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16/06/2005 | FRANCE | N°02NC00788

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, 3eme chambre - formation a 3, 16 juin 2005, 02NC00788


Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 17 juillet 2002, complétée par mémoires enregistrés les 2 juillet 2003 et 19 janvier 2005, présentée pour M. Mercurio X, élisant domicile ..., par Me Neu, avocat ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 30 avril 2002 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 1 420 028 francs, soit 216 481,87 euros, en réparation des conséquences dommageables des d

eux interventions chirurgicales qu'il a subies les 9 et 10 novembre 1998 lor...

Vu la requête, enregistrée au greffe de la Cour le 17 juillet 2002, complétée par mémoires enregistrés les 2 juillet 2003 et 19 janvier 2005, présentée pour M. Mercurio X, élisant domicile ..., par Me Neu, avocat ;

M. X demande à la Cour :

1°) d'annuler le jugement du Tribunal administratif de Strasbourg en date du 30 avril 2002 en tant qu'il n'a que partiellement fait droit à sa demande tendant à condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 1 420 028 francs, soit 216 481,87 euros, en réparation des conséquences dommageables des deux interventions chirurgicales qu'il a subies les 9 et 10 novembre 1998 lors de son séjour dans ledit établissement ;

2°) à titre principal, de condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser la somme susvisée avec les intérêts légaux à compter de la date de l'intervention du 9 novembre 1997 ;

3°) à titre subsidiaire, d'ordonner une expertise complémentaire aux fins de déterminer si les interventions pratiquées ont comporté des manquements aux règles de l'art ;

4°) de condamner les hôpitaux universitaires de Strasbourg à lui verser une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- c'est à tort que le tribunal n'a pas retenu la responsabilité de l'hôpital à raison de la faute commise par le chirurgien dans la technique opératoire, s'agissant notamment du positionnement du rachis cervical et de sa surveillance pendant la durée de la première opération ;

- en limitant l'indemnité au 1/5ème du préjudice global subi par la victime, le tribunal a sous-estimé les conséquences dommageables de l'absence d'information préalable délivrée par le service et a fait une appréciation insuffisante de la perte de chance du requérant de se soustraire au risque que présentait l'intervention ; en l'absence d'urgence, le requérant aurait certainement, s'il avait été complètement informé des risques de l'intervention, refusé ou retarder l'acte chirurgical et doit en conséquence bénéficier d'une réparation intégrale ;

- à tout le moins, compte tenu de l'état d'invalidité de la victime, l'hôpital doit être condamné à la réparation intégrale du préjudice sur le fondement de la responsabilité sans faute telle qu'issue de la jurisprudence Bianchi ;

- la perte de revenus de M. X s'établit à 6 712,02 euros (44 028 F) ;

- l'incapacité permanente partielle du requérant, évaluée à 45% par l'expert, a été sous-estimée et doit, compte tenu des troubles subis du fait du déficit fonctionnel, être fixée à 900 000 francs soit 137 204,16 euros ;

- le préjudice matériel lié aux divers frais de déplacement est d'environ 4 000 francs soit 609,80 euros ;

- une indemnité de 100 000 francs soit 15 244,90 euros sera attribuée au titre, respectivement, du pretium doloris, évalué à 4,7/7 par l'expert, du préjudice d'agrément, qui est important, du préjudice esthétique, évalué par l'expert à 4/7 et, enfin, du préjudice moral ;

Vu le jugement attaqué ;

Vu les mémoires en défense, enregistrés les 10 juin 2003 et 8 décembre 2004, présentés pour les hôpitaux universitaires de Strasbourg, dont le siège social est 1 place de l'Hôpital à Strasbourg cedex (67091), par Me Le Prado, avocat au Conseil d'Etat ;

Les hôpitaux universitaires de Strasbourg concluent au rejet de la requête ;

Ils soutiennent que :

- la faute médicale alléguée par le requérant n'est pas établie ;

- les conditions d'application prévues par la jurisprudence Bianchi pour engager la responsabilité sans faute du service public hospitalier ne sont pas remplies ;

- la responsabilité de l'hôpital consécutive au défaut d'information du patient ne peut être engagée que sur le fondement de la perte de chance de se soustraire au risque de complication qui s'est réalisé ;

- le préjudice doit être limité à une fraction des différents chefs du préjudice global ; la fixation de la fraction réparable au cinquième des préjudices subis n'est pas critiquable ;

- le préjudice a fait l'objet d'une appréciation généreuse de la part du tribunal ;

Vu l'ordonnance du 6 janvier 2005 reportant la clôture de l'instruction au 26 janvier 2005 ;

Vu la décision en date du 21 novembre 2002 accordant l'aide juridictionnelle partielle à M. X ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu le code de la sécurité sociale ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 26 mai 2005 :

- le rapport de M. Martinez, premier conseiller,

- les observations de Me Neu, avocat de M. X,

- et les conclusions de M. Tréand, commissaire du gouvernement ;

Considérant que M. X, qui présentait depuis 1996 une atteinte pluriradiculaire du membre supérieur droit avec troubles sensitivo-moteurs, a subi le 10 novembre 1997 une intervention chirurgicale, à l'issue de laquelle l'état neurologique s'est aggravé sous forme d'une tétraparésie sévère qui a rendu nécessaire une ré-intervention immédiate ;

Sur la responsabilité sans faute :

Considérant que lorsqu'un acte médical nécessaire au diagnostic ou au traitement d'un malade présente un risque dont l'existence est connue mais dont la réalisation est exceptionnelle et dont aucune raison ne permet de penser que le patient y soit particulièrement exposé, la responsabilité du service public est engagée si l'exécution de cet acte est la cause directe de dommages, sans rapport avec l'état initial du patient comme avec l'évolution prévisible de cet état, et présentant un caractère d'extrême gravité ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise établis à la demande du Tribunal administratif de Strasbourg, que M. X était atteint, avant l'intervention, de troubles neurologiques sensitivo-moteurs au niveau du membre supérieur droit liés à une compression médullaire ; que les séquelles neurologiques de l'intervention ne peuvent donc être regardées comme sans rapport avec son état initial ou l'évolution prévisible de cet état ; qu'en outre, pour importantes et invalidantes qu'elles soient, les séquelles ne présentent pas un caractère d'extrême gravité ; qu'enfin, le risque d'accidents neurologiques post-opératoires liés à une ischémie médullaire survient dans un à deux pour cent des cas ; que sa réalisation ne peut donc être regardée comme exceptionnelle ; que, par suite, le moyen soulevé en appel par M. X tiré de ce que la responsabilité sans faute des hôpitaux universitaires de Strasbourg serait engagée doit être écarté ;

Sur la responsabilité pour faute :

Considérant qu'il résulte de l'instruction, et notamment des rapports d'expertise établis à la demande du Tribunal administratif de Strasbourg , que l'intervention du 10 novembre 1997, dont la nécessité n'est pas contestée, a été réalisée selon une technique opératoire adaptée à la symptomatologie du patient dont la moelle était fragilisée par le processus arthrosique ; qu'en admettant même que l'aggravation des troubles neurologiques ait pour origine une décompensation médullaire d'origine ischémique favorisée par le positionnement du rachis cervical durant une opération de longue durée, il n'est pas établi que ce positionnement ait été en l'espèce constitutif d'un manquement aux règles de l'art ni qu'il ait fait l'objet d'une surveillance insuffisante ; que, par suite, et sans qu'il soit besoin d'ordonner l'expertise complémentaire sollicitée par le requérant, le moyen soulevé par M. X tiré de ce que la responsabilité du service hospitalier serait engagée à raison d'une faute médicale ne peut être accueilli ;

Considérant, toutefois, que lorsque l'acte médical envisagé, même accompli conformément aux règles de l'art, comporte des risques connus de décès ou d'invalidité, le patient doit en être informé dans des conditions qui permettent de recueillir son consentement éclairé ; que si cette information n'est pas requise en cas d'urgence, d'impossibilité ou de refus du patient d'être informé, la seule circonstance que les risques ne se réalisent qu'exceptionnellement ne dispense pas les praticiens de leur obligation ;

Considérant, ainsi qu'il a été dit plus haut, que l'intervention chirurgicale pratiquée sur M. X, même réalisée selon les règles de l'art, présentait des risques d'invalidité du patient pouvant résulter de la survenue d'une ischémie médullaire ; que si M. X a été informé des risques auxquels il s'exposait en l'absence de l'intervention susmentionnée, et notamment des risques d'aggravation spontanée et relativement rapide de sa maladie, l'établissement hospitalier n'apporte pas la preuve qui lui incombe que la victime a également été pleinement informée des risques de complications inhérents à ce type d'intervention ; que, dès lors, ce manquement à leur obligation d'information engage la responsabilité des hôpitaux universitaires de Strasbourg à l'égard de M. X ;

Sur le préjudice :

Considérant que, contrairement à ce que soutient le requérant, la faute ainsi commise par les praticiens de l'hôpital n'a entraîné pour l'intéressé que la perte d'une chance de se soustraire au risque qui s'est réalisé ; qu'en conséquence, la réparation du dommage résultant pour M. X de la perte de cette chance doit être fixée à une fraction des différents chefs de préjudices subis ;

Considérant, en premier lieu, qu'il résulte de l'instruction que M. X, dont l'état est consolidé au 17 mai 2000, présente une tétraparésie entraînant en particulier des troubles de la marche et des troubles de la partie distale des membres supérieurs rendant difficile les mouvements de préhension ; que le taux d'incapacité permanente partielle a été fixé par l'expert à 45% ;

Considérant que le préjudice de M. X relatif à la perte de revenus professionnels au titre de la période du 10 novembre 1997 jusqu'à sa mise à la retraite le 26 novembre 1999 s'élève au montant non contesté de 116 028 francs soit 17 688,35 euros ; qu'en évaluant à 2000 euros le préjudice d'agrément et le préjudice corporel relatif au déficit fonctionnel correspondant au taux d'incapacité permanente partielle susmentionné, non sérieusement contesté par le requérant, le tribunal n'a pas fait une évaluation insuffisante des troubles de toute nature que l'intéressé subit dans ses conditions d'existence ; que le requérant n'établit pas, en l'espèce, que le préjudice moral qu'il invoque soit distinct de celui réparé au titre des troubles dans les conditions d'existence ; que le tribunal a fait une juste appréciation des souffrances physiques endurées et du préjudice esthétique en estimant ces deux chefs de préjudice à un montant de 15 000 euros ; que si le requérant invoque des frais divers et des frais de déplacement, notamment pour se rendre auprès du kinésithérapeute, il n'apporte pas, au soutien de ses prétentions, d'éléments précis permettant de déterminer ce préjudice matériel ; qu'il suit de là que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a évalué son préjudice global à la somme de 84 688,83 euros ;

Considérant, en second lieu, que compte tenu du rapprochement entre, d'une part, les risques inhérents à l'intervention et, d'autre part, les risques d'aggravation à court terme des troubles neurologiques qui étaient encourus en cas de renoncement au traitement litigieux, le Tribunal administratif de Strasbourg n'a pas fait une inexacte appréciation des circonstances de l'affaire en fixant cette fraction au cinquième du préjudice global ; qu'il s'ensuit que M. X n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a limité le montant de la réparation des dommages liés à la faute du service hospitalier à la somme de 16 937,67 euros ;

Sur les conclusions tendant à l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : Dans toutes les instances, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation. ;

Considérant qu'en vertu des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative, la Cour ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par M. X doivent dès lors être rejetées ;

D É C I D E :

Article 1er : La requête susvisée de M. X est rejetée.

Article 2 : Le présent arrêt sera notifié à M. Mercurio X, aux hôpitaux universitaires de Strasbourg et à la caisse primaire d'assurance maladie de Strasbourg.

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N° 02NC00788


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : 3eme chambre - formation a 3
Numéro d'arrêt : 02NC00788
Date de la décision : 16/06/2005
Sens de l'arrêt : Rejet
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Plein contentieux

Composition du Tribunal
Président : M. LEDUCQ
Rapporteur ?: M. José MARTINEZ
Rapporteur public ?: M. TREAND
Avocat(s) : NEU

Origine de la décision
Date de l'import : 05/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2005-06-16;02nc00788 ?
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