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04/11/2022 | FRANCE | N°21MA00673

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 7ème chambre, 04 novembre 2022, 21MA00673


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 24 septembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Certicall à le licencier pour motif disciplinaire, ensemble la décision du 5 avril 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique née le 27 mars 2019, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 24 septembre 2018 et autorisé le licenciement de l'intéressé pour motif discip

linaire.

Par un jugement n° 1809612, 1904834 du 16 décembre 2020, le tribunal...

Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

M. B... F... a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler la décision du 24 septembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Certicall à le licencier pour motif disciplinaire, ensemble la décision du 5 avril 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique née le 27 mars 2019, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 24 septembre 2018 et autorisé le licenciement de l'intéressé pour motif disciplinaire.

Par un jugement n° 1809612, 1904834 du 16 décembre 2020, le tribunal administratif de Marseille a, d'une part, constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions de M. F... tendant à l'annulation de la décision du 24 septembre 2018 de l'inspecteur du travail et, d'autre part, rejeté le surplus de sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés les 16 février 2021 et 13 juillet 2022 sous le n° 21MA00673, M. F..., représenté par Me Olmer, demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1809612, 1904834 du 16 décembre 2020 du tribunal administratif de Marseille ;

2°) d'annuler la décision du 24 septembre 2018 par laquelle l'inspecteur du travail a autorisé la société Certicall à le licencier pour motif disciplinaire ;

3°) d'annuler la décision du 5 avril 2019 par laquelle la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique née le 27 mars 2019, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 24 septembre 2018 et autorisé le licenciement de l'intéressé pour motif disciplinaire ;

4°) de mettre à la charge solidaire de l'Etat et de la société Certicall la somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Il soutient que :

- les décisions sont entachées d'une erreur de droit car il existe un lien entre la mesure de licenciement et le mandat ;

- les décisions sont entachées d'erreur de fait et d'appréciation dès lors qu'aucun des griefs reprochés n'est établi.

Par un mémoire en défense, enregistré le 23 juin 2022, la société Certicall, représentée par Me Besnard-Boëlle, conclut au rejet de la requête et à ce que soit mis à la charge de M. F... la somme de 2 000 euros en application des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.

Par un mémoire en défense, enregistré le 5 juillet 2022, le ministre du travail, du plein emploi et de l'insertion, conclut au rejet de la requête de M. F....

Il fait valoir que les moyens soulevés par M. F... ne sont pas fondés.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code du travail ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Prieto,

- les conclusions de M. Guillaumont, rapporteur public,

- et les observations de Me Olmer, représentant M. F... et de Me Besnard-Boëlle, représentant la société Certicall.

Considérant ce qui suit :

1. M. F... a été employé en qualité de responsable d'équipe au sein du plateau " Elite " de la société Certicall depuis le 23 avril 2007. Il a été élu délégué du personnel le 8 novembre 2016, représentant syndical au comité d'entreprise du 20 juin au 1er août 2018 et délégué syndical le 1er août 2018. Par courrier du 8 août 2018, la société Certicall a sollicité de l'inspection du travail l'autorisation de licencier M. F... pour motif disciplinaire. Par une décision du 24 septembre 2018 l'inspectrice du travail a autorisé ce licenciement. M. F... a formé un recours hiérarchique contre cette décision le 20 novembre 2018. Par une décision du 5 avril 2019, la ministre du travail a retiré sa décision implicite de rejet de ce recours hiérarchique née le 27 mars 2019, annulé la décision de l'inspectrice du travail du 24 septembre 2018 et autorisé le licenciement de l'intéressé pour motif disciplinaire. M. F... relève appel du jugement n° 1809612, 1904834 par lequel le tribunal administratif de Marseille a constaté un non-lieu à statuer sur les conclusions à fin d'annulation de la décision du 24 septembre 2018 et a rejeté le surplus de sa demande tendant à l'annulation de ces deux décisions.

Sur la régularité du jugement attaqué :

2. Si M. F... conteste le raisonnement adopté par le tribunal administratif de Marseille pour aboutir au jugement contesté, un tel argument ne relève pas de la motivation formelle de la décision mais de son bien-fondé. Par suite, le moyen tiré de l'insuffisance de motivation du jugement, tel qu'il est formulé, doit être écarté.

Sur le bien-fondé du jugement attaqué :

3. En vertu des dispositions du code du travail, le licenciement des salariés légalement investis de fonctions représentatives, qui bénéficient d'une protection exceptionnelle dans l'intérêt de l'ensemble des travailleurs qu'ils représentent, ne peut intervenir que sur autorisation de l'inspecteur du travail. Lorsque leur licenciement est envisagé, celui-ci ne doit pas être en rapport avec les fonctions représentatives normalement exercées ou avec leur appartenance syndicale. Dans le cas où la demande de licenciement est motivée par un comportement fautif, il appartient à l'inspecteur du travail saisi et, le cas échéant, au ministre compétent, de rechercher, sous le contrôle du juge de l'excès de pouvoir, si les faits reprochés au salarié sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement, compte tenu de l'ensemble des règles applicables au contrat de travail de l'intéressé et des exigences propres à l'exécution normale du mandat dont il est investi.

4. Pour autoriser le licenciement de M. F..., la ministre du travail s'est fondée sur plusieurs catégories de griefs, relatifs, en premier lieu, à des agissements constitutifs de harcèlement moral, en deuxième lieu, à des violences et des menaces de mort sur le lieu de travail et en troisième lieu, à des abus d'autorité et des faits de chantage sur des collègues de travail.

5. Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail : " Aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. ". Un salarié protégé qui se rend coupable de harcèlement moral sur son lieu de travail méconnaît, y compris lorsque ces actes sont commis dans l'exercice des fonctions représentatives, son obligation de ne pas porter atteinte, dans l'enceinte de l'entreprise, à la santé et à la sécurité des autres membres du personnel, laquelle découle de son contrat de travail. De tels faits sont ainsi, en principe, de nature à constituer le fondement d'une demande de licenciement pour motif disciplinaire.

6. Pour estimer que la matérialité de ce premier grief était établie, la ministre du travail s'est fondée sur le rapport du cabinet d'expertise en risques psychosociaux Psyfrance remis le 10 juillet 2018, et sur des attestations et témoignages de plusieurs salariés de l'entreprise. Le rapport du cabinet Psyfrance, missionné par l'entreprise met en évidence l'existence d'un climat de travail très perturbé au sein de l'entreprise en raison de menaces, insultes, agressions, rackets, séquestrations et discriminations générés par un petit groupe de personnes évoluant autour de M. F.... Les témoignages précis et concordants recueillis lors de l'enquête contradictoire menée par l'inspecteur du travail et relevés par les premiers juges, s'ajoutent à ceux recueillis auprès de seize salariés par les psychologues du cabinet d'expertise Psyfrance. L'ensemble de ces déclarations met en évidence des agissements constitutifs de harcèlement moral de la part de M. F... à l'encontre de nombreux collègues. Si ce dernier remet en cause l'indépendance du cabinet d'expertise, les attestations de salariés produites ne suffisent pas à contredire les constats établis par le rapport réalisé par le cabinet. Par suite, la ministre n'a pas commis d'erreur de fait ni d'appréciation en considérant que ce premier grief était établi.

7. En outre, pour estimer que la matérialité du deuxième grief relatif aux violences et menaces de mort sur le lieu de travail était établi, la ministre s'est fondée sur plusieurs attestations. Mme C..., déléguée syndicale, a rapporté avoir été victime de menaces et d'intimidations lors d'une réunion syndicale organisée le 29 novembre 2017 où elle a été enfermée dans une petite salle et empêchée de quitter les lieux par trois personnes, dont M. F.... Même s'ils ont été commis à l'occasion des fonctions représentatives de l'appelant, de tel actes doivent être regardés comme une méconnaissance de son obligation, découlant de son contrat de travail, de ne pas porter atteinte à la sécurité d'autres membres du personnel. En outre, par deux attestations M. A... et Mme D... ont déclaré avoir vu M. F... frapper l'un de leurs collègues, M. E..., le 8 février 2017, à la suite d'une altercation. Si cette agression s'est déroulée devant l'entrée de l'entreprise et non dans ses locaux, elle trouve son origine dans un conflit professionnel et doit être regardée comme une faute de la part de l'intéressé. Dans ces conditions, le grief tiré d'agissements répétés de violence physique et verbale, caractérisé par des menaces, des violences corporelles et des propos humiliants ou discriminatoires doit également être regardé comme établi.

8. Le dernier grief retenu par la ministre, tiré de l'abus d'autorité en raison de chantage aux tickets restaurant, ne peut toutefois être regardé comme établi eu égard aux seuls témoignages produits, peu circonstanciés sur ce point.

9. Si le requérant produit des attestations de collègues ou anciens collègues de la société Certicall indiquant avoir fait l'objet de pressions de la part de certains salariés pour témoigner contre M. F..., et assurant de son équanimité ou de sa bienveillance à leur égard, ces éléments sont contredits par les témoignages anonymes recueillis auprès de seize salariés par le cabinet Psyfrance, les attestations produites par l'employeur ainsi que les témoignages recueillis par l'administration, tous circonstanciés et concordants s'agissant des reproches adressés à M. F....

10. Il résulte de ce qui précède que les griefs tirés des agissements constitutifs de harcèlement moral, des violences et des menaces de mort sur le lieu de travail sont établis. Les faits commis, qui ont eu pour effet une dégradation des conditions de travail des salariés, une atteinte à leur dignité et une altération de leur santé physique et mentale, sont d'une gravité suffisante pour justifier le licenciement de M. F....

11. Si le requérant se prévaut de l'existence, au sein de l'entreprise, de conflits intersyndicaux internes et de ce que les syndicats CFDT et UNSA exerceraient des pressions visant à déstabiliser les responsables du syndicat FO, auquel appartient M. F..., ces circonstances ne sont pas de nature à retirer aux faits qui lui sont reprochés leur caractère fautif. Les attestations ainsi produites ne permettent pas d'établir qu'un lien existerait entre le licenciement du requérant et le mandat détenu au regard des faits avancés par l'employeur pour fonder sa demande de licenciement. Par suite, le lien allégué entre le licenciement de M. F... et l'exercice de son mandat syndical n'est pas établi.

12. Dans ces conditions, c'est sans commettre d'erreur de fait, ni d'erreur de droit ou d'erreur d'appréciation que la ministre du travail a pu autoriser, par décision du 5 avril 2019, le licenciement de M. F....

13. Il résulte de tout ce qui précède que M. F... n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa requête tendant à l'annulation de la décision de la ministre du travail du 5 avril 2019 et a constaté qu'il n'y avait plus lieu de statuer sur les conclusions dirigées contre la décision de l'inspectrice du travail du 24 septembre 2018.

Sur les frais liés au litige :

14. Aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : " Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ".

15. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que soit mise à la charge de l'Etat et de la société Certicall, qui ne sont pas les parties perdantes dans la présente instance, la somme que M. F... demande au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de M. F... la somme de 2 000 euros au titre des frais exposés par la société Certicall et non compris dans les dépens.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de M. F... est rejetée.

Article 2 : M. F... versera à la société Certicall une somme de 2 000 euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à M. B... F..., au ministre du travail, du plein-emploi et de l'insertion et à la société Certicall.

Délibéré après l'audience du 21 octobre 2022, où siégeaient :

- Mme Chenal-Peter, présidente de chambre,

- Mme Ciréfice, présidente assesseure,

- M. Prieto, premier conseiller.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 4 novembre 2022.

N° 21MA00673 2

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Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 7ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA00673
Date de la décision : 04/11/2022
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Analyses

66-07-01-04-035 Travail et emploi. - Licenciements. - Autorisation administrative - Salariés protégés. - Conditions de fond de l'autorisation ou du refus d'autorisation. - Motifs autres que la faute ou la situation économique.


Composition du Tribunal
Président : Mme CHENAL-PETER
Rapporteur ?: M. Gilles PRIETO
Rapporteur public ?: M. GUILLAUMONT
Avocat(s) : SELARL PERIE - IMBERT - OLMER

Origine de la décision
Date de l'import : 13/11/2022
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2022-11-04;21ma00673 ?
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