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27/01/2020 | FRANCE | N°18MA03222

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 27 janvier 2020, 18MA03222


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner l'Etat à lui verser des indemnités de 40 000 euros au titre du préjudice matériel et de 30 000 euros au titre du préjudice moral résultant du rejet de sa demande d'affectation en qualité de professeur des écoles titulaire dans l'académie de Nice et, d'autre part, de majorer ces sommes des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1600144 du 7 mai 2018, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.



Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistré...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. C... E... a demandé au tribunal administratif de Toulon, d'une part, de condamner l'Etat à lui verser des indemnités de 40 000 euros au titre du préjudice matériel et de 30 000 euros au titre du préjudice moral résultant du rejet de sa demande d'affectation en qualité de professeur des écoles titulaire dans l'académie de Nice et, d'autre part, de majorer ces sommes des intérêts au taux légal.

Par un jugement n° 1600144 du 7 mai 2018, le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire en réplique, enregistrés les 11 juillet 2018 et 25 mars 2019, M. E..., représenté par Me A..., demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Toulon ;

2°) de condamner l'Etat à lui verser une indemnité d'un montant total de 70 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal, en réparation de ses préjudices ;

3°) de mettre à la charge de l'Etat la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 juin 2013 ne fait pas obstacle à ce qu'il soit fait droit à sa demande ;

- il résulte de l'arrêt de la Cour du 23 décembre 2014 qu'il aurait dû être affecté dans l'académie de Nice à la date du 1er septembre 2009 ;

- il aurait très probablement été affecté à Toulon à compter de cette date et, ainsi, n'aurait pas eu à supporter les coûts et troubles dans les conditions d'existence qu'a engendrés son affectation dans les Bouches-du-Rhône.

Par un mémoire en défense enregistré le 26 février 2019, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse conclut au rejet de la requête.

Il soutient que :

- l'autorité de chose jugée qui s'attache au jugement du tribunal administratif de Marseille du 27 juin 2013 s'opposant à ce que la demande de M. E... soit rejugée, sa demande de première instance était irrecevable ;

- les moyens invoqués par M. E... ne sont pas fondés.

Par ordonnance du 9 décembre 2019, la clôture de l'instruction a été fixée en dernier lieu au 30 décembre 2019.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code civil ;

- le code de l'éducation ;

- le décret n° 90-680 du 1er août 1990 ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de M. D... Grimaud, rapporteur,

- et les conclusions de M. B... Thiele, rapporteur public.

Considérant ce qui suit :

1. M. E..., professeur des écoles stagiaire dans l'académie de Nice, n'a pas été titularisé au terme de sa seconde année de stage et a, en conséquence, été licencié par le recteur de l'académie de Nice le 4 juillet 2007. Ayant de nouveau réussi le concours de professeur des écoles, cette fois dans l'académie d'Aix-Marseille, il a été titularisé à la rentrée scolaire de septembre 2009 et a alors été affecté à Cassis puis à Marseille. Par un jugement du 25 juin 2009, le tribunal administratif de Toulon a annulé la décision de licenciement du 4 juillet 2007 et a enjoint au recteur de l'académie de Nice de procéder à sa réintégration à compter du 1er septembre 2007. Par un courrier du 22 mars 2010, M. E... a sollicité sa réintégration dans l'académie de Nice avec nomination immédiate à un emploi de professeur des écoles titulaire. Par un jugement du 27 juin 2013, le tribunal administratif de Marseille a rejeté ses conclusions tendant à l'annulation de la décision implicite de refus opposée à cette demande par le recteur de l'académie de Nice. Toutefois, par un arrêt du 23 décembre 2014, la Cour a annulé ce jugement, ensemble ladite décision, et a enjoint au recteur de l'académie de Nice de procéder rétroactivement à la titularisation de M. E... au sein de cette académie à compter du 1er septembre 2009. Par un arrêté du 11 février 2015, M. E... a été affecté à Toulon en qualité de professeur des écoles titulaire à compter du 6 février 2015. Le 16 septembre 2015, il a saisi le recteur de l'académie de Nice d'une réclamation préalable tendant à la réparation des conséquences dommageables de l'illégalité de la décision implicite intervenue le 22 mai 2010 refusant de le réintégrer. M. E... relève appel du jugement, en date du 7 mai 2018, par lequel le tribunal administratif de Toulon a rejeté sa demande indemnitaire.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

En ce qui concerne l'exception de chose jugée soulevée par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse :

2. Il résulte de l'instruction qu'à l'occasion de l'instance n° 1203086 introduite le 5 mai 2012 devant le tribunal administratif de Marseille et ayant donné lieu au jugement du 27 juin 2013, M. E... a sollicité, d'une part, la réparation du préjudice résultant de l'illégalité de la décision le licenciant et, d'autre part, la réparation du préjudice résultant de l'intervention de la décision implicite du recteur de l'académie de Nice rejetant sa demande de réintégration dans cette académie. Le premier de ces chefs de demande contentieuse étant différent de celui auquel a trait la présente instance, l'autorité s'attachant à la chose jugée par le tribunal ne s'oppose pas à l'examen de la demande indemnitaire présentée par M. E... en ce qui concerne les conséquences du refus de réintégration dans l'académie de Nice en 2010. Si le second objet du litige alors engagé devant le tribunal administratif de Marseille était en revanche identique à celui de la présente instance, il résulte de l'instruction que le dispositif du jugement en cause ne statue pas sur les conclusions présentées à ce titre, ne fût-ce que sous la forme d'un article portant rejet du surplus de la requête de M. E..., de telle sorte qu'aucune autorité de chose jugée ne peut être opposée à l'intéressé sur ce point. Par suite, et alors même que M. E... n'a pas fait appel du jugement du 27 juin 2013 en ce qu'il ne fait pas droit à ses conclusions indemnitaires, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse n'est pas fondé à soutenir que la demande du requérant serait irrecevable en raison de l'autorité s'attachant à la chose jugée par le tribunal administratif de Marseille.

En ce qui concerne la responsabilité et le lien de causalité :

3. Il résulte de l'arrêt de la cour du 23 décembre 2014, aujourd'hui définitif, que M. E... aurait dû être affecté dans l'académie de Nice en qualité de professeur des écoles titulaire à compter du 1er septembre 2009. Par suite, le requérant est fondé à soutenir qu'en opposant une décision implicite de refus à sa demande d'affectation dans cette académie présentée le 22 mars 2010, le recteur a commis une faute de nature à engager la responsabilité de l'Etat.

4. En premier lieu, il résulte de la consistance de la demande de l'intéressé, qui n'entend engager la responsabilité de l'Etat qu'à raison de l'intervention de la décision implicite du 22 mai 2010 rejetant sa demande d'affectation dans l'académie de Nice, qu'il n'est fondé à demander l'indemnisation de ce préjudice qu'à compter de cette date, les frais exposés et préjudices survenus avant cette date n'entretenant aucun lien de causalité avec la faute découlant de l'illégalité de cette décision.

5. En second lieu, le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse soutient que les préjudices invoqués par M. E..., constitués de frais de transport et de troubles dans les conditions d'existence ainsi que d'un préjudice moral résultant d'une affectation éloignée de son domicile de septembre 2009 à février 2015, n'entretiennent aucun lien de causalité avec la faute relevée au point 3 et résulteraient exclusivement de choix du requérant lui-même.

6. Toutefois, d'une part, il résulte de l'instruction, et notamment des écritures constantes de l'ensemble des autorités du ministère de l'éducation nationale au cours des différentes procédures engagées par M. E..., que l'emploi qui lui a été proposé par le recteur de l'académie de Nice à La Valette-du-Var en septembre 2009 était un emploi de stagiaire, que l'intéressé était fondé à refuser eu égard à la chose jugée à son bénéfice par le jugement du tribunal administratif de Toulon du 25 juin 2009. D'autre part, si l'affectation de M. E... à Cassis puis à Marseille à compter de sa titularisation en qualité de professeur des écoles dans l'académie d'Aix-Marseille peut être regardée comme découlant, dans un premier temps, de son choix de passer le concours dans cette académie, l'état de fait qui en a résulté a découlé exclusivement, à compter du 1er septembre 2009 et a fortiori à compter du rejet de sa demande d'affectation du 22 mars 2010, de l'absence de titularisation dans un emploi de l'académie de Nice. Enfin, il résulte de l'instruction que M. E... a présenté chaque année, à compter de 2010, une demande de mutation dans l'académie de Nice. Il résulte de l'ensemble de ces circonstances que les préjudices invoqués par le requérant ne peuvent être regardés comme la conséquence de ses choix personnels mais constituent, au contraire, des conséquences de la faute relevée ci-dessus au point 3.

7. Il résulte toutefois de l'instruction que, contrairement à ce que soutient M. E..., sa titularisation à compter du 22 mai 2010 dans l'académie de Nice n'aurait pas rendu son affectation dans une commune proche de son lieu de résidence très probable, eu égard au ressort territorial de cette académie et à la circonstance, révélée notamment par les barèmes de mutation produits par l'intéressé, que les emplois de professeurs des écoles de certaines communes du Var, plus éloignées de Toulon que les communes de Cassis et Marseille où il était affecté, s'avéraient particulièrement difficiles à pourvoir. Il est en revanche probable que M. E... aurait obtenu une mutation le rapprochant de son domicile dans les deux ou trois années qui auraient suivi son affectation dans l'académie de Nice. Dès lors, l'intéressé peut seulement être regardé comme ayant perdu, du fait de la faute de l'administration, une chance d'éviter les préjudices qui ont résulté de son affectation à Cassis puis à Marseille jusqu'en février 2015. Cette perte de chance d'éviter les préjudices invoqués doit être évaluée, dans les circonstances de l'espèce, à la moitié des conséquences dommageables, pour M. E..., de l'éloignement de son poste de travail.

En ce qui concerne l'évaluation du préjudice :

8. Il résulte des pièces produites par l'intéressé, qui ne sont pas sérieusement contredites par le ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse, que le préjudice résultant des frais de transport exposés pour se rendre à Cassis puis à Marseille entre mai 2010 et février 2015 peut être évalué à la somme de 34 000 euros.

9. Eu égard à l'ensemble des circonstances de l'espèce, et notamment aux troubles de toute nature engendrés par les déplacements professionnels de l'intéressé ainsi qu'à l'incertitude ayant affecté sa vie personnelle et professionnelle du fait du retard de l'administration à l'intégrer dans un emploi de professeur des écoles titulaire dans l'académie de Nice, il sera fait une juste évaluation de son préjudice moral et de ses troubles dans les conditions d'existence en le fixant à 4 000 euros.

10. Eu égard à ce qui vient d'être dit aux points 7 à 9, M. E... est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Toulon a rejeté l'ensemble de ses prétentions indemnitaires et à demander, outre l'annulation de ce jugement, la condamnation de l'Etat à lui verser une indemnité de 19 000 euros.

Sur les intérêts :

11. En vertu de l'article 1153 du code civil, les intérêts au taux légal courront sur la somme mentionnée au point 10 ci-dessus à compter du 21 septembre 2015.

Sur les frais liés au litige :

12. Il y a lieu de mettre une somme de 2 000 euros à la charge de l'Etat en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, au titre des frais exposés par M. E... et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1600144 du tribunal administratif de Toulon du 7 mai 2018 est annulé.

Article 2 : L'Etat est condamné à verser à M. E... une indemnité de 19 000 euros, augmentée des intérêts au taux légal à compter du 21 septembre 2015.

Article 3 : L'Etat versera une somme de 2 000 euros à M. E... en application des dispositions de l'article L 761-1 du code de justice administrative.

Article 4 : Le surplus des conclusions de M. E... est rejeté.

Article 5 : Le présent arrêt sera notifié à M. C... E... et au ministre de l'éducation nationale et de la jeunesse.

Copie en sera adressée au recteur de l'académie de Nice.

Délibéré après l'audience du 13 janvier 2020, où siégeaient :

- M. David Zupan, président,

- Mme F... G..., présidente assesseure,

- M. D... Grimaud, premier conseiller.

Lu en audience publique, le 27 janvier 2020.

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N° 18MA03222


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 18MA03222
Date de la décision : 27/01/2020
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Fonctionnaires et agents publics - Positions - Affectation et mutation - Affectation.

Fonctionnaires et agents publics - Contentieux de la fonction publique - Effets des annulations.

Responsabilité de la puissance publique - Réparation - Évaluation du préjudice - Préjudice matériel - Perte de revenus - Préjudice matériel subi par des agents publics.


Composition du Tribunal
Président : M. ZUPAN
Rapporteur ?: M. Philippe GRIMAUD
Rapporteur public ?: M. THIELÉ
Avocat(s) : GUIMET et ASSOCIÉS

Origine de la décision
Date de l'import : 04/02/2020
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2020-01-27;18ma03222 ?
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