet de l'Isère de réexaminer ses demandes d'indemnisation.

Par un jugement n° 1604455 du 24 mai 2018, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté la demande.

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 18 juillet 2018, Mme B..., représentée par Me E..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 24 mai 2018 du tribunal administratif de Grenoble ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser la somme de 31 056 euros outre intérêts légaux pour l'indemnisation de ses préjudices et la somme de 10 000 euros au titre de son préjudice moral ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat une somme de 3 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la décision du 6 juin 2016 de refus d'indemnisation est fondée sur des éléments de fait erronés ;

- la totalité des procès-verbaux de constat de dommages dressés les 23 août et 1er septembre 2015 ne lui a pas été notifiée en méconnaissance du Plan national d'actions sur le loup ;

- le lien de causalité entre ses dommages et l'action d'un ou plusieurs loups est démontré ;

- elle peut se prévaloir, par la voie de l'exception, de l'illégalité de l'article II.2 dernier alinéa de la circulaire du 27 juillet 2011 ;

- il y a rupture d'égalité, dès lors que dans d'autres départements il y a indemnisation lorsque les dérochements de troupeaux ont une cause indéterminée ;

- le refus d'indemnisation est entaché d'un détournement de pouvoir ;

- la responsabilité sans faute de l'Etat du fait des lois peut être engagée ;

- la responsabilité sans faute pour risque peut être engagée.

Par un mémoire en défense, enregistré le 4 décembre 2019, le ministre de la transition écologique et solidaire conclut au rejet de la requête.

Il fait valoir que les moyens présentés par la requérante ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- le code de l'environnement ;

- le code rural et de la pêche maritime ;

- la circulaire du 27 juillet 2011 relative à l'indemnisation des dommages causés par le loup aux troupeaux domestiques ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme H..., présidente-assesseure,

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public,

- et les observations de Me E..., représentant Mme B... ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme B... est éleveur d'ovins qui sont, en période estivale, en pâturage sur la commune de Clavans en Haut-Oisans. Elle a subi des pertes de 144 bêtes constatées le 23 août 2015, puis de 39 bêtes le 1er septembre 2015, survenues à l'occasion de deux dérochements. Mme B... a imputé ces dérochements à la présence de loups et a présenté au préfet de l'Isère une demande d'indemnisation des divers préjudices résultant des pertes subies. Elle relève appel du jugement du tribunal administratif de Grenoble qui a rejeté sa demande tendant à la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité globale de 41 056 euros au titre de préjudices résultant de la perte de ses ovins.

2. Par courriers des 9 et 21 septembre 2015, le préfet de l'Isère a indiqué à Mme B... que l'analyse des éléments recueillis sur le terrain au titre de ces deux sinistres ne permettait pas d'étayer l'hypothèse d'une prédation par le loup. Le préfet de l'Isère, le 26 janvier 2016, à la suite de la réunion de la commission de recours relative à l'indemnisation des dommages causés par les loups, a confirmé ses précédentes décisions.

3. En premier lieu, il ne résulte d'aucune disposition législative ou règlementaire que les constats effectués lors du dérochement des bêtes doivent être notifiés aux propriétaires des troupeaux. Par suite, Mme B... ne peut se prévaloir de la circonstance que les constats ne lui ont pas été notifiés dans leur intégralité.

4. En deuxième lieu, il résulte de l'instruction que les deux dérochements de brebis ont été découverts dans un délai d'un à trois jours après leur survenue. L'état des cadavres des brebis, du fait de l'action des vautours durant un ou plusieurs jours, n'a pas permis de démontrer que les animaux ont été victimes de la prédation des loups. La photographie prise le 1er septembre 2015, jour de constatation du second sinistre, ne permet pas de démontrer que l'un des animaux victime du dérochement aurait été mordu par un loup. Les circonstances invoquées de l'absence d'orage lors des sinistres ou de l'absence de chiens errants ne permettent pas de présumer que les bêtes tombées ont été attaquées ou même effrayées par des loups. De même, la circonstance que les loups sont de plus en plus présents dans ces alpages et que les troupeaux de la requérante et ceux de son fils ont subi plusieurs attaques ne suffit pas à établir que les dérochements de ces brebis ont été provoqués par une attaque de loup ou même leur simple présence à proximité des troupeaux. Ainsi, il ne résulte pas de l'instruction que le préfet de l'Isère se serait fondé sur des faits matériellement inexacts pour rejeter la demande indemnitaire ou que les constats des 23 août 2015 et 1er septembre 2015, qui ont été seulement complétés, comportaient des mentions erronées.

5. En troisième lieu, le régime d'indemnisation des dommages causés par le loup aux troupeaux domestiques est défini, depuis 1993, par voie de circulaires du ministre en charge de l'écologie. Il résulte du contenu de la circulaire du 27 juillet 2011, régulièrement publiée au bulletin officiel du ministère de l'écologie, du développement durable, des transports et du logement, que le ministre a entendu fixer des lignes directrices aux services placés sous son autorité, c'est-à-dire les mesures qu'il convenait d'adopter pour assurer la mise en oeuvre du régime d'indemnisation des dommages causés par le loup, prévu notamment dans le cadre du " plan d'action national loup 2013-2017 " adopté par le ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie et le ministre de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la forêt .

6. Cette circulaire se borne, en cas de cause de mortalité indéterminée liée à une prédation, à prévoir une indemnisation possible sur appréciation du contexte local et l'indemnisation des victimes indirectes de l'attaque (étouffement, dérochement). Il ne résulte cependant pas de l'instruction, comme il est indiqué au point 4, que les brebis de Mme B... auraient été victimes directes ou indirectes d'une attaque de loups. Par suite, la requérante n'est pas fondée à soutenir que le préfet de l'Isère était tenu, sur le fondement de cette circulaire, de faire droit à sa demande d'indemnisation ou qu'il aurait commis une erreur dans l'appréciation de sa situation.

7. Mme B... n'établit pas l'illégalité des dispositions de la directive du 27 juillet 2011, par voie d'exception, qui dispose que l'administration " doit rechercher des éléments écartant la responsabilité du loup, plutôt que de ceux qui la prouverait, ces derniers étant souvent aussi observés en cas d'attaque de chiens " en se bornant à soutenir qu'elles seraient contraires à l'esprit du texte.

8. En quatrième lieu, la présence de loups ou leur action à l'origine du dérochement des brebis n'étant pas établie, la responsabilité de l'Etat ne peut être engagée sur le fondement de la responsabilité du fait des lois ou pour risque spécial du fait de la protection spéciale dont ferait l'objet le loup.

9. En dernier lieu, aucune des décisions de refus d'indemnisation n'est fondée sur l'absence de mise en oeuvre de mesures de protection de son troupeau par Mme B..., ou sur la remise en cause du mode d'élevage. Mme B... n'est dès lors pas fondée à invoquer, à l'appui de sa demande d'indemnisation, le fait que les décisions de refus d'indemnisation seraient entachées de détournement de pouvoir.

10. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Grenoble a rejeté ses conclusions indemnitaires. Par voie de conséquence, ses conclusions tendant au bénéfice des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme B... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme F... B... et au ministre de la transition écologique et solidaire.

Copie en sera adressée au préfet de l'Isère.

Délibéré après l'audience du 2 juin 2020, à laquelle siégeaient :

Mme D... A..., présidente de chambre,

Mme I..., présidente-assesseure,

Mme C... G..., première conseillère.

Lu en audience publique, le 30 juin 2020.

2

N° 18LY02727


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 3ème chambre
Numéro d'arrêt : 18LY02727
Date de la décision : 30/06/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-02-01 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Fondement de la responsabilité. Responsabilité sans faute.


Composition du Tribunal
Président : Mme PAIX
Rapporteur ?: Mme Virginie CHEVALIER-AUBERT
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SELARL CAP - ME MOLLION

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-06-30;18ly02727 ?
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