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16/12/2014 | FRANCE | N°13MA04869

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 16 décembre 2014, 13MA04869


Vu la requête, enregistrée le 13 décembre 2013, présentée pour la SARL Force Méditerranée de Sécurité (SARL FMS), représentée par son gérant en exercice, dont le siège social est 2 bis rue Racine à Narbonne (11000), par la SCP Scheuer-Vernet et associés ; la SARL FMS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201075 en date du 15 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 132 378,96 euros en réparation du préjudice que lui aurait causé la décision du 29 novembre 20

02 du préfet de l'Aude lui enjoignant de licencier M.B..., salarié protégé ; ...

Vu la requête, enregistrée le 13 décembre 2013, présentée pour la SARL Force Méditerranée de Sécurité (SARL FMS), représentée par son gérant en exercice, dont le siège social est 2 bis rue Racine à Narbonne (11000), par la SCP Scheuer-Vernet et associés ; la SARL FMS demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1201075 en date du 15 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à lui verser la somme de 132 378,96 euros en réparation du préjudice que lui aurait causé la décision du 29 novembre 2002 du préfet de l'Aude lui enjoignant de licencier M.B..., salarié protégé ;

2°) de condamner l'Etat à lui payer la somme de 134 693,06 euros assortie des intérêts au taux légal à compter du 5 mars 2012 et de la capitalisation des intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative et les entiers dépens ;

.............................................................................................................

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code du travail

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 25 novembre 2014 :

- le rapport de Mme Paix, président assesseur ;

- les conclusions de M. Deliancourt, rapporteur public ;

- et les observations de Me A..., pour la SARL Force Méditerranée Sécurité ;

1. Considérant que la SARL Force Méditerranée Sécurité (FMS), société de services de sécurité agréée à ce titre par le préfet de l'Aude, a embauché, après agrément auprès des services préfectoraux le 20 janvier 1994, M.B... ; que, le 29 novembre 2002, le préfet lui a enjoint de procéder au licenciement sans délai de MB... ; qu'après avoir convoqué le salarié pour un entretien préalable au licenciement, la SARL FMS a licencié M. B...le 21 décembre 2002 ; que le licenciement a été contesté par le salarié et finalement été déclaré sans cause réelle et sérieuse par la cour d'appel d'Aix-en-Provence, l'entreprise étant condamnée à verser la somme de 80 000 euros à M. B...; que la SARL FMS interjette appel du jugement du 15 octobre 2013 par lequel le tribunal administratif de Montpellier a rejeté sa demande de condamnation de l'Etat à raison de la faute qui aurait été commise par celui-ci ;

Sur la régularité du jugement attaqué:

2. Considérant que la SARL FMS soutient que le jugement serait irrégulier en ce qu'il n'aurait pas répondu au moyen qu'elle avait invoqué dans un mémoire enregistré au greffe du tribunal administratif le 12 novembre 2012 pour répondre à l'argumentation du préfet sur la connaissance qu'elle était supposée avoir de la réhabilitation de M. B...;

3. Considérant toutefois que, d'une part, le tribunal a bien visé le mémoire enregistré le 12 novembre 2012 même s'il n'a pas fait figurer la mention selon laquelle la requérante reprenait les moyens de sa requête ; que, d'autre part, les premiers juges, en retenant que la SARL FMS " dont le gérant est le beau-frère de M.B..., ne pouvait ignorer que celui-ci avait été réhabilité de plein droit et que, par suite, la décision du 29 novembre 2002 était illégale " ont suffisamment motivé leur jugement ; que le sens de la réponse qu'ils ont faite au moyen, défavorable à la société requérante, ne peut être mis en cause à l'occasion d'une contestation de la régularité du jugement :

Sur la recevabilité de la demande indemnitaire :

4. Considérant que la réclamation indemnitaire de la SARL FMS a été reçue par le préfet de l'Aude le 5 mars 2012 ; qu'une décision implicite de rejet est donc née le 5 mai 2012 liant le contentieux indemnitaire ; qu'il en résulte que, contrairement à ce que soutenait le préfet en première instance, la demande de la SARL FMS n'était pas irrecevable ;

Sur le bien-fondé de la demande indemnitaire :

5. Considérant qu'aux termes de l'article 6 de la loi n° 83-629 du 12 juillet 1983 réglementant les activités privées de sécurité : " Nul ne peut être employé par une entreprise exerçant les activités mentionnées à l'article 1er s'il a fait l'objet, pour agissements contraires à l'honneur, à la probité ou aux bonnes moeurs ou pour atteinte à la sécurité des personnes et des biens, d'une sanction disciplinaire ou d'une condamnation à une peine d'emprisonnement correctionnelle ou à une peine criminelle, avec ou sans sursis, devenue définitive " et qu'aux termes de l'article 18 de la même loi : " L'employé qui ne remplit pas ou cesse de remplir les conditions fixées par l'article 6 doit cesser ses fonctions si, dans un délai de six mois à partir du jour où la condamnation est devenue définitive, il n'a pas été relevé de son incapacité. Le licenciement du salarié ne remplissant pas les conditions fixées par l'article 6 précité et qui résulte directement de l'entrée en vigueur de la présente loi est fondé sur un motif réel et sérieux et ouvre droit aux indemnités prévues aux articles L. 122-8 et L. 122-9 du code du travail. Un droit de priorité à l'embauche, valable durant une année à dater de son licenciement, est réservé au salarié qui, après avoir été licencié, a été relevé de son incapacité. " ;

En ce qui concerne le principe de la faute de l'Etat :

6. Considérant que la lettre du 29 novembre 2002 par laquelle le préfet de l'Aude a ordonné à la SARL FMS de procéder sans délai au licenciement de M. B...était fondée sur deux motifs ; qu'elle relevait, en premier lieu, que M. B...n'avait pas fait l'objet d'une déclaration règlementaire prévue par les dispositions de l'article 7 de la loi du 12 juillet 1983 et qu'ainsi la société était passible de sanctions pénales ; que ce premier motif était entaché d'erreur de fait dès lors que, par lettre du 26 mai 1994, le préfet de l'Aude avait donné son accord au recrutement de M. B... ; que la lettre du 29 novembre 2002 précisait, en second lieu, que M. B... était frappé d'une des incapacités prévues par l'article 13 de la même loi, alors que M. B..., qui avait été condamné le 13 mars 1996 par la cour d'assises de l'Aude à une peine de cinq ans d'emprisonnement dont un an ferme et ne pouvait donc plus exercer ses fonctions à la suite de cette condamnation, avait, par la suite, fait l'objet d'une réhabilitation légale en application des dispositions de l'article 133-13 du code pénal, à compter du 20 avril 2001 ; que cette réhabilitation a eu pour effet d'effacer les condamnations prononcées ; que le préfet ne saurait arguer utilement de l'ignorance dans laquelle se trouvaient ses services de la réhabilitation de M. B...dès lors qu'il leur appartenait de procéder aux vérifications utiles ; qu'il en résulte que ce second motif de la décision préfectorale était également, à la date du 29 novembre 2002, erroné, et que l'illégalité de la décision du 29 novembre 2002 constitue une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat à l'égard de la SARL FMS, victime de cette décision ;

En ce qui concerne la faute de la victime :

7. Considérant que, pour juger que la SARL FMS avait commis une faute de nature à exonérer totalement l'Etat de sa responsabilité, le tribunal administratif de Montpellier a retenu, en premier lieu, que la société, dont le gérant était le beau-frère du salarié, ne pouvait ignorer que celui-ci avait été réhabilité de plein droit ; que, toutefois, la requérante conteste ce fait et indique qu'elle n'en n'a jamais été informée par son salarié, qui lui-même l'ignorait et n'en a pris connaissance que lorsqu'il s'est attaché les services d'un conseil juridique au cours de l'année 2003 pour contester son licenciement devant le conseil des prud'hommes ; que la SARL FMS indique également que les relations étaient tendues entre le gérant et le salarié et produit à cet effet une lettre du 22 novembre 2002 qui atteste de ces tensions ; qu'il ressort également des écritures présentées par le conseil de M. B...devant le conseil des prud'hommes que le salarié n'a averti la société qui l'employait de sa réhabilitation qu'après le prononcé de son licenciement ; que, dans ces conditions, les seuls liens familiaux existant entre M. B...et son beau-frère, gérant de la société, ne suffisent pas à établir que la SARL FMS aurait eu connaissance de la réhabilitation légale de M. B...avant de le licencier ;

8. Considérant, par ailleurs que les premiers juges ont relevé que l'entretien préalable au licenciement n'avait pas été contradictoire et n'avait donc pas permis au salarié de faire valoir que sa réhabilitation faisait obstacle à son licenciement sur le fondement de l'article 18 de la loi du 12 juillet 1983 ; que, toutefois, il résulte de l'instruction que la SARL FMS a convoqué M. B...pour un entretien préalable au licenciement, lequel s'est déroulé en présence de la conseillère du salarié ; que la seule circonstance que cette dernière a mentionné que le dialogue était impossible, l'employeur se retranchant derrière le courrier de la préfecture, ne suffit pas à établir l'irrégularité de la procédure ni que M. B...aurait été empêché de faire valoir sa réhabilitation, dont au surplus, comme a été exposé au point 5, il n'est pas établi qu'il en ait eu alors connaissance ; que dans ces conditions, c'est également à tort que le tribunal administratif de Montpellier a relevé que la SARL FMS avait contribué par son attitude à la réalisation de son dommage ;

9. Considérant, enfin que les premiers juges ont relevé que le préfet de l'Aude a, dès le 5 mars 2003, informé la SARL FMS qu'il avait fait droit au recours gracieux présenté par M. B..., et que celui-ci pouvait être recruté de nouveau ce que la société requérante s'est manifestement abstenue de faire ; que, toutefois, cette circonstance est postérieure au licenciement illégal dont a fait l'objet le salarié ; que, de plus, le courrier préfectoral n'indique nullement à la société qu'elle doit procéder à l'embauche du salarié, mais seulement qu'elle peut à nouveau le recruter et n'évoque pas l'illégalité du licenciement ; que, dans ces conditions, il ne saurait être reproché à la SARL FMS de ne pas avoir précédé à une nouvelle embauche de M. B...au vu de cette lettre, nouvelle embauche qui, en toute hypothèse, n'aurait pas été de nature à remettre en cause le licenciement illégal dont le salarié avait été l'objet ;

10. Considérant qu'il résulte de ce qui précède que c'est à tort que le tribunal administratif de Montpellier a jugé que la faute de la SARL FMS était de nature à exonérer totalement l'Etat de sa responsabilité ; qu'en outre, la SARL FMS ne peut être regardée comme ayant commis des agissements de nature à atténuer, fût-ce partiellement, la responsabilité de l'Etat ;

En ce qui concerne le lien de causalité entre la faute commise par l'administration et les préjudices exposés :

11. Considérant que la faute commise par le préfet du fait de l'injonction figurant dans le courrier du 29 novembre 2002 est directement à l'origine du préjudice subi par la SARL FMS qui a dû indemniser le salarié à l'issue des procédures judicaires engagées par celui-ci pour faire reconnaître l'illégalité de son licenciement ;

En ce qui concerne le montant des préjudices :

12. Considérant que la SARL FMS est fondée à demander le remboursement des sommes mises à sa charge par les différentes juridictions judiciaires, soit 9 006,43 euros par la cour d'appel de Montpellier, 2 500 euros par la Cour de cassation et 82 000 euros par la cour d'appel d'Aix-en- Provence ; qu'elle est également fondée à demander le remboursement des frais de procédure pour assurer la défense de ses intérêts devant les différentes juridictions, pour des montants de 1 459,13 euros correspondant aux frais de procédure engagés devant le conseil des prud'hommes, 1 315,60 euros correspondant aux frais de procédure engagés devant la chambre sociale de la cour d'appel de Montpellier, 2 152,80 euros correspondant aux frais de procédure engagés devant la chambre sociale de la Cour de cassation, et 1 315,60 euros correspondant aux frais de procédure engagés devant la cour d'appel de renvoi d'Aix-en-Provence ; qu'il en est de même enfin s'agissant de frais de procédure engagés devant le tribunal de grande instance et le juge de l'exécution, qui s'élèvent au total à un montant de 5 184,50 euros ; qu'en revanche, la SARL FMS n'établit pas que la somme de 29 759,10 euros, représentative des intérêts et frais sur deux prêts relais obtenus auprès de la banque Courtois en 2008 et 2010, serait directement liée au licenciement de M.B... ; qu'elle ne peut donc prétendre au remboursement de cette somme ; que la SARL FMS est donc fondée à demander le remboursement de la somme de 104 934,06 euros ;

En ce qui concerne les intérêts et leur capitalisation :

13 Considérant que la SARL FMS a droit aux intérêts de la somme de 104 934,06 euros à compter du 5 mars 2012, date de réception de la réclamation préalable par le préfet de l'Aude ; que la capitalisation des intérêts a été demandée pour la première fois le 13 décembre 2013 en appel ; qu'à cette date les intérêts étaient dus pour au moins une année entière ; qu'il y a lieu dès lors de faire droit à cette demande tant à cette date qu'à chaque échéance annuelle postérieure ;

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

14. Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. " ; qu'il y a lieu dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros en application de ces dispositions au titre des frais engagés par la SARL FMS et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1201075 en date du 15 octobre 2013 du tribunal administratif de Montpellier est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à la SARL FMS la somme de 104 934,06 euros. Cette somme portera intérêt au taux légal à compter du 5 mars 2012. Les intérêts échus à la date du 13 décembre 2013 puis à chaque échéance annuelle à compter de cette date seront capitalisés pour produire eux-mêmes intérêts.

Article 3 : L'Etat versera à la SARL FMS la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de la requête de la SARL FMS est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à la SARL FMS et au ministre du travail, de l'emploi, de la formation professionnelle et du dialogue social.

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N° 13MA04869 2

SM


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 13MA04869
Date de la décision : 16/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

60-01-03 Responsabilité de la puissance publique. Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité. Agissements administratifs susceptibles d'engager la responsabilité de la puissance publique.


Composition du Tribunal
Président : M. BEDIER
Rapporteur ?: Mme Evelyne PAIX
Rapporteur public ?: M. DELIANCOURT
Avocat(s) : SCP SCHEUER - VERNHET et ASSOCIES

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2014-12-16;13ma04869 ?
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