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29/11/2011 | FRANCE | N°09MA02571

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 29 novembre 2011, 09MA02571


Vu la requête, enregistrée le 16 juillet 2009 sur télécopie confirmée le 20 suivant, présentée par la société civile professionnelle d'avocats Verdier Martin pour

Mme Linda A, élisant domicile ...;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800653 rendu le 12 mai 2009 par le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant à être indemnisée du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière au sein de La Poste ;

2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser la somme

de 334 156 euros,

somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, avec intérêts au taux légal à compter de sa dema...

Vu la requête, enregistrée le 16 juillet 2009 sur télécopie confirmée le 20 suivant, présentée par la société civile professionnelle d'avocats Verdier Martin pour

Mme Linda A, élisant domicile ...;

Mme A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0800653 rendu le 12 mai 2009 par le tribunal administratif de Montpellier, qui a rejeté sa demande tendant à être indemnisée du préjudice subi du fait du blocage de sa carrière au sein de La Poste ;

2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser la somme

de 334 156 euros, somme à parfaire au jour de l'arrêt à intervenir, avec intérêts au taux légal à compter de sa demande préalable et capitalisation desdits intérêts ;

3°) d'enjoindre à l'État et à La Poste de reconstituer sa carrière avec tous droits afférents au regard des avancements d'échelons et de grades dont elle aurait dû bénéficier, sous astreinte de 50 euros par jour de retard au terme du délai d'un mois après l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre solidairement à la charge des intimés la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 ;

Vu la loi n° 90-568 modifiée du 2 juillet 1990 ;

Vu la loi n° 2005-516 du 20 mai 2005 ;

Vu le décret n° 64-953 du 11 septembre 1964 relatif au statut particulier du corps des contrôleurs divisionnaires des postes et télécommunications, modifié par le décret n° 74-356 du 24 avril 1974 ;

Vu le décret n° 91-1238 du 31 décembre 1990 relatif au statut particulier du corps des contrôleurs divisionnaires de La Poste et du corps des contrôleurs divisionnaires de France Télécom ;

Vu le décret n° 92-927 du 7 septembre 1993 relatif au statut particulier du corps des contrôleurs divisionnaires de La Poste et du corps des contrôleurs divisionnaires de France Télécom ;

Vu le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'État, en date du 27 janvier 2009, fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2011 :

- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,

- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,

- et les observations de Me Gros, de la SCP d'avocats Granrut, pour La Poste ;

Considérant que, par lettres datées du 9 octobre 2007, Mme Linda A, titulaire du grade de contrôleur de La Poste, a vainement demandé au président de La Poste et au ministre de l'économie, l'indemnisation de préjudices qu'elle estime avoir subis à cause du blocage de sa carrière, faute en particulier qu'aient été établies des listes d'aptitude lui permettant d'accéder au corps des contrôleurs divisionnaires de La Poste ; que, saisi par Mme A d'une demande indemnitaire dirigée à la fois contre La Poste et l'État, le tribunal administratif de Montpellier a, par un jugement du 12 mai 2009, rejeté l'ensemble de sa demande ; que Mme A fait appel de ce jugement ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par les réclamations préalables

sus-évoquées, Mme A énonçait de manière suffisante, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ses demandes à fin d'indemnité ; que, par suite, contrairement à ce que soutient La Poste, le contentieux a été valablement lié par l'appelante ;

Sur le fond :

En ce qui concerne la prescription quinquennale :

Considérant qu'aux termes de l'article 2227 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 : L'État, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers et peuvent également les opposer ; qu'aux termes de l'article 2262 du même code, dans sa rédaction antérieure à la même loi : Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ; que selon l'article 2277, dans la rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 : Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : / Des salaires (...) et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ;

Considérant que l'action de Mme A tendant à la réparation des préjudices résultant d'un blocage de sa carrière dans un corps de reclassement , en raison des fautes commises tant par La Poste que par l'État, n'est pas soumise au délai de prescription fixé par les dispositions précitées de l'article 2277 du code civil, qui ne s'applique qu'aux actions relatives aux rémunérations, des agents publics notamment, et non à celles tendant à la réparation de préjudices de la nature de ceux dont Mme A demande l'indemnisation à raison des fautes qu'elle invoque ; que, dès lors, La Poste ne peut utilement opposer à ladite action la prescription quinquennale prévue par les dispositions de l'article 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

En ce qui concerne la responsabilité de La Poste et de l'État :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la

loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la

loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (...) ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...) non seulement par voie de concours, selon les modalités définies au troisième alinéa de l'article 19 ci-dessus (...), mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission administrative paritaire du corps d'accueil (...) ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

Considérant, d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de La Poste de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement ; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de La Poste, que par l'effet du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste;

Considérant ainsi qu'en s'abstenant illégalement, comme il vient d'être dit, de prendre les mesures susceptibles de permettre l'application du droit à la promotion interne garanti aux fonctionnaires reclassés comme de veiller au respect de ce droit, La Poste et l'État ont, respectivement, commis des fautes de nature à engager leur responsabilité solidaire ; que, toutefois, elles ne peuvent ouvrir droit à réparation au profit de la requérante qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par elle ;

Sur les préjudices :

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que Mme A, née le

26 février 1955, recrutée en 1978 comme agent d'exploitation du service général et promue en décembre 1983, après concours interne, dans le corps des contrôleurs du service général dans lequel elle a été titularisée le 22 février 1985, remplissait les conditions statutaires pour être promue au choix dans le corps de contrôleur divisionnaire à compter de l'année 2000 ; que, pour l'année 2001, sa fiche porte une appréciation globale Excellent , accompagnée d'observations du supérieur mentionnant qu'elle assure parfaitement un poste polyvalent de paie et gestion des contractuels sur un secteur difficile et sensible ; qu'au cours des années suivantes, l'appréciation en B a toujours été accompagnée d'observations louangeuses du supérieur sur la parfaite maîtrise et l'excellente qualité du travail accompli, l'efficacité, l'autonomie de l'intéressée, tous éléments faisant d'elle un très bon élément , une très bonne professionnelle soucieuse de satisfaire le client et dotée d'un caractère dynamique pour l'équipe ; que sa notation au titre de

l'année 2007 fait état d'une aptitude à la conduite d'équipe et au développement de collaborateurs nettement supérieure au niveau de son poste, et qu'au demeurant, le 31 décembre 2009 peu après la fin de la période de blocage, l'intéressée été promue dans le corps d'inspecteur, classé en catégorie A supérieure à celle du grade de contrôleur divisionnaire, en litige pour les années antérieures ; que, dans ces conditions, Mme A doit être regardée comme ayant été privée d'une chance sérieuse d'être promue, peu après le moment où elle en remplissait les conditions d'accès au choix, au grade de contrôleur divisionnaire, si le droit à la promotion interne avait été respecté pour les fonctionnaires reclassés ; que, dès lors, il sera fait une juste appréciation du préjudice de carrière subi par Mme A en lui allouant une somme de 10 000 euros ;

Considérant, en second lieu, que l'appelante est également fondée à soutenir qu'elle a droit à une indemnité au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence à raison des fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, même dans le cas particulier où l'intéressée n'aurait pas eu de chances sérieuses d'obtenir une promotion ; qu'il sera fait une juste appréciation des circonstances de l'espèce en lui allouant la somme de

5 000 euros au titre de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que Mme A est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires et à obtenir l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral, ainsi que de son préjudice de carrière ; qu'ainsi, il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner solidairement

La Poste et l'État à lui verser une indemnité totale de 15 000 euros, étant précisé que ce montant s'entend en y incluant tous intérêts échus au jour du présent arrêt ;

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ;

Considérant que si Mme A demande qu'il soit enjoint à La Poste et à l'État de reconstituer sa carrière au regard de procédures d'avancement d'échelon et de grades dont elle aurait dû continuer à bénéficier , le présent arrêt n'implique nullement une telle mesure d'exécution, qui ne se conçoit qu'en cas d'annulation d'une éviction illégale du service ; que par suite, les conclusions sous astreinte présentées par Mme A ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre solidairement à la charge de La Poste et de l'État le versement à Mme A de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par cette dernière, et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que La Poste présente au même titre ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement n° 0800653 rendu le 12 mai 2009 par le tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : La Poste et l'État (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie) sont condamnés solidairement à verser à Mme A la somme de 15 000 (quinze mille) euros, tous intérêts échus au jour du présent arrêt.

Article 3 : La Poste et l'État verseront solidairement à Mme A une somme de

1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de toutes les parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à Mme Linda A, à La Poste et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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N° 09MA025712


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 09MA02571
Date de la décision : 29/11/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Hélène BUSIDAN
Rapporteur public ?: Mme VINCENT-DOMINGUEZ
Avocat(s) : SCP VERDIER MARTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2011-11-29;09ma02571 ?
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