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18/12/2014 | FRANCE | N°13NC01484

France | France, Cour administrative d'appel de Nancy, Formation plenière, 18 décembre 2014, 13NC01484


Vu la requête, enregistrée le 5 août 2013, présentée pour M. F... A..., demeurant..., par Me E... ;

M. A... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100218 du 3 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 octobre 2010 par laquelle la directrice générale du centre hospitalier régional de Metz-Thionville l'a suspendu de ses fonctions de praticien hospitalier ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitali

er régional de Metz-Thionville une somme de 3 000 euros hors taxes sur le fondement de l'a...

Vu la requête, enregistrée le 5 août 2013, présentée pour M. F... A..., demeurant..., par Me E... ;

M. A... demande à la cour :

1°) d'annuler le jugement n° 1100218 du 3 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de la décision du 29 octobre 2010 par laquelle la directrice générale du centre hospitalier régional de Metz-Thionville l'a suspendu de ses fonctions de praticien hospitalier ;

2°) d'annuler, pour excès de pouvoir, cette décision ;

3°) de mettre à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville une somme de 3 000 euros hors taxes sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient que :

- la décision attaquée ne peut se fonder sur le rapport de la mission d'inspection du 11 octobre 2010, ni sur le rapport de la mission d'inspection du 28 octobre 2010, dès lors qu'à la date de cette décision, les rapports n'avaient pas été communiqués à la directrice du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière ;

- le rapport du 28 octobre 2010 n'a jamais été validé ni signé par l'ensemble de ses rédacteurs ;

- l'administration ne pouvait se fonder sur les rapports d'inspection des 11 et 28 octobre 2010 dès lors que leurs auteurs qui ne disposaient pas de l'ensemble des compétences requises pour porter une appréciation sur les gestes chirurgicaux pratiqués dans son service, ne sont pas impartiaux, qu'ils n'ont retenu que les éléments à charge sans procéder à une étude de l'ensemble des dossiers des patients et ont méconnu le principe du contradictoire ainsi que celui relatif aux droits de la défense ;

- les gestes chirurgicaux qui lui sont reprochés dans les rapports précités sont conformes aux règles de l'art, ne font l'objet d'aucune contre-indication ou recommandation contraire et ne sont pas à l'origine des décès des patients opérés ;

- les taux de mortalité pris en compte par les auteurs des rapports d'inspection ne constituent pas des indicateurs de qualité ;

- les données statistiques prises en compte dans ces rapports sont erronées et ne présentent aucune pertinence pour interpréter le nombre des décès observés à la suite d'une intervention chirurgicale dans son service ;

- les patients ont été opérés avec leur consentement, à l'issue d'une réflexion collégiale et pluridisciplinaire et après qu'une balance bénéfices/risques a été réalisée et s'est révélée positive ;

- la surmortalité qui lui est reprochée dans les rapports précités n'est pas établie, à défaut de lien de causalité entre les décès de patients et les interventions chirurgicales qu'ils ont subies ;

- la décision attaquée est entachée d'erreur de droit dès lors qu'aucune urgence n'imposait sa suspension, l'activité de chirurgie cardiaque ayant été suspendue dès le 12 octobre 2010 au sein de l'hôpital de Metz-Thionville ;

- ni l'urgence, ni l'intérêt du service ne justifiaient qu'on lui interdise d'accéder aux locaux hospitaliers ;

- la décision attaquée a pour effet de l'empêcher d'accéder aux dossiers de ses patients pris en charge dans le cadre de son activité libérale ;

- l'administration avait pour but de réunir les services de chirurgie cardiaque des centres hospitaliers de Metz-Thionville et de Nancy ;

Vu la mise en demeure adressée le 4 décembre 2013 à la SCP Sur et B...Associés, avocat du centre hospitalier régional de Metz-Thionville, en application de l'article R. 612-3 du code de justice administrative et l'avis de réception de cette mise en demeure ;

Vu le mémoire en défense, enregistré le 6 janvier 2014, présenté pour le centre hospitalier régional de Metz-Thionville, par la SCP Sur et B...Associés, qui conclut au rejet de la requête et à ce qu'une somme de 3 000 euros soit mise à la charge de M. A...en application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Le centre hospitalier régional fait valoir que :

- la requête est irrecevable dès lors qu'elle ne comporte aucun moyen d'appel et qu'elle est dépourvue d'objet ;

- les moyens invoqués par le requérant tendant à contester la régularité des rapports d'inspection sont inopérants, dès lors que la décision de suspension, laquelle n'avait pas à être motivée, constitue une mesure conservatoire ;

- le requérant n'établit pas avoir été suspendu sans que l'administration ait pris connaissance des rapports d'inspection des 11 et 28 octobre 2010 ;

- le requérant ne saurait utilement se prévaloir d'une prétendue irrégularité de ces rapports d'inspection ;

- la directrice de l'établissement hospitalier pouvait légalement suspendre le requérant dès lors que les rapports précités révélaient un taux de mortalité supérieur à la moyenne ainsi que des dysfonctionnements au sein du service ;

- les témoignages produits à l'appui de la requête ne sont pas corroborés par les pièces du dossier ;

- l'urgence justifiait de suspendre le requérant, alors même que l'activité de chirurgie cardiaque avait été préalablement suspendue ;

- la décision attaquée n'a pas d'autre objet que d'assurer la sécurité des patients et de préserver l'intérêt du service ;

Vu l'ordonnance en date du 29 janvier 2014 fixant la clôture d'instruction au 19 février 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 27 juin 2014, présenté pour M. A...qui conclut aux mêmes fins que sa requête par les mêmes moyens ;

Il soutient, en outre, qu'aucune urgence n'imposait sa suspension dès lors qu'il a été placé en congé de maladie du 14 octobre 2010 au 7 juin 2011 et qu'il ne lui était pas possible d'exercer une autre spécialité que celle de la chirurgie cardiaque ;

Vu le mémoire, enregistré le 2 septembre 2014, présenté pour le centre hospitalier régional de Metz-Thionville qui conclut aux mêmes fins que dans son précédent mémoire par les mêmes motifs ;

Il fait valoir, en outre, que l'urgence justifiait de suspendre le requérant afin de permettre au service de chirurgie cardiaque de fonctionner de nouveau ;

Vu la lettre du 16 septembre 2014 par laquelle les parties ont été informées qu'en application de l'article R. 611-11-1 du code de justice administrative, il était envisagé d'appeler l'affaire à l'audience au cours du mois de décembre 2014 et que l'instruction pourrait être close à partir du 2 octobre 2014 sans information préalable ;

Vu l'ordonnance du 3 octobre 2014 portant clôture immédiate de l'instruction, en application des articles R. 611-1-1, R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le mémoire, enregistré le 6 octobre 2014, présenté pour M. A...qui conclut, par les mêmes moyens, aux mêmes fins que dans ses précédentes écritures et demande en outre qu'une somme de 5 000 euros hors taxes soit mise à la charge du centre hospitalier régional de Metz-Thionville sur le fondement de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

Il soutient, en outre, que sa requête est recevable ;

Vu l'ordonnance du 7 octobre 2014 reportant la date de clôture de l'instruction au 23 octobre 2014, en application des articles R. 613-1 et R. 613-3 du code de justice administrative ;

Vu le jugement et la décision attaqués ;

Vu les autres pièces des dossiers ;

Vu le code de la santé publique ;

Vu le code de justice administrative ;

Les parties ayant été régulièrement averties du jour de l'audience ;

Après avoir entendu au cours de l'audience publique du 10 décembre 2014 :

- le rapport de M. Guerin-Lebacq, premier conseiller,

- les conclusions de M. Collier, rapporteur public,

- et les observations de MeC..., substituant MeE..., pour M.A..., de M. A..., et de MeD..., substituant MeB..., pour le CHR de Metz-Thionville ;

Vu la note en délibéré, enregistrée le 17 décembre 2014, présentée pour M.A... ;

1. Considérant que, le 30 août 2010, le directeur général de l'agence régionale de santé (ARS) de Lorraine a désigné une mission d'expertise chargée d'analyser l'organisation, le fonctionnement et les pratiques professionnelles du service de chirurgie cardiaque du centre hospitalier régional (CHR) de Metz-Thionville ; que, dans son rapport établi le 11 octobre 2010, cette mission a constaté, chez les patients pris en charge dans le service de chirurgie cardiaque, un taux de mortalité péri-opératoire supérieur au taux observé au niveau national ; que le directeur de l'ARS a suspendu, par une décision du 12 octobre 2010, l'autorisation de l'activité de chirurgie cardiaque dont bénéficiait le CHR et a diligenté, le lendemain, une nouvelle mission chargée d'inspecter ledit service ; qu'au vu des conclusions rendues dès le 28 octobre 2010 par les experts médicaux, membres de la mission d'inspection la directrice générale du CHR de Metz-Thionville a décidé, le 29 octobre 2010, de suspendre M. A...de ses fonctions de praticien hospitalier et de chef de service ; que M. A... fait appel du jugement du 3 juin 2013 par lequel le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande tendant à l'annulation de cette décision ;

Sur les fins de non recevoir opposées en première instance et en appel par le CHR de Metz-Thionville :

2. Considérant, d'une part, qu'aux termes de l'article R. 811-13 du code de justice administrative : " Sauf dispositions contraires prévues par le présent titre, l'introduction de l'instance devant le juge d'appel suit les règles relatives à l'introduction de l'instance de premier ressort définies au livre IV (...) " ; qu'aux termes de l'article R. 411-1 figurant au livre IV du même code : " (...) La requête (...) contient l'exposé des faits et moyens, ainsi que l'énoncé des conclusions soumises au juge. / L'auteur d'une requête ne contenant l'exposé d'aucun moyen ne peut la régulariser par le dépôt d'un mémoire exposant un ou plusieurs moyens que jusqu'à l'expiration du délai de recours. " ; que la requête par laquelle M. A...fait appel du jugement du 3 juin 2013 rejetant sa demande d'annulation de la décision du 29 octobre 2010 de la directrice générale du CHR de Metz-Thionville ne constitue pas la reproduction littérale de ses mémoires de première instance et énonce à nouveau, de manière précise, les critiques adressées à cette décision ; qu'une telle motivation répond aux conditions posées par l'article R. 411-1 précité du code de justice administrative ; que, par suite, la fin de non recevoir opposée en défense par le CHR de Metz-Thionville doit être écartée ;

3. Considérant, d'autre part, que, par une décision du 2 novembre 2010, la directrice générale du centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière (CNG) a suspendu M. A...de ses fonctions de praticien hospitalier pour une durée de six mois ; que l'intervention de cette décision n'a pas privé d'objet la demande présentée par l'intéressé devant les premiers juges, le 22 décembre 2010, contre la décision de suspension prise le 29 octobre précédent par la directrice générale du CHR de Metz-Thionville, qui avait produit ses effets antérieurement à celle de la directrice générale du CNG ; que, par suite, la fin de non-recevoir opposée en défense par le CHR de Metz-Thionville doit être écartée ;

Sur la légalité de la décision du 29 octobre 2010 :

4. Considérant que le directeur d'un centre hospitalier qui, aux termes de l'article L. 6143-7 du code de la santé publique exerce son autorité sur l'ensemble du personnel de son établissement, peut légalement, lorsque la situation exige qu'une mesure conservatoire soit prise en urgence pour assurer la sécurité des malades et la continuité du service, décider de suspendre les activités cliniques et thérapeutiques d'un praticien hospitalier au sein du centre, sous le contrôle du juge et à condition d'en référer immédiatement aux autorités compétentes pour prononcer la nomination du praticien concerné, sans qu'y fassent obstacle les dispositions de l'article R. 6152-77 du code de la santé publique, qui ne prévoient la possibilité de suspendre les intéressés par une décision du directeur général du CNG que dans le cas où ils font l'objet d'une procédure disciplinaire ;

5. Considérant que, pour suspendre M. A...de ses fonctions par la décision attaquée, la directrice générale du CHR de Metz-Thionville s'est fondée sur les rapports précités des 11 et 28 octobre 2010 dont il ressort que le taux de mortalité observé dans le service de chirurgie cardiaque était supérieur à la moyenne nationale, que les pratiques chirurgicales n'étaient pas conformes aux recommandations des sociétés savantes, enfin que les interventions envisagées ne faisaient jamais l'objet de contre-indications opératoires ;

6. Considérant qu'il est constant que l'autorisation dont bénéficiait le CHR de Metz-Thionville pour exercer l'activité de chirurgie cardiaque a été suspendue par le directeur général de l'ARS dès le 12 octobre 2010, interdisant ainsi, à compter de cette dernière date, toute intervention en chirurgie cardiaque dans l'établissement ; que si le centre hospitalier soutient qu'une reprise de l'activité de chirurgie cardiaque nécessitait que M. A...fût suspendu de ses fonctions, il ne ressort pas des pièces du dossier qu'une telle reprise était envisageable à la date de la décision attaquée, alors que la mission d'inspection diligentée le 13 octobre 2010 n'a remis son rapport définitif que le 7 février 2011, que le projet médical pour la reprise d'une activité de chirurgie cardiaque au CHR de Metz-Thionville n'a été élaboré qu'au début de l'année 2011 et que cette activité n'a pu effectivement reprendre dans le cadre du nouveau pôle territorial lorrain associant les hôpitaux de Metz et de Nancy que le 14 février 2011 ; qu'en outre, à supposer que la seule présence de M. A... dans l'établissement eût été de nature à en compromettre le bon fonctionnement, le requérant soutient, sans être sérieusement contredit sur ce point par le CHR, que son état de santé ne lui permettait pas d'assurer ses fonctions dans le service, ainsi qu'il ressort des avis d'arrêt de travail qu'il produit pour la période du 14 octobre au 7 novembre 2010 ; que, dans ces conditions, alors que l'intéressé était éloigné du service à la date de la décision attaquée, ni la sécurité des patients, ni la continuité du service n'exigeaient de suspendre, en urgence, ses activités cliniques et thérapeutiques au sein du centre hospitalier ;

7. Considérant qu'il résulte de ce qui précède, sans qu'il soit besoin d'examiner les autres moyens de la requête, que M. A...est fondé à soutenir que c'est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Strasbourg a rejeté sa demande ; qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de mettre à la charge du CHR de Metz-Thionville une somme de 1 500 euros au titre des frais exposés par M. A...et non compris dans les dépens ; qu'en revanche, les dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative font obstacle à ce que M.A..., qui n'a pas la qualité de partie perdante, verse au CHR de Metz-Thionville la somme que celui-ci réclame au titre des frais exposés par lui et non compris dans les dépens ;

D E C I D E :

Article 1er : Le jugement n° 1100218 du 3 juin 2013 du tribunal administratif de Strasbourg et la décision du 29 octobre 2010 de la directrice générale du CHR de Metz-Thionville sont annulés.

Article 2 : Le CHR de Metz-Thionville versera à M. A...une somme de 1 500 (mille cinq cents) euros au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 3 : Les conclusions du CHR de Metz-Thionville présentées sur le fondement des dispositions de l'article L. 761-1 du code de justice administrative sont rejetées.

Article 4 : Le présent arrêt sera notifié à M. F... A...et au centre hospitalier régional de Metz-Thionville.

Copie en sera adressée au centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière et à l'agence régionale de santé de Lorraine.

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N° 13NC01484


Synthèse
Tribunal : Cour administrative d'appel de Nancy
Formation : Formation plenière
Numéro d'arrêt : 13NC01484
Date de la décision : 18/12/2014
Type d'affaire : Administrative
Type de recours : Excès de pouvoir

Composition du Tribunal
Président : Mme la Pdte. SICHLER
Rapporteur ?: M. Jean-Marc GUERIN-LEBACQ
Rapporteur public ?: M. COLLIER
Avocat(s) : LUCAS-BALOUP

Origine de la décision
Date de l'import : 02/07/2015
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.administrative.appel.nancy;arret;2014-12-18;13nc01484 ?
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