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30/05/2017 | FRANCE | N°14MA03873

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 8ème chambre - formation à 3, 30 mai 2017, 14MA03873


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.

Par un jugement n° 0902624 du 17 juillet 2014, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'État à verser à M. C... la somme de 8 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par un recours et un mémoire enregistr

és le 4 septembre 2014 et le 11 mars 2016, le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. A... C...a demandé au tribunal administratif de Toulon de condamner l'État à lui verser la somme de 30 000 euros en réparation des préjudices qu'il estime avoir subis du fait de son exposition aux poussières d'amiante.

Par un jugement n° 0902624 du 17 juillet 2014, le tribunal administratif de Toulon a condamné l'État à verser à M. C... la somme de 8 000 euros et rejeté le surplus des conclusions de la requête.

Procédure devant la Cour :

Par un recours et un mémoire enregistrés le 4 septembre 2014 et le 11 mars 2016, le ministre de la défense demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon du 17 juillet 2014 ;

2°) de rejeter les conclusions indemnitaires de M. C....

Il soutient que :

- le jugement est entaché d'une erreur de droit sur l'application de la prescription quadriennale ;

- l'État a mis en oeuvre les mesures de protection imposées pour ses agents ;

- le nombre de maladies professionnelles reconnues en lien avec l'amiante est en baisse constante.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 27 novembre 2014 et le 11 février 2016, M. C..., représenté par la SELARL Teissonniere et Associés, conclut au rejet du recours et, par la voie de l'appel incident, demande à la Cour :

1°) de condamner l'État à lui verser la somme de 15 000 euros en réparation du préjudice moral qu'il estime avoir subi ainsi que la somme de 15 000 euros au titre de ses troubles dans les conditions d'existence ;

2°) de majorer les sommes qui seront allouées des intérêts au taux légal à compter de la date de la première demande d'indemnisation et de la capitalisation de ces intérêts ;

3°) de mettre à la charge de l'État la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les moyens soulevés par le ministre de la défense ne sont pas fondés ;

- la réalité des préjudices subis justifie le montant des indemnisations demandées par la voie de l'appel incident.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- la loi n° 68-1250 du 31 décembre 1968 ;

- la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 ;

- la loi n° 2000-1257 du 23 décembre 2000 ;

- le décret n° 77-949 du 17 août 1977 ;

- le décret n° 96-97 du 7 février 1996 ;

- l'arrêté du 21 avril 2006 relatif à la liste des professions, des fonctions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État, fonctionnaires et agents non titulaires du ministère de la défense ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Renouf,

- les conclusions de M. Argoud, rapporteur public,

- et les observations de Me B..., de la SELARL Teissonniere et Associés, représentant M. C....

Sur le recours du ministre de la défense :

En ce qui concerne la prescription quadriennale :

1. Considérant qu'aux termes de l'article 1er de la loi susvisée du 31 décembre 1968 relative à la prescription des créances sur l'État, les départements, les communes et les établissements publics, alors applicable aux créances détenues sur les établissements publics hospitaliers en matière de responsabilité médicale : " Sont prescrites, au profit de l 'État, des départements et des communes, sans préjudice des déchéances particulières édictées par la loi et sous réserve des dispositions de la présente loi, toutes créances qui n'ont pas été payées dans un délai de quatre ans à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle les droits ont été acquis. / Sont prescrites, dans le même délai et sous la même réserve, les créances sur les établissements publics dotés d'un comptable public " ; qu'aux termes de l'article 2 de la même loi : " La prescription est interrompue par : (...)Tout recours formé devant une juridiction relatif au fait générateur, à l'existence, au montant ou au paiement de la créance, quel que soit l'auteur du recours et même si la juridiction saisie est incompétente pour en connaître et si l'administration qui aura finalement la charge du règlement n'est pas partie à l'instance (...)/ Un nouveau délai de quatre ans court à compter du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle a eu lieu l'interruption. Toutefois, si l'interruption résulte d'un recours juridictionnel, le nouveau délai court à partir du premier jour de l'année suivant celle au cours de laquelle la décision est passée en force de chose jugée " ;

2. Considérant qu'en vertu des dispositions précitées de l'article 2 de la loi du 31 décembre 1968, une plainte contre X avec constitution de partie civile de même qu'une constitution de partie civile tendant à l'obtention de dommages et intérêts effectuée dans le cadre d'une instruction pénale déjà ouverte, interrompt le cours de la prescription quadriennale dès lors qu'elle porte sur le fait générateur, l'existence, le montant ou le paiement d'une créance sur une collectivité publique ;

3. Considérant, d'une part, qu'il résulte de l'instruction que le fait générateur de la créance que M. C... prétend détenir sur l'État est constitué par la carence fautive de ce dernier en sa qualité d'employeur dans la mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante ;

4. Considérant, d'autre part, que contrairement à ce qu'ont jugé les premiers juges, M. C... a eu connaissance de l'étendue du risque à l'origine du préjudice moral et des troubles dans les conditions d'existence dont il demande réparation et dans lesquels est incorporé le préjudice d'anxiété à compter de la publication de l'arrêté interministériel du 21 décembre 2001 relatif à la liste des professions et des établissements ou parties d'établissements permettant l'attribution d'une allocation spécifique de cessation anticipée d'activité à certains ouvriers de l'État du ministère de la défense publié le 28 décembre 2001 ayant inscrit la profession qu'il exerçait, en l'occurrence celle de préparation du travail, et les ateliers de la direction des constructions navales de Toulon où il a travaillé (Division bâtiments de surface), permettant la mise en oeuvre à son égard du régime légal de l'allocation de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; qu'ainsi, en application des dispositions précitées de la loi du 31 décembre 1968, le délai de prescription a commencé à courir le 1er janvier 2002 ;

5. Considérant, enfin, qu'il résulte de l'instruction qu'à la suite du décès de M. D... survenu le 11 février 2002 des suites d'une affection pulmonaire en lien avec l'inhalation de poussières d'amiante, les consortsD..., en leur qualité d'ayants-droit du défunt ayant travaillé en qualité d'ouvrier à la DCN de Brest, ont déposé en février 2005 une plainte contre X avec constitution de partie civile ; que cette action tendait notamment à la recherche de responsabilité des auteurs au sein de l'État chargés de veiller à la sécurité des salariés exposés aux poussières d'amiante dans l'exercice de leur activité professionnelle au sein de la direction des constructions navales (DCN) ; que cette action porte sur une créance dont le fait générateur est la carence fautive reprochée à l'État dans l'absence de mise en oeuvre des règles d'hygiène et de sécurité relatives à la protection des travailleurs contre les poussières d'amiante ;

6. Considérant que, dans la mesure où les créances dont se prévalent les ayants-droit de M. D... et M. C... ont pour origine le même fait générateur, l'action juridictionnelle intentée par les ayants-droit de M. D... en 2005, toujours pendante devant le tribunal de grande instance de Paris selon les écritures non démenties de l'intéressé, a interrompu la prescription quadriennale en ce qui concerne M. C... ; que, par suite, au 27 octobre 2009, date d'enregistrement de son recours indemnitaire devant le tribunal administratif de Toulon, la créance de M. C... n'était pas prescrite ;

En ce qui concerne la responsabilité de l'État :

7. Considérant qu'à la date du 1er août 1989 à laquelle M. C... a été recruté en qualité d'ouvrier d'État, l'État en sa qualité d'employeur ne pouvait ignorer les risques inhérents à l'inhalation de poussières d'amiante, compte tenu notamment de l'édiction dès 1977 du décret n° 77-949 du 17 août 1977 relatif aux mesures particulières d'hygiène applicables dans les établissements où le personnel est exposé à l'action des poussières d'amiante ; que, pour démontrer que l'État a engagé des actions de protection de ses agents contre l'exposition à l'amiante, le ministre se fonde sur une note-circulaire adressée à l'ensemble des DCN les invitant à informer les responsables des services utilisant de l'amiante sur ses risques et à mettre en place des mesures de protection collective et individuelle telles que le travail en horaire décalé des calorifugeurs; que, toutefois, le ministre n'apporte aucun élément permettant à la Cour de savoir quelles mesures ont effectivement été mises en oeuvre sur le lieu de travail du requérant et d'apprécier leur caractère adapté au risque d'exposition ; qu'en tout état de cause cette note, antérieure au décret de 1977, ne permet pas d'établir que le ministre a veillé au respect de l'ensemble des mesures de protection imposées ; que, de même, les notes-circulaires des 14 août 1979 et 8 avril 1980, postérieures au décret de 1977, se bornent à dresser un état des lieux de l'utilisation de l'amiante en vue d'amorcer une réflexion sur l'abandon de son utilisation et son remplacement par d'autres matériaux sans qu'aucune obligation formelle ne soit imposée ; que si le ministre se prévaut de l'attestation d'exposition à l'amiante produite par le requérant mentionnant la mise à disposition d'une protection individuelle pour des travaux bien définis et l'isolation des opérations susceptibles d'entraîner des poussières d'amiante, il n'apporte aucun élément prouvant que M. C... a pu bénéficier de tels dispositifs et, à supposer que ce dernier en ait bénéficié, que ces mesures respectaient les obligations fixées par décret en termes d'utilisation, d'entretien et de contrôle ; que M. C... a ainsi été exposé à des conditions de travail dangereuses pour son état de santé ; que, par suite, l'État a fait preuve, contrairement à ce que soutient le ministre de la défense, d'une carence fautive de nature à engager sa responsabilité ;

Sur l'appel incident de M. C... :

8. Considérant qu'il résulte de l'instruction qu'est établi de façon statistiquement significative le lien entre une exposition suffisamment longue d'un travailleur aux poussières d'amiante et la baisse de son espérance de vie ; que la reconnaissance de ce lien statistique par le législateur a été à l'origine de la mise en place de deux dispositifs d'indemnisation fondés sur la solidarité nationale, d'une part et s'agissant des travailleurs effectivement tombés malades, par le fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante, d'autre part, et s'agissant de tous les travailleurs, par le fonds de cessation anticipée d'activité des travailleurs de l'amiante ; que M. C... , qui n'est pas tombé malade, bénéficie de ce dernier dispositif lequel, compte tenu des termes de l'article 41 de la loi n° 98-1194 du 23 décembre 1998 éclairés par les débats parlementaires, ne l'indemnise pas intégralement des conséquences dommageables de sa période passée d'exposition aux poussières d'amiante ;

9. Considérant, d'une part, que les études statistiques générales portant sur le diminution de l'espérance de vie des travailleurs qui ont été exposés aux poussières d'amiante ne suffisent pas, à elles seules, à établir les troubles dans les conditions d'existence et le préjudice moral invoqués par M. C... ; qu'il lui appartient d'apporter devant le juge des éléments complémentaires probants relatifs à sa situation personnelle ; qu'il résulte de l'instruction que M. C... a travaillé dans des ateliers relevant de la DCN l'exposant aux poussières d'amiante du 1er août 1989 au 31 mai 2003, soit pendant une période de près de quatorze ans ; qu'en qualité de technicien préparateur de travail M. C... utilisait des disques de meules en amiante ainsi que des tabliers en amiante pour se protéger, et a également dû travailler, sans aucune protection, à la réparation des coques des bateaux contenant de l'amiante et dont la détérioration du fait d'une corrosion perforante et de fissures diffusait de l'amiante dans l'air ambiant ; que, dès lors, au regard de son exposition directe et quotidienne à la poussière d'amiante, il sera fait une juste appréciation du préjudice d'anxiété de l'intéressé qui vit dans la crainte de développer subitement une pathologie grave, en fixant le montant de sa réparation à la somme de 13 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt ;

10. Considérant, d'autre part, que, s'agissant des troubles dans les conditions d'existence qu'il invoque, M. C... produit un compte-rendu de scanner thoracique et un certificat de son médecin traitant qui se borne à attester de son état anxieux ; qu'ainsi, dès lors que l'intéressé a déjà été indemnisé au titre d'un préjudice d'anxiété, ses conclusions tendant à son indemnisation au titre des troubles dans les conditions d'existence allégués mais non démontrés ne peuvent qu'être rejetées ;

11. Considérant qu'il résulte de tout ce qui précède que le recours du ministre doit être rejeté et que M. C... est seulement fondé à demander que l'indemnité que le tribunal administratif a condamné l'État à lui verser, soit portée à la somme de 13 000 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

12. Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de l'État la somme de 300 euros au titre des frais exposés par M. C... et non compris dans les dépens ;

D É C I D E :

Article 1er : La somme de 8 000 euros que l'État a été condamné à verser à M. C... par le jugement du 17 juillet 2014 est portée à 13 000 euros tous intérêts compris à la date du présent arrêt.

Article 2 : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 17 juillet 2014 est réformé en ce qu'il a de contraire au présent arrêt.

Article 3 : Le recours du ministre de la défense est rejeté.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. C... est rejeté.

Article 5 : L'État versera à M. C... la somme de 300 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 6 : Le présent arrêt sera notifié au ministre de la défense et à M. A... C....

Délibéré après l'audience du 25 avril 2017, où siégeaient :

- M. Gonzales, président,

- M. Renouf, président assesseur,

- M, Coutel, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 30 mai 2017.

N° 14MA03873 5


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 8ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 14MA03873
Date de la décision : 30/05/2017
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Comptabilité publique et budget - Dettes des collectivités publiques - Prescription quadriennale - Régime de la loi du 31 décembre 1968 - Point de départ du délai.

Responsabilité de la puissance publique - Faits susceptibles ou non d'ouvrir une action en responsabilité - Fondement de la responsabilité - Responsabilité pour faute.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Préjudice.


Composition du Tribunal
Président : M. GONZALES
Rapporteur ?: Mme Aurélia VINCENT-DOMINGUEZ
Rapporteur public ?: M. ANGENIOL
Avocat(s) : SELARL TEISSONNIERE et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2017
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2017-05-30;14ma03873 ?
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