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19/06/2023 | FRANCE | N°21MA02079

France | France, Cour administrative d'appel de Marseille, 6ème chambre, 19 juin 2023, 21MA02079


Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hexa Net a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le contrat conclu le 5 août 2019 entre la commune de Berre l'Etang et la société Silim Environnement relatif au nettoiement de la voirie, espaces publics et des équipements de la commune de Berre-l'Etang.

Par un jugement n° 1908266 du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2021 et le 23 ma

rs 2022, la société Hexa Net, représentée par la SCP Borel et Del Prete, demande à la Cour :
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Vu la procédure suivante :

Procédure contentieuse antérieure :

La société Hexa Net a demandé au tribunal administratif de Marseille d'annuler le contrat conclu le 5 août 2019 entre la commune de Berre l'Etang et la société Silim Environnement relatif au nettoiement de la voirie, espaces publics et des équipements de la commune de Berre-l'Etang.

Par un jugement n° 1908266 du 6 avril 2021, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Procédure devant la Cour :

Par une requête et un mémoire, enregistrés le 1er juin 2021 et le 23 mars 2022, la société Hexa Net, représentée par la SCP Borel et Del Prete, demande à la Cour :

1°) d'annuler ce jugement du tribunal administratif de Marseille du 6 avril 2021 ;

2°) à titre principal, d'annuler le marché conclu le 5 août 2019 entre la commune de Berre l'Etang et la société Silim Environnement ;

3°) à titre subsidiaire, de surseoir à statuer dans l'attente de l'enquête préliminaire ouverte par le Parquet d'Aix-en-Provence ;

4°) de mettre à la charge de la commune de Berre l'Etang la somme de 3 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle soutient que :

- c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen tiré de la falsification du rapport d'analyse des offres et n'a pas sursis à statuer ;

- le principe d'égalité de traitement a été méconnu ;

- la notation est entachée d'erreur manifeste d'appréciation.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 29 juillet 2021 et le 12 juillet 2022, la société Silim Environnement, représentée par Me Laridan, conclut au rejet de la requête et demande à la Cour de mettre à la charge de la société Hexa Net la somme de 2 500 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Par des mémoires en défense, enregistrés le 24 février 2022 et le 3 novembre 2022, la commune de Berre l'Etang, représentée par Me Mendes Constante, demande à la Cour de rejeter la requête de la société Hexa Net et de mettre à sa charge la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Elle fait valoir qu'aucun des moyens de la requête n'est fondé.

Un courrier du 25 octobre 2022 adressé aux parties en application des dispositions de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, les a informées de la période à laquelle il est envisagé d'appeler l'affaire à l'audience et a indiqué la date à partir de laquelle l'instruction pourra être close dans les conditions prévues par le dernier alinéa de l'article R. 613-1 et le dernier alinéa de l'article R. 613-2.

Par ordonnance du 28 avril 2023, la clôture de l'instruction a été fixée à sa date d'émission en application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative.

Vu les autres pièces du dossier.

Vu :

- le code de la commande publique ;

- le code de justice administrative.

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience.

Ont été entendus au cours de l'audience publique :

- le rapport de Mme Isabelle Gougot, rapporteure,

- les conclusions de M. François Point, rapporteur public,

- et les observations de Mme A... stagiaire de Me Baillargeon, pour la société Hexa Net, de Me Bezol, pour la commune de Berre l'Etang, et de Me Ratouit, pour la société Silim Environnement.

Considérant ce qui suit :

1. Par un avis d'appel public à la concurrence publié le 7 mai 2019, la commune de Berre l'Etang a lancé une consultation en vue de la passation d'un marché de " nettoiement de la voirie, des espaces publics et des équipements ". Par courrier du 19 juillet 2019, elle a informé la société Hexa Net, titulaire du précédent marché, de son classement en seconde position et du rejet de son offre ainsi que de l'attribution du marché à la société Silim Environnement. La société Hexa Net relève appel du jugement du 6 avril 2021 par lequel le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande tendant à l'annulation du contrat conclu le 5 août 2019 entre la commune de Berre l'Etang et la société Silim Environnement.

2. Indépendamment des actions dont disposent les parties à un contrat administratif et des actions ouvertes devant le juge de l'excès de pouvoir contre les clauses réglementaires d'un contrat ou devant le juge du référé contractuel sur le fondement des articles L. 551-13 et suivants du code de justice administrative, tout tiers à un contrat administratif susceptible d'être lésé dans ses intérêts de façon suffisamment directe et certaine par sa passation ou ses clauses est recevable à former devant le juge du contrat un recours de pleine juridiction contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses non réglementaires qui en sont divisibles. Ce recours doit être exercé, y compris si le contrat contesté est relatif à des travaux publics, dans un délai de deux mois à compter de l'accomplissement des mesures de publicité appropriées, notamment au moyen d'un avis mentionnant à la fois la conclusion du contrat et les modalités de sa consultation dans le respect des secrets protégés par la loi. La légalité du choix du cocontractant, de la délibération autorisant la conclusion du contrat et de la décision de le signer, ne peut être contestée qu'à l'occasion du recours ainsi défini.

3. Saisi ainsi par un tiers dans les conditions définies ci-dessus, de conclusions contestant la validité du contrat ou de certaines de ses clauses, il appartient au juge du contrat, après avoir vérifié que l'auteur du recours se prévaut d'un intérêt susceptible d'être lésé de façon suffisamment directe et certaine et que les irrégularités qu'il critique sont de celles qu'il peut utilement invoquer, lorsqu'il constate l'existence de vices entachant la validité du contrat, d'en apprécier l'importance et les conséquences. Ainsi, il lui revient, après avoir pris en considération la nature de ces vices, soit de décider que la poursuite de l'exécution du contrat est possible, soit d'inviter les parties à prendre des mesures de régularisation dans un délai qu'il fixe, sauf à résilier ou résoudre le contrat. En présence d'irrégularités qui ne peuvent être couvertes par une mesure de régularisation et qui ne permettent pas la poursuite de l'exécution du contrat, il lui revient de prononcer, le cas échéant avec un effet différé, après avoir vérifié que sa décision ne portera pas une atteinte excessive à l'intérêt général, soit la résiliation du contrat, soit, si le contrat a un contenu illicite ou s'il se trouve affecté d'un vice de consentement ou de tout autre vice d'une particulière gravité que le juge doit ainsi relever d'office, l'annulation totale ou partielle de celui-ci. Il peut enfin, s'il en est saisi, faire droit, y compris lorsqu'il invite les parties à prendre des mesures de régularisation, à des conclusions tendant à l'indemnisation du préjudice découlant de l'atteinte à des droits lésés.

Sur la régularité du jugement :

4. En premier lieu d'une part, le principe de la séparation des pouvoirs s'oppose à ce que l'exactitude des mentions d'un document administratif soit contestée par la voie d'une procédure en inscription de faux devant l'autorité judiciaire. D'autre part, aucune disposition ni aucun principe n'impose au juge administratif de surseoir à statuer dans l'attente d'une décision du juge pénal.

5. La société Hexa Net soutient que le tribunal aurait dû surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte qu'elle a déposée pour délit de favoritisme suite au courrier du 22 août 2019 adressé par un " collectif berrois " anonyme au sous-préfet d'Istres dont elle a reçu copie, au regard de deux versions distinctes du rapport d'analyse des offres en sa possession, alors qu'une enquête préliminaire a été ouverte. A supposer que, ce faisant, la société requérante ait entendu critiquer la régularité du jugement en se prévalant de la falsification du rapport d'analyse des offres, un tel moyen doit être écarté dès lors que l'appréciation du rapport d'analyse des offres qui émane d'une autorité administrative relève de la compétence du juge administratif et que le tribunal n'était pas tenu de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale, ainsi qu'il a été dit au point précédent.

6. En second lieu, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice, le juge administratif a toujours la faculté de rouvrir l'instruction, qu'il dirige, lorsqu'il est saisi d'une production postérieure à la clôture de celle-ci. Il lui appartient, dans tous les cas, de prendre connaissance de cette production avant de rendre sa décision et de la viser. S'il décide d'en tenir compte, il rouvre l'instruction et soumet au débat contradictoire les éléments contenus dans cette production qu'il doit, en outre, analyser. Dans le cas particulier où cette production contient l'exposé d'une circonstance de fait ou d'un élément de droit dont la partie qui l'invoque n'était pas en mesure de faire état avant la clôture de l'instruction et qui est susceptible d'exercer une influence sur le jugement de l'affaire, le juge doit alors en tenir compte, à peine d'irrégularité de sa décision.

7. La seule circonstance que la société Hexa Net ait produit, quelques jours avant l'audience devant le tribunal, un procès-verbal d'audition établi dans le cadre de l'enquête préliminaire n'est pas suffisante pour caractériser une circonstance de fait ou de droit susceptible d'exercer une influence sur le jugement dont le tribunal aurait dû tenir compte, à peine d'irrégularité.

Sur le bien-fondé du jugement :

En ce qui concerne la falsification du rapport d'analyse des offres et le refus du tribunal de surseoir à statuer :

8. Ainsi que l'a à bon droit relevé le tribunal, la seule production de deux documents intitulés dans le bordereau de pièces du demandeur de première instance " rapports d'analyse des offres " et " tableau d'analyse des offres 1ère version " et " 2e version ", qui constituent des documents de travail internes et provisoires émanant des services techniques de la commune, n'est pas suffisante pour révéler la falsification du rapport d'analyse des offres. Par ailleurs contrairement à ce que soutient la société requérante, le fait que dans les échanges de courriels et notamment dans celui du 1er juillet 2019 émanant du directeur général des services techniques (DGS) transmettant des documents préparatoires à l'analyse des offres au coordonnateur général des services en vue de la préparation de la commission d'appel d'offres, il ne soit pas fait référence à ces documents de travail, dans l'une de leur version, n'est pas suffisant pour considérer qu'il ne s'agirait pas de documents internes, provisoires, et préparatoires.

9. Par suite, et sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, la société Hexa Net n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que le tribunal a écarté le moyen selon lequel la procédure serait entachée d'un vice tiré de la falsification du rapport d'analyse des offres.

En ce qui concerne la méconnaissance du principe d'égalité de traitement :

10. Le fait que la société Hexa Net ait perdu 8,115 points sur le critère de la valeur technique entre le premier rapport d'analyse des offres dont elle se prévaut et le second n'est pas de nature à révéler une méconnaissance du principe d'égalité de traitement alors qu'ainsi qu'il a été dit au point 8, il s'agit de documents internes de la commune, que la commission d'appel d'offres, qui constitue une instance de décision souveraine, n'est pas tenue de s'approprier les notations contenues dans le rapport d'analyse des offres et qu'il ne résulte pas des autres pièces du dossier que l'autorité administrative aurait eu la volonté de favoriser la société attributaire.

11. La société requérante soutient que la différence de notation ne serait pas justifiée. Pour la description générale, il résulte des pièces du dossier que l'offre de la société Silim Environnement a été jugée parfaitement adaptée et a obtenu une note supérieure notamment car elle proposait une fréquence augmentée de balayage manuel avec " repasse " cinq fois par semaine dans le centre-ville tandis que l'offre de la société Hexa Net était seulement jugée adaptée. De même pour le critère des mesures environnementales, la société Silim Environnement a obtenu une meilleure note, dès lors qu'elle proposait de respecter les normes de rejet des polluants pour les poids lourds, d'utiliser des matériels électriques et la technique " SCR " pour diminuer le volume des particules à l'échappement pour les moteurs gasoil tandis que de son côté la société Hexa Net se bornait à utiliser des produits éco label et des petits matériels d'aspiration silencieux et économes. Pour la présentation et les aménagements du site provisoire de stockage, il résulte des pièces du dossier que l'offre de la société Hexa Net, qui restait vigilante sur la fréquence d'enlèvement des bennes pour éviter les nuisances olfactives, répondait seulement aux besoins de la collectivité tandis que celle de la société Silim Environnement qui prévoit la même vigilance sur la fréquence d'enlèvement des bennes mais aussi la pose de filets pour éviter toute dispersion, était jugée répondre parfaitement aux besoins de la collectivité. S'agissant du critère de l'encadrement dédié, la société Silim Environnement a obtenu également une meilleure note alors qu'elle proposait un personnel d'encadrement et une présence sur site plus importants que la société Hexa Net. Sur le critère d'état des véhicules, contrairement à ce que soutient la société requérante, il résulte de l'instruction, et notamment des extraits du mémoire technique de la société Silim Environnement qu'elle ne proposait que des véhicules neufs. Enfin, sur le critère des moyens humains, contrairement à ce que soutient la société Hexa Net, cette dernière ne mobilisait que douze agents outre deux agents pour les prestations avaloirs, ce qui était inférieur à la société Silim Environnement qui de son côté justifie, par la production d'extraits de son mémoire technique, qu'elle mobilisait entre treize et quatorze agents selon les périodes, sans compter les deux agents intervenants pour les campagnes de curage et de nettoyage d'avaloirs. Par suite, la société requérante ne démontre pas que la société Silim Environnement aurait été favorisée sur la notation.

12. Il résulte de ce qui précède que le moyen tiré de la méconnaissance du principe d'égalité de traitement doit être écarté.

En ce qui concerne le moyen tiré de l'existence d'une erreur manifeste d'appréciation :

13. Il résulte du règlement de consultation que l'offre était notée sur cent points avec un coefficient de 0,55 sur la valeur technique décomposée en plusieurs critères et sous-critères et de 0,45 sur le critère prix. Après application des coefficients, la société Hexa Net a obtenu 41,525 sur la valeur technique et 45 sur le prix, soit une note totale de 86,525, tandis que la société Silim Environnement obtenait respectivement 52,525 et 35,518 soit une note globale supérieure de 88,043.

14. Pour démontrer que l'appréciation de la commune de Berre l'Etang serait entachée d'erreur manifeste la société requérante n'est pas fondée à se prévaloir des différences de notation entre le rapport d'analyse des offres et les document internes évoqués au point 8 alors, d'une part, ainsi qu'il a été déjà dit, qu'il s'agit de documents internes de la commune, que la commission d'appel d'offres, qui constitue une instance de décision souveraine, n'est pas tenue de s'approprier les notations contenues dans le rapport d'analyse des offres, et d'autre part, qu'ainsi qu'il a été indiqué au point 11, la société Hexa Net ne démontre pas que la différence de notation serait injustifiée.

15. Il résulte de tout ce qui précède que, sans qu'il soit besoin de surseoir à statuer, la société Hexa Net n'est pas fondée à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Marseille a rejeté sa demande.

Sur les frais liés au litige :

16. Les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce qu'il soit fait droit aux conclusions de la société Hexa Net dirigées contre la commune de Berre l'Etang qui n'est pas, dans la présente instance, la partie perdante. Il y a lieu en revanche, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge de la société Hexa Net la somme de 1 000 euros, chacune à verser à la société Silim Environnement et à la commune de Berre l'Etang.

D É C I D E :

Article 1er : La requête de la société Hexa Net est rejetée.

Article 2 : La société Hexa Net versera à la société Silim Environnement d'une part, et à la commune de Berre l'Etang d'autre part, une somme de 1 000 euros chacune au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Le présent arrêt sera notifié à la société Hexa Net, à la société Silim Environnement et à la commune de Berre l'Etang.

Délibéré après l'audience du 5 juin 2023, où siégeaient :

- M. Alexandre Badie, président de chambre,

- Mme Isabelle Gougot, première conseillère,

- Mme Isabelle Ruiz, première conseillère.

Rendu public par mise à disposition au greffe, le 19 juin 2023.

N° 21MA02079020


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Marseille
Formation : 6ème chambre
Numéro d'arrêt : 21MA02079
Date de la décision : 19/06/2023
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Analyses

Marchés et contrats administratifs - Règles de procédure contentieuse spéciales - Pouvoirs et obligations du juge - Pouvoirs du juge du contrat.

Procédure - Instruction - Pouvoirs généraux d'instruction du juge - Inscription de faux.

Procédure - Pouvoirs et devoirs du juge - Pouvoirs du juge disciplinaire.


Composition du Tribunal
Président : M. BADIE
Rapporteur ?: Mme Isabelle GOUGOT
Rapporteur public ?: M. POINT
Avocat(s) : MCL AVOCATS

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.marseille;arret;2023-06-19;21ma02079 ?
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