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29/11/2011 | FRANCE | N°10MA03516

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 29 novembre 2011, 10MA03516


Vu la requête, enregistrée le 6 septembre 2010 et régularisée le 8 septembre 2010, présentée pour M. Frédéric A, demeurant ..., par Me Isabelle Martin, avocat ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801094 du 9 juillet 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'État et de La Poste à la réparation des préjudices résultant du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser la somme

de 261 413 euros au titre des domma

ges et intérêts, arrêtée au 30 juin 2007, à parfaire le jour de l'arrêt à intervenir avec int...

Vu la requête, enregistrée le 6 septembre 2010 et régularisée le 8 septembre 2010, présentée pour M. Frédéric A, demeurant ..., par Me Isabelle Martin, avocat ;

M. A demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 0801094 du 9 juillet 2010 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à la condamnation solidaire de l'État et de La Poste à la réparation des préjudices résultant du blocage de sa carrière ;

2°) de condamner solidairement l'État et La Poste à lui verser la somme

de 261 413 euros au titre des dommages et intérêts, arrêtée au 30 juin 2007, à parfaire le jour de l'arrêt à intervenir avec intérêts au taux légal à compter du 12 octobre 2007 et d'ordonner la capitalisation des intérêts ;

3°) d'enjoindre à l'État et à La Poste de reconstituer sa carrière avec tous les droits y afférents au regard des procédures d'avancement d'échelon et de grade dont il aurait dû bénéficier sous astreinte de 50 euros par jour de retard à l'expiration du délai d'un mois après l'arrêt à intervenir ;

4°) de mettre solidairement à la charge de l'État et de La Poste la somme de 1 500 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ;

Vu la loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires à la fonction publique de l'État ;

Vu la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de

La Poste et à France Télécom ;

Vu le décret n° 72-503 du 23 juin 1972 portant statut particulier du corps des contrôleurs des postes et télécommunications ;

Vu le décret n° 90-1237 du 31 décembre 1990 relatif au statut particulier du corps des contrôleurs de La Poste et du corps des contrôleurs de France Télécom ;

Vu le décret n° 92-928 du 7 septembre 1992 relatif au statut particulier du corps des contrôleurs de La Poste et du corps des contrôleurs de France Télécom ;

Vu le décret n° 2009-1555 du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;

Vu le code civil ;

Vu le code de justice administrative ;

Vu le décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 relatif au rapporteur public des juridictions administratives et au déroulement de l'audience devant ces juridictions ;

Vu l'arrêté du vice-président du Conseil d'État, en date du 27 janvier 2009, fixant la liste des tribunaux administratifs et des cours administratives d'appel autorisés à appliquer, à titre expérimental, les dispositions de l'article 2 du décret n° 2009-14 du 7 janvier 2009 ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 11 octobre 2011 :

- le rapport de Mme Busidan, rapporteur,

- les conclusions de Mme Vincent-Dominguez, rapporteur public,

- et les observations de Me Gros, de la SCP d'avocats Granrut, pour La Poste ;

Considérant que M. A, titulaire du grade d'agent d'exploitation du service général de La Poste depuis décembre 1981, a refusé d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification et a opté en faveur de la conservation de son grade dans l'un des corps dits de reclassement au sein de La Poste ; que, par courriers du 9 octobre 2007, il a demandé au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie ainsi qu'au président de La Poste l'indemnisation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait du blocage de sa carrière résultant de la cessation de toute mesure de promotion interne dans les corps dits de reclassement ; que, saisi par M. A d'une demande indemnitaire dirigée à la fois contre La Poste et l'État, le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 9 juillet 2010, rejeté l'ensemble de sa demande ; que M. A relève appel de ce jugement ;

Sur la recevabilité de la demande de première instance :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que, par les réclamations préalables

sus-évoquées, M. A énonçait de manière suffisante, au regard notamment de sa situation personnelle, les moyens présentés à l'appui de ses demandes à fin d'indemnité ; que, par suite, contrairement à ce que soutient La Poste, le contentieux a été valablement lié par l'appelant ;

Sur l'exception de prescription :

Considérant qu'aux termes de l'article 2227 du code civil, dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 : L'État, les établissements publics et les communes sont soumis aux mêmes prescriptions que les particuliers et peuvent également les opposer ; qu'aux termes de l'article 2262 du même code, dans sa rédaction antérieure à la même loi : Toutes les actions, tant réelles que personnelles, sont prescrites par trente ans, sans que celui qui allègue cette prescription soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi ; que selon l'article 2277, dans la rédaction applicable avant l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 : Se prescrivent par cinq ans les actions en paiement : / Des salaires (...) et généralement de tout ce qui est payable par année ou à des termes périodiques plus courts ;

Considérant que l'action de M. A tendant à la réparation des préjudices résultant d'un blocage de sa carrière dans un corps de reclassement , en raison des fautes commises tant par La Poste que par l'État, n'est pas soumise au délai de prescription fixé par les dispositions précitées de l'article 2277 du code civil, qui ne s'applique qu'aux actions relatives aux rémunérations, des agents publics notamment, et non à celles tendant à la réparation de préjudices de la nature de ceux dont M. A demande l'indemnisation à raison des fautes qu'il invoque ; que, dès lors, La Poste ne peut utilement opposer à ladite action la prescription quinquennale prévue par les dispositions de l'article 2277 du code civil dans sa rédaction antérieure à l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 2008 ;

Sur la responsabilité de La Poste et de l'État :

Considérant qu'aux termes de l'article 29 de la loi du 2 juillet 1990 relative à l'organisation du service public des postes et télécommunications : Les personnels de La Poste et de France Télécom sont régis par des statuts particuliers, pris en application de la

loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires et de la

loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l'État (...) ; que l'article 31 de la même loi a permis à La Poste d'employer, sous le régime des conventions collectives, des agents contractuels ;

Considérant qu'aux termes de l'article 26 de la loi du 11 janvier 1984 : En vue de favoriser la promotion interne, les statuts particuliers fixent une proportion de postes susceptibles d'être proposés au personnel appartenant déjà à l'administration (...), non seulement par voie de concours selon les modalités définies au troisième alinéa (2°) de

l'article 19 ci-dessus, mais aussi par la nomination de fonctionnaires (...) suivant l'une des modalités ci-après : / 1° Examen professionnel ; / 2° Liste d'aptitude établie après avis de la commission paritaire du corps d'accueil. / Chaque statut particulier peut prévoir l'application des deux modalités ci-dessus, sous réserve qu'elles bénéficient à des agents placés dans des situations différentes ; qu'en vertu de l'article 58 de la loi du 11 janvier 1984 et des dispositions réglementaires prises pour son application, il appartient à l'autorité administrative, sauf à ce qu'aucun emploi vacant ne soit susceptible d'être occupé par des fonctionnaires à promouvoir, d'établir annuellement des tableaux d'avancement en vue de permettre l'avancement de grade ;

Considérant d'une part, que la possibilité offerte aux fonctionnaires qui sont demeurés dans les corps dits de reclassement de La Poste de bénéficier, au même titre que les fonctionnaires ayant choisi d'intégrer les nouveaux corps dits de reclassification créés en 1993, de mesures de promotion organisées en vue de pourvoir des emplois vacants proposés dans ces corps de reclassification , ne dispensait pas le président de La Poste, avant le

1er janvier 2002, de faire application des dispositions de la loi du 11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne dans le cadre des corps de reclassement; qu'il appartenait, en outre, au ministre chargé des postes et télécommunications de veiller de manière générale au respect par La Poste de ce droit à la promotion interne, garanti aux fonctionnaires reclassés comme aux fonctionnaires reclassifiés de l'exploitant public par les dispositions combinées de la loi du 2 juillet 1990 et de la loi du 11 janvier 1984 ;

Considérant, d'autre part, que le législateur, par la loi du 20 mai 2005 relative à la régulation des activités postales, en permettant à La Poste de ne recruter, le cas échéant, que des agents contractuels de droit privé, n'a pas entendu priver d'effet les dispositions de la loi du

11 janvier 1984 relatives au droit à la promotion interne à l'égard des fonctionnaires reclassés ; que, par suite, les décrets régissant les statuts particuliers des corps de reclassement , en ce qu'ils n'organisaient pas de voies de promotion interne autres que celles liées aux titularisations consécutives aux recrutements externes et privaient en conséquence les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, étaient entachés d'illégalité ; qu'en faisant application de ces décrets illégaux et en refusant de prendre toute mesure de promotion interne au bénéfice des fonctionnaires reclassés au motif que ces décrets en interdisaient la possibilité, le président de La Poste a, de même, commis une illégalité ; que des promotions internes pour les fonctionnaires reclassés non liées aux recrutements externes ne sont redevenues possibles, au sein de La Poste, que par l'effet du décret du 14 décembre 2009 relatif aux dispositions statutaires applicables à certains corps de fonctionnaires de La Poste ;

Considérant ainsi qu'en s'abstenant illégalement, comme il vient d'être dit, de prendre les mesures susceptibles de permettre l'application du droit à la promotion interne garanti aux fonctionnaires reclassés comme de veiller au respect de ce droit, La Poste et l'État ont, respectivement, commis des fautes de nature à engager leur responsabilité solidaire ; que, toutefois, elles ne peuvent ouvrir droit à réparation au profit du requérant qu'à la condition qu'elles soient à l'origine d'un préjudice personnel, direct et certain subi par lui ;

Sur les préjudices :

Considérant qu'il résulte de l'instruction que M. A, né le 1er juin 1954 et entré en décembre 1980 comme agent d'exploitation du service général, grade dans lequel il a été titularisé un an plus tard, remplissait les conditions statutaires pour être promu au choix au grade de contrôleur du service général à compter de décembre 1995 ; qu'il ne fournit aucune pièce permettant d'apprécier son mérite avant l'année 2002 ; qu'ensuite, seule cette année 2002 porte l'appréciation globale Excellent , cependant que les notations suivantes indiquent une appréciation en B et que les observations du supérieur figurant dans les fiches d'évaluation versées au dossier font seulement état d'un travail correct ; que, dans ces conditions, M. A n'établit pas qu'il aurait eu une chance sérieuse d'accéder au corps supérieur de contrôleur, si des promotions avaient été organisées au bénéfice des fonctionnaires reclassés après 1993 ;

Considérant, toutefois, qu'alors même que M. A n'établit ni la perte d'une chance sérieuse de promotion, ni par suite le préjudice matériel qu'il allègue, les fautes relevées, consistant à priver de manière générale les fonctionnaires reclassés de toute possibilité de promotion interne, lui ont causé un préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence ; qu'il en sera fait une juste appréciation en en évaluant la réparation à la somme globale de 2 000 euros ;

Considérant qu'il résulte de ce qui précède que M. A est fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté l'ensemble de ses conclusions indemnitaires et à obtenir l'indemnisation de ses troubles dans les conditions d'existence et de son préjudice moral ; qu'ainsi, il y a lieu pour la Cour d'annuler le jugement attaqué et, par l'effet dévolutif de l'appel, de condamner solidairement La Poste et l'État à lui verser une indemnité totale de 2 000 euros, étant précisé que ce montant s'entend en y incluant tous intérêts échus au jour du présent arrêt ;

Sur les conclusions à fin d'injonction sous astreinte :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 911-1 du code de justice administrative : Lorsque sa décision implique nécessairement qu'une personne morale de droit public ou un organisme de droit privé chargé de la gestion d'un service public prenne une mesure d'exécution dans un sens déterminé, la juridiction, saisie de conclusions en ce sens, prescrit, par la même décision, cette mesure assortie, le cas échéant, d'un délai d'exécution. ;

Considérant que si M. A demande qu'il soit enjoint à La Poste et à l'État de reconstituer sa carrière au regard de procédures d'avancement d'échelon et de grades dont il aurait dû continuer à bénéficier , le présent arrêt n'implique nullement une telle mesure d'exécution, laquelle, au surplus, ne se conçoit qu'en cas d'annulation d'une éviction illégale du service ; que par suite, les conclusions sous astreinte présentées par M. A ne peuvent qu'être rejetées ;

Sur les conclusions présentées tendant l'application des dispositions de

l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de faire application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et de mettre solidairement à la charge de La Poste et de l'État le versement à M. A de la somme de 1 000 euros au titre des frais exposés par ce dernier, et non compris dans les dépens ; que ces dispositions font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions que La Poste présente au même titre ;

DECIDE :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Marseille en date du 9 juillet 2010 est annulé.

Article 2 : La Poste et l'État (ministère de l'économie, des finances et de l'industrie) sont condamnés solidairement à verser à M. A la somme de 2 000 (deux mille) euros, tous intérêts échus au jour du présent arrêt.

Article 3 : L'État et La Poste verseront solidairement à M. A la somme de 1 000 (mille) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de toutes les parties est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. Frédéric A, à La Poste et au ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.

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N° 10MA035162


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 10MA03516
Date de la décision : 29/11/2011
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Notation et avancement - Avancement.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Contentieux de l'indemnité.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Hélène BUSIDAN
Rapporteur public ?: Mme VINCENT-DOMINGUEZ
Avocat(s) : SCP VERDIER MARTIN

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2011-11-29;10ma03516 ?
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