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15/02/2024 | FRANCE | N°23LY01332

France | France, Cour administrative d'appel, 2ème chambre, 15 février 2024, 23LY01332


Vu la procédure suivante :



Procédure contentieuse antérieure



Mme G... H... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 31 décembre 2021 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son fils F... I... A..., de condamner l'Etat à lui payer une indemnité de 10 621,65 euros en réparation des préjudices subis avec intérêts au taux légal et à la capitalisation des intérêts, et a demandé au juge des référés de ce tribunal de condamner l'Etat à lui payer une indemnité

provisionnelle de 1 500 euros en réparation du préjudice causé par l'illégalité de la décision lu...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure

Mme G... H... a demandé au tribunal administratif de Lyon d'annuler la décision du 31 décembre 2021 par laquelle le préfet du Rhône a rejeté sa demande de regroupement familial au bénéfice de son fils F... I... A..., de condamner l'Etat à lui payer une indemnité de 10 621,65 euros en réparation des préjudices subis avec intérêts au taux légal et à la capitalisation des intérêts, et a demandé au juge des référés de ce tribunal de condamner l'Etat à lui payer une indemnité provisionnelle de 1 500 euros en réparation du préjudice causé par l'illégalité de la décision lui refusant l'autorisation de regroupement familial.

Par un jugement n° 2109188 - 2109723 du 6 décembre 2022, le tribunal administratif de Lyon a rejeté les demandes en annulation et en condamnation indemnitaires (article 1er) et a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de provision (article 2).

Procédure devant la cour

Par une requête, enregistrée le 17 avril 2023, Mme G... H..., représentée par Me Lantheaume, demande à la cour :

1°) d'annuler ce jugement ;

2°) d'annuler la décision du 31 décembre 2021 ;

3°) d'enjoindre à la préfète du Rhône d'autoriser le regroupement familial au bénéfice de son fils dans un délai de trente jours suivant la notification de l'arrêt, ou subsidiairement, de réexaminer sa demande dans le même délai ;

4°) de condamner l'État à lui verser la somme de 10 621,65 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la date de réception de la demande préalable, en réparation de l'ensemble de ses préjudices, avec capitalisation des intérêts ;

5°) de mettre à la charge de l'État, à verser à son conseil, une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de l'article 37 de la loi du 10 juillet 1991 relative à l'aide juridique.

Elle soutient que :

- le jugement attaqué en tant qu'il prononce un non-lieu à statuer sur la demande de provision ne relevait pas de la formation collégiale du tribunal administratif mais du juge des référés ;

- la décision de refus de regroupement familial est insuffisamment motivée ;

- elle est entachée d'un défaut d'examen particulier de sa situation personnelle ;

- elle est entachée d'une erreur de droit dès lors que le préfet s'est considéré en situation de compétence liée ;

- elle est entachée d'une erreur d'appréciation ;

- elle méconnaît l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- elle méconnaît l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- une décision administrative illégale est fautive ; elle a subi des troubles dans ses conditions d'existence et un préjudice matériel ; elle est atteinte, ainsi que son fils, de troubles psychologiques ; elle a dû procéder à des transferts d'argent à son fils et payer des billets d'avion à ses deux autres enfants.

La préfète du Rhône, qui a reçu communication de la requête, n'a pas présenté d'observations.

Mme H... a été admise au bénéfice de l'aide juridictionnelle partielle par une décision du 15 mars 2023.

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu :

- la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

- la convention internationale relative aux droits de l'enfant ;

- le code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ;

- le code des relations entre le public et l'administration ;

- la loi n° 91-647 du 10 juillet 1991 ;

- le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Porée, premier conseiller,

- les conclusions de Mme Lesieux, rapporteure publique,

- et les observations de Me Chinouf, substituant Me Lantheaume, représentant Mme H....

Considérant ce qui suit :

1. Mme H..., de nationalité togolaise et née le 13 octobre 1982, est entrée sur le territoire français en 2011 et est titulaire d'une carte de résident valable du 26 octobre 2015 au 25 octobre 2025. Elle a demandé le 15 février 2021 le bénéfice du regroupement familial pour son fils F... I... A... né le 21 mai 2008. Par une décision du 31 décembre 2021, le préfet du Rhône a rejeté cette demande. Mme H... relève appel du jugement du 6 décembre 2022 par lequel le tribunal administratif de Lyon a, d'une part, rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 31 décembre 2021 et à la condamnation de l'Etat à lui verser des dommages et intérêts, les intérêts au taux légal et la capitalisation des intérêts en réparation du préjudice qu'elle soutient avoir subi (article 1er) et, d'autre part, prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de provision (article 2).

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Aux termes de l'article R. 541-1 du code de justice administrative : " Le juge des référés peut, même en l'absence d'une demande au fond, accorder une provision au créancier qui l'a saisi lorsque l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable. Il peut, même d'office, subordonner le versement de la provision à la constitution d'une garantie. ". Aux termes de l'article L. 511-2 de ce code : " Sont juges des référés les présidents des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel ainsi que les magistrats qu'ils désignent à cet effet et qui, sauf absence ou empêchement, ont une ancienneté minimale de deux ans et ont atteint au moins le grade de premier conseiller. (...) Lorsque la nature de l'affaire le justifie, le président du tribunal administratif (...) peut décider qu'elle sera jugée, dans les conditions prévues au présent livre, par une formation composée de trois juges des référés, sans préjudice du renvoi de l'affaire à une autre formation de jugement dans les conditions de droit commun. (...) ".

3. Il résulte des dispositions précitées de l'article L. 511-2 du code de justice administrative que le président ou le magistrat qu'il désigne pouvait renvoyer la demande de provision à la formation collégiale du tribunal administratif, et ce par une mesure d'administration de la justice insusceptible de faire l'objet d'un recours devant le juge d'appel. Par suite, le moyen tiré de l'irrégularité du jugement attaqué doit être écarté.

Sur la légalité de la décision attaquée :

4. En premier lieu, la décision de refus de regroupement familial comporte les considérations de droit et de fait qui en constituent le fondement. Contrairement à l'affirmation de Mme H..., la décision en litige a retenu que son fils habitait au Togo chez son grand-père et que le père de ce fils réside au Togo sans mentionner qu'ils vivraient ensemble. Il ne ressort pas de la demande de regroupement familial que la requérante aurait soumis au préfet l'ordonnance du 20 octobre 2017 du tribunal pour enfants de B... et il en ressort qu'elle n'a transmis au préfet qu'un justificatif de la garde de son fils par son grand-père maternel. Par suite, les moyens tirés de l'insuffisance de motivation de la décision attaquée et du défaut d'examen particulier de sa situation personnelle, doivent être écartés.

5. En deuxième lieu, il ressort de la décision du 31 décembre 2021, qui se prononce également au regard de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et de la possibilité d'une mesure dérogatoire, que le préfet ne s'est pas estimé en situation de compétence liée par la condition de ressources nécessaire au regroupement familial.

6. En troisième lieu, aux termes de l'article L. 434-7 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile : " L'étranger qui en fait la demande est autorisé à être rejoint au titre du regroupement familial s'il remplit les conditions suivantes : 1° Il justifie de ressources stables et suffisantes pour subvenir aux besoins de sa famille ; 2° Il dispose ou disposera à la date d'arrivée de sa famille en France d'un logement considéré comme normal pour une famille comparable vivant dans la même région géographique ; 3° Il se conforme aux principes essentiels qui, conformément aux lois de la République, régissent la vie familiale en France, pays d'accueil. ". Aux termes de l'article L. 434-8 de ce code : " Pour l'appréciation des ressources mentionnées au 1° de l'article L. 434-7 toutes les ressources du demandeur et de son conjoint sont prises en compte, indépendamment des prestations familiales, de l'allocation équivalent retraite et des allocations prévues à l'article L. 262-1 du code de l'action sociale et des familles, à l'article L. 815-1 du code de la sécurité sociale et aux articles L. 5423-1 et L. 5423-2 du code du travail. Ces ressources doivent atteindre un montant, fixé par décret en Conseil d'Etat, qui tient compte de la taille de la famille du demandeur et doit être au moins égal au salaire minimum de croissance mensuel et au plus égal à ce salaire majoré d'un cinquième. (...). ". Aux termes de l'article R. 434-4 du même code : " Pour l'application du 1° de l'article L. 434-7, les ressources du demandeur et de son conjoint qui alimenteront de façon stable le budget de la famille sont appréciées sur une période de douze mois par référence à la moyenne mensuelle du salaire minimum de croissance au cours de cette période. Ces ressources sont considérées comme suffisantes lorsqu'elles atteignent un montant équivalent à : 1° Cette moyenne pour une famille de deux ou trois personnes ; 2° Cette moyenne majorée d'un dixième pour une famille de quatre ou cinq personnes (...) ".

7. Mme H... ayant déjà deux enfants sur le territoire français, il y a lieu de majorer la moyenne mensuelle du salaire minimum interprofessionnel de croissance d'un dixième au titre de la période du mois de février 2020 au mois de janvier 2021 correspondant à une famille composée de quatre personnes y compris son fils F... I.... Le salaire minimum interprofessionnel de croissance mensuel étant d'un montant net de 1 219 euros en 2020 et de 1 231 euros en 2021, le salaire minimum interprofessionnel de croissance majoré d'un dixième exigé est de 1 342 euros par mois au titre de la période précitée. Or, il ressort des bulletins de paie de la requérante qu'elle a perçu, au titre de la période précitée, la somme de 14 497,04 euros au titre de salaires, ainsi que des indemnités journalières de 145,05 euros pour la période du 22 octobre au 26 octobre 2020 en raison d'un arrêt maladie, soit un total de 14 642,09 euros, ce qui représente un montant de 1 220,17 euros par mois, inférieur au seuil de 1 342 euros. Il en aurait été de même, en tout état de cause, si elle n'avait pas été en arrêt de travail au cours du mois d'octobre 2020. Ainsi, c'est à juste titre que le préfet du Rhône a estimé que la condition de ressources n'était pas satisfaite, sans qu'il ait besoin de prendre en considération l'écart existant entre les ressources de Mme H... et le seuil exigé. Par suite, le moyen tiré de l'erreur d'appréciation doit être écarté.

8. En quatrième et dernier lieu, aux termes de l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales : " 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ". Aux termes de l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant : " Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu'elles soient le fait d'institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l'intérêt supérieur de l'enfant doit être une considération primordiale ".

9. Il ressort des pièces du dossier que Mme H... a eu un fils F... I... A... né le 21 mai 2008, qu'elle s'est mariée le 25 février 2010 avec M. E..., qu'elle a eu deux autres fils, A... C... E... et D... F... A..., qui sont nés en France respectivement les 7 mai 2011 et 30 décembre 2016, et que par un jugement du 5 avril 2018, le juge aux affaires familiales du tribunal de grande instance de Lyon a prononcé le divorce de la requérante et de M. E.... La décision attaquée n'a ni pour objet ni pour effet d'obliger Mme H... à quitter le territoire français. Il ressort du jugement du tribunal de 1ère instance de 1ère classe de B... du 23 février 2011 que le père de F... I... a saisi ce tribunal aux fins de délégation de l'autorité parentale de son fils à notamment la requérante en indiquant qu'il exerçait de fait l'autorité parentale jusqu'à ce jugement. De plus, il ressort de l'acte de naissance de cet enfant que son père est M. J... A... et de l'acte de naissance du troisième fils D... de la requérante que celui-ci a été reconnu par M. K... A..., et Mme H... n'apporte aucune précision sur ce point. Il ne ressort ainsi pas de ces éléments que le père de F... I... n'a jamais donné signe de vie depuis sa naissance. S'il est soutenu que le grand-père maternel de F... I... n'est plus en mesure de s'occuper de celui-ci au Togo, la circonstance que ce grand-père soit atteint d'une lomboradiculalgie invalidante ne suffit pas à démontrer qu'il est incapable de s'en occuper, et il n'est apporté aucune précision sur la grand-mère maternelle de cet enfant, alors qu'il ressort de l'attestation de ce fils du 18 avril 2022 qu'il est aussi avec sa grand-mère. Il ressort des pièces du dossier que les frères de F... I... se rendent au Togo pour le voir. Dans ces conditions, eu égard à ces circonstances et à la durée de séparation entre la mère et son fils, en refusant de faire droit à la demande de regroupement familial de la requérante, le préfet n'a pas porté au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts en vue desquels cette décision a été prise. Dès lors, cette décision n'a pas méconnu l'article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Pour les mêmes motifs, elle n'a pas méconnu l'article 3-1 de la convention internationale relative aux droits de l'enfant.

Sur la demande indemnitaire :

10. Les conclusions de Mme H... tendant à la condamnation de l'Etat à l'indemniser des préjudices subis doivent être rejetées en l'absence d'illégalité fautive, ainsi que celles relatives aux intérêts au taux légal et à la capitalisation des intérêts.

11. Il résulte de ce qui précède que Mme H... n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Lyon a rejeté ses demandes et a prononcé un non-lieu à statuer sur la demande de provision. Par voie de conséquence, ses conclusions aux fins d'injonction et celles présentées au titre des dispositions des articles 37 de la loi du 10 juillet 1991 et L. 761-1 du code de justice administrative, doivent être rejetées.

DÉCIDE :

Article 1er : La requête de Mme H... est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à Mme G... H... et au ministre de l'intérieur et des outre-mer.

Copie en sera adressée à la préfète du Rhône.

Délibéré après l'audience du 25 janvier 2024, à laquelle siégeaient :

M. Pruvost, président de chambre,

Mme Courbon, présidente-assesseure,

M. Porée, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 15 février 2024.

Le rapporteur,

A. Porée

Le président,

D. Pruvost

La greffière,

N. Lecouey

La République mande et ordonne au ministre de l'intérieur et des outre-mer en ce qui le concerne, ou à tous commissaires de justice à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun contre les parties privées, de pourvoir à l'exécution de la présente décision.

Pour expédition,

La greffière,

2

N° 23LY01332


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de LYON
Formation : 2ème chambre
Numéro d'arrêt : 23LY01332
Date de la décision : 15/02/2024
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

335-01 Étrangers. - Séjour des étrangers.


Composition du Tribunal
Président : M. PRUVOST
Rapporteur ?: M. Arnaud POREE
Rapporteur public ?: Mme LESIEUX
Avocat(s) : LANTHEAUME

Origine de la décision
Date de l'import : 03/03/2024
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel;arret;2024-02-15;23ly01332 ?
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