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09/01/2006 | FRANCE | N°02MA01374

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6eme chambre - formation a 3, 09 janvier 2006, 02MA01374


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 18 juillet 2002, sous le n° 02MA01374, présentée pour la commune de LA CIOTAT, représentée par son maire en exercice élisant domicile à l'Hôtel de ville (13600), par Me Alain Y..., avocat ;

La commune de LA CIOTAT demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 97-2377 du tribunal administratif de Marseille du 4 juin 2002 la condamnant à verser à la société Crédit d'Equipement des Petites et Moyennes Entreprise (CEPME) la somme de 30.122,77 €, avec intérêts au taux léga

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Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour administrative d'appel de Marseille le 18 juillet 2002, sous le n° 02MA01374, présentée pour la commune de LA CIOTAT, représentée par son maire en exercice élisant domicile à l'Hôtel de ville (13600), par Me Alain Y..., avocat ;

La commune de LA CIOTAT demande à la Cour :

1°/ d'annuler le jugement n° 97-2377 du tribunal administratif de Marseille du 4 juin 2002 la condamnant à verser à la société Crédit d'Equipement des Petites et Moyennes Entreprise (CEPME) la somme de 30.122,77 €, avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1995, en raison de la faute commise pour l'avoir induite en erreur ;

2°/ de condamner la CEPME à lui verser la somme de 2.000 € au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Elle soutient que : le jugement attaqué doit être annulé, dès lors que le Tribunal ne pouvait retenir la faute de la commune, ce moyen ayant été soulevé par la société CEPME après l'expiration du délai de recours contentieux et se heurtant à la déchéance quadriennale ; une telle demande aurait dû être rejetée comme tardive ; le tribunal a accueilli une demande d'intérêts légaux à compter d'une mise en demeure du 6 septembre 1995, alors que cette demande ne visait nullement une quelconque indemnité ;

Vu le mémoire en réponse, enregistré le 15 avril 2003, présenté pour la société SA Crédit d'Equipement des Petites et Moyennes Entreprises (CEPME), dont le siège est situé ..., par Me Patrice D'X..., avocat ;

La Société CEPME demande à la Cour :

1°/ de confirmer le jugement attaqué ;

2°/ de condamner la commune de LA CIOTAT à lui verser la somme de 3.500 € en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

……………………………………………………

Vu le mémoire enregistré le 6 juin 2005, présenté pour la société CEPME, dans lequel elle entend rappeler à la Cour que la réalité de l'exécution des marchés n'a jamais été contestée, comme le prouvent les deux attestations de la commune en ce sens ; que, par suite, elle persiste dans sa demande car, si la Cour devait reconnaître le marché, cela constituerait un enrichissement sans cause au profit de la commune de LA CIOTAT, qui profiterait ainsi de l'exécution des marchés sans en payer le prix ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu la lettre en date du 19 mai 2005 par laquelle la Cour a informé les parties, en application de l'article R. 611-7 du code de justice administrative, que l'arrêt paraissait susceptible d'être fondé sur un moyen soulevé d'office ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 modifiée, relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics ;

Vu la loi n° 81-1 du 2 janvier 1981 facilitant le crédit aux entreprises ;

Vu le code des marchés publics ;

Vu le code monétaire et financier ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 5 décembre 2005 :

- le rapport de M. Chavant, premier conseiller,

- et les conclusions de M. Firmin, commissaire du gouvernement ;

Considérant que la commune de LA CIOTAT a passé trois commandes hors marché à trois entreprises aux fins d'aménagement d'un immeuble municipal, pour des montants de 299.998,70 francs, 299.109,20 francs et 296.688,63 francs ; que parmi les entreprises, la SARL Medix a cédé sa créance d'un montant de 296.688,63 francs, soit 45.184,16 €, à la SA Crédit d'Equipement des Petites et Moyennes Entreprises (CEPME) ; que cette cession fut notifiée au trésorier principal de la commune de LA CIOTAT le 27 novembre 1992, lequel refusa de procéder au paiement de la facture le 22 février 1993, en exigeant la régularisation de la procédure par la passation d'un marché public ; que la CEPME a demandé la condamnation de la commune de LA CIOTAT à lui payer la somme litigieuse ; qu'à défaut elle a saisi le Tribunal administratif de Marseille d'un recours ;

Considérant que les premiers juges ont rejeté sa demande tendant au paiement de la somme correspondant à la cession de créance en relevant qu'à défaut d'un marché de régularisation, les motifs opposés par le trésorier payeur de la commune à la société Medix demeuraient pertinents à l'égard du CEPME ; qu'ils ont en revanche fait partiellement droit à la demande de la CEPME, fondée sur la responsabilité pour faute de la commune de la CIOTAT, en exonérant celle-ci d'un tiers de sa responsabilité compte tenu de l'imprudence commise par l'établissement bancaire requérant, et a condamné ladite commune à verser 30.122,77 euros au CEPME avec intérêts à compter de la requête préalable, soit le 6 décembre 1995, et capitalisation des intérêts aux 11 mars 1997 et 15 janvier 2006 ;

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

Considérant que la commune de LA CIOTAT soutient que le Tribunal ne pouvait, par le jugement attaqué, retenir sa responsabilité extra-contractuelle du fait de ses agissements ayant induit en erreur l'entreprise Médix, ni la condamner à payer la somme de 30.122,77 € à cette dernière, en raison de la tardiveté du moyen soulevé ;

Considérant que la CEPME a demandé, dans sa requête introductive d'instance enregistrée au Tribunal administratif de Marseille le 11 mars 1997, la condamnation de la commune de LA CIOTAT au paiement de la somme de 45.184,16 € sur le fondement de la méconnaissance d'un contrat ; que le moyen tiré de la responsabilité extracontractuelle pour faute de la commune de LA CIOTAT en raison de ses agissements a été invoquée par la CEPME après l'expiration du délai de recours contentieux ; qu'il repose sur une cause juridique distincte des moyens invoqués dans ce délai et constitue ainsi une demande nouvelle frappée d'irrecevabilité ; que dès lors, en relevant que la responsabilité de la commune de LA CIOTAT était engagée vis-à-vis de l'établissement de crédit en raison de son comportement, les premiers juges ont entaché leur décision d'erreur de droit ;

Considérant toutefois qu'il appartient à la Cour, saisie de l'ensemble du litige par l'effet dévolutif de l'appel, de statuer sur la demande présentée par le CEPME devant le Tribunal administratif de Marseille, tout en répondant aux moyens soulevés devant elle par la commune appelante ;

Sur le bien-fondé de la demande de la société CEPME :

En ce qui concerne la régularité de la procédure tendant au règlement de la créance cédée ;

Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi du 2 janvier 1981 alors en vigueur, dont les dispositions ont été codifiées à l'article L. 313-23 du code monétaire et financier : « Tout crédit qu'un établissement de crédit consent à une personne morale de droit privé ou de droit public, ou à une personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle, peut donner lieu au profit de cet établissement, par la seule remise d'un bordereau, à la cession ou au nantissement par le bénéficiaire du crédit, de toute créance que celui-ci peut détenir sur un tiers, personne morale de droit public ou de droit privé ou personne physique dans l'exercice par celle-ci de son activité professionnelle (...) » ; que selon l'article 5 de la même loi, codifié à l'article L.313-28 du code monétaire et financier, « L'établissement de crédit peut, à tout moment, interdire au débiteur de la créance cédée ou nantie de payer entre les mains du signataire du bordereau. A compter de cette notification, dont les formes sont fixées par le décret en Conseil d'Etat prévu à l'article L. 313-35, le débiteur ne se libère valablement qu'auprès de l'établissement de crédit » ; qu'en vertu de l'article 6 de la loi susmentionnée, codifié à l'article 313-29 du même code, Sur la demande du bénéficiaire du bordereau, le débiteur peut s'engager à le payer directement : cet engagement est constaté, à peine de nullité, par un écrit intitulé : Acte d'acceptation de la cession ou du nantissement d'une créance professionnelle. / Dans ce cas, le débiteur ne peut opposer à l'établissement de crédit les exceptions fondées sur ses rapports personnels avec le signataire du bordereau, à moins que l'établissement de crédit, en acquérant ou en recevant la créance, n'ait agi sciemment au détriment du débiteur. ;

Considérant que ces dispositions sont applicables aux créances détenues sur des personnes morales de droit public ; que la souscription par le débiteur d'une créance cédée, à la demande de l'établissement de crédit cessionnaire, de l'acte d'acceptation prévu à l'article 6 de la loi du 2 janvier 1981 a pour effet de créer à l'encontre de ce débiteur une obligation de paiement entre les mains du bénéficiaire du bordereau, détachée de la créance initiale de l'entreprise et contre laquelle il ne peut faire valoir des exceptions tirées de ses rapports avec l'entreprise cédante ; que cette procédure étant indépendante de la notification de la cession de créance à la seule initiative de l'établissement de crédit, prévue par l'article 5 de la loi, elle peut produire l'effet susmentionné alors même que la notification de la cession de créance n'aurait pas été régulièrement mise en oeuvre ; que, cependant, il ressort des dispositions précitées que la procédure d'acceptation est subordonnée à une demande en ce sens de la part du bénéficiaire du bordereau, en l'occurrence de la société CEPME ; qu'il ne résulte pas de l'instruction que cette société aurait présenté une telle demande à la commune de LA CIOTAT ; que, par suite, le moyen tiré par celle-ci de l'irrégularité de la procédure en l'absence d'acceptation de sa part doit être rejeté ;

En ce qui concerne l'exception de la prescription quadriennale :

Considérant qu'aux termes de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968 modifiée, relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, la prescription quadriennale est interrompue par.. toute demande de paiement ou toute réclamation écrite adressée par un créancier à l'autorité administrative, dès lors que la demande ou la réclamation a trait au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, alors même que l'administration saisie n'est pas celle qui aura finalement la charge du règlement ; … tout recours formé devant une juridiction, relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître, et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...) ;

Considérant que si la commune de LA CIOTAT soutient que la prescription quadriennale peut être opposée à la CEPME, ce moyen doit être écarté dès lors qu'il n'est pas soulevé par l'ordonnateur communal, c'est-à-dire le maire, seul habilité à le faire ;

En ce qui concerne la validité des conventions :

Considérant qu'en vertu de l'article 321 du code des marchés publics, dans sa rédaction alors en vigueur : « Il peut être traité en dehors des conditions prévues au présent titre : 1°) Pour les travaux, les fournitures ou les services dont le montant annuel présumé, toutes taxes comprises, n'excède pas la somme de 300 000 francs…. Le règlement de ces prestations peut avoir lieu sur présentation de simples mémoires ou factures.» ;

Considérant qu'il résulte de l'instruction que la commune de LA CIOTAT a passé trois commandes hors marché à trois entreprises différentes, dont la société Médix, mais appartenant à la même holding, pour des prestations concernant la même opération ; que le recours à cette procédure en l'espèce, où le total des commandes s'élève à près de 900.000 F, constitue une méconnaissance volontaire des dispositions précitées du code des marchés publics ; qu'il appartient au juge de le relever d'office, de constater par suite la nullité des accords litigieux et de décider qu'ils n'ont pu faire naître aucune obligation à la charge de la société Médix ;

En ce qui concerne l'indemnisation des prestations fournies :

Considérant qu'en raison de leur nullité, lesdits accords n'ont pu davantage engager la commune de LA CIOTAT ; que dès lors la CEPME, qui ne saurait bénéficier de plus de droits que l'entrepreneur qui lui a cédé sa créance en vertu de la loi susmentionnée du 2 janvier 1981, n'est pas fondée à demander que la commune de LA CIOTAT soit condamnée à lui verser, au titre de ses obligations contractuelles, les sommes mentionnées par les factures émises dans le cadre des accords susmentionnés ;

Considérant que lorsque le juge, saisi d'un litige engagé sur le terrain de la responsabilité contractuelle, est conduit à constater, le cas échéant d'office, la nullité du contrat, les cocontractants peuvent poursuivre le litige qui les oppose en invoquant, y compris pour la première fois en appel, des moyens tirés de l'enrichissement sans cause que l'application du contrat frappé de nullité a apporté à l'un d'eux, ou de la faute consistant, pour l'un d'eux, à avoir passé un contrat nul, bien que ces moyens, qui ne sont pas d'ordre public, reposent sur des causes juridiques nouvelles ;

Considérant que la société CEPME, cessionnaire de la créance de la société Médix et disposant des droits attachés à cette créance, a formulé une demande d'indemnité fondée sur l'enrichissement sans cause procuré à la commune de LA CIOTAT par les services qu'elle lui a fournis ; qu'elle a droit au remboursement des dépenses utiles à ladite commune exposées par la société Médix dans le cadre des accords entachés de nullité auxquels se rattachent les créances cédées ;

Considérant que si la commune de LA CIOTAT conteste la réalité des travaux exécutés par la société Médix, elle se borne, à l'appui de ses conclusions, à produire une ordonnance de renvoi devant le Tribunal correctionnel concernant de fausses certifications par le directeur général des services techniques communaux, lesquelles ne concernent pas les travaux litigieux, alors qu'elle a reconnu la réalité desdits travaux par une attestation de « service fait » en date du 26 janvier 1993 ; que la réalisation d'une salle de sports constitue un travail utile à la commune de LA CIOTAT, dont la valeur s'élève à 45.184,16 euros ; qu'en revanche, la CEPME doit elle-même être regardée comme responsable de son propre appauvrissement à hauteur de 30%, d'une part pour avoir manqué de prudence en acceptant une créance douteuse de la part de la société Médix, d'autre part pour avoir omis de soumettre ladite créance à l'acceptation de la commune conformément aux dispositions susrappelées ; que, par suite, l'enrichissement sans cause dont la CEPME est fondée à demander le remboursement ne s'élève qu'à la somme 31.625,91 euros ; qu'il y a lieu de condamner la commune de LA CIOTAT à lui verser cette somme ;

En ce qui concerne la capitalisation :

Considérant que pour l'application des dispositions de l'article 1154 du code civil, la demande de capitalisation des intérêts, qui peut être présentée à tout moment devant le juge du fond, prend effet au plus tôt à la date à laquelle elle est enregistrée et pourvu qu'à cette date il s'agisse d'intérêts dus au moins pour une année entière ; qu'à défaut de règlement de la dette, la capitalisation s'accomplit à nouveau lors de chaque échéance annuelle ultérieure, sans qu'il soit besoin de formuler une nouvelle demande ; que la première demande en ce sens ayant été formulée le 11 mars 1997, la société CEPME a droit à la capitalisation des intérêts à cette date et à chaque échéance annuelle ultérieure ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, en application de ces dispositions, de condamner la commune de LA CIOTAT à verser 2000 € à la société CEPME ; qu'en revanche, les mêmes dispositions font obstacle aux conclusions de la commune de LA CIOTAT, partie perdante à l'instance, tendant à la condamnation de la société CEPME au même titre.

DECIDE :

Article 1er : Le jugement attaqué du Tribunal administratif de Marseille en date du 4 juin 2002 est annulé.

Article 2 : La Commune de LA CIOTAT est condamnée à payer à la CEPME la somme de 31.628,91 € (Trente et un mille six cent vingt huit euros et 91 centimes) avec intérêts au taux légal à compter du 6 septembre 1995. Les intérêts échus le 11 mars 1997 seront capitalisés à cette date et à chacune des échéances annuelles ultérieures pour porter eux-mêmes intérêts.

Article 3 : La commune de LA CIOTAT versera à la société de Crédit d'Equipement des Petites et Moyennes Entreprises la somme de 2.000 €(deux milles) au titre des frais exposés par celle-ci et non compris dans les dépens.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de LA CIOTAT, à la CEPME et au ministre des transports, de l'équipement, du tourisme et de la mer.

N° 02MA01374 4


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 02MA01374
Date de la décision : 09/01/2006
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. GANDREAU
Rapporteur ?: M. Jacques CHAVANT
Rapporteur public ?: M. FIRMIN
Avocat(s) : SITRI

Origine de la décision
Date de l'import : 04/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2006-01-09;02ma01374 ?
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