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06/07/2020 | FRANCE | N°20LY00031

France | France, Cour administrative d'appel de Lyon, 7ème chambre, 06 juillet 2020, 20LY00031


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2019 par lequel la préfète de l'Allier a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours, et a désigné un pays de destination.

Par un jugement n° 1900405 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision fixant le pays de destination et a rejeté le surplus de s

a demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2020...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme D... B... a demandé au tribunal administratif de Clermont-Ferrand d'annuler l'arrêté du 23 janvier 2019 par lequel la préfète de l'Allier a rejeté sa demande de titre de séjour, lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours, et a désigné un pays de destination.

Par un jugement n° 1900405 du 15 octobre 2019, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a annulé la décision fixant le pays de destination et a rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la cour

Par une requête enregistrée le 3 janvier 2020, et un mémoire enregistré le 6 mars 2020, Mme B..., représentée par Me C..., demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement du 15 octobre 2019 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand en tant qu'il a rejeté le surplus de sa demande ;

2°) d'annuler les décisions du 23 janvier 2019 par lesquelles la préfète de l'Allier lui a refusé le séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français ;

3°) d'enjoindre à la préfète de l'Allier de lui délivrer un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale " dans un délai de quinze jours à compter de la notification de l'arrêt à intervenir sous astreinte de 150 euros par jour de retard, subsidiairement, de réexaminer sa situation dans le même délai et de lui délivrer dans l'attente une autorisation provisoire de séjour, sous astreinte de 100 euros par jour de retard ;

4°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros à verser à son conseil sur le fondement des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991.

Elle soutient que :

Sur la régularité du jugement attaqué :

- en omettant de communiquer à la préfète de l'Allier son mémoire en réplique et les pièces nouvelles complémentaires produites avant la clôture de l'instruction, le tribunal administratif a méconnu l'article R. 611-1 du code de justice administrative et ainsi entaché son jugement d'irrégularité ;

Sur la légalité du refus de séjour en litige :

- le refus de séjour est intervenu en violation des stipulations de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et les dispositions du 7° de l'article L. 313-11 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- il est entaché d'une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation ;

- il est intervenu en violation des stipulations de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- à titre subsidiaire, il méconnaît les dispositions de l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile par une erreur de droit et une erreur manifeste d'appréciation ;

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire :

- l'obligation de quitter le territoire est illégale par la voie de l'exception de l'illégalité du refus de séjour ;

- cette décision méconnaît le 7° de l'article L. 313-11 et l'article L. 313-14 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la préfète a commis une erreur manifeste dans l'appréciation de sa situation.

Par un mémoire en défense, enregistré le 24 février 2020, et un mémoire complémentaire, enregistré le 16 mars 2020 (non communiqué), la préfète de l'Allier conclut au rejet de la requête.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Mme B... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle totale par une décision du 4 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant, signée à New York le 26 janvier 1990 ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique et son décret d'application n° 91-1266 du 19 décembre 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Le président de la formation de jugement ayant dispensé le rapporteur public, sur sa proposition, de prononcer des conclusions à l'audience ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Le rapport de M. Josserand-Jaillet, président, ayant été entendu au cours de l'audience publique ;

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... B..., ressortissante albanaise, née le 16 mars 1986, est, selon ses déclarations, entrée en France le 18 septembre 2016 accompagnée de son mari et sa fille mineure. Sa demande d'asile a été rejetée le 18 janvier 2017 par une décision de l'Office français de protection des réfugiés et apatrides (OFPRA) confirmée le 19 juin 2017 par la Cour nationale du droit d'asile (CNDA). Elle a présenté le 18 décembre 2018 une demande d'admission exceptionnelle au séjour. La préfète de l'Allier a rejeté sa demande de titre de séjour et lui a fait obligation de quitter le territoire français dans un délai de départ volontaire de trente jours par des décisions du 23 janvier 2019 confirmées le 15 octobre 2019 par un jugement du tribunal administratif de Clermont-Ferrand, qui a toutefois annulé la décision du même jour fixant le pays de destination. Mme B... relève appel de ce jugement en tant qu'il a rejeté son recours tendant à l'annulation du refus de séjour et de l'obligation de quitter le territoire.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 611-1 du code de justice administrative : " La requête et les mémoires, ainsi que les pièces produites par les parties, sont déposés ou adressés au greffe. / La requête, le mémoire complémentaire annoncé dans la requête et le premier mémoire de chaque défendeur sont communiqués aux parties avec les pièces jointes dans les conditions prévues aux articles R. 611-3, R. 611-5 et R. 611-6. / Les répliques, autres mémoires et pièces sont communiqués s'ils contiennent des éléments nouveaux. "

3. Il résulte de ces dispositions, destinées à garantir le caractère contradictoire de l'instruction, que la méconnaissance de l'obligation de communiquer un mémoire ou une pièce contenant des éléments nouveaux est en principe de nature à entacher la procédure d'irrégularité et qu'il n'en va autrement que dans le cas où il ressort des pièces du dossier que, dans les circonstances de l'espèce, cette méconnaissance n'a pu préjudicier aux droits des parties.

4. En premier lieu, si la requérante expose que son mémoire enregistré le 24 septembre 2019, avant la clôture de l'instruction, au greffe du tribunal administratif de Clermont-Ferrand n'a pas été communiqué alors qu'il comportait selon elle, notamment par ses pièces jointes, des éléments nouveaux de nature à justifier sa communication, cette circonstance n'affecte en tout état de cause pas le respect du caractère contradictoire de la procédure à son égard et ne saurait, dès lors, être utilement invoquée par elle.

5. En second lieu, si Mme B... soulève un autre moyen de régularité tiré de ce que, en ne prenant pas en compte les pièces mentionnées au point précédent, le tribunal administratif aurait entaché son jugement d'une erreur de fait, ce moyen ne relève pas de la contestation de la régularité du jugement mais procède d'une contestation de l'appréciation portée par les premiers juges.

6. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de ce que le jugement attaqué a été rendu au terme d'une procédure irrégulière et en méconnaissance du contradictoire doit être écarté.

Sur la légalité du refus de titre de séjour en litige :

7. Il ressort de la motivation de la décision en litige que la préfète de l'Allier, dans l'exercice du pouvoir de régularisation dont elle dispose, a refusé le séjour à Mme B... au regard de sa situation personnelle, en relevant notamment que celle-ci ne justifiait pas être en instance de divorce avec son conjoint, lui-même sous le coup d'une obligation de quitter le territoire français en date du 12 décembre 2018, et n'établissait pas être victime, avec sa fille, de violences conjugales de la part de ce dernier.

8. Toutefois, si Mme B... n'a pu justifier que le 30 janvier 2020 de son divorce d'avec M. A... au terme d'une procédure engagée le 29 janvier 2019, soit moins d'une semaine après la date de l'intervention de la décision en litige à laquelle s'apprécie sa légalité, il ressort des pièces du dossier que l'intéressée avait dès sa demande d'asile fait état de l'ensemble des faits constituant des violences conjugales et d'un grave conflit familial caractérisant sa situation, d'ailleurs regardés comme établis par la Cour nationale du droit d'asile dans sa décision du 19 juin 2017 qualifiant Mme B... de " sincère ". La Cour nationale du droit d'asile n'a au demeurant rejeté la demande d'asile de Mme B... qu'au motif que celle-ci n'avait pas su justifier d'une pertinence dans sa gestion de sa situation envers sa belle-famille et de la maladie psychiatrique, également établie par les pièces du dossier et notamment la décision de la commission médicale d'aptitude au travail albanaise du 28 juin 2016, de son époux, notamment en n'actionnant pas efficacement les autorités de son pays d'origine. Il ressort des mêmes pièces que les violences et les risques d'atteintes à l'intégrité physique de Mme B..., dont il est relevé dans la décision de la Cour nationale du droit d'asile l'incapacité " bien compréhensible " à assumer seule la responsabilité d'une personne atteinte d'un handicap mental, décrite comme dangereuse notamment par l'attestation médicale du médecin psychiatre du 12 mai 2017, et de sa fille mineure, n'ont cessé, postérieurement à l'arrêté du 23 janvier 2019, que par l'effet de la prise en charge médico-sociale et judiciaire en France et le développement des liens personnels qu'elle y a établis par sa démarche d'intégration, y compris professionnelle. Il en résulte qu'à la date des décisions en litige Mme B... justifie des violences conjugales qu'elle et sa fille mineure subissaient dans un contexte où elles ne pouvaient effectivement s'y soustraire.

9. Par ailleurs, eu égard à leur contenu, il ne saurait être tiré des échanges, notamment en août 2018, entre son frère et la requérante que celle-ci conserverait en Albanie des attaches familiales susceptibles de lui porter assistance, ceux-ci confirmant les risques graves, ressortant des pièces du dossier, que fait peser sur Mme B... et sa fille le conflit familial avec sa belle-famille, au sein de laquelle elle avait vécu depuis son mariage jusqu'à son départ pour la France avec son mari, hors le temps passé par ce dernier en Italie, généré par sa situation matrimoniale dans le contexte culturel albanais.

10. Il résulte de ce qui précède qu'en se bornant à relever que les parents de Mme B... et deux de ses six frères et soeurs résidaient en Albanie sans prendre en compte la réalité et la globalité de la situation familiale de l'intéressée, précisément à l'origine de sa demande de titre de séjour, et en considérant comme insuffisamment justifiée cette dernière au regard des éléments du dossier qui lui était présenté, la préfète de l'Allier, dans l'exercice de son pouvoir de régularisation, a commis une erreur manifeste dans l'appréciation des conséquences de sa décision sur la situation de l'intéressée. Par suite, celle-ci est fondée à soutenir que c'est à tort que les premiers juges ont rejeté ses conclusions tendant à l'annulation du refus de titre de séjour du 23 janvier 2019.

Sur la légalité de l'obligation de quitter le territoire français en litige :

11. Il résulte de ce qui vient d'être dit au point 10 que Mme B... est fondée à soutenir que, par la voie de l'exception de l'illégalité du refus de titre de séjour, l'obligation de quitter le territoire du même jour est entachée d'illégalité.

12. Il résulte de tout ce qui précède que Mme B... est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Clermont-Ferrand a rejeté ses conclusions aux fins d'annulation de la décision portant refus de titre de séjour et de l'obligation de quitter le territoire français du 23 janvier 2019 et l'annulation de ces décisions.

Sur les conclusions aux fins d'injonction :

13. Le présent arrêt, qui annule les décisions de la préfète de l'Allier en date du 23 janvier 2019 mentionnées au point 12, implique nécessairement, eu égard au motif sur lequel il se fonde et dès lors qu'il ne résulte pas de l'instruction que la situation de Mme B... a changé à la date du présent arrêt, que la préfète de l'Allier délivre à celle-ci un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", l'autorisant à travailler, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, et de lui délivrer, dans l'attente, dans un délai de huit jours à compter de la même notification, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler, sans qu'il y ait lieu d'assortir cette injonction d'une astreinte.

Sur les frais liés au litige :

14. Mme B... a obtenu le bénéfice de l'aide juridictionnelle totale. Par suite, son avocat peut se prévaloir des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi du 10 juillet 1991. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, et sous réserve que Me C..., avocat de Mme B..., renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État, de mettre à la charge de l'État le versement à Me C... d'une somme totale de 1 200 euros.

DÉCIDE :

Article 1er : Le jugement n° 1900405 du tribunal administratif de Clermont-Ferrand du 15 octobre 2019 est annulé en tant qu'il rejette le surplus de la demande de Mme B... dirigée contre l'arrêté de la préfète de l'Allier du 23 janvier 2019.

Article 2 : Les décisions du 23 janvier 2019 par lesquelles la préfète de l'Allier a refusé le séjour à Mme B... et lui a fait obligation de quitter le territoire français sont annulées.

Article 3 : Il est enjoint à la préfète de l'Allier de délivrer à Mme B... un titre de séjour portant la mention " vie privée et familiale ", l'autorisant à travailler, dans un délai de deux mois à compter de sa notification, et de lui délivrer, dans l'attente, dans un délai de huit jours à compter de la même notification, une autorisation provisoire de séjour l'autorisant à travailler.

Article 4 : L'État versera à Me C..., avocat de Mme B..., la somme globale de 1 200 euros en application des dispositions des articles L. 761-1 du code de justice administrative et 37 de la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991, sous réserve qu'il renonce à percevoir la somme correspondant à la part contributive de l'État au titre de l'aide juridictionnelle.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme D... B... et au ministre de l'intérieur.

Copie en sera adressée au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Moulins et à la préfète de l'Allier.

Délibéré après l'audience du 15 juin 2020, à laquelle siégeaient :

M. Josserand-Jaillet, président de chambre,

M. Seillet, président assesseur,

Mme Burnichon, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 6 juillet 2020.

N° 20LY00031 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Lyon
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 20LY00031
Date de la décision : 06/07/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01-03 Étrangers. Séjour des étrangers. Refus de séjour.


Composition du Tribunal
Président : M. JOSSERAND-JAILLET
Rapporteur ?: M. Daniel JOSSERAND-JAILLET
Rapporteur public ?: M. CHASSAGNE
Avocat(s) : GAUDON

Origine de la décision
Date de l'import : 28/07/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.lyon;arret;2020-07-06;20ly00031 ?
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