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08/03/2019 | FRANCE | N°16MA00221

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre - formation à 3, 08 mars 2019, 16MA00221


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D...a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 12 octobre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 2ème section d'inspection de l'unité territoriale du Var a rejeté la demande de la société CAP Boulanger autorisant son licenciement, ainsi que la décision du 11 mars 2013 du ministre du travail confirmant cette décision.

Par un jugement n° 1300862 du 10 décembre 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant l

a Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2016, Mme D..., représentée par Me...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

Mme A... D...a demandé au tribunal administratif de Toulon d'annuler la décision du 12 octobre 2012 par laquelle l'inspectrice du travail de la 2ème section d'inspection de l'unité territoriale du Var a rejeté la demande de la société CAP Boulanger autorisant son licenciement, ainsi que la décision du 11 mars 2013 du ministre du travail confirmant cette décision.

Par un jugement n° 1300862 du 10 décembre 2015, le tribunal administratif de Toulon a rejeté cette demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête, enregistrée le 19 janvier 2016, Mme D..., représentée par Me C..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du 10 décembre 2015 ;

2°) à titre principal, d'annuler la décision de l'inspectrice du travail du 12 octobre 2012 ainsi que la décision du ministre du travail du 11 mars 2013 et, à titre subsidiaire, de surseoir à statuer jusqu'à ce que l'autorité judiciaire se soit prononcée sur la question de savoir si les accords de prorogation des mandats des membres des comités d'établissement et des délégués du personnel des 9 février 2011 et 4 juillet 2012 étaient valides.

Elle soutient que :

- elle continuait à bénéficier du statut protecteur lié à ses mandats électifs dès lors que ceux-ci ont été régulièrement prorogés par des accords collectifs signés par son employeur et appliqués par lui ;

- le juge administratif exige seulement que la prorogation des mandats soit expresse ;

- l'inspectrice du travail a ajouté à la loi et à la jurisprudence pour se déclarer incompétente pour se prononcer sur la demande d'autorisation de licenciement qui lui était présentée par son employeur ;

- à tout le moins, le premier accord de prorogation conclu le 9 février 2011 doit être regardé comme valide ;

- la durée maximale de 16 mois prévu par cet accord du 9 février 2011 pour cette prorogation n'est pas excessive ;

- à supposer que le second accord de prorogation conclu le 4 juillet 2012 ne soit pas valide, son licenciement est alors intervenu au terme d'une procédure irrégulière dès lors que l'avis rendu par le comité d'entreprise lors de sa séance du 12 septembre 2012 l'a été par des membres qui n'étaient pas valablement élus.

Par un mémoire en défense, enregistré le 2 décembre 2016, la SCS Cap Boulanger, représentée par Me B..., conclut au rejet de la requête et demande, en outre, que Mme D... lui verse une somme de 1 500 euros au titre des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun moyen n'est fondé.

Par un arrêt du 21 avril 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a sursis à statuer sur la requête de Mme D... jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Toulon se soit prononcé sur la question de savoir si les accords du 9 février 2011 et du 4 juillet 2012 décidant la prorogation des mandats des membres élus des instances représentatives sont valides.

Par ordonnance du 7 décembre 2018, la clôture d'instruction a été fixée au 27 décembre 2018.

Un mémoire, présenté pour la SCS Cap Boulanger, enregistré le 18 février 2019, n'a pas été communiqué.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. Coutier, premier conseiller,

- les conclusions de M. Chanon, rapporteur public,

- et les observations de Me C... représentant Mme D....

Considérant ce qui suit :

1. Mme D... a été embauchée par la société Média Saturn France à compter du 1er juin 2004, en qualité de responsable département divertissement. A la suite d'un rachat, le 30 juin 2011, par le groupe HTM, dont la SCS Cap Boulanger est l'une des entités, l'intéressée s'est vu proposer, dans le cadre du projet de réorganisation de l'entreprise, un avenant à son contrat de travail, qu'elle a refusé. Elle a également décliné les deux propositions de reclassement au sein du groupe qui lui ont été faites par l'employeur. Mme D... détenant un mandat de membre titulaire du comité d'entreprise depuis le 17 mars 2007 et, depuis le 17 mai 2011, un mandat de membre du CHSCT, l'employeur a alors soumis au comité d'entreprise le projet de licenciement pour motif économique de l'intéressée, lequel a émis un avis favorable. Par décision du 12 octobre 2012, l'inspectrice du travail, saisi par la SCS Cap Boulanger, a rejeté la demande d'autorisation de licenciement de Mme D... au motif que l'intéressée avait perdu le bénéfice de la protection de ses mandats et qu'en conséquence elle devait se déclarer incompétente pour statuer sur cette demande. Par décision du 11 mars 2013, le ministre du travail, sur recours hiérarchique de Mme D..., a confirmé la décision de l'inspectrice du travail en validant le motif d'incompétence. Mme D... relève appel du jugement n° 1300862 du 10 décembre 2015 par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions. Par arrêt du 21 avril 2017, la cour administrative d'appel de Marseille a sursis à statuer sur la requête de Mme D... et sur les conclusions présentées par les parties au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative jusqu'à ce que le tribunal de grande instance de Toulon se soit prononcé sur la question de savoir si les accords du 9 février 2011 et du 4 juillet 2012 décidant la prorogation des mandats des membres élus des instances représentatives sont valides. Par jugement du 6 décembre 2018, ce tribunal a dit pour droit que les accords du 9 février 2011 et du 4 juillet 2012 décidant de la prorogation des mandats des membres élus des instances représentatives étaient valides et opposables à la société Boulanger.

2. Aux termes de l'article L. 2324-24 du code du travail, dans sa rédaction applicable au litige : " Les membres du comité d'entreprise sont élus pour quatre ans. Leur mandat est renouvelable. / Les fonctions de ces membres prennent fin par le décès, la démission, la rupture du contrat de travail, la perte des conditions requises pour être éligible. Ils conservent leur mandat en cas de changement de catégorie professionnelle. ". Aux termes de l'article L. 2324-25 du même code : " Par dérogation aux dispositions de l'article L. 2324-24, un accord de branche, un accord de groupe ou un accord d'entreprise, selon le cas, peut fixer une durée du mandat des représentants du personnel aux comités d'entreprise comprise entre deux et quatre ans. ". Et selon l'article L. 2324-26 de ce code : " Lorsque survient une modification dans la situation juridique de l'employeur telle que mentionnée à l'article L. 1224-1, le mandat des membres élus du comité d'entreprise et des représentants syndicaux de l'entreprise ayant fait l'objet de la modification subsiste lorsque cette entreprise conserve son autonomie juridique. / Si cette entreprise devient un établissement au sens du présent titre ou si la modification mentionnée au premier alinéa porte sur un ou plusieurs établissements distincts qui conservent ce caractère, le mandat des représentants syndicaux subsiste et le mandat des membres élus du comité se poursuit jusqu'à son terme. / Toutefois, pour tenir compte de la date habituelle des élections dans l'entreprise d'accueil, la durée du mandat des membres élus peut être réduite ou prorogée par accord entre le nouvel employeur et les organisations syndicales représentatives existant dans le ou les établissements absorbés ou, à défaut, les membres du comité intéressés. ".

3. D'une part, si aucune disposition du code du travail ne donne compétence à l'inspecteur du travail pour apprécier la validité des accords collectifs intervenus au sein d'une entreprise prorogeant la durée du mandat des membres du comité d'entreprise, il résulte cependant des dispositions de ce même code fixant la durée de ce mandat que l'inspecteur du travail, à l'occasion d'une demande d'autorisation de licencier un salarié protégé, doit, dans le cadre de l'appréciation de l'effectivité de la protection de l'intéressé, relever le défaut de validité, si tel est son avis, de tels accords et, sans surseoir à statuer, se déclarer incompétent sur la demande d'autorisation dont il a été saisi.

4. D'autre part, le ministre saisi sur recours hiérarchique contre la décision de l'inspecteur du travail relative à une demande de licenciement d'un salarié investi de fonctions représentatives est tenu d'examiner sa propre compétence comme celle de l'inspecteur du travail à connaître de cette demande. Pour ce faire, il doit notamment se prononcer sur la qualité de salarié investi de fonctions représentatives de l'intéressé et, dans ce cadre, il doit, comme l'inspecteur du travail, si besoin est, statuer sur la validité d'accords collectifs ayant prorogé les mandats des salariés protégés.

5. Pour se déclarer, par sa décision du 12 octobre 2012, incompétente et en conséquence rejeter la demande d'autorisation de licenciement de Mme D... présentée par la SCS Cap Boulanger, l'inspectrice du travail a estimé que l'accord conclu le 9 février 2011 entre la direction de la société Media Saturn et quatre organisations syndicales, par lequel a été décidée la prorogation des mandats des membres élus des instances représentatives au sein de l'entreprise était " non valide " dès lors, d'une part, qu'il ne fixait pas de date précise pour l'organisation des opérations électorales et qu'un nouvel accord était intervenu le 4 juillet 2012, prorogeant de nouveau les mandats, d'autre part, que le motif invoqué pour justifier cette prorogation, soit " la cession des parts d'entreprise à une autre ", ne constituait pas des " circonstances exceptionnelles empêchant le renouvellement du comité d'établissement à son échéance normale et la continuité de cette institution ". Pour confirmer la décision du 12 octobre 2012 de l'inspectrice du travail, le ministre du travail a estimé, dans sa décision du 11 mars 2013, d'une part, " que la société Média Concorde ayant été acquise le 1er juillet 2011 et conservant son autonomie juridique, il n'existait pas de circonstance exceptionnelle de nature à justifier la prorogation des mandats après leur terme survenu le 14 mars 2011 ", d'autre part, " qu'alors même que le premier accord prévoyait de nouvelles élections au plus tard le 30 juin 2012, la seconde prorogation des mandats a eu pour effet de prolonger les mandats d'une durée totale de 2 ans, s'avérant ainsi excessive ".

6. Par son jugement du 6 décembre 2018, rendu en réponse à la question préjudicielle posée par la cour administrative d'appel de Marseille, le tribunal de grande instance de Toulon a toutefois constaté, ainsi qu'il ressort des motifs de ce jugement, l'absence de vice de consentement entre les parties signataires et le fait que ces accords du 9 février 2011 et du 4 juillet 2012 ont été conclus par les salariés de l'entreprise représentés par leurs organisations syndicales dans leur ensemble. Il a estimé en conséquence que ces accords " ne contreviennent à aucune disposition d'ordre public régissant le régime des contrats de droit privé " et jugé que ces accords étaient valides et opposables à la société Boulanger. Le tribunal a précisé, dans le dispositif de ce jugement, qu'il ne lui appartenait pas " d'apprécier la teneur des décisions qui seront prises par la juridiction administrative et la juridiction prud'homale quant à la notification du licenciement de Mme D... ".

7. Ainsi, par l'effet de l'accord du 9 février 2011 prorogeant avant leur terme les mandats des membres titulaires du comité d'entreprise au sein de la société Média Saturn France jusqu'au prochain scrutin électoral dont le premier tour était fixé au plus tard le 30 juin 2012 et le scrutin n'ayant pas été organisé, Mme D... relevait, à la date de l'envoi par l'employeur de la convocation à l'entretien préalable à son licenciement, soit le 29 août 2012, de la protection exceptionnelle attachée aux salariés investis de mandats représentatifs dans l'entreprise compte tenu de ce que, en vertu des dispositions de l'article L. 2411-8 du code du travail, le bénéfice de cette protection lui était acquis pendant les six premiers mois suivant l'expiration de ce mandat.

8. Les motifs retenus par l'administration tirés de ce que cet accord ne fixerait pas de date précise pour l'organisation des opérations électorales, la durée de la prorogation des mandats serait excessive et cette prorogation ne serait pas justifiée par des circonstances exceptionnelles ne sont pas de nature à mettre en cause l'effectivité de cette protection.

9. Il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que Mme D... est fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

10. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

11. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de Mme D..., qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante, la somme que la SCS Cap Boulanger demande au titre des frais exposés par elle et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement du tribunal administratif de Toulon du 10 décembre 2015 est annulé.

Article 2 : La décision de l'inspectrice du travail du 12 octobre 2012 et la décision du ministre du travail du 11 mars 2013 sont annulées.

Article 3 : Les conclusions présentées par la SCS Cap Boulanger au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à Mme A...D..., à la ministre du travail et à la SCS Cap Boulanger.

Copie en sera adressée à la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi Provence-Alpes-Côte d'Azur.

Délibéré après l'audience du 22 février 2019, à laquelle siégeaient :

- M. Pocheron, président de chambre,

- M. Guidal, président-assesseur,

- M. Coutier, premier conseiller.

Lu en audience publique le 8 mars 2019.

2

N° 16MA00221

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre - formation à 3
Numéro d'arrêt : 16MA00221
Date de la décision : 08/03/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-01 Travail et emploi. Licenciements. Autorisation administrative - Salariés protégés. Bénéfice de la protection.


Composition du Tribunal
Président : M. GUIDAL
Rapporteur ?: M. Bruno COUTIER
Rapporteur public ?: M. CHANON
Avocat(s) : GUARIGLIA

Origine de la décision
Date de l'import : 19/03/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-03-08;16ma00221 ?
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