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18/11/2019 | FRANCE | N°19MA03523

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 18 novembre 2019, 19MA03523


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dushow a demandé au tribunal administratif de Marseille de récuser M. G... I..., désigné en qualité d'expert par une ordonnance du 15 novembre 2016 du juge des référés de ce tribunal.

Par un jugement n° 1903036 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a prononcé la récusation de M. I....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 27 juillet 2019, 30 août 2019 et 22 octobre 2019, la commune de La Ci

otat, représentée par Me A..., demande à la Cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :

- la...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Dushow a demandé au tribunal administratif de Marseille de récuser M. G... I..., désigné en qualité d'expert par une ordonnance du 15 novembre 2016 du juge des référés de ce tribunal.

Par un jugement n° 1903036 du 11 juillet 2019, le tribunal administratif de Marseille a prononcé la récusation de M. I....

Procédure devant la Cour :

Par une requête et des mémoires complémentaires enregistrés les 27 juillet 2019, 30 août 2019 et 22 octobre 2019, la commune de La Ciotat, représentée par Me A..., demande à la Cour d'annuler ce jugement.

Elle soutient que :

- la société Dushow avait nécessairement connaissance, de longue date, de la cause de récusation qu'elle invoque et sa demande de récusation, enregistrée devant le tribunal alors qu'approchait la fin des opérations d'expertise, est donc tardive ;

- l'impartialité de M. I... ne peut être remise en cause.

Par un mémoire enregistré le 2 septembre 2019, la société Montelec, représentée par Me E..., conclut à l'annulation du jugement du tribunal administratif de Marseille du 11 juillet 2019.

Elle soutient que :

- la société Dushow avait nécessairement connaissance, de longue date, de la cause de récusation qu'elle invoque et sa demande de récusation, enregistrée devant le tribunal alors qu'approchait la fin des opérations d'expertise, est donc tardive ;

- l'impartialité de M. I... ne peut être remise en cause.

Par des mémoires enregistrés les 11 et 28 octobre 2019, la société Dushow, représentée par Me C..., conclut :

1°) au rejet de la requête de la commune de La Ciotat ainsi que des conclusions de la société Montelec et de M. I... ;

2°) à ce que soit mise à la charge de la commune de La Ciotat et de la société Montelec le versement d'une somme de 3 000 euros en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- la requête de la commune de La Ciotat est irrecevable car son maire n'a pas été habilité à l'introduire ;

- la requête est également irrecevable dès lors que la commune n'a assorti son argumentation d'aucun moyen de fait ou de droit et d'aucune pièce dans le délai de recours, en violation des dispositions de l'article R. 411-1 du code de justice administrative ;

- l'expert n'est, en vertu des dispositions de l'article R. 621-6-4 du code de justice administrative, pas recevable à contester le jugement le récusant ;

- la commune était irrecevable à présenter un mémoire en défense devant le tribunal administratif de Marseille car son maire n'avait pas été habilité à défendre à l'instance par le conseil municipal ;

- les moyens soulevés par la commune de La Ciotat ne sont pas fondés.

Par un mémoire enregistré le 22 octobre 2019, M. G... I..., représenté par Me K..., indique s'associer aux conclusions d'appel de la commune de La Ciotat.

Il soutient que :

- la demande de récusation présentée devant le tribunal par la société Dushow était irrecevable dès lors que la société ne pouvait que connaître de longue date sa qualité de membre de l'association PACI ;

- l'association PACI est en relation avec de nombreuses communes du département des Bouches-du-Rhône et non avec la seule commune de La Ciotat ;

- il n'exerce plus aucune fonction de direction au sein de l'association depuis 2014 ;

- eu égard à l'objet social de l'association, lequel est le développement local et l'aide à la création d'entreprises, ses relations avec les élus des collectivités locales concernées se sont limitées à celles rendues nécessaires par ses fonctions et ne sauraient lui être reprochées.

Par ordonnance du 3 septembre 2019, la clôture d'instruction a été fixée au 31 octobre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. F... Grimaud, rapporteur,

- les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public,

- et les observations de Me A..., représentant la commune de La Ciotat, de Me D..., substituant Me C..., représentant la société Dushow, et de Me K..., représentant M. I....

La société Dushow a produit, le 4 novembre 2019, une note en délibéré.

Considérant ce qui suit :

1. La commune de La Ciotat, ayant constaté que des désordres affectaient la scénographie extérieure et intérieure du théâtre " l'Eden Théâtre " après un chantier de réhabilitation mené en 2013, a sollicité du tribunal administratif de Marseille la désignation d'un expert en vue de déterminer la cause de ces désordres et de définir, en évaluant leur coût, les travaux nécessaires pour y remédier. Par une ordonnance du 15 novembre 2016, le juge des référés du tribunal a désigné M. G... I... pour procéder à ces opérations d'expertise. A la demande de la société Dushow, laquelle avait réalisé les travaux de réfection de la scénographie, le tribunal administratif de Marseille a, par un jugement du 11 juillet 2019, récusé M. I....

Sur la fin de non-recevoir opposée à la commune de La Ciotat :

2. En premier lieu, il résulte de l'instruction que, par délibération du 17 avril 2014, le conseil municipal de la commune de La Ciotat a autorisé son maire à " intenter au nom de la commune les actions en justice ou de défendre la commune dans les actions intentées contre elle (...) et ce en première instance comme en appel ou en cassation ". Dès lors, la fin de non-recevoir opposée à la commune par la société Dushow, tirée du défaut de qualité pour agir, ne saurait être accueillie. Il est, à cet égard, inutilement observé que le maire de La Ciotat, habilité par cette même délibération à présenter des écritures en défense devant le tribunal administratif de Marseille, s'est abstenu d'exercer cette faculté.

3. En second lieu, aux termes de l'article R. 411-1 du code de justice administrative : " La juridiction est saisie par requête. La requête indique les nom et domicile des parties. Elle contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. ".

4. La requête sommaire d'appel présentée par la commune de La Ciotat et enregistrée au greffe de la Cour le 27 juillet 2019, soit dans le délai d'appel de deux mois qui lui était imparti par l'article R. 811-2 du code de justice administrative, auquel il n'est en la matière dérogé par aucune autre disposition de ce code, mentionnait, d'une part, que la demande de récusation présentée devant le tribunal par la société Dushow était irrecevable car tardive au regard des dispositions de l'article R. 621-6 du code de justice administrative et, d'autre part, que la nature des liens entretenus entre l'association PACI et la commune n'était pas de nature à susciter un doute sur l'impartialité de l'expert au sens des dispositions des articles L. 721-1 et R. 621-6 du code de justice administrative. Cette requête, qui comportait ainsi l'exposé de moyens de droit était, dès lors, recevable. Elle a, au surplus, été complétée par un mémoire ampliatif enregistré le 30 août 2019, soit également dans le délai d'appel.

5. Il résulte de ce qui précède que la société Dushow n'est pas fondée à soutenir que la requête de la commune de La Ciotat est irrecevable.

Sur la fin de non-recevoir opposée à M. I... :

6. Aux termes des dispositions de l'article R. 621-6-4 du code de justice administrative : " L'expert n'est pas admis à contester la décision qui le récuse. ".

7. Si M. I... n'est pas recevable à demander l'annulation du jugement prononçant sa récusation, il est en revanche recevable, ainsi qu'il l'a fait à la demande de la Cour, à faire valoir ses observations, dans le cadre de l'appel interjeté par la commune de La Ciotat, sur la situation de fait et de droit ayant donné lieu à la demande de récusation. Il n'y a donc pas lieu d'écarter ses écritures comme irrecevables.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

8. Aux termes de l'article L. 721-1 du code de justice administrative : " La récusation d'un membre de la juridiction est prononcée, à la demande d'une partie, s'il existe une raison sérieuse de mettre en doute son impartialité. ". Aux termes de l'article R. 621-2 du même code : " Les experts ou sapiteurs mentionnés à l'article R. 621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. ". Aux termes de l'article R. 621-6-4 du même code : " Si l'expert acquiesce à la demande de récusation, il est aussitôt remplacé. / Dans le cas contraire, la juridiction, par une décision non motivée, se prononce sur la demande, après audience publique dont l'expert et les parties sont avertis. ". Aux termes de l'article R. 621-6 de ce code : " Les experts (...) mentionnés à l'article R. 621-2 peuvent être récusés pour les mêmes causes que les juges. S'il s'agit d'une personne morale, la récusation peut viser tant la personne morale elle-même que la ou les personnes physiques qui assurent en son nom l'exécution de la mesure. La partie qui entend récuser l'expert ou le sapiteur doit le faire avant le début des opérations ou dès la révélation de la cause de la récusation. Si l'expert ou le sapiteur s'estime récusable, il doit immédiatement le déclarer au juge qui l'a commis. ".

9. Il appartient au juge, saisi d'un moyen mettant en doute l'impartialité d'un expert, de rechercher si, eu égard à leur nature, à leur intensité, à leur date et à leur durée, les relations directes ou indirectes entre cet expert et l'une ou plusieurs des parties au litige sont de nature à susciter un doute sur son impartialité. En particulier, doivent en principe être regardées comme suscitant un tel doute les relations professionnelles s'étant nouées ou poursuivies durant la période de l'expertise.

10. En premier lieu, il est constant que M. I... a été président de l'association Pays d'Aubagne-La Ciotat Initiatives (PACI) de novembre 2010 à juin 2014, fonction dont il soutient, sans être contredit, qu'elle était purement bénévole. Si un vidéogramme mis en ligne sur le site internet de l'association en mai 2016 et une délibération du conseil départemental du 1er juillet 2016 le présentent respectivement comme vice-président ou président de l'association, il ne résulte pas de l'instruction qu'il ait en réalité exercé des fonctions autres que celles de membre du bureau de cette association à compter de juin 2014, date à laquelle une autre personne en a été élue président. Par ailleurs, si la société Dushow a produit devant le tribunal et la Cour diverses coupures de presse et extraits de sites internet datés de janvier 2015 à juillet 2018, il ressort seulement de ces pièces, où l'intéressé apparaît sur des clichés photographiques parmi d'autres membres de l'association sans qu'il soit fait état d'un investissement particulier au sein de celle-ci, que M. I... a ainsi participé à six réunions organisées par l'association en trois ans. Il ne résulte dès lors ni de ces éléments ni de l'instruction que M. I... serait, ainsi que l'a jugé le tribunal, un membre très actif de l'association et entretiendrait ou aurait entretenu à ce titre des relations étroites avec la municipalité de La Ciotat ou certains de ses membres depuis le mois de juin 2014.

11. En deuxième lieu, il est démontré que l'association PACI, qui a pour objet d'accompagner les créateurs ou les repreneurs d'entreprise sur le territoire des communes d'Aubagne et de La Ciotat ainsi que dans les communes environnantes, dispose de locaux mis à sa disposition par la commune de La Ciotat, perçoit une subvention annuelle de l'ordre de 38 000 euros et a utilisé le théâtre " Eden Théâtre " pour l'une de ses réunions. Néanmoins, il résulte de l'instruction et n'est nullement contesté par la société Dushow que cette association, dont le siège est situé à Aubagne, est affiliée à un réseau national associatif intervenant dans le secteur de la création et de la reprise d'entreprises et de l'insertion par l'économique et constitue l'émanation de diverses institutions économiques locales et de plusieurs collectivités territoriales couvrant tout l'est du département des Bouches-du-Rhône. Elle intervient à ce titre sur le territoire de la commune de La Ciotat, mais également sur le territoire de l'ensemble de ces collectivités et perçoit de chacune d'entre elles une subvention fixe d'un euro par an et par habitant, de telle sorte que la subvention versée par la commune de La Ciotat représente moins de 5 % des subventions perçues. La subvention supplémentaire de 5 000 euros versée en 2018 par la commune en vue de la création d'une " boutique à l'essai ", décidée au titre de la participation de la commune à la politique de la ville, parmi d'autres subventions versées à plus de quarante associations, ne représente quant à elle que 0,3 % du budget annuel de l'association PACI. Enfin, les observations formulées par la chambre régionale des comptes de Provence-Alpes-Côte d'Azur relativement au contrôle des subventions de cette association par la commune de La Ciotat se bornaient à souligner une insuffisance de suivi administratif de ces subventions, sans révéler, en tout état de cause, une quelconque implication de M. I....

12. En troisième lieu, si l'adjoint au maire de La Ciotat délégué à l'emploi, à l'insertion et à la formation siège au sein du collège des élus de l'association PACI et en a valorisé l'action, notamment par le biais de publications communales, et si cette association bénéficie d'une salle, lui servant de permanence, dans les locaux des services techniques de la commune, il ne résulte pas de l'instruction, en particulier des pièces produites par la société Dushow, qu'elle constituerait, à raison de ces circonstances ainsi qu'au vu de l'ensemble des relations financières et matérielles entretenues avec la commune, telles qu'elles ont été décrites au point 11 ci-dessus, un partenaire particulièrement privilégié de celle-ci et que M. I... aurait été amené, en sa qualité de président, à entretenir avec les élus des relations si étroites qu'elles pourraient caractériser un lien d'intérêts quelconque, ni que ce lien, à le supposer avéré, aurait été susceptible de perdurer après la fin de son mandat en juin 2014.

13. Il résulte de ce qui vient d'être dit aux points 10 à 12 ci-dessus que, d'une part, l'association PACI n'apparaît pas comme une association de ressort essentiellement communal dont les conditions d'existence et les modalités d'action seraient conditionnées de manière déterminante par les subventions ou l'aide matérielle qu'elle reçoit de la commune de La Ciotat au point de créer un lien d'intérêts durable entre la municipalité et les responsables ou anciens responsables de l'association et que, d'autre part, M. I..., qui a en tout état de cause cessé d'en être le président plus de deux ans avant sa nomination en qualité d'expert, n'apparaît pas davantage comme conservant un rôle actif au sein de cette association. Dans ces conditions, la relation extra-professionnelle indirecte ainsi entretenue entre M. I... et la commune de La Ciotat, partie au litige né des conditions dans lesquelles l' " Eden Théâtre " a été réhabilité, n'est pas de nature à accréditer le risque que cet expert tienne compte de considérations extérieures à l'affaire dans la conduite des opérations d'expertise ou la rédaction de son rapport et, par suite, n'est pas davantage de nature à susciter un doute sur son impartialité.

14. Il résulte de tout ce qui précède que la commune de La Ciotat est fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, les premiers juges ont prononcé la récusation de M. I.... Elle est dès lors fondée à demander l'annulation de ce jugement.

Sur les frais liés au litige :

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative s'opposent à ce que la somme réclamée par la société Dushow sur leur fondement soit mise à la charge de la commune de La Ciotat et de la société Montelec, qui ne sont pas parties perdantes dans la présente instance.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1903036 du tribunal administratif de Marseille du 11 juillet 2019 est annulé.

Article 2 : Les conclusions de la société Dushow tendant à l'application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la commune de La Ciotat, à la société Dushow, à la société Montelec et à M. G... I....

Délibéré après l'audience du 4 novembre 2019, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme H... J..., présidente assesseure,

- M. F... Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 18 novembre 2019.

6

N° 19MA03523


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 19MA03523
Date de la décision : 18/11/2019
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

54-05-02 Procédure. Incidents. Récusation.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : MARCHI

Origine de la décision
Date de l'import : 16/12/2019
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2019-11-18;19ma03523 ?
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